Priorité à la liberté

2
Prisonniers d’une crainte superstitieuse

Je me hâte dans l’une des rues les plus fréquentées de Nogent sur Marne… lorsque j’aperçois, devant moi, une grande échelle posée contre le mur. Personne dessus, donc je ne risque rien. Cet instrument redouté par des multitudes, n’a jamais fait de mal à quiconque, et pour cause.

Je passe sous l’échelle sans l’ombre d’une hésitation et, vingt mètres plus loin, je m’arrête et me retourne pour regarder. Les passants vont et viennent, nombreux et pressés en cette matinée humide de novembre.

Le dos contre la muraille, intrigué, j’observe… et note qu’une personne sur deux au moins (peut-être deux sur trois) hésite au moment de passer sous l’échelle. Elle s’arrête un brin gênée comme pour réfléchir ou vérifier son sac, regarde à droite ou à gauche puis, l’air décidé, quitte le trottoir pour contourner l’instrument maléfique. Une crainte superstitieuse la force à changer de route.

La preuve est donc faite. La plupart des humains que nous côtoyons ne sont pas libres. Le milieu les a façonnés et leur a inculqué des idées saugrenues adoptées telles quelles, sans réserve. Et tous ces braves gens qui maudissent les échelles, traiteront de crédules les chrétiens qui osent passer dessous sans frémir. Allez donc les prendre au sérieux.


♦   ♦

Me voici dans une grande cité de Belgique, hébergé chez un croyant qui occupe un bel appartement situé en pleine ville dans une tour de vingt étages. Il m’avoue :

— J’ai pu acquérir ce cinq pièces longtemps inoccupé à un prix intéressant et avec des facilités de paiement par dessus le marché alors que le reste de l’immeuble était déjà vendu…

L’explication ? Elle saute aux yeux lorsqu’on sait que ledit appartement se situe au treizième étage. Ce qui me révèle pourquoi l’immeuble que j’habite actuellement se limite à… douze étages.

Et que dire de ceux — et ils sont légion— qui consultent l’horoscope tous les jours avec l’air de ne pas y croire, simplement pour voir et qui se garderaient d’entreprendre quoi que ce soit lorsque les prédictions leur sont défavorables ? Ah ! Si ces naïfs savaient comment sont rédigées ces prophéties toujours fumeuses ! Il y a belle lurette qu’on n’en parlerait plus.


♦   ♦

A l’issue d’une réunion d’évangélisation, une dame s’approche et me prie d’aller la voir chez elle le lendemain, ce que j’accepte volontiers. Je me rends donc à l’adresse indiquée et trouve une personne bien disposée qui m’affirme avoir rencontré le Christ de l’Evangile, ce qui me réjouit. Au moment de la quitter, elle m’arrête :

— Oh ! Laissez-moi vous montrer un objet auquel je tiens beaucoup.

Elle ouvre un tiroir et en extrait une splendide médaille en or à l’effigie de la vierge.

— C’est un cadeau. me dit-elle. Un cadeau d’une grande valeur pour moi. Non seulement à cause de son prix élevé mais surtout à cause de la personne qui me l’a donné. Et puis.

— Et puis ?

— Cette médaille m’est précieuse aussi parce qu’elle a été bénie par un prêtre, lors d’un pèlerinage récent.

— Mais précieuse en quoi ?

— Eh bien, oui ! Je sais que cet objet me protège. Par exemple, dès que je vois un éclair dans le ciel – je suis très peureuse – vite, je le touche et suis rassurée aussitôt.

— Mais sur quoi vous basez-vous pour affirmer que l’or de cette médaille a le pouvoir de vous protéger ? En êtes-vous si sûre que cela ? Pensez aux milliers de victimes de la route qui ont péri malgré un « Saint Christophe béni » fixé sur le tableau de bord de leur voiture. Votre abri me paraît bien illusoire. Fragile. Au fond, n’est-ce pas vous qui avez décrété – peut-être parce qu’on le dit – que ce bout de métal précieux est efficace contre la foudre ?

— Peut-être bien !

Alors, très sérieux j’insiste :

— Ce qui me paraît grave ici, c’est que vous croyez être protégée par quelques grammes d’or et non par Dieu lui-même. Comme s’il était incapable de vous garder sans le secours d’une amulette jugée par vous indispensable pour enrayer toute action maléfique. En définitive, selon vous, c’est la médaille et non le Seigneur qui est votre rempart, je veux dire qui a le pouvoir de vous sauver de la foudre.

Mon interlocutrice s’indigne :

— Mais vous avez l’air d’oublier que cet objet a été béni par un prêtre. Je vois Dieu au travers de cet or que je touche et, en réalité, c’est en lui que je me confie.

— Non Madame ! Je doute qu’en vous précipitant sur votre médaille vous pensiez réellement au Seigneur. En vérité, vous accordez un pouvoir magique à de la simple matière. C’est tout simplement de la superstition. C’est grave !

— Mais cet objet m’a réellement gardée jusqu’ici !

— Parce que vous le croyez. Soyez donc raisonnable. Combien de gens privés d’une telle médaille ont-ils péri par la foudre dans votre quartier ? Aucune victime, n’est-ce pas ? Si votre objet possède quelque pouvoir – et il en a un puisqu’il vous lie – ce pouvoir vient de Satan qui cherche à vous assujettir et à vous détourner de la simple confiance en Dieu.

— Pensez-vous vraiment ?

— Vraiment. En comptant sur votre médaille, vous tournez le dos au Seigneur et vous vous livrez à l’Adversaire. La matière, quelle qu’elle soit et quelle que soit l’effigie qu’elle porte, ne possède aucun pouvoir sinon celui qu’on veut bien lui attribuer. Refusez donc avec la dernière énergie de lui en accorder une parcelle. Croyez en Dieu seul. Et, conformément à l’Ecriture « approchez-vous de Lui pour être secourue dans vos besoins ». (1)

(1) Hébreux 4.16.

La dame paraît ébranlée. Alors je l’encourage à confesser sa faute au Seigneur et à accepter, coûte que coûte, de se séparer de cette médaille. Non que cet objet ait en soi une puissance malfaisante qui l’éloignerait de Dieu (ce serait encore de la superstition) mais parce qu’il est devenu un piège pour elle. A l’heure difficile, cette personne craintive ne sera-t-elle pas tentée d’avoir recours à sa médaille pour se parer du danger ? Il ne le faut surtout pas. Dieu est notre unique refuge. La Bible n’en connaît pas d’autres :

« Je dis à l’Eternel : mon refuge et ma force. Mon Dieu en qui je me confie. C’est lui qui me délivre.
Tu trouveras un refuge sous ses ailes. Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la contagion. Aucun mal ne t’atteindra. Puisqu’il m’aime, dit l’Eternel, je le protégerai. Il m’invoquera et je lui répondrai ». (2)

(2) Psaumes 91.2-6, 10, 14-15.

N’accusons pas cette dame ! Les chrétiens aussi peuvent être superstitieux sans le savoir et victimes d’une crainte qui modifie leur comportement. Ici, j’évoque un souvenir déjà lointain maïs qui m’a fait souvent réfléchir. J’étais installé dans la voiture d’un ami qui s’apprêtait à circuler dans les rues encombrées d’une grande ville, lorsqu’il ôta son béret et me dit :

— Frère, prions ! Je ne pars jamais sans m’être confié dans le Seigneur.

Et en quelques mots, il réclama la protection divine.

J’admirai la piété de ce bon chrétien et l’approuvai intérieurement. Or, quelques jours plus tard – sans doute pressé ou trop occupé – il démarra sans avoir invoqué son Dieu. Nous roulions depuis un moment lorsqu’il me lança soudain :

— Arrêtons-nous… je n’ai pas prié !

Mon ami aperçut alors une place libre au bord du trottoir, gagna prudemment la voie de droite, fit un « créneau » en deux ou trois manœuvres… et stoppa. Puis, gravement, demanda une nouvelle fois la protection du ciel. De nouveau, je fus impressionné par le sérieux de ce frère et son souci constant de s’en remettre au Tout-Puissant. Cependant, cet incident bénin m’obligea à réfléchir. Mon ami avait-il réellement besoin de se ranger au bord du trottoir pour prier ? Ne devait-il pas profiter d’un feu rouge pour ôter son béret et formuler sa requête ? D’ailleurs, ne pouvait-il pas prier les yeux ouverts tout en dirigeant son véhicule, en disant par exemple :

— Seigneur, je sais que tu nous tiens dans tes mains. Sois béni pour ta garde… ?

Sans vouloir juger ce frère prudent, je m’interroge à son sujet. N’était-il pas, dans une certaine mesure, prisonnier d’une habitude ? Ne donnait-il pas une valeur protectrice… quasiment magique, à une certaine attitude ou forme de prière ? Il est permis de le supposer en le voyant inquiet lorsqu’il avait omis de prier « selon les règles ». C’est pure superstition que d’attribuer une puissance particulière à un acte de piété. Notre sécurité dépend-elle de Dieu ou de nos requêtes ? Est-ce la prière qui apporte la bénédiction ou le Seigneur qui exauce la prière ? Et puis, le Créateur ne vous a-t-il pas tant de fois comblé, béni et protégé sans que vous l’ayez expressément demandé ?

Ne croyons pas en nos prières ou en nos actes de foi mais confions-nous en l’auteur de toute grâce. Refusons de donner à quelque objet, ou à quelque habitude, à une prière ou à un acte de piété quelconque une valeur qu’ils n’ont pas mais fixons les regards sur Jésus seul, le consommateur de la foi. Refusons toute crainte, « résistons au diable » fermement résolus à ne pas nous laisser asservir par quoi que ce soit. L’Eternel est mon refuge à tout instant et pour toujours.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant