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« Dis-leur : Je suis vivant, dit le Seigneur l’Éternel, que je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais plutôt à ce que le méchant se détourne de sa voie et qu’il vive. Détournez-vous, détournez-vous de votre méchante voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô maison d’Israël ? »
Pour bien entrer dans l’esprit de ces paroles, il est nécessaire de connaître le caractère des hommes auxquels elles sont adressées. Ceux à qui elles étaient premièrement destinées et qui les ont entendues de leurs oreilles, c’étaient des Israélites inconvertis ; des Israélites, puisque le Seigneur les appelle « la maison d’Israël ; » mais des Israélites inconvertis, puisqu’il les exhorte à « se détourner de leur méchante voie. » Ils étaient Israélites : issus de cette race élue avec laquelle Dieu avait fait alliance, et qui annonçait le Messie au monde en attendant qu’elle le lui donnât, ils étaient à portée d’entendre, depuis leur naissance, la bonne nouvelle de la rémission des péchés ; ils avaient reçu, dès le huitième jour de leur vie, la circoncision, ce « sceau de la justice de la foi ; » ils célébraient, chaque année, cette Pâque de l’Éternel qui préfigurait le grand sacrifice de la croix ; ils lisaient la parole du salut dans le livre de la loi, ils l’entendaient de la bouche des prophètes ; naissance, éducation, culte, prédication, sacrements, rien ne leur manquait au dehors. Mais au dedans, ils portaient un cœur inconverti : ils n’étaient point entrés dans l’esprit de cette alliance ; ils n’avaient point pressenti dans ce Messie l’Agneau de Dieu ; ils n’avaient point répondu à ces appels de la grâce ; ils n’avaient point cru à cette « justice de la foi ; » ils n’avaient point renoncé à leurs péchés ; ils n’étaient point devenus des hommes nouveaux ; et s’ils différaient des païens par leurs privilèges, ils ne différaient pas moins des Israélites pieux par leur impénitence.
C’étaient là les premiers objets de l’apostrophe de Dieu dans notre texte ; mais ce n’étaient pas les seuls. Dieu, qui parle pour les siècles, avait en vue, outre les Israélites inconvertis, les hommes qui, dans d’autres temps et sous une autre économie, présenteraient le même caractère et allieraient comme eux, la profession de la vérité avec l’inconversion du cœur : ces hommes qui invoquent le nom de Jésus-Christ ; qui ont été baptisés, dès leur entrée dans le monde, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; qui prennent part à la sainte Cène en mémoire de Jésus-Christ crucifié pour nos péchés ; qui lisent la Parole de Dieu, et qui fréquentent assidûment la prédication de l’Évangile ; mais qui n’ont pas reçu un cœur nouveau et un esprit nouveau ; qui n’ont pas une foi vivante et agissante par les bonnes œuvres ; et qui, s’ils diffèrent des incrédules par leur profession, ne diffèrent pas moins des enfants de Dieu par leurs dispositions et par leur vie ; membres de l’Église de Jésus-Christ, mais non de son corps ; baptisés d’eau, mais non du Saint-Esprit ; chrétiens, mais chrétiens inconvertis. Ces hommes, vous les voyez partout : ils abondent dans toutes les communions chrétiennes ; ils peuplent nos villes et nos campagnes ; ils remplissent nos églises, et forment vraisemblablement la plus grande partie de l’assemblée qui est devant mes yeux. C’est à eux aussi que s’adressent, et c’est à eux spécialement que j’applique aujourd’hui ces paroles sorties de la bouche de Dieu : « Je suis vivant, que je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais plutôt à ce que le méchant se détourne de sa voie et qu’il vive. Détournez-vous, détournez-vous de votre méchante voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô maison d’Israël ? »
Quelles paroles ! Je ne sais, mes frères, si elles vous saisissent comme moi : mais cet endroit de l’Écriture est parmi ceux qui parlent le plus vivement à mon cœur. Le caractère qui le distingue, l’esprit qui le pénètre de part en part, c’est la compassion de Dieu pour les membres inconvertis de l’Église. Ailleurs, on le voit accablant de tels hommes du double poids de son mépris et de sa colère ; tantôt les comparant à une eau tiède qu’un homme vomit de sa bouche, ou à de vils animaux qui se vautrent dans la fange ; tantôt ouvrant l’enfer sous leurs pieds, et leur y montrant les supplices les plus rigoureux choisis pour ceux qui, « ayant connu la voie de la justice, se sont détournés du saint commandement qui leur avait été donné. » C’est pour eux qu’il réserve tout ce que la langue énergique des prophètes a d’indignation plus vigoureuse et de reproches plus atterrants : « Ecoutez, cieux ; et toi, terre, prête l’oreille ! Car l’Éternel parle : J’ai nourri des enfants ; je les ai élevés ; mais ils se sont rebellés contre moi. Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne, la crèche de son maître ; mais Israël est sans connaissance, mon peuple est sans intelligence… Qu’ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices ? Mon âme hait vos nouvelles lunes et vos fêtes solennelles ; elles me sont fâcheuses, je suis las de les supporter (Ésaïe 1.2-14) … » Mais ici c’est un tout autre langage : la compassion de Dieu y paraît toute seule. Sa loi violée, sa majesté outragée, l’énormité du péché, ce n’est pas ce qui l’occupe : ce qui l’occupe, ce qui absorbe toute son attention, c’est la misère des membres inconvertis de l’Église. Il n’en peut soutenir la vue ; ses entrailles s’émeuvent au dedans de lui ; il s’écrie, il descend de son trône, il se tient devant le pécheur, il le prend à témoin de la sollicitude de son Dieu, il le conjure d’avoir aussi pitié de lui-même et de se convertir : « Je suis vivant, que je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais plutôt à ce que le méchant se détourne de sa voie et qu’il vive. Détournez-vous, détournez-vous de votre méchante voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô maison d’Israël ? »
Mais contemplons de plus près cette compassion de Dieu, et les avertissements qu’elle nous donne. La compassion de Dieu, si tendrement exprimée dans mon texte, renferme deux instructions également salutaires pour le chrétien inconverti : car elle lui donne à connaître premièrement, combien il est misérable aux yeux de Dieu ; et secondement, combien Dieu est favorable à sa conversion ; et par là elle ôte les deux plus formidables obstacles que l’ennemi de notre salut oppose à notre conversion, en cherchant à nous persuader d’abord que nous ne sommes pas aussi misérables qu’on nous le dit, et ensuite que nous ne pouvons pas être assurés que Dieu veuille notre conversion. Ces deux instructions feront le sujet de deux discours.
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La compassion de Dieu pour le chrétien inconverti nous révèle combien un tel homme est misérable. Car Dieu ne ressemble point dans ses compassions à l’homme, dont les sentiments peuvent être faux ou du moins exagérés : Dieu est parfaitement vrai, et parfaitement exact dans tout ce qu’il éprouve ; il ne s’émeut que quand il y a sujet de s’émouvoir, et il ne s’émeut aussi que précisément jusqu’au degré qu’il y a sujet de s’émouvoir. Cessez donc, ô membres inconvertis de l’Église, de vous flatter de la pensée que l’on vous connaît mal, que l’on rêve pour vous des maux imaginaires ou qu’on exagère vos maux réels. Celui qui vous crie : « Détournez-vous, détournez-vous de votre méchante voie, et pourquoi mourriez-vous ? » ce n’est pas un homme, c’est Dieu. Sa compassion vous est une marque certaine que vous êtes misérables ; et, en même temps, le degré de sa compassion vous est une mesure exacte de votre misère. Mesurez donc, si vous le pouvez, ce qu’il y a de compassion dans les paroles de mon texte, et vous connaîtrez ce qu’il y a en vous de misère ; ou, si vous êtes contraints de reconnaître que la compassion ici exprimée est infinie et sans mesure, reconnaissez aussi que votre misère est infinie et sans mesure.
Mais qu’y a-t-il donc en vous qui inspire à Dieu une compassion si profonde ? C’est encore Dieu qui vous en instruira. Sa Parole développe ailleurs la déclaration générale qu’elle fait ici de votre misère, et vous en expose les traits les plus saillants.
Et d’abord, le premier trait, le fond et la cause de toute votre misère, c’est le péché ; vous êtes misérables, parce que vous êtes pécheurs. Vous êtes pécheurs, et vous en convenez : il y aurait folie à le nier. Mais vous en convenez en termes et d’un ton qui font voir que vous en prenez votre parti, comme d’une faiblesse inhérente à la nature humaine. Nous ne sommes pas exempts de péché, sans doute ; personne n’est exempt de péché ; hommes, nous participons aux faiblesses de l’humanité. A ce langage, on reconnaît facilement que vous n’avez jamais considéré le péché sous son vrai jour, et que vous n’en avez connu, ni toute l’énormité, ni, ce que je veux surtout rappeler ici, toute l’amertume. Savez-vous ce que c’est que le péché ? Pensez-y : entrez dans cette question, et allez jusqu’au fond. Le péché, cette disposition qui vous est si familière que vous en parlez comme d’un trait de votre nature ; le péché, dans lequel vous vivez, vous vous mouvez, vous respirez, savez-vous bien ce que c’est ? Dieu va vous le dire. L’Écriture le définit ainsi : « Le péché est la transgression de la loia. » Transgression de la loi, quelle lumière dans ce seul mot ! Transgression, ce n’est pas faiblesse, c’est révolte ; c’est le renversement de la loi, qui est l’ordre et la règle ; c’est le dérèglement et le désordre. Puis donc qu’il y a péché en vous, il y a désordre dans votre cœur ; et là où il y a désordre, comment n’y aurait-il pas misère ?
a – Littéralement, l’illégalité. 1 Jean 3.4.
Mais encore, le péché est la transgression de la loi, de qui ? de la loi de Dieu, créateur et roi de toutes choses ; de la loi qui domine souverainement sur toutes les parties de cet univers ; de la loi qui commande à la mer de se renfermer dans ses limites, au soleil de donner sa lumière, aux mondes de garder chacun sa place, et à l’homme d’aimer Dieu et de lui rendre grâce et gloire ; de la loi souveraine et universelle. Telle loi, telle transgression ; tel ordre, tel désordre. Qui transgresse une loi quelconque, compromet l’ordre de tout le domaine sur lequel cette loi étend son empire. Qui transgresse la loi de la famille, compromet l’ordre de la famille ; qui transgresse la loi d’un peuple, compromet l’ordre de ce peuple ; qui transgresse la loi de la terre, compromet l’ordre de la terre ; et qui transgresse la loi de l’univers, qui pèche, compromet l’ordre de l’univers. Eclaircissons cette pensée par un exemple. Un membre d’une famille transgresse la loi de la famille ; ainsi, un mari trahit la foi conjugale : je dis qu’il compromet l’ordre de la famille. Car, si le principe qu’il met en pratique était mis en pratique par tout le reste de la famille, par la femme envers son mari, par les parents envers leurs enfants et par les enfants envers leurs parents, par les maîtres envers leurs serviteurs et par les serviteurs envers leurs maîtres, tous les liens de devoir, d’autorité, de confiance, d’affection, qui unissent entre eux les membres de cette famille, seraient rompus, et cette maison entière serait en désordre ; et lors même que la transgression d’un membre n’est pas imitée par les autres, il est coupable, quant à lui, comme si tous faisaient ce qu’il fait, et responsable pour sa part du désordre de la famille entière. Semblablement, celui qui pèche compromet l’ordre de tout l’univers ; et il est autant dans le désordre, quant à lui, que si toutes les créatures se révoltaient comme lui contre la loi de Dieu. Si la mer franchissait ses limites, si le soleil refusait sa lumière, si les mondes se déplaçaient et s’égaraient au hasard dans l’espace, cette révolte universelle dont la seule pensée trouble notre imagination, que serait-elle ? Rien que l’extension du péché ; rien que la mer, le soleil, les astres péchant ; rien que toutes les créatures faisant ce que vous faites. Et bien que cela n’arrive point en effet et que les autres créatures ne suivent point l’exemple que vous leur donnez, cependant, en transgressant, vous, la loi de Dieu, vous apportez toute la part que vous pouvez à sa transgression universelle ; et si, de votre propre main, vous chassiez la mer par-dessus ses rivages, vous éteigniez le soleil, vous déplaciez les mondes, si vous pouviez faire cela et si vous le faisiez, ô homme qui péchez, vous ne seriez que conséquent avec vous-même, et vous ne seriez pas plus dans le désordre, quant à vous, que vous n’y êtes en faisant ce que vous faites tous les jours.
Mais il y a plus encore. Le péché est la transgression de la loi de Dieu : mais de quelle loi de Dieu ? Car il a deux lois de Dieu : il y a sa loi matérielle qui régit le monde visible, auquel appartiennent la mer, le soleil, les astres ; et il y a sa loi spirituelle qui régit le monde invisible, auquel appartient l’âme de l’homme. La loi que le péché transgresse, c’est la seconde, la loi spirituelle qui régit le monde invisible. L’homme pèche, et l’harmonie du monde invisible est troublée ; mais l’homme pèche, et la mer respecte ses rivages, et le soleil continue de nous éclairer, et les astres gardent leur place. C’est pour cela que le désordre du péché nous frappe moins, charnels que nous sommes et asservis aux choses visibles ; mais c’est pour cela précisément qu’il devrait nous frapper, nous étonner, nous épouvanter davantage. Car lequel de ces deux mondes est le plus grand et le plus glorieux, l’esprit de l’homme fait à l’image de Dieu, destiné à durer éternellement comme Dieu, capable de jouir d’une félicité infinie avec Dieu ; ou la mer, le soleil, les astres, faits de poudre, destinés à retourner en poudre, et qui doivent être la proie des flammes dans ce jour terrible où « la « terre et le ciel s’enfuiront et où il ne se trouvera « plus de lieu pour eux ? » Que celui qui porte un cœur d’homme et qui sent la dignité de sa nature, réponde. Qu’il dise que le monde invisible est le monde éternel, et le monde visible, le monde périssable ; le premier, le monde maître, et le second, le monde serviteur ; le premier, le monde réel, et le second, le monde type. Qu’il dise que la nature, dans sa gloire la plus éblouissante, n’est qu’un pâle reflet des gloires invisibles des esprits qui demeurent fidèles à Dieu et qui partagent sa félicité ; et que la transgression des lois par lesquelles Dieu conduit le monde visible, n’est aussi qu’une pâle image de la transgression de la loi par laquelle il régit le monde des esprits. Sortez donc, ô hommes ! du cercle étroit de ce que vos yeux peuvent voir et vos mains toucher ; placez-vous devant le « Père des esprits, » et comprenez, si vous le pouvez, quel est le désordre qu’enfante le péché. Quand la mer franchirait ses limites et couvrirait la terre d’un nouveau déluge ; quand ses ondes furieuses arracheraient tout, renverseraient tout sur leur passage ; quand elles rouleraient avec fracas les rochers détachés des monts, les arbres déracinés, les cadavres des animaux et ceux des hommes, et ne feraient de notre globe qu’un immense désert d’eau, le désordre qui serait ainsi produit ne mériterait pas d’être nommé auprès de celui que produirait le péché de l’homme. Quand le soleil, sortant de son lieu, s’éloignerait et se rapprocherait de notre globe au gré d’un mouvement sans but et sans règle ; quand tour à tour il la livrerait à un hiver destructeur et la consumerait par des ardeurs insupportables ; quand il ferait tout mourir dans ce monde qu’il avait mission de réjouir par sa lumière et de vivifier par sa chaleur, le désordre qui serait ainsi produit ne mériterait pas d’être nommé auprès de celui que produirait le péché de l’homme. Et quand le monde chancellerait sur sa base antique et croulerait sur ses fondements ; quand les astres et leurs systèmes se rencontreraient, se heurteraient et se briseraient les uns sur les autres ; quand l’univers rentrerait dans un plus effroyable chaos que celui d’où Dieu l’a tiré au commencement, ce désordre, ce bouleversement de l’univers ne mériterait pas d’être nommé auprès du désordre que produirait le péché de l’homme. Tout cela serait arrivé, que si le cœur de l’homme était encore dans l’ordre et dans la règle, l’harmonie du monde invisible demeurerait intacte, inaltérable, pleine de gloire, sur les ruines de toutes les choses visibles. Mais quand l’homme, créé à l’image de Dieu, est sorti de cet ordre spirituel auquel tout est subordonné dans la création, quand il s’est révolté contre Dieu, quand il a péché, alors, le désordre est au cœur du royaume ; alors, les réalités éternelles sont en péril ; alors, le but du Créateur faillirait, s’il pouvait faillir ; alors, une main sacrilège a été levée contre le Roi des rois et a tenté de le renverser de dessus le trône du monde. Cette main, à qui est-elle ? c’est la vôtre, c’est la mienne, c’est celle de quiconque a péché. Voilà, voilà le désordre du péché ! Et par une suite nécessaire, puisque le foyer de ce désordre est dans le cœur du pécheur, voilà la misère du pécheur ; voilà votre misère à vous, à chacun de vous ; et voilà pourquoi le Dieu des miséricordes s’émeut, vous conjure et s’écrie : « Je suis vivant, que « je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais plutôt à ce que le méchant se détourne de sa voie et qu’il vive. Détournez-vous, détournez-vous de votre méchante voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô maison d’Israël ? »
Que si vous êtes tellement accoutumés à ce désordre, qu’il ne vous épouvante plus ; si vous en êtes venus au point de dire au péché, « tu es mon frère, » et à la confusion, « tu es ma sœur, » sachez que votre misère a un autre côté par lequel elle vous demeurera éternellement sensible, sans qu’aucune puissance de l’habitude vous la puisse rendre supportable. Le péché ne vous jette pas seulement dans le désordre, il vous expose encore au châtiment de Dieu ; et si vous pouvez corrompre votre cœur pour qu’il consente au désordre, vous ne pouvez pas corrompre Dieu pour qu’il vous exempte du châtiment. En vain espéreriez-vous vous persuader que le péché ne mérite point de châtiment en vous parce que vous l’apportez en naissant, et que ce n’est que dans le premier homme qu’il pourrait être justement recherché. Car, sans remonter à Adam, et sans entrer ici dans de longs raisonnements pour justifier la transmission de ce triste héritage du père aux enfants, je viens droit à vous, et je vous adresse deux questions qui vous concernent personnellement. Premièrement, ne vous est-il jamais arrivé de faire une chose que vous saviez être mauvaise et que vous auriez pu ne pas faire ? Secondement, si cela vous est arrivé, n’en avez-vous pas été repris par votre conscience ? A la première question, je réponds pour vous et pour tout homme : Oui, cela m’est arrivé ; et à la seconde question, je réponds pour vous et pour tout homme : Oui, ma conscience m’en a repris. Eh bien ! quand vous avez fait une chose que vous saviez être mauvaise et que vous auriez pu ne pas faire, vous avez fait en votre place ce qu’Adam a fait en la sienne, et vous avez participé en esprit à la chute de toute votre race ; et quand votre conscience vous en a repris, vous avez rendu témoignage contre vous-même que vous avez mérité un châtiment.
Mais quel est le châtiment que Dieu réserve au péché ? Si vous n’avez vu jusqu’à présent dans le péché qu’un entraînement de la nature où il entre plus de faiblesse que de perversité, il est vraisemblable que vous n’attendez aussi qu’un châtiment modéré, tel que celui qu’un père indulgent inflige à son enfant indocile. Mais si les réflexions que nous vous avons présentées vous ont donné des vues nouvelles sur la gravité du péché, vous serez ouverts aussi à de nouvelles pensées concernant le châtiment qu’il mérite. Voulez-vous savoir ce que révèle sur ce point la Parole de Dieu, cette Parole qui nomme chaque chose de son vrai nom et qui ne peut pas plus exagérer que mentir ? J’ose à peine vous le dire ; mais il faut que vous connaissiez toute votre misère : car si vous ne la connaissez pas, vous y demeurerez et vous périrez ; mais si vous la connaissez, il vous reste une délivrance. C’est la compassion de Dieu qui le porte à vous révéler votre état, et c’est la charité qui nous commande de vous répéter ce qu’il en a dit : je vous le répète en tremblant, et comme à genoux devant vous. Ouvrez la Bible, épître aux Galates, chapitre 3, verset 10, et lisez : « Quiconque ne fait pas tout ce qui est écrit au livre de la loi, quiconque pèche, est maudit. » Le châtiment du péché, c’est la malédiction de Dieu ; le châtiment encouru par tout pécheur, par vous, par vous-même, c’est la malédiction de Dieu ; vous êtes sous la malédiction de Dieu… ne fermez pas le livre, ne détournez pas les yeux, ne cherchez point à vous distraire ; non ! mais demeurez, écoutez, et connaissez votre condition telle qu’elle est.
Malédiction, — ce mot seul a quelque chose qui fait frémir la nature. Vous l’entendez prononcer, et sans que vous ayez eu le temps de vous rendre compte de ce qu’il signifie, un saisissement involontaire, instinctif, s’empare de vous. Mais examinez ce qu’il signifie, et cette horreur augmentera. Maudire, c’est dire à quelqu’un : Je souhaite que mal te soit. Il semble si conforme à la nature de fixer sur une créature vivante, fût-elle même étrangère à notre espèce, un regard d’intérêt, de lui vouloir du bien dans notre cœur et d’exprimer ce sentiment par un souhait charitable ; le langage des hommes est si rempli de souhaits de ce genre, même sans amour dans le cœur et jusqu’à l’égard de leurs ennemis, que si l’on entend un homme parler à un autre et commencer ainsi : Je souhaite…, on s’attend nécessairement à quelque bonne parole qui va suivre. Mais quand on entend au contraire cette suite : Je souhaite que mal te soit, il semble que tout l’ordre de la nature est renversé, et que quelque chose de mystérieux, d’épouvantable, d’infernal a dû se passer entre celui qui donne la malédiction et celui qui la reçoit. Si un scélérat, le rebut de la terre, près de recevoir le juste salaire de ses crimes et marchant vers l’échafaud ; si un scélérat me maudissait, un frisson involontaire contracterait mes membres et ferait battre mon cœur, et ces mots : Je te maudis résonneraient encore à mon oreille longtemps après que la voix impure qui les prononça se serait éteinte sous le glaive de la justice. Et si un homme de bien, accoutumé à ne faire entendre que des paroles de sagesse, et dont je n’aurais reçu moi-même que des témoignages de bienveillance ; si un homme de bien me maudissait, sa malédiction jetterait dans mon âme un trouble d’autant plus grand que je lui devrais plus et l’estimerais davantage, et y laisserait une impression profonde, ineffaçable. Et si mon père, un père vénérable, un père tendre, un père chéri ; si mon père, dans son lit de mort ; si mon père me maudissait, n’est-il pas vrai que cette malédiction s’attacherait à mon cœur comme une flèche qui l’aurait transpercé ? et qui peut dire tout ce qu’elle y répandrait d’angoisse et d’amertume ? Cependant la malédiction d’un homme, quel qu’il soit, peut être injuste. Ce scélérat ne me maudit peut-être que pour avoir réprimé sa méchanceté ; il se peut que cet homme de bien soit injuste à mon égard ; mon père même n’est point infaillible ; un faux rapport, une irritation soudaine peut lui arracher une malédiction que je n’ai point méritée ; et selon ce qui est écrit : « Comme l’oiseau est prompt à voler et l’hirondelle à courir çà et là, la malédiction donnée sans sujet n’arrivera point (Proverbes 26.2), » si j’ai l’approbation de Dieu et de mon propre cœur, je pourrai me réfugier dans le sanctuaire de ma conscience où l’homme ne peut m’atteindre, lever en paix les yeux vers le ciel et dire à Dieu : « Ils maudiront, mais tu béniras (Psaumes 109.28) ? » Et encore, fût-elle méritée, la malédiction d’un homme, quel qu’il soit, est sans puissance par elle-même. Ni ce scélérat, ni cet homme de bien, ni mon père n’est l’arbitre de mon sort ; il ne commande ni à la nature, ni aux événements, ni à mon corps, ni à mon âme ; l’homme maudit et meurt, et sa malédiction que deviendra-t-elle, si un plus puissant que lui ne se charge de l’accomplir ? Mais si Dieu me maudissait ; Dieu, qui « est juste quand il parle et pur quand il juge », qui ne frappe que le coupable et qui ne le frappe que du nombre de coups qu’il a mérités, pas un de plus, pas un de moins ; Dieu, qui « est bon envers tous, dont la compassion est sur toutes ses œuvres » et qui n’inflige aucun châtiment, que la sainteté de sa loi, le besoin de son gouvernement et l’énormité du crime ne le lui arrachent comme malgré lui ; Dieu, qui ne parle point en vain, qui « dit et la chose a son être, » qui « commande et elle comparaît, » et dont la parole, soit qu’elle promette ou qu’elle menace, soit qu’elle bénisse ou qu’elle maudisse, est encore cette même parole qui dit au commencement : « Que la lumière soit, et la lumière fut ; » Dieu, que « toutes choses servent », et dont la volonté souveraine contraint toutes ses créatures à travailler ensemble, d’un bout de l’univers à l’autre, à l’accomplissement de ses desseins de miséricorde ou de vengeance ; qui bénit, et toutes les créatures bénissent, qui maudit, et toutes les créatures maudissent ; Dieu enfin, qui me possède tout entier, corps et âme, qui me tient serré par devant et par derrière et dont la main est partout sur moi, qui m’enveloppe et qui tout ensemble me pénètre de toutes parts, qui se fait obéir en maître par chaque fibre de mon cerveau, par chaque battement de mon cœur, par chaque mouvement de ma pensée ; si ce Dieu tout juste, tout bon, tout-puissant, me maudissait ; si j’étais de ceux sur lesquels il prononce ces paroles : « Puisqu’il a aimé la malédiction, que la malédiction tombe sur lui ! et puisqu’il n’a point pris plaisir à la bénédiction, que la bénédiction s’éloigne de lui ! qu’il soit revêtu de la malédiction comme d’une robe ! qu’elle entre dans son corps comme de l’eau, et dans ses os comme de l’huile ! qu’elle lui soit comme un vêtement dont il se couvre, et comme une ceinture dont il se ceigne continuellement (Psaumes 109.17-19) ! » — que serait cette malédiction, sinon toutes les perfections divines rangées en bataille contre moi ; la justice de Dieu me poursuivant, sa puissance m’accablant, et, ce qu’il y a de plus terrible, sa bonté relevant l’horreur de ses jugements et de mes remords, et faisant elle-même mon plus cruel tourment ? que serait cette malédiction, sinon toutes les créatures conspirant à mon supplice, chacune d’elles apportant à son tour sa part de coopération pour accroître ma misère, et chaque fibre de mon cerveau, chaque battement de mon cœur, chaque mouvement de ma pensée, se soulevant contre moi pour me déchirer ? que serait cette malédiction, sinon le monde entier, au dehors et au dedans, devenu pour moi sans amour, la nature sans charmes, la terre sans fruit, le ciel sans sourire, l’existence sans joie, la dernière goutte de félicité tarie dans le dernier repli de mon cœur, et tout mon être séché jusque dans la racine, comme ce malheureux figuier que la voix du Seigneur avait maudit et dont un apôtre disait le lendemain : « Seigneur, le figuier que tu as maudit est tout sec ? » que serait enfin cette malédiction, sinon mon âme enveloppée et pénétrée d’une misère immense, infinie, et ne trouvant plus dans tous les êtres qu’un enfer universel, un enfer au dedans de soi, un enfer dans les créatures, un enfer en Dieu même ? Mais que fais-je ? où vont toutes ces descriptions également cruelles et impuissantes ? C’est trop pour le cœur, c’est trop peu pour la vérité ; et tout cela est autant au-dessous de la réalité, que la puissance de la parole de l’homme est au-dessous de la puissance de la parole de Dieu… Membres inconvertis de cet auditoire, ne vous rassurez pas par la pensée que vous n’éprouvez rien qui réponde à de si effrayantes déclarations, et ne raisonnez point ainsi en vous-mêmes : Non, je ne me sens point maudit de Dieu. Que vous vous sentiez maudit ou non, vous l’êtes, puisque Dieu le dit. Si vous ne le sentez point, sachez que cette insensibilité est la marque d’un cœur endurci et un premier fruit de cette malédiction même. Si vous ne le sentez point, sachez que vous le sentirez un jour, quand auront péri les choses visibles à la faveur desquelles vous réussissez aujourd’hui à vous déguiser votre état. Si vous ne le sentez point, sachez que Dieu le sent pour vous, Dieu, qui vous crie dans mon texte : « Je suis vivant, que je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais à ce qu’il se détourne de sa voie et qu’il vive. Détournez-vous, détournez-vous de votre méchante voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô maison d’Israël ? »
Comme un homme qui monte sur une haute montagne, dont le sol se développe en collines échelonnées les unes au-dessus des autres depuis la plaine jusqu’à son sommet, à chaque fois qu’il arrive au pied d’une colline nouvelle et qu’il commence à la gravir, ne voit rien au delà et se flatte que c’est ici la dernière et qu’il touche au terme de sa course, mais n’en a pas plutôt atteint la cime qu’il en découvre d’autres qu’il faut gravir encore, et marche ainsi de surprise en surprise et de fatigue en fatigue ; ainsi moi, en exposant devant vos yeux la misère du chrétien inconverti, telle qu’elle se développe en ses redoutables degrés, à chaque fois que j’aborde quelque nouveau développement et que je commence d’y entrer, je me persuade qu’il ne saurait y en avoir de plus terrible et je me flatte que celui-ci est le dernier et que je touche au terme de ma pénible tâche, mais je ne l’ai pas plutôt achevé que j’en découvre d’autres qu’il faut vous exposer encore, et je marche d’étonnement en étonnement et d’épouvante en épouvante. Quand nous avons sondé le désordre du péché et que nous l’avons trouvé plus effroyable que ne serait le bouleversement de l’univers, que pouvait-il rester à dire encore ? Il restait la malédiction de Dieu. Et maintenant que nous avons ouvert cette malédiction et que nous l’avons trouvée renfermant un enfer universel, peut-il y avoir un nouveau trait qui ajoute à l’horreur d’une telle condition ? Oui, il y en a un ; et tel, qu’il double, qu’il triple, qu’il multiplie à l’infini la force de tout ce qui a été dit précédemment. C’est que cette malédiction est éternelle, en sorte que si vous venez à comparaître au tribunal de Jésus-Christ sans avoir été converti, le supplice auquel vous y serez condamné n’aura jamais de fin. Car il est écrit : « Maudits, retirez-vous de moi, et allez au feu éternel, « qui est préparé au Diable et à ses anges ; » et encore : « Et ceux-ci s’en iront aux peines éternelles (Matthieu 25.41, 46). »
Des peines éternelles ! … Quelle que dût être votre misère, si elle devait avoir une fin, elle serait en quelque sorte supportable. L’esprit de l’homme, étant immortel, est ainsi fait que ce qui doit finir ne peut lui paraître long. Un enfant qui avait entendu dire que le séjour des méchants dans l’enfer devait durer mille années et qu’après cela ils en sortiraient, étant un jour menacé de l’enfer pour sa mauvaise conduite, répondit : « Que m’importe d’aller en enfer ? on n’y restera que mille ans. » Ce mot était aussi profond qu’il était naïf, et par la bouche de ce petit enfant tout le genre humain parlait. Ce qu’il disait de mille ans, l’homme le dira également de cent mille ans, et d’un milliard d’années, et d’un milliard de siècles, et d’une durée quelconque à laquelle il doit enfin voir un terme. Les yeux toujours fixés sur cet horizon, quelque éloigné qu’il soit, l’homme pourra attendre d’y être parvenu ; et parce qu’il est immortel, ces milliards de siècles qu’il devra passer dans la souffrance, une fois écoulés, ne lui sembleront rien dans l’éternité de félicité qui doit suivre. Mais, être livré à des peines éternelles ; souffrir, et se dire : Je souffre pour toujours ; être dans la société des démons, et se dire : Je suis ici pour toujours ; être banni de la présence de Dieu et de son royaume, et se dire : J’en suis banni pour toujours ; regarder sous ses pieds, et voir un abîme de douleur qui n’a point de fond ; regarder sur sa tête, et voir un ciel de colère qui n’a point d’horizon ; jeter les yeux à droite, à gauche, devant, derrière, et ne découvrir de tous côtés qu’une éternité sans rivage ; essayer d’espérer, et ne le pouvoir point ; s’efforcer de croire, et ne trouver dans son cœur que la foi des démons (Jacques 2.19) ; crier à Dieu, et n’en être plus écouté ; se consumer en imaginations de toute sorte pour se délivrer, et après d’infructueux efforts, retomber toujours sur soi-même, se retrouver à la même place, se voir fixé sans retour dans l’éternelle immobilité de la malédiction divine ; et au plus fort de ses angoisses, entendre sortir de la conscience cette voix : C’est toi qui t’es perdu, et du ciel cette voix : J’ai voulu te sauver, et de l’enfer cette voix : Il est trop tard ; c’est une situation dont la seule pensée trouble l’esprit, bouleverse le cœur, confond l’imagination, et ôte jusqu’à la force d’en sonder et d’en développer toute l’horreur. Mais aussi ce développement n’est pas nécessaire : vous ne niez pas l’horreur de cette position ; vous en convenez, vous en êtes accablés, et vous n’avez d’autre manière de vous rassurer contre l’effroi qu’elle vous inspire, que de vous persuader que cela ne vous arrivera point, que cela n’arrivera à personne, qu’il n’y a point de peines éternelles. Voilà l’espérance qui vous reste — et que je vais m’efforcer de vous ôter. Quelle cruauté est la vôtre, me direz-vous, et que voulez-vous donc ? Ce que je veux ? je veux sauver vos âmes ; et pour les sauver, je veux vous arracher une espérance que le Diable n’a mise en vous que pour vous empêcher de vous convertir.
Il devrait suffire de rapporter le témoignage de la Parole de Dieu pour vous fermer la bouche, à vous qui vous élevez contre cette doctrine terrible ; et, quant à moi, je ne chercherais jamais d’autre témoignage dans une matière qui, étant complètement en dehors de l’expérience humaine, ne saurait être connue de nous que par révélation. Mais, puisque vous opposez aux déclarations de cette Parole ces arguments rebattus que l’incrédulité emprunte de tout temps à la raison humaine, il faut bien vous y suivre un moment, pour vous en faire voir une fois la faiblesse, dirai-je ? ou la folie.
Je pourrais répondre d’abord à tous ces arguments à la fois, qu’ils n’ont et ne peuvent avoir aucun fondement solide parce qu’ils ne s’appuient que sur des conjectures, puisque l’homme est réduit à conjecturer toutes les fois qu’il s’agit de ce qui doit suivre la mort. La mort doit apporter à la condition de l’homme un changement essentiel et profond. Mais quelle est la nature de ce changement ? vous l’ignorez absolument ; et quelque théorie que vous imaginiez pour l’état futur de l’humanité, vous n’avez aucun moyen de vous assurer que vous ne transportiez pas dans l’enfer les idées de la terre, semblables à ces Sadducéens qui se figuraient que le mariage devait subsister dans la vie éternelle, et que le Seigneur reprit en leur disant : « Vous errez, ne connaissant pas les Écritures et la « puissance de Dieu (Matthieu 22.29). » C’en est assez pour frapper d’avance de nullité tous vos arguments. Mais considérons-les de plus près, et nous les trouverons sans aucune force, même aux yeux de la raison humaine.
On dit que l’homme n’a pas mérité une peine éternelle ; qu’il n’y aurait nulle proportion entre des péchés renfermés dans une durée finie et aussi courte que l’est la vie humaine, et un châtiment dont la durée serait infinie. Mais véritablement que vaut, que signifie cette objection ? L’homme n’a pas mérité une peine éternelle ! Mais qui dit cela ? Est-ce celui qui a fait la loi ? est-ce celui qui a fait le cœur de l’homme ? Non, c’est l’homme lui-même. Mais devant quel tribunal laisse-t-on au coupable le soin de mesurer la peine due à ses crimes ? Selon quelle justice nouvelle convient-il de faire l’homme juge dans sa propre cause, lui, si rempli de passions et de préjugés qu’il n’est pas même capable de juger sûrement celle d’autrui ? — L’homme n’a pas mérité une peine éternelle ! Mais qu’a-t-il donc mérité ? Puisque vous affirmez avec tant d’assurance qu’une peine éternelle dépasse la mesure exacte de la culpabilité de l’homme, vous l’avez donc cette mesure exacte ? Montrez-nous-la, et dites-nous combien de temps l’homme a mérité de souffrir. Est-ce dix mille ans ? est-ce mille ans ? est-ce cent ans ? ou combien est-ce enfin ? L’homme n’a pas mérité une peine éternelle ! Mais comment prouverez-vous qu’il a mérité une peine finie, quelle qu’elle soit ? Je veux que vous ayez déterminé le nombre des années qu’il a mérité de souffrir : ce sera, par exemple, dix mille ans. Que répondrez-vous à un homme qui vous dira : Non ; le péché est digne d’un châtiment sévère, sans doute, mais il ne l’est pas de la peine que vous proposez ; mille ans, c’est la juste proportion qu’il faut assigner à son supplice. Et que répondra celui-là à un troisième qui dira : Y songez-vous ? mille ans, pour des péchés renfermés dans un espace de cent ans pour les plus vieux ! cent ans sont une peine au moins suffisante. Et enfin, que répondront-ils tous à un autre qui viendra dire à son tour : Je ne sais où vous prenez tous les idées sombres que vous vous faites du péché ; il est blâmable sans doute et mérite une peine ; mais n’est-il pas assez puni par les misères de cette triste vie, sans aller encore le rechercher au delà du tombeau ? il n’y a point de peines après la mort. Dites, dites, que répondrez-vous ? Quelle règle précise, quelle mesure exacte produirez-vous ? Vous avez beau chercher, vous n’en trouvez point. Mais si vous n’avez point de mesure, pourquoi mesurez-vous ? et si vous ne savez pas, pourquoi affirmez-vous ? Ah ! nous n’envions pas vos lumières flottantes, et nous laissons vos conjectures se disputer contre les conjectures des autres. Pour nous, nous avons une mesure, c’est la Parole de Dieu ; « nous affirmons ce que nous savons et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu (Jean 3.11), » vu dans la Parole de Dieu. Cette Parole déclare que ce que le péché mérite, c’est une peine éternelle : et nous croyons que le péché mérite une peine éternelle.
On insiste encore, et l’on dit que, l’homme eût-il mérité une peine éternelle, Dieu est trop bon pour la lui infliger jamais. Cet argument, ou pour parler plus exactement, cette exclamation a quelque chose qui séduit, quand on ne réfléchit pas ; mais réfléchissez, et vous reconnaîtrez qu’elle procède de notions fausses, injurieuses même, de la bonté de Dieu. Dieu est bon sans doute, bon au delà de toute expression : mais conclure de là qu’il n’aura pas le courage d’infliger au pécheur une peine éternelle, si d’ailleurs cette peine est méritée, c’est dénaturer sa bonté, c’est l’outrager par une louange perfide qui ne peut être suggérée que par son mortel ennemi. Il me semble entendre un scélérat envieilli, cherchant à entraîner un jeune homme non encore endurci au crime et qui recule à la pensée des châtiments de la loi, et lui parlant ainsi : Ne crains pas les juges ; ils sont trop bons pour te condamner. Des juges trop bons pour condamner, quel effroyable abus de langage ! trop bons pour réprimer les méchants, trop bons pour répondre à la confiance du pays ou au choix du souverain, trop bons pour s’acquitter fidèlement des devoirs de leur sainte charge, trop bons pour être justes et fidèles ! Que mériteraient des juges qui seraient bons de cette manière, sinon qu’on les chassât ignominieusement de leur tribunal, comme indignes de leur noble ministère et assez lâches pour sacrifier le repos de tout un peuple à la tranquillité individuelle des méchants ? et que verrait-on dans le pays qui aurait le malheur d’être administré avec une bonté de cette nature, sinon les méchants invités au crime par l’appât de l’impunité, les gens de bien sans défense, les lois sans force et un désordre croissant, prélude d’une complète ruine ? Chacun sent qu’appeler cela de la bonté, c’est profaner ce saint nom et renverser toutes les notions de la bonté véritable. La vraie bonté s’allie dans un juge avec la justice, et ne saurait jamais l’empêcher d’infliger aux coupables les châtiments qu’ils ont mérités. Parce qu’il est bon, il gémit des crimes du coupable ; il gémit de la peine qui doit les suivre ; il gémit de la nécessité où il se trouve de prononcer la sentence. Mais parce qu’il est juste, ses sentiments personnels ne sauraient entraver l’exercice de son ministère : avant tout il faut que la loi règne et que la justice ait son cours ; il condamnera en pleurant peut-être, mais il condamnera cependant celui qui a mérité d’être condamné, et à la peine qu’il a méritée. Faible image du juge de toute la terre, en qui l’éternelle et inaltérable bonté s’allie avec l’éternelle et inflexible justice, et dont la bonté ne peut pas plus l’empêcher d’être juste que sa justice ne peut l’empêcher d’être bon. Parce qu’il est bon, il ne prend point plaisir à la mort du pécheur ; mais parce qu’il est juste, il faut que sa loi règne et que chacun reçoive selon ses œuvres ; et si, selon la loi, le péché mérite une peine éternelle, il faut de toute nécessité qu’il frappe d’une peine éternelle le pécheur impénitent. S’il agissait autrement, s’il le dispensait du châtiment ou d’une partie du châtiment, il ne ferait pas régner la loi ; il ne consacrerait pas l’ordre, mais le désordre ; il ne serait pas digne de gouverner le monde, il ne serait pas juste, il ne serait pas Dieu. C’est ce que ne comprennent peut-être pas les savants et les philosophes ; mais c’est ce que le bon sens révèle à une âme simple, et ce qu’exprimait naguère une pauvre paysanne, dans une parole qui résume à elle seule tout ce que nous venons de dire. Elle croyait toucher à son heure dernière, et soupirait après le pardon de ses péchés qui se présentaient à elle dans toute leur difformité. Je l’exhortais à croire à la grâce de Dieu en Jésus-Christ ; mais elle me répondait qu’elle était trop coupable pour qu’une telle grâce pût la concerner. « Ne croyez-vous pas, lui dis-je alors, que Dieu est bon ? — Oui, Monsieur. — Serait-il bon si, vous voyant travaillée de vos péchés et désirant avec ardeur son pardon, il vous le refusait ? Oui, Monsieur, il serait encore bon, puisque j’ai mérité la condamnation. » Cette pauvre femme ne comprenait pas encore ce sacrifice ineffable par lequel Dieu s’est montré tout à la fois « juste, et justifiant celui qui croit en Jésus ; » mais elle comprenait qu’une bonté dans laquelle la justice serait absorbée serait indigne de Dieu. Comprenez-le comme elle, vous qui n’avez pas cherché votre refuge sous la croix, et ne vous flattez pas de la vaine espérance que la bonté de Dieu puisse empêcher votre condamnation, si elle est méritée. Le péché mérite-t-il une peine éternelle ? Voilà la question. Cette question décidée, si le péché mérite en effet une peine éternelle, la justice de Dieu l’infligera infailliblement sans que sa bonté le retienne. Or, cette question qui la pourra décider que Dieu seul ? et d’où connaîtrons-nous sa décision que par sa Parole, qui déclare que le péché mérite en effet une peine éternelle ?
On pourrait faire des réponses semblables à toutes les autres objections de la sagesse humaine contre l’éternité des peines. C’est un sujet où Dieu seul possède la vérité et où la Bible seule peut nous la faire connaître ; et par quelque côté qu’on l’envisage, il faut toujours conclure ainsi. Nous ne savons pas ; rapportons-nous-en à la Parole de Dieu. Vous le sentez vous-mêmes, j’en suis assuré, mes frères ; vous sentez qu’il n’y a rien à opposer aux peines éternelles si la Parole de Dieu les établit expressément, et que la seule manière solide dont on pourrait combattre cette doctrine, ce serait de la combattre par les Écritures et de montrer qu’elle n’y est point enseignée. Et c’est peut-être ce que vous espérez encore pouvoir faire. Peut-être, malgré les déclarations que nous vous en avons citées, décidés à ne pas croire à ce trait, le plus affreux de votre affreuse condition, et après avoir vainement essayé tous les autres moyens d’en contester la vérité, vous revenez à l’Écriture ; et vous pensez qu’en l’examinant de plus près, vous trouverez quelque moyen de lui faire dire que les peines ne seront pas éternelles. Mais vous n’y réussirez point. Je m’explique. Si vous n’êtes pas sincères avec la Parole de Dieu, si vous êtes résolus de vous séduire, si vous prenez la Bible pour y mettre, non pour y chercher une doctrine, vous réussirez, pour votre malheur et pour votre endurcissement. Oui, vous trouverez dans la Bible, non pas une seule déclaration formelle qu’il n’y aura point de peines éternelles (vous vous consumeriez vainement à la chercher d’un bout de la Bible à l’autre), mais vous y trouverez tel principe dont vous croirez pouvoir déduire qu’il n’y aura point de peines éternelles ; telle proposition qui, séparée de ce qui la précède, de ce qui la suit et de tout l’ensemble de la Bible, vous paraîtra impliquer qu’il n’y aura point de peines éternelles, que sais-je ? quelque chose de plus incertain encore, tel esprit, telle vue, tel sentiment qui vous paraîtra ne pouvoir s’accorder avec les peines éternelles. Mais si vous êtes simples, si vous êtes sincères, vous reconnaîtrez que ce sont là les subtilités d’un esprit résolu de se donner le change à lui-même, et que le sens palpable des Écritures, le sens populaire, le sens du petit enfant, c’est que les peines seront éternelles. Ecoutez-moi, mes chers amis : je vous parlerai d’expérience. Le désir de trouver dans les Écritures que les peines ne seront pas éternelles, je l’ai éprouvé comme vous. Il y a eu un temps où je ne voulais absolument pas croire aux peines éternelles, ni pour aucun homme ni même pour le Diable, et où j’écrivais (je m’en souviens, et que Dieu me le pardonne !) ces paroles insensées : « Si une seule des créatures de Dieu doit être éternellement malheureuse, il n’y a point de bonheur possible pour moi. » Mais, comme je croyais en même temps que la Bible est la Parole de Dieu, et qu’en conséquence je ne pouvais rejeter tranquillement l’éternité des peines aussi longtemps que je la trouvais enseignée dans la Bible, je m’appliquai à me persuader qu’elle n’y était point enseignée. Avec cette intention, j’ai lu, j’ai médité, j’ai commenté ; atténuant les endroits qui paraissaient favorables à cette doctrine ; recherchant, exagérant, forçant ceux que j’espérais de lui trouver contraires ; j’ai fait tout ce que j’ai pu pour ne pas trouver les peines éternelles dans la Parole de Dieu, mais je n’y ai pas réussi : j’ai été vaincu par l’évidence irrésistible du témoignage des Écritures. Quand j’ai entendu Jésus-Christ me déclarer que « les méchants iront aux peines éternelles et les justes à la vie éternelle, » et qu’ainsi les peines des uns seront éternelles dans le même sens que la félicité des autres ; quand je l’ai entendu aller au-devant de mes doutes et couper court à toutes mes objections, en me déclarant que « leur feu, » quel qu’il soit, « ne s’éteindra point, » que « leur ver, » quel qu’il soit, « ne mourra point ; » quand je l’ai enfin entendu se prononcer expressément contre l’espérance que je voulais entretenir d’une délivrance finale pour les damnés, et me déclarer qu’il y a entre l’enfer et le ciel « un abîme affermi, afin que ceux qui veulent passer de l’un à l’autre ne le puissent pointb » ; alors, enfin, j’ai cédé, j’ai courbé la tête, j’ai mis la main sur ma bouche, et j’ai cru aux peines éternelles avec cette conviction que vous me voyez aujourd’hui, qui est d’autant plus profonde que je l’ai plus longtemps combattue, et qui me contraint à vous prêcher cette doctrine comme une doctrine de Dieu, comme une doctrine sainte et salutaire, terrible à croire, mais plus terrible à rejeter. Et ce que j’ai éprouvé, tous les esprits soumis à l’Évangile l’ont aussi éprouvé ; les peuples l’ont éprouvé, et la doctrine des peines éternelles a été constamment une doctrine populaire chez les nations chrétiennes ; que dis-je ? vous l’éprouvez vous-mêmes, et vous sentez que vous ne pouvez rejeter les peines éternelles qu’en faisant violence au texte des Écritures, ce dont Dieu veuille vous garder ! Ah ! laissez, laissez vos chimériques, vos périlleuses espérances. Connaissez combien votre affreux état de malédiction est rendu mille fois plus affreux par ce trait dont la force est inexprimable en langage d’homme, l’éternité de cette malédiction ; et comprenez quel avenir Dieu voit devant vous quand il vous crie : « Je suis vivant, que je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais plutôt à ce que le méchant se détourne de sa voie et qu’il vive. Détournez-vous, détournez-vous de votre méchante voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô maison d’Israël ? »
b – Matthieu 25.46 ; Marc 9.44 ; Luc 16.26.
Est-ce assez ? avons-nous tout dit ? et la description de la misère du chrétien inconverti est-elle enfin épuisée ? Déjà maudit, déjà maudit éternellement, vous semble-t-il possible qu’il reste un dernier trait qui relève encore l’angoisse de son supplice ? Oui, ce trait reste. Ceux qui précèdent le concernent comme inconverti, et lui sont communs avec tous les pécheurs inconvertis ; celui qui reste le concerne comme chrétien, lui appartient en propre et le réduit à porter envie à d’autres qui, eux aussi, sont maudits, maudits éternellement. C’est qu’il y a plusieurs places dans l’enfer, et que la plus mauvaise est celle du chrétien inconverti. Il y a quelque chose d’étrange et d’horrible à parler de places différentes dans l’enfer, et il semble que le plus et le moins ne se puissent concevoir dans un malheur éternel. Mais, parce qu’il y a pourtant des degrés d’énormité dans l’injustice des pécheurs, il y a aussi des degrés correspondants dans leur condamnation et des places différentes dans l’enfer ; comme il y a des degrés dans la félicité éternelle des élus et des places différentes dans le ciel. Cette gradation est déclarée dans les images sous lesquelles l’Écriture peint l’une et l’autre éternité : comme il y a, d’un côté, la « récompense du juste » et « la récompense du prophète, » le juste devant « reluire comme la splendeur du firmament » et « celui qui en a amené plusieurs à la justice comme les étoiles, » dont l’éclat ressort sur la splendeur du firmament ; il y a aussi, de l’autre, le châtiment « de Tyr et de Sidon » et le châtiment de « Chorazin et de Bethsaïda, » la sentence « de Sodome » et la sentence « de Capernaüm ; » et la différence qui est entre ces diverses peines est assez considérable pour que la Parole de Dieu ajoute que les unes seront « plus supportables » que les autres. C’est pourquoi, comme il se trouve au fond d’un précipice énorme des cavités nouvelles qui pénètrent plus profondément encore dans les entrailles de la terre, et qui sont comme un abîme dans l’abîme, ainsi, dans l’horrible condition de quiconque sera livré au « feu éternel, » il y aura un surcroît d’horreur pour ceux qui seront réservés aux derniers supplices. Et ces derniers supplices, pour qui seront-ils ? Pour le chrétien inconverti.
En effet, c’est une règle nettement établie dans les Écritures et dont le bon sens ne peut contester la justice, que « plus un homme aura reçu, plus il lui sera redemandé ; » que « celui qui a violé la volonté de son maître l’ayant connue, » sera battu de plus de coups que « celui qui l’a violée sans l’avoir connue (Luc 12.47-48) ; » et que, toutes choses égales d’ailleurs, le châtiment de chacun sera aggravé en raison des facilités qu’il aura eues pour se convertir. Et selon cette règle, à qui seront réservées les dernières places, sinon à vous, chrétiens inconvertis ? Qui, d’entre tous les hommes, a eu plus de facilités pour se convertir que ceux qui sont nés dans une Église chrétienne, qui invoquent le nom de Jésus-Christ, qui entendent la prédication de l’Évangile, qui ont en main la Parole de Dieu ? Qui a plus reçu, vous, ou ces malheureux païens qui s’agenouillent devant des dieux de bois et de pierre, qui mangent la chair de leurs ennemis et qui vivent comme les brutes qui périssent ? Si c’est vous, sachez que votre place dans l’enfer sera plus insupportable que celle de ces païens. Qui a plus reçu, vous, ou ces incrédules déclarés qui blasphèment le nom de Dieu, qui foulent aux pieds les choses saintes, et que la Parole de Dieu compare à des chiens profanes et à des pourceaux immondes ? Si c’est vous, sachez que votre place dans l’enfer sera plus insupportable que celle de ces incrédules. Qui a plus reçu, vous, où ces scélérats qui volent et qui tuent sur les grands chemins, et auxquels la société humaine est contrainte de donner la chasse comme à des bêtes féroces ? Si c’est vous, sachez que votre place dans l’enfer sera plus insupportable que celle de ces voleurs et de ces meurtriers. Et s’il n’est point d’hommes sur la terre qui aient autant reçu que vous, sachez qu’il n’en est point aussi qui ne puissent espérer dans l’enfer une place plus supportable que la vôtre. Croyez-en le Seigneur lui-même dans ces paroles terribles qu’il a prononcées contre les Israélites inconvertis de son temps : « Malheur à toi, Chorazin ! malheur à toi, Bethsaïda ! Car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous eussent été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties en prenant le sac et la cendre. C’est pourquoi je vous dis que Tyr et Sidon seront traitées plus supportablement que vous au jour du jugement. Et toi, Capernaüm, qui as été élevée jusqu’au ciel, tu seras abaissée jusque dans l’enfer. Car si les miracles qui ont été faits au milieu de toi eussent été faits dans Sodome, elle subsisterait encore. C’est pourquoi je vous dis que Sodome sera traitée plus supportablement que toi au jour du jugement (Matthieu 11.21-24). » Ce qui signifie, quand nous appliquons cette solennelle sentence à nous-mêmes : Malheur à toi, Europe ! malheur à toi, France ! Car si les témoignages qui ont été rendus au milieu de vous à la vérité de l’Évangile eussent été produits dans la Perse ou dans la Chine, il y a longtemps qu’un peuple nombreux s’y serait converti en confessant ses péchés et en croyant au Seigneur Jésus. C’est pourquoi je vous dis qu’au jour du jugement la Perse et la Chine seront traitées plus supportablement que vous. Et toi, Église de Mens, qui es célèbre entre nos Églises pour les bénédictions signalées que tu as reçues, tu ne seras pas moins célèbre un jour pour les jugements qui fondront sur toi si tu ne réponds point à tant de grâces. Car si l’Évangile eût été publié au milieu des Cafres ou des Tartares comme il l’a été au milieu de toi, il y a longtemps qu’il serait sorti de leur sein un grand peuple d’adorateurs de Dieu « en esprit et en vérité. » C’est pourquoi je vous dis qu’au jour du jugement les Cafres et les Tartares seront traités plus supportablement que toi. Oui, malheur à vous ! La mesure de vos privilèges sera la mesure de votre condamnation. Chaque grâce nouvelle que vous recevez sera un poids de plus jeté dans la balance de votre supplice éternel. De tous les hommes, ceux qui seront traités le plus insupportablement ; ceux que l’on montrera dans l’enfer comme les monuments les plus éclatants et les plus déplorables de la justice divine ; — ceux dont un damné dira à un autre damné : Que nous sommes heureux de n’être pas cet homme-là ! — ceux qui formeront comme un enfer à part dans l’enfer ; — ceux qui seront maudits entre les maudits et damnés entre les damnés, qui seront-ils ? … nommez-les vous-mêmes !
Je succombe sous le poids de mon sujet. Je n’ai pas le courage, je n’ai pas la force de m’arrêter plus longtemps sur la description d’une telle misère. Certainement cette description est trop faible, trop incomplète, au prix de la terrible réalité : mais, telle qu’elle est, je n’ai pas le courage, je n’ai pas la force de la soutenir. Le désordre du péché, la malédiction de Dieu, cette malédiction fixée dans l’éternité, et dans cet affreux partage la place réservée aux plus malheureux, quand je rassemble ces traits isolés de misère ; quand j’en fais dans mon imagination une seule misère qui les réunit tous ; quand j’applique par la pensée cette misère à une âme d’homme, quelle qu’elle soit ; quand je me dis enfin qu’il faut chercher cet homme, — où ? au bout de la terre ? non ; mais près de nous, — mais dans ces contrées, — mais dans ce peuple, mais dans ce temple, mais parmi ceux que je vois là devant moi, qui entendent maintenant ma voix, dont les regards rencontrent maintenant mes regards, — un frisson court dans mes veines, le cœur me manque, il me semble que la voix va m’échapper, et tout ce que je puis vous dire encore, c’est que de tous les spectacles de douleur que j’ai contemplés dans ma vie, le plus triste que j’aie jamais eu sous les yeux, c’est vous, qui que vous soyez, qui êtes dans cette condition ; et qu’aucune misère dont j’aie été témoin, aucune misère dont j’aie entendu parler, aucune misère que je puisse imaginer, ne me fait éprouver une compassion qui approche de celle que je ressens pour vous. Si je vous voyais pauvre, manquant de tout, ayant faim, ayant soif, ayant froid, j’aurais compassion de vous sans doute ; mais cette compassion n’approcherait pas de celle que m’inspire l’état où je vous vois. Si je vous voyais malade, en proie aux douleurs les plus aiguës, n’ayant de repos ni jour ni nuit, et près de rendre l’âme d’angoisse, j’aurais compassion de vous ; mais cette compassion n’approcherait pas de celle que m’inspire l’état où je vous vois. Si je vous voyais en deuil, pleurant près du corps inanimé d’une femme, d’un mari, d’un père, d’un enfant bien-aimé, j’aurais compassion de vous ; mais cette compassion n’approcherait pas de celle que m’inspire l’état où je vous vois. Si je vous voyais rejeté par les hommes, abandonné de votre père et de votre mère, trahi par la femme qui dort dans votre sein, maltraité par vos propres enfants, j’aurais compassion de vous, mais cette compassion n’approcherait pas de celle que m’inspire l’état où je vous vois. Et si je vous voyais accablé à la fois de toutes ces peines et de toutes les autres peines de cette vie qui se peuvent imaginer, et rassemblant en vous seul tous les maux de tous les malheureux, j’aurais compassion de vous, une tendre et vive compassion ; mais cette compassion n’approcherait pas de celle que m’inspire l’état où je vous vois. La compassion que vous m’inspirez est autant au-dessus de toutes celles que pourraient mériter tous les maux de cette vie, que l’éternité est au-dessus du temps et l’infini du fini. Cette compassion, rien de terrestre, rien d’humain, ne peut ni l’égaler ni l’exprimer ; et quelque grande qu’elle soit, elle devrait l’être davantage encore ; et si j’avais plus de charité, elle éclaterait devant vos yeux en un torrent de larmes…
Mais que parlé-je de mes compassions ? et pourquoi affaiblir mon sujet en laissant échapper l’expression de mes sentiments personnels ? Arrière les froides compassions de l’homme ! Elles sont trop indignes de la misère que nous déplorons. Il en est un autre qui a compassion de vous, c’est Dieu ! une compassion divine ; une compassion haute comme le ciel, profonde comme l’enfer ; une compassion telle que vous la révèlent les paroles qu’il vous adresse aujourd’hui : « Je suis vivant, que je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais plutôt à ce que le méchant se détourne de sa voie et qu’il vive. Détournez-vous, détournez-vous de votre méchante voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô maison d’Israël ? » Grand Dieu, Père des miséricordes ! fais pénétrer au fond de leur cœur ce cri d’alarme que tu as jeté toi-même sur eux ! Fais qu’ils ne puissent supporter plus longtemps leur condition, et qu’ils n’aient de force, qu’ils n’aient de voix, qu’ils n’aient de volonté, qu’ils n’aient de vie, que pour « fuir la colère à venir » et pour « saisir la vie éternelle ! » Amen.
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