La décision synodale qui me chargea de préparer ce livre me prit par surprise. Pour aussi attaché que je fusse à mon ancien maître et vénéré ami défunt, l’idée ne m’était jamais venue que je pourrais être appelé à raconter sa vie et à choisir parmi ses œuvres quelques morceaux de nature à conserver son souvenir et à prolonger son ministère. Je sentis cependant que je ne pouvais pas m’y récuser, et fus vite réconcilié avec l’idée d’entreprendre cette tâche.
J’ai cru que je devais me hâter et être bref : Deux choses difficiles, quand on est en présence d’une carrière aussi riche, aussi diverse d’aspect, aussi longue que celle de Matthieu Lelièvre, et qu’on a sur les bras d’autres travaux. Il m’a donc fallu renoncer à trouver dans cet ouvrage une place pour tout ce qui me paraissait digne d’y figurer. Si j’ai fait diligence, c’est que les vieux amis de Matthieu Lelièvre se font de plus en plus rares par suite de l’extrême vieillesse il laquelle il parvint. Les hommes de quarante ans ne l’ont pas vraiment connu ; ceux de sa génération se comptent sur les dix doigts de nos mains. Ceux qui l’ont aimé et auraient accueilli ce livre disparaissent de jour en jour.
Parmi les raisons qui m’ont fait trouver douce la tâche qui me fut imposée par mes frères, celle-ci a été la plus forte : Matthieu Lelièvre a été parmi nous l’un des derniers représentants de la seconde génération du Réveil. Je sais que d’excellentes gens disent que le Réveil est à demeure parmi nous, et que d’autres se complaisent à nous rappeler que le Réveil eut bien des lacunes et des misères. D’accord… si vous y tenez. N’empêche que ces temps eurent quelque chose que n’a pas le nôtre, et que ces hommes avaient quelque chose que nous n’avons pas au même degré. Matthieu Lelièvre n’aurait pas été l’homme que nous avons connu, s’il n’avait fait, dans son enfance, les expériences religieuses du Réveil de la Drôme et, dans la trentaine, celles des années 1872 à 1875. Or, notre génération n’a eu que les miettes de ce festin ou que les dernières lueurs de ce feu. D’autres sont venus depuis qui n’ont pas vu de Réveil du tout. Toute la vie protestante s’en ressent, les milieux orthodoxes comme les autres, les Églises des professants comme les multitudinistes.
Puisse, la place que le Réveil a tenue dans la pensée et dans les écrits de notre ami intensifier en nous le besoin et l’espoir de voir une manifestation nouvelle et puissante de l’Esprit de Dieu !
Théophile Roux