Marié, séparé, divorcé, remarié

1. Séparé

— Trois étapes, ou trois états, seront prises en considération dans ce livre et vont correspondre à ses trois sections : la séparation, le divorce, le remariage.

Puisque ces réflexions se veulent bibliques, mieux vaut donner le ton tout de suite et hisser les couleurs d'entrée de jeu en reconnaissant que le Dieu de la Bible est contre la séparation des conjoints, contre le divorce ou répudiation, contre le remariage des divorcés.

Déçus, certains penseront : voici une étude à sens unique, qui s'annonce sans histoire, aussi monotone et plate que le pays chanté par Jacques Brel : quel ennui en perspective ! Il y aura, au contraire, beaucoup d'imprévus, surtout dans des endroits où l'on s'y attend le moins.

Jésus avait une façon à lui d'aborder les habitudes, les situations et les doctrines les mieux institutionnalisées en Israël, ce qui mettait hors de leurs gonds les défenseurs attitrés de ces mêmes doctrines. Ce que Jésus leur rétorquait était simple, si simple, mais voilà eux n'y avaient tout simplement pas pensé !

C'était pourtant là, inscrit depuis toujours dans le Livre Saint dont ils se réclamaient. Mais les traditions, les habitudes, comme aussi le manque de connaissance, avaient mis une grille de lecture sur les textes sacrés, au point que leurs yeux étaient « empêchés de voir », comme les deux disciples sur le chemin d'Emmaüs.

Notre génération a aussi son conformisme, ses traditions, ses habitudes, ses approches tronquées et partisanes de la Bible, ses raccourcis et sa paresse intellectuelle surtout. La réflexion devient dérangeante.

— La supériorité du peuple élu et les faveurs de l'Éternel n'étaient contestées par personne en Israël. Ils étaient confortablement installés dans le sentiment de leur excellence spirituelle et ils avaient là-dessus des idées bien arrêtées. « C'est à eux qu'appartenaient l'adoption, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses et les patriarches, et de qui est issu, selon la chair, le Christ... » (Romains 9.4-5)

Mais quel choc de L'entendre dire : « Il y avait plusieurs veuves en Israël du temps d'Élie... cependant, il ne fut envoyé vers aucune d'elles, si ce n'est vers une femme veuve à Sarepta, dans le pays de Sidon ! » « Il y avait aussi plusieurs lépreux en Israël du temps d'Élisée ; et cependant aucun d'eux ne fut purifié, si ce n'est Naaman le Syrien ! » (Luc 4.25-27) Ils n'y avaient pas pensé !

Ses citations de l'Écriture étaient déconcertantes. Elles désarçonnaient les positions les mieux assises, celles qui se réclamaient de la même source : la Parole de Dieu.

— Les sadducéens en étaient pour leurs frais avec leur doctrine rationaliste de la non-résurrection des morts. Ils étaient si sûrs d'eux-mêmes ! Il a suffi d'un seul texte auquel ils n'avaient pas pensé pour les remettre en question.

— Satan lui-même, ce serpent tortueux, grand maître à tronquer les versets de la Bible ou à les passer sous silence, reculait définitivement devant son : « Il est aussi écrit... »

— Quand Il était attiré par ses adversaires hors du terrain de l'Écriture, ses réponses, faites de bon sens et empreintes d'autorité, déboulonnaient les idées qui paraissaient les mieux ancrées et leurs axiomes prenaient des allures de sophismes. Personne ne pouvait résister à sa sagesse et à l'Esprit par lequel Il parlait.

— À plus d'une reprise, les pharisiens, brandissant la loi de Dieu, l'accusèrent de violer le repos sacré du sabbat. Il les renvoya au grand Code dont ils le menaçaient en leur disant simplement : « N'avez-vous lu dans la loi que, les jours de sabbat, les sacrificateurs violent le sabbat dans le temple sans se rendre coupables? » (Matthieu 12.5) Puis, les prenant à témoin de leurs propres actes, Il leur dit: « Lequel d'entre vous, s'il n'a qu'une brebis et qu'elle tombe dans une fosse le jour du sabbat, ne la saisira pour l'en retirer ? » (Matthieu 12.11) Ils n'y avaient pas pensé !

— Quand les pharisiens Lui demandèrent si un homme pouvait répudier sa femme pour un motif quelconque, ils s'étonnèrent de ses restrictions. Il faut dire — on y reviendra.

— qu'en parfaits phallocrates ils s'arrogeaient tous les droits, dont celui de répudier leur épouse, comme ils venaient de le dire, pour des motifs vraiment « quelconques ». Comme Il ne leur facilitait pas l'accès au divorce, ils Lui posèrent une question piège, en le confrontant à la loi de Dieu : « Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit de donner à la femme une lettre de divorce et de la répudier ? » (Matthieu 19.7) Il leur révéla les dessous de cette tolérance divine et, du coup, de piégeurs ils se retrouvèrent piégés : « C'est à cause de la dureté de votre cœur ! » Il voulait dire : « Vous êtes si durs, si méchants avec votre épouse que le Dieu qui, au commencement, vous l'a donnée pour une harmonie heureuse a dû protéger sa vie, son intégrité physique, sa santé, ses biens, son avenir par un amendement qui est la seule porte de secours aux dangers que vous lui faites courir. » Cet amendement, ils l'avaient transformé en règle générale et l'avaient interprété comme une mesure de facilité. Mais que la raison de la tolérance divine ait été la cruauté de leur cœur, cela non plus ne leur était pas venu à l'esprit.

Ce livre veut donc, en s'inspirant de l'exemple du Sauveur, être une réponse à des idées toutes faites et à des doctrines à l'emporte-pièce. Il sera un plaidoyer en faveur de chrétiens nés de nouveau et fidèles, qui aiment le Seigneur d'un cœur pur, qui l'ont suivi et veulent encore Le servir, mais qui vivent dans leur foyer l'atroce réalité d'un éclatement irrattrapable et qui se retrouvent devant leurs frères chrétiens comme des proscrits.

Il reste des Églises, heureusement de moins en moins nombreuses, où la communion de la Sainte Cène leur est refusée.

Les sièges les plus éloignés de la Table du Seigneur leur sont désignés. Les actions de grâce et les prières du culte ne leur sont plus accessibles, ainsi que les activités missionnaires de l'Église.

S'ils ont eu un ministère, le plus béni soit-il, son exercice leur est ôté ou en tout cas contesté. Parfois même, de vieux et solides liens fraternels se défont. Le passage d'un trottoir à l'autre pour refuser la civilité la plus élémentaire reste présent dans les mémoires.

Ce livre se percevra comme une séance de cour d'appel.

L'avocat général accusera, c'est son rôle.

L'avocat de la défense, Bible en main, fera citer les témoins et défendra les accusés. Les jurés seront les lecteurs, les responsables de communautés. Ils suivront les débats et se prononceront sur les faits, les preuves à charge ou à décharge dont ils auront alors connaissance. Ils le feront avec la pensée qu'un jour se dressera pour eux aussi le grand Tribunal de Christ où, à leur tour, ils devront répondre, entre autres choses, des jugements qu'ils auront prononcés dans l'affaire de leurs frères chrétiens séparés, ou divorcés, ou remariés.

La position de l'Église catholique romaine ne sera pas vraiment abordée ; elle ne sera qu'effleurée, car elle est simpliste à force d'être simple. Elle n'est toutefois pas isolée. Quelques Églises évangéliques l'accompagnent encore sur ce terrain : le mariage est indissoluble, un point c'est tout. L'histoire, toutefois, nous rapporte quelques royales et mémorables exceptions, comme telle annulation ou telle dispense spéciale qu'elle n'aurait accordées à personne d'autre qu'à des têtes couronnées. Noblesse oblige, on ne prête qu'aux riches !

Sur certains champs de mission où la polygamie est encore pratiquée, cette Église sait fermer les yeux. Les hommes ayant plusieurs femmes n'y sont pas reçus, tandis que leurs épouses le sont sous le couvert que, si eux ont plusieurs femmes, elles n'ont chacune qu'un seul mari. Il est cependant clair que chacune de ces femmes a le mari d'une autre. Si ces cachotteries sont relevées ici, c'est moins pour en condamner la pratique que pour en signaler l'hypocrisie et le côté « arrangeant » d'une position très opportuniste. De source sûre, nous tenons qu'un mouvement évangélique dynamique dans le monde entier et très fermé sur le sujet en Europe est au contraire très ouvert en Afrique. Le mari n'a pas droit au baptême, ses épouses bien. Le climat équatorial change-t-il quelque chose aux enseignements de l'Esprit ? Pourquoi ce qui est noir chez les Blancs devient-il blanc chez les Noirs ?!?!

Si donc on s'en tient au seul : « Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni », tout entretien devient superflu. Il ne saurait être question de parler divorce et remariage là où le « ne sépare pas » règle tout. Mais les choses sont-elles si simples ?

♦♦♦

Il n'est pas possible de parler d'une seule voix au nom d'un protestantisme qui ne se prétend pas unitaire. Les réformateurs ont admis trois raisons bibliques de divorce :

Une infidélité sans remède, sans repentance et sans changement de vie conduit à la reconnaissance officielle d'un lien conjugal déjà brisé dans le couple.

Il est clair que si l'un des conjoints quitte l'autre, ou met l'autre dans l'obligation de le quitter, les obligations conjugales qui font le mariage ne sont plus remplies. Le Saint-Esprit dit : « Le frère ou la sœur ne sont pas liés dans ces cas-là. » Beaucoup comprennent : « ne sont plus liés. »

Dieu, dans la loi, a permis la répudiation, mais accompagnée d'une lettre de divorce. L'explication du Seigneur : « à cause de la dureté de votre cœur » va revêtir une importance particulière. Nous aurons l'occasion d'en débattre.

Il y a plusieurs approches au problème de la séparation, dont celle des absolus. Ils ne sont peut-être plus qu'une minorité, mais ils existent. Pour eux, l'ordre du Christ est formel. La séparation des conjoints est inacceptable, et l'Église n'a que faire de ceux qui vivent ou subissent ce premier degré de rupture. Même innocents, ils ne pourront plus être membres ou anciens ou prédicateurs et le chemin de la communion leur est barré. Mais chacun sait que les convictions les plus fortes et les positions les plus tranchées engendrent aussi les plus grandes hypocrisies. C'est dans ces cercles que se pratique le plus : « il faut faire comme si ». C'était là le péché des pharisiens. Tout, chez eux, était dans la correction extérieure. Il fallait paraître. Faire semblant était leur devise. Cent fois plus que les prostituées et les gens de mauvaise vie, ils furent pris à partie par le Seigneur, qui les a fustigés en termes terribles : « Malheur à vous, malheur à vous sépulcres blanchis pleins de pourriture à l'intérieur, malheur à vous ! »

Que penser de ce couple vivant en mésentente mais habitant sous le même toit ? Elle dans une aile de la maison et lui dans l'autre ; elle dans son coin bien ordre, lui dans le sien en désordre ; chacun faisant sa propre cuisine. Mais, le dimanche matin, tous les deux vont ensemble au culte de l'Assemblée, s'asseyent côte à côte et prennent en commun le repas du Seigneur. Cela est bien perçu, puisque les apparences sont sauves. Surtout, pas de cicatrices ! Mieux vaut couver une infection permanente et courir les risques d'une septicémie que de porter la trace d'un coup de bistouri dans un abcès. C'est comme une partie de tennis qui se jouerait sans balle mais où, pour sauver le spectacle et ne pas perdre la face, les deux partenaires taperaient dans le vide. Quelle pantomime !

— Afin d'encore mieux faire valoir leur point de vue, les assoiffés d'absolu parent d'avance à toute tentative de réflexion sur le sujet en y ajoutant les paroles du Seigneur : « Au commencement, il n'en était pas ainsi. »

Faudra-t-il leur rappeler que beaucoup de choses qui sont aujourd'hui n'étaient pas au commencement ? Le mensonge, la guerre, les excuses, l'envie, la haine, le crime, les méchantes pensées, le parti pris, rien de cela n'était au commencement. Pas plus d'ailleurs que le tabagisme, l'homosexualité, la pornographie, la grivèlerie, la langue débridée, l'esprit sectaire, les divisions, etc.. Dieu a bien dû s'en accommoder dans la vie des hommes. Parfois, on est bien obligé de dire avec le général de Gaulle : « Les choses étant ce qu'elles sont », et non pas ce que nous aimerions qu'elles soient. C'est pourquoi il a fallu tous les sacrifices de l'Ancien Testament, qui parlaient par avance du grand jugement de la Croix. Certaines de ces tristes choses précitées sont dans la vie du plus consacré des chrétiens, et elles y sont tellement qu'il en demande pardon à Dieu. Se croit-il pour autant exclu d'un pardon qui lui non plus n'était pas au commencement ? Car, s'il faut condamner sans rémission toute rupture conjugale sous prétexte qu'elle n'était pas au commencement, il faut aussi, pour être tout à fait impartial, condamner dans la vie de chacun toute autre forme de rupture, c'est-à-dire de péché, qui n'était pas davantage au commencement.

Cette position extrémiste est non seulement entachée d'hypocrisie, mais aussi profondément injuste parce qu'elle tient l'innocent pour coupable, ce que Dieu ne fait jamais : « Faire mourir le juste avec le méchant, en sorte qu'il en soit du juste comme du méchant, loin de Toi cette manière d'agir ! Loin de Toi ! » (Genèse 18.25) Cela veut dire que celui qui, par la force des choses, se retrouve séparé de son conjoint ne peut en aucun cas être mis au pilori pour une situation qu'il subit sans l'avoir créée. Sinon, il faut aussi tenir pour alcoolique la femme d'un buveur ou qualifier d'assassin le mari d'une empoisonneuse. De telles injustices appellent la vengeance du ciel. De plus, c'est une offense à une saine interprétation des Écritures qui exige la prise en compte des textes parallèles. Or, le même Esprit Saint qui a parlé par Jésus désavoue la position extrême que certains veulent prêter à ses paroles, en faisant dire à Paul que si l'un des conjoints s'en va (ou est obligé de s'en aller) l'autre n'est pas lié.

En outre, cette façon de trancher est un défi au bon sens et à l'évidence, ce que Dieu ne permet pas davantage.

Il faut bien se rendre à l'évidence, dans le domaine de la séparation, que :

Dans l'Ancien Testament, Dieu tient compte de telles situations. C'est ainsi qu'en Lévitique 22.13 la fille d'un sacrificateur qui avait été mariée puis divorcée avait non seulement accès à la maison de son père, mais à la maison de Dieu, dans ce sens qu'elle avait part à la même subsistance qu'un ministre du culte au point de manger comme lui l'aliment de Dieu. (Lévitique 21.8).

Le Saint-Esprit n'a pas jugé bon de nous renseigner sur le motif de sa répudiation. Il pouvait être soit tout à son avantage, soit à responsabilités partagées, soit tout à ses torts. Aucune de ces trois situations ne peut être écartée. Mais ce que nous savons par le Saint-Esprit, c'est que son père terrestre la recevait et que son Père céleste en faisait autant, allant jusqu'à partager avec elle Son aliment.

Dans le Nouveau Testament, Paul, mieux au courant qu'aucun d'entre nous de l'enseignement du Seigneur sur la question, nous l'explicite par la révélation de l'Esprit et reconnaît une séparation de fait. Il n'impute aucune responsabilité au conjoint contraint à la séparation et va jusqu'à conclure que, dans ce cas, il n'est plus lié par un lien conjugal que l'autre a rendu impossible à tenir. (1 Corinthiens 7.15) En disant : « ... qu'il se sépare, le frère ou la sœur ne sont pas liés dans ces cas-là », Paul sait très bien que l'idéal de Dieu et son ordre de non-séparation sont violés. Mais, fort de son autorité apostolique, il tranche souverainement en affirmant que, dans des cas semblables, un conjoint séparé de l'autre n'est pas coupable pour autant. En cela, Paul rejoint la réplique de Jésus aux pharisiens. Obtus comme ils l'étaient et obnubilés par la lettre qui tue, les pharisiens en avaient perdu tout sens des réalités face au sabbat. Le Fils de l'homme, maître du sabbat, a dû leur rappeler que dans certaines circonstances les sacrificateurs violaient le sabbat sans se rendre coupables. (Matthieu 12.5) Il ajouta, pour leur plus grande confusion théologique et pratique, qu'eux-mêmes, en retirant ce jour-là un mouton du trou où il était tombé, violaient aussi le sabbat sans se rendre coupables ! (Matthieu 12.11)

C'est ce que nous allons voir à présent par des exemples contemporains.

— Une fidèle chrétienne vivait un enfer avec un mari brutal. Elle fit tout ce qui était en son pouvoir pour continuer de vivre avec lui. Mais la situation ne fit qu'empirer. Une violence meurtrière finit par s'emparer de cet homme. Quand il devint évident que la vie de cette sœur était en danger, les anciens de l'Assemblée témoins de ce drame, sans qu'elle le demande, la séparèrent de force de son mari, la sauvant d'une mort certaine.

Si donc les paroles du Seigneur : « que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » ne supportent aucune restriction, ces anciens se sont mis en porte-à-faux et ont délibérément violé le commandement. Mais qui serait assez aveugle ou borné pour oser dire qu'ils se sont rendus coupables en le faisant ?

— Ces cas extrêmes ne sont hélas pas rares.

Il fallut la conversion radicale de cette femme au cœur généreux, lors d'une grande campagne d'évangélisation, pour apprendre quel fut le calvaire de sa vie conjugale.

Elle racontait, avec des larmes plein les yeux, ce qu'elle avait vécu avec un homme devenu ivrogne invétéré. Il rentrait ivre, puant l'alcool, vomissant partout et exigeant d'elle une intimité qui lui faisait horreur. Combien de fois, disait-elle, ne me suis-je pas pliée au devoir conjugal avec dégoût et en pleurant.

Que soulève cette évocation dans l'esprit du lecteur le plus attaché à la lettre de la loi, sinon qu'une séparation s'imposait coûte que coûte. Le plus pointilleux des doctrinaires sentira son cœur se fondre au-dedans de lui à cette lecture. Puisse son esprit s'ouvrir aux paroles de notre Bien-aimé Sauveur : « Ils violent... sans se rendre coupables. »

— Qu'il avait bonne façon ce jeune homme quand elle a dit oui pour le meilleur et pour le pire ! La pauvre n'a même pas connu le meilleur. Elle découvrit au lendemain de son mariage qu'elle avait épousé un fainéant parasite qui, non content de vivre du travail de sa femme (ce qu'à la limite et dans un premier temps elle aurait encore supporté), était comme saisi d'une frénésie de dépenses coûteuses et inutiles, accumulant des traites que le travail redoublé de sa jeune épouse ne parvenait plus à honorer.

J'ai tout fait pour rester avec lui, disait-elle.

Je l'ai supplié de travailler et de modérer ses achats, mais rien n'y fit. J'ai tenu jusqu'à la limite du possible.

Qui blâmera cette jeune femme, acculée à prendre l'initiative d'une séparation inévitable ?

Certes, sa démarche viole la pensée de Dieu sur le mariage presque autant que le sauvetage d'une brebis peut violer le sabbat.

Mais, quand le Souverain Juge dit que ces transgresseurs ne sont pas coupables, qui aura le front de s'opposer à ses décrets ?

— Était-elle coupable cette autre chrétienne qui refusa de descendre dans les abjections morales où son mari voulait la pousser ? La décence du langage nous interdit de les rapporter. Elle finit par le laisser aller vers ses fantasmes érotiques. La préservation de sa dignité de femme et de chrétienne née de nouveau fut la cause de cette rupture. Les purs pourront dire qu'elle a doublement violé le commandement, car sa séparation était accompagnée d'insoumission. Aborder ce problème, c'est donner la réponse. Il n'y en a qu'une, celle du Seigneur : cette femme a violé son engagement sans se rendre coupable.

— On ne peut pas ne pas rappeler la séparation de l'illustre revivaliste que fut John Wesley. Cet homme que Dieu a employé pour le salut des âmes, dans une mesure que nous jalousons tous aujourd'hui encore, a essuyé dans son foyer les pires avanies, qui l'amenèrent à se séparer de sa femme. Voici quelques extraits du livre d'A. de la Gorce :

John Wesley épousa Mme Vazeille le 27 mars 1751. Il célébrait son bonheur sur un air de cantique : « Comme nous » devons remercier Dieu qui a permis notre union ! Que nos vies chantent à sa louange ! » L'accord dura peu, et la grande épreuve de Wesley commença ; il en sortit transformé.

Il avait annoncé que l'œuvre de Dieu ne souffrirait en rien de son mariage. Hélas ! deux furies accoururent des enfers pour tenir compagnie à sa femme : la curiosité, terrible passion des femmes mûrissantes, et sa sœur inséparable la jalousie.

Durant sa brève lune de miel, Wesley avait dit à sa femme : « Si quelque lettre arrive en mon absence pour le révérend John Wesley, ouvrez-là : elle est pour vous. » Elle se repaissait de cette correspondance ; elle échafaudait intrigue sur intrigue. Mythomane fourbe et silencieuse à la façon de ces ombres effacées qui brouillent des provinces entières par leurs billets anonymes, elle accusait sournoisement. Elle envoyait à son beau-frère Charles Wesley de longues épîtres qui semblent rédigées par une folle. Wesley constatait que son épouse manquait d'intelligence. Il l'avait supposée d'humeur douce. Cruelle illusion. La mégère apprivoisée de Shakespeare est une jeune fille indépendante et sauvage, mais... la véritable mégère, celle qui ne s'apprivoise pas, séduit tout d'abord par sa douceur et son calme. Lorsque sa femme révéla son caractère, Wesley comprit qu'il serait plus facile d'imposer une discipline au vent du nord. En avril 1757, il hasardait les premières remontrances: « Mon amour, » gardez-vous de l'âpreté d'esprit. Ne vous agitez pas à cause du mal. Maîtrisez-vous en toute patience, en toute « quiétude. » Peine d'indulgences perdues... Voici que son épouse l'accusait d'être l'amant de sa belle-sœur ! Et non seulement de sa belle-sœur !

Elle saisissait les lettres que Wesley adressait aux jeunes femmes de ses congrégations : « Chère Nancy... » « Chère Betsy... » « Chère Hetty... » Des surnoms familiers, une courtoisie affectueuse. L'épouse en vint à conclure que son mari avait plus de maîtresses qu'elle n'en pouvait découvrir... et dans les mythes créés par son épouse il prenait figure de don Juan.

La curiosité ne se contente pas d'écouter aux portes : elle force les serrures pour les besoins de sa cause. Plus d'une fois, Wesley réintégrant après une mission sa résidence de Londres a trouvé ses papiers mis au pillage. Il sait par quelles mains. Toutes ses lettres ont disparu, sa femme les a cachées. Mais où ? Dans quel dessein ? Wesley s'inquiète... Certaines lettres imprudentes serviront de pâture à la calomnie. Il supplie sa femme de les lui restituer, mais elle refuse avec un mauvais sourire, et Wesley n'a d'autre ressource que de regarder vers le ciel : « J'ai confiance en » Celui qui commande au tombeau lui-même de rendre sa proie », s'exclame le prédicant, toujours biblique, même durant la scène conjugale la plus pitoyable. Nulle séparation définitive, bien qu'à partir de 1758 la brouille du ménage semble consommée.

La jalousie s'attache à sa victime. Wesley croit-il sa femme éloignée de cent lieues qu'il aperçoit soudain son visage inquisiteur à la fenêtre d'une auberge. Elle est là, tout près, le surveillant et captant ses discours. Le 23 octobre 1759, Wesley étale ses griefs, réclame sa liberté. Il cite le proverbe cher à tout citoyen britannique : « La maison de chaque homme est son château. »

Non, ma maison n'est pas mon château, dit-il à sa femme, je ne suis pas libre d'inviter mes proches parents à boire une tasse de thé sans vous désobliger... Mon bureau ne m'appartient pas, il est saccagé chaque jour. Vous dites : je ne prends que des papiers. En suis-je sûr ? Comment le serais-je puisqu'il me manque de l'argent. Et ne toucheriez-vous qu'à mes papiers, ignorez-vous qu'ils sont les trésors d'un homme d'étude ?... Et que dire de votre façon de traiter les domestiques ? Vous les méprisez, vous les harassez, vous les injuriez comme s'ils étaient des chiens... Et que dire de votre langage ? Il ne devrait pas souiller les lèvres d'une femme bien élevée, même si elle ne croyait pas un mot de la Bible... Lourdes accusations.

Sous prétexte d'empêcher qu'il distribuât son argent à des courtisanes, Mme Wesley se croyait en droit de vider la cassette de son mari. Mais, sur les torts plus graves, Wesley se taisait. A peine une allusion qui semble un badinage : « Croyez-moi... les méthodes violentes sont mauvaises, la douceur vaut mieux, et si le gourdin convient au dos d'un incorrigible ce n'est pas la femme qui doit s'en servir à l'égard de son mari. »

Or, Mme Wesley battait son mari. D'une voix brisée d'indignation, l'un des missionnaires qui accompagnait Wesley dans ses voyages — son premier biographe, Hampson — racontait à son fils une scène dont il avait été le témoin : « Mon fils, je fus une fois tenté de commettre un meurtre. C'était dans le nord de l'Irlande. J'entrai dans une chambre où Mme Wesley écumait de rage. Son mari était sur le plancher et elle le saisissait par les cheveux comme si elle voulait arracher ses vénérables boucles blanchies par les années. Et moi, j'aurais voulu tuer cette femme !... »

Tant que sa femme ne nuit pas à sa réforme religieuse, il la supporte, et même avec une longanimité surprenante. Ne la croit-il qu'à demi responsable ? Il essaie de la guérir des chimères qui la supplicient... Dans une lettre du 12 juillet 1760, il passe sous silence ses défauts ; il met en relief ses qualités ; il en découvre trois ou quatre qu'on peut lui attribuer sans contestation... Et Wesley, volontairement optimiste, cite à l'acariâtre épouse un hymne de réconciliation. Plus de pardon toutefois lorsque Mme Wesley tentera de porter un coup mortel au ministère de son mari...

Dans le Pays de Galles surtout, l'influence de Wesley se trouva compromise, les calvinistes l'emportant sur lui... La femme de Wesley comprit que l'heure était venue de sortir de son arsenal les armes qu'elle fourbissait en secret : les papiers confidentiels dérobés à son mari, lettres authentiques avec des interpolations habiles ou bien lettres forgées par une main qui contrefaisait l'écriture de Wesley. Elle ne se souciait pas de théologie, mais cette lutte acrimonieuse l'attirait comme son élément. Elle alla soumettre ses archives à l'adversaire le plus acharné de son mari, le polémiste Toplady, qui n'eut pas la dignité de refuser un tel appui. Pamphlets et gazettes se couvrirent d'attaques contre le réformateur. Mais, une fois encore, l'énergie de Wesley triompha. Il ne se laissait pas vaincre.

Dans les derniers billets qu'il adresse à sa femme, Wesley ne peut que lui signifier ses adieux outragés et mélancoliques : « Il est probable que nous ne nous reverrons plus ici-bas... Je vais vous dire ce que je pense sans amertume ni colère... » « Vous avez révélé mes fautes — vraies ou fausses — non à deux ou trois intimes, mais à tout Bristol, à tout Londres, à toute l'Angleterre, à toute l'Irlande, vous les auriez criées au monde entier... » « Vous avez placé une épée entre les mains de mes ennemis. Dussiez-vous vivre cent ans, vous ne pourriez réparer vos torts envers moi. »

Quelqu'un se sent-il encore une âme de juge après la lecture de ces lignes ?

— Plus actuel mais non moins douloureux est le drame vécu par un serviteur de Dieu contemporain dont le ministère a laissé des traces bénies dans la présente génération. Ce qui va suivre n'est que le pâle reflet d'une atroce réalité. Même multipliés par cent dans le nombre, le temps et l'intensité, les faits rapportés ne donneraient encore qu'un aperçu très incomplet de ce que fut son quotidien.

Pour son plus grand malheur — ce fut l'erreur de sa vie — il crut devoir pardonner à une fiancée qui ne lui demandait pas pardon de certains traits de caractère vraiment fâcheux. Il s'en tint à la parole donnée et, comme beaucoup déjeunes, il se disait : ça ira mieux une fois marié ; je serai là pour l'aider. Les sautes de mauvaise humeur intermittentes des fiançailles prirent une tournure chronique et aiguë dès le mariage. Il s'aperçut que sa jeune épouse se plaignait en permanence de tout et de rien. Rien ne lui allait et elle semblait bien décidée à ce que rien ne lui aille. Il découvrit chez elle une violence verbale qu'il n'avait jamais rencontrée auparavant, même chez des non convertis. À longueur de journée et à dessein, elle se mit à pousser des soupirs d'accablement et d'énervement sans qu'il y ait motif à le faire. Elle prit prétexte de la moindre tâche ménagère ou autre pour accabler son mari de ses humeurs.

Assurée de ses convictions non violentes, elle s'essaya plusieurs fois à l'agression physique, ce qui exaspéra ce dernier au point qu'il l'avertit de représailles et qu'il finit par la secouer d'importance. Lui qui condamnait chez l'homme la violence envers une femme sortait démoli spirituellement de ces scènes, comme prostré et incapable de rien entreprendre pendant plusieurs jours. En réalité, elle était d'une jalousie maladive. Incapable de s'élever moralement, il ne lui restait qu'à essayer d'abaisser l'autre ; son apaisement intérieur était à ce prix. Les grâces qu'elle lui avait ouvertement reconnues autrefois lui étaient maintenant comme un lit de braises. Comme le roi Saül qui ne put supporter que l'on chante : « Saül a tué ses mille et David ses dix mille », de même la vie spirituelle épanouie de son mari, l'appréciation croissante de son ministère et ses succès dans le service de Dieu lui devenaient insupportables, car ils lui révélaient son nanisme personnel.

Stupéfait, il la voyait taper du pied et ponctuer ses phrases par des na ! D'enfant gâté, lui hurlant ouvertement sa haine.

Le moindre contretemps la faisait entrer dans des transes démoniaques. Il fut témoin de crises démentielles. Pour des motifs futiles auxquels il était d'ailleurs étranger, il la voyait crier des sons inarticulés, trépigner et, de ses mains crispées, lacérer ses vêtements et ses cheveux. C'étaient là des visions d'enfer.

Très tôt après son mariage, il souffrit de la colonne vertébrale ; il traversa alors des mois pénibles.

Il souffrait toute la nuit, faisant tout son possible pour n'en rien laisser paraître. Ses moindres changements de position du corps la mettaient en fureur. Elle chassa son jeune mari du lit conjugal et il alla dormir, pendant de nombreux mois, sur un peu confortable divan. La douleur l'éveillant très tôt le matin, il en profitait pour faire en silence le nettoyage de la maison.

Ces levers matinaux joints au manque de sommeil provoquaient chez lui des moments de somnolence. Alors qu'il travaillait à l'étage dans la chambre-bureau, il aurait aimé s'étendre et se récupérer un peu, mais sa femme ne lui en laissait pas le loisir. Il allait se mettre à genoux près du lit, dans l'attitude de la prière. Il somnolait alors dans cette position. Dans cette demie veille, il entendait son épouse monter doucement les escaliers pour le surprendre, le croyant couché et endormi. Elle ouvrait brusquement la porte et, le voyant « en prière », elle repartait sans rien dire. C'est en usant de ce subterfuge qu'il parvenait à se reposer un tant soit peu. Craignant le retour toujours possible de son bourreau, il s'endormait pour de bon, mais toujours à genoux.

Trois ans plus tard, lorsque la toute grande crise de sciatique se déclara et qu'il fut immobilisé pendant plusieurs semaines, elle devint son tortionnaire moral. Elle ne supportait pas la visite des amis et des gens nouvellement amenés à la foi par son mari. À chacun, il redisait les mêmes choses sur sa santé et cela l'irritait. Elle alla jusqu'à s'enfermer dans sa chambre et le laisser se débrouiller tout seul, malade comme il était, avec ses visites. La torture physique jointe à la torture morale étaient telles que, lorsque l'hospitalisation et l'opération furent décidées, il en éprouva une grande joie. Elle s'en aperçut ; aussi lui fit-elle, avec un mauvais sourire, le reproche d'être heureux d'aller à l'hôpital. Et lorsque après l'opération elle vint l'y voir, ce fut encore pour lui causer du tourment. Les années passèrent dans cette fournaise où elle lui cherchait querelle « huit jours sur sept ». Il se taisait, ne soufflant mot à personne de sa situation, sinon à un ami intime auprès de qui il épanchait son trop-plein d'amertume.

Il n'avait qu'une idée : il faut tenir, tenir coûte que coûte et sauver du témoignage chrétien ce qui pouvait encore l'être. Mais plus il se faisait paillasson, plus elle s'essuyait les pieds dessus. Dix fois elle lui proposa de divorcer ; dix fois il s'écrasa devant elle. Elle avait développé à l'extrême l'art d'inventer de nouveaux griefs et de nouvelles sources de conflit.

Tout lui était bon pour tenter d'abaisser son mari. Elle l'humiliait au travers de ses amis, de son Église et de ses anciens, de ses parents, de son pays dont elle relevait les failles, réelles ou imaginaires. Elle l'identifiait à ces manquements dans le but de l'amoindrir. Espérait-elle ainsi se revaloriser à ses propres yeux ? Quoi qu'il en soit, elle avait un répertoire très étendu de sujets de querelle et elle s'en servait sur un mode toujours véhément.

Et cela dura plus de vingt ans !...

Sa dernière trouvaille fut de l'accuser de la laisser sans argent. La vérité, c'est qu'elle prélevait des sommes importantes dans la cassette commune et les plaçait sur des comptes personnels et cachés. Son mari s'était bien aperçu qu'il y avait des trous dans le budget, mais il ne lui en avait fait aucun reproche. Elle porta plainte contre lui et il fut convoqué devant le juge. Les scellés furent apposés et les comptes bloqués. Pour accréditer son odieuse machination, et du même coup discréditer son mari, elle s'avilit jusqu'à contracter des emprunts bidons auprès de ses enfants et des responsables de l'Église. Elle demanda la séparation sur la base que son mari la laissait sans ressources. Or, les juges ont tendance à croire de telles accusations. Incapable de se défendre en un premier temps, il fut condamné à quitter dans les quinze jours l'habitation commune sous peine d'être expulsé par la force.

Mais Dieu veillait sur son serviteur selon sa promesse en Ésaïe 54.14-17. « Bannis l'inquiétude, car tu n'as rien à craindre, et la frayeur car elle ne s'approchera pas de toi. Si l'on forme des complots, cela ne viendra pas de moi ; quiconque se liguera contre toi tombera sous ton pouvoir. Voici, j'ai créé l'ouvrier qui souffle le charbon au feu et qui fabrique une arme par son travail ; mais j'ai créé aussi le destructeur pour la briser. Toute arme forgée contre toi sera sans effet ; et toute langue qui s'élève contre toi en justice, tu la condamneras. Tel est l'héritage des serviteurs de l'Éternel, tel est le salut qui leur viendra de Moi, dit l'Éternel. »

D'une façon indiscutablement miraculeuse, Dieu frappa l'épouse d'aveuglement. Elle ne s'aperçut pas de la présence pourtant évidente de son mari et dévoila sa cachette. C'est ainsi qu'il découvrit le pot aux roses et l'infamie des comptes cachés dans le dessein de nuire. Il put donc, en un deuxième temps, se justifier devant la loi, mais surtout aux yeux de ceux qui, dans les Églises, l'accusaient déjà d'être pis qu'un incrédule parce qu'il ne pourvoyait pas aux besoins des siens. (1 Timothée 5.8)

Qui contestera le droit au ministère à ce serviteur de Dieu répudié par son épouse et chassé de chez lui par le canal d'une justice humaine, temporairement abusée par de fausses accusations ?

Quand on a rapporté au Maître que l'on avait trouvé de l'ivraie dans le champ, il savait de quelle sorte de graine il avait ensemencé sa terre, Il dit : « C'est un ennemi qui a fait cela pendant la nuit » La situation du champ (et le champ du mariage ne fait pas exception) avait changé par la faute d'un ennemi. Le Maître en a tenu compte. Son approche du problème a été réfléchie et prudente. Il n'a pas pris le risque d'une intervention prématurée qui aurait fait périr le bon grain en même temps que l'ivraie.

N'en a-t-il pas tenu compte aussi quand son serviteur Moïse, l'homme fidèle dans toute sa maison (Hébreux 3.2,5), se sépara de son acariâtre et trop violente Séphora en la renvoyant chez son père ? (Exode 18.12) Dieu lui a-t-il retiré sa faveur et sa fonction ?

Et quand Osée s'est retrouvé seul au foyer, Dieu a-t-il ôté la parole prophétique de la bouche de son serviteur ? Au contraire, l'Esprit n'a jamais autant parlé par Osée qu'à cette douloureuse période de sa vie.

Quand John Wesley, cité plus haut, sera contraint de se séparer de son épouse, Dieu ne cessera pas de lui confier l'une des tâches les plus extraordinaires de toute l'histoire de l'Église. Dieu n'a-t-il pas béni la prédication d'un « séparé » plus que celle de beaucoup qui ne le sont pas ?

Le moment est venu de démythifier le vieil adage selon lequel, dans un divorce, il y a des torts des deux côtés. Que ce soit vrai dans certains cas, c'est indiscutable. Mais rien ne saurait être plus faux dans d'autres. Mais certains, foulant aux pieds tout esprit de justice, refusent de s'informer. Leur arithmétique se résume à : une séparation = deux coupables ! Personne n'a le droit d'être aussi irréfléchi dans ses jugements.

Quel Français ne se sentirait profondément blessé et même insulté dans son honneur national si on accusait la France de 1939 d'être aussi responsable que les nazis du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale ? Et si même, à force de chercher, on finissait par trouver à la France 5% de responsabilité, il n'en resterait pas moins vrai que les autres 95% incomberaient à l'Allemagne hitlérienne.

Qui aurait l'esprit assez tordu pour faire endosser à la France la moitié d'un holocauste qu'à tout prix elle a voulu éviter ? Nous l'absolvons totalement ; pourtant, nous savons que c'est elle qui a ouvert les hostilités en déclarant, la première, la guerre à l'Allemagne. Car, ô paradoxe, c'est bien la nation pacifique qui a ouvert officiellement les hostilités. Moïse, Wesley et plusieurs autres ont aussi pris l'initiative d'une séparation que, dans leur for intérieur, ils désapprouvaient. Mais les accuser comme Aaron et sa sœur Myriam se sont cru autorisés à le faire est une si grave atteinte à l'équité la plus élémentaire que ceux qui se prononcent dans ce sens vont encourir, comme eux, la redoutable réprobation de Dieu.

Avant d'aller plus loin, il faut poser une question pertinente : le divorce est-il pensable entre deux enfants de Dieu nés de nouveau par le Saint-Esprit, membres du corps de Christ, ayant une même foi, un même Seigneur, une même vie et une même espérance ?

On peut affirmer sans hésitation que si les conditions précitées sont réunies, si la conversion a eu lieu, le divorce n'est guère pensable. Il l'est d'autant moins que des époux non convertis, dont la Bible dit qu'ils sont destitués de l'Esprit et étrangers à la vie de Dieu, donnent parfois l'exemple d'une vie conjugale harmonieuse.

La vérité, que les Églises de professants doivent avoir le courage d'admettre, c'est que, malgré l'accent mis sur la nécessité d'une conversion personnelle et d'un baptême d'adultes pour entrer dans l'Église, leurs communautés restent des compagnies mixtes où sauvés et non-sauvés se côtoient. La parabole des vierges sages et des vierges folles est toujours d'actualité.

On peut constater que Paul tenait intentionnellement deux sortes de langages dans ses épîtres. D'une part, il proclamait avec force que l'on peut avoir l'assurance du salut :

Mais, d'autre part, il lançait quelques coups de semonce à l'adresse de ces « fils aînés » qui, tout en étant dans la maison du Père, n'ont rien saisi du salut :

Et Jacques d'ajouter : « Si quelqu'un croit être religieux (ou converti, ou sauvé, ou spirituel) sans tenir sa langue en bride, mais en trompant son cœur, sa religion est vaine. » (Jacques 1.26)

On est bien forcé d'admettre que bon nombre de membres d'Église ne sont pas sauvés. Ils ont une forme de piété, mais pas ce qui en fait la force. (2 Timothée 3.5) Ils sont d'ailleurs sans force devant les exigences de la vie chrétienne parce que quelque part leur salut a dérapé. C'est ce que dit Hébreux 6.4-9 : « ... ils ont goûté le don céleste, ont eu part au Saint-Esprit, ont goûté la bonne parole de Dieu et les puissances du siècle à venir », mais ils ne connaissent pas « les choses meilleures et favorables au salut. » (Verset 9) Tel un vin de bonne cuvée dont la fermentation s'est arrêtée, leur nouvelle naissance a avorté. Une explication nous est fournie en Juges 2.10 : « Toute cette génération fut recueillie auprès de ses pères, et il s'éleva une autre génération, qui ne connaissait point l'Éternel. » C'est ce qui est à craindre, surtout chez les enfants des chrétiens : ils ont la religion de leurs parents, mais plusieurs n'ont pas fait l'expérience du brisement, de la repentance et de la nouvelle naissance. Leur « conversion » n'est que mimétisme. Elle se limite à éviter les choses grossières du monde, mais elle ne va guère au-delà. Ils ne fument pas, ne se saoulent pas en public et ne jurent pas ; ils respectent l'heure du culte presque autant que les pharisiens leur sabbat, donnent à l'œuvre missionnaire, connaissent le « patois de Canaan », chantent de leur plus belle voix dans la chorale ou signent « décibellement vôtre » dans un groupe instrumental qui exalte Jésus Superstar. Tout cela, évidemment, ne conduit pas bien loin. Leur engagement matrimonial ne peut être qu'à l'image de leur engagement spirituel ; il est faussé à la base parce que l'essentiel n'y est pas. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si le vin conjugal tourne vite au vinaigre. Et rien n'y fait. Chaque fois que, sur le vieil habit troué de leur union boiteuse, ils cousent la pièce d'une nouvelle bonne résolution, la déchirure s'agrandit et l'échec s'aggrave. N'ayant jamais fait la paix avec Dieu, comment la feraient-ils avec leur conjoint ?

Ce fut le cas de ce jeune homme qui offrait à sa promise toutes les garanties d'un christianisme authentique et d'un avenir professionnel brillant. Mais, bien qu'issu d'un des meilleurs milieux évangéliques que l'on puisse trouver et malgré une jeune épouse vraiment hors pair, il conduisit son foyer à deux doigts de la ruine par son comportement caractériel. Une sérieuse et honnête introspection l'amena à découvrir que, comme le jeune homme riche de l'Évangile, il lui manquait la chose principale, la vraie vie de Christ. Il admet pleinement aujourd'hui que, malgré les apparences, il ne connaissait pas la conversion. La nouvelle naissance spirituelle qui s'ensuivit produisit un changement radical dans son caractère et sa manière d'être et de se conduire. L'harmonie se rétablit dans son foyer, qui est devenu un centre d'attraction et de salut pour plusieurs.

Lors d'une grande campagne d'évangélisation, un couple séparé assistait aux réunions sans être au courant de leur présence respective. Un soir, ils répondirent tous les deux à l'appel à la conversion. Ils se joignirent à ceux qui s'avançaient pour répondre à l'invitation du prédicateur à se donner à Jésus-Christ et à l'accepter comme Sauveur et Seigneur de leur vie. Stupéfaits, ils se rencontrèrent au pied de l'estrade. Jamais devait-elle dire par la suite, jamais je n'aurais cru que je pouvais tant aimer mon mari !

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