L’office du ministère évangélique se compose de différents éléments, au milieu desquels domine la parole. La religion chrétienne, religion de liberté et de persuasion, est une parole. Jésus-Christ, qui est à la fois l’auteur et l’objet du christianisme, est appelé la Parolea. Même avant d’être venu en chair, il parlait déjà intérieurement à la conscience de tout homme ; car la parole n’est pas seulement cette série de sons articulés qui porte des idées dans les esprits, la parole est la pensée même. La pensée est une parole, comme la parole est une pensée. Mais cette Parole qui parlait hors du temps et intérieurement, a parlé dans le temps et extérieurement. Jésus-Christ a parlé par les faits, il a parlé par sa vie et par sa mort ; mais il a parlé aussi dans le sens ordinaire de ce mot. Il a prêché. Nous sommes appelés à répéter ses paroles ; mais il nous envoie comme il a été envoyé ; c’est-à-dire que, comme il s’est uni à la pensée de son Père, il veut que nous nous unissions à la sienne ; que nous soyons un avec lui, comme il est un avec son Père ; il frappe sur notre esprit comme sur un airain sonore, qui ne retentit pas sans vibrer ; il veut que, comme nous sommes les fils de sa pensée, nos frères deviennent les fils de la nôtre. Dieu a voulu que l’homme fût pour l’homme le canal de la vérité. La paternité naturelle est le symbole de nos rapports spirituels : nous nous engendrons mutuellementb. Il ne s’agit pas seulement de paroles à transmettre et à répéter, mais d’une vie à communiquer ; il faut que ces vérités dont se compose l’Evangile soient devenues vivantes et personnelles dans des personnes vivantes. La Parole n’a pas parlé une fois pour toutes (à moins qu’on ne prenne la lettre pour la Parole) ; la Parole parle sans cesse, et la lettre de l’Evangile n’est que le milieu nécessaire à travers lequel cette Parole parle à tous. L’institution du ministère ne s’explique que par là. Le ministre est ministre de la Parole de Dieu. Le christianisme, religion de la pensée, doit être parléc. On est autorisé à appeler ministres de l’Evangile, ou pasteurs, des hommes qui n’exercent pas le ministère de la parole ; on ne ferait en cela que suivre l’exemple des apôtres et de la primitive Église ; mais c’est aussi entrer dans leur sens que de donner la prééminence à l’enseignement, c’est-à-dire à la parole, parmi tous les travaux du ministère. Que les pasteurs qui s’acquittent bien de leurs fonctions soient jugés dignes d’un double honneur, principalement ceux (il y avait donc des pasteurs dont l’office n’était pas de parler) qui travaillent à la prédication de la parole et à l’instruction. (1 Timothée 5.17 ; 1 Corinthiens 14.1-5.)
a – Jean 1.1-4, 14
b – Voyez l’Essai sur la manifestation des convictions religieuses, pages 111-112.
c – Voyez Théologie pastorale, pages 5-6 et le commencement du Résumé de la première partie de l’Homilétique.
La parole est le grand moyen du pasteur. Elle se fait diverse selon ses différents emplois ; elle rompt le pain de vie, tantôt en plus petits, tantôt en plus grands morceaux ; elle l’émiette, s’il le faut.
Le ministre parle des hommes à Dieu c’est la prière ; et de Dieu aux hommes, c’est la prédication. La dernière de ces paroles doit seule nous occuper ici. Il prêche aux individus, à la communauté dispersée, à la communauté rassemblée en un même lieu. Nous ne voulons parler que de cette dernière espèce de prédication.
Il faut prêcher à la communauté rassemblée pour atteindre ceux qu’on n’atteindrait pas autrement, pour préparer dans le temple l’Église invisible qu’aucun temple ne peut contenir, et qui n’est à son état de pureté dans aucun, enfin pour donner à la parole tous les caractères et toute l’efficacité dont elle est susceptible. On pourrait s’adresser par écrit à la communauté ; mais la parole écrite ne saurait tenir lieu de l’autre et la rendre superflue.
Cette prédominance de la parole dans le culte chrétien lui imprime un caractère à part. Elle donne une réalité à la notion d’Église. Il n’y a pas d’Église mahométane, ni brahminique ; et certes, il n’y avait pas d’Église dans la religion d’Homère. Chez les Juifs, l’enseignement était séparé du culte (on dit le peuple juif plutôt que l’Église juive), s’il y avait une Église juive, c’était l’enseignement qui la formait, non le culte, et cette Église n’avait pas de centre. Ce n’est que chez les chrétiens que le culte et l’enseignement, coordonnés l’un à l’autre, interprétés l’un par l’autre, forment un tout.
[Chez les catholiques, la prédication prend peu de place ; chez nous, au contraire, elle est presque tout. Le temple, sauf certains moments du culte et quelques jours de l’année, est un auditoire. Il n’a, ce semble, d’autre but que de réunir des auditeurs autour d’un homme qui leur parle. Aussi dit-on du catholique qu’il va à la messe, et du protestant qu’il va au sermon. On signale ainsi, sans y songer, la prédominance peut-être trop exclusive de la prédication dans le culte protestant.] Entre autres inconvénients, ce système a celui d’attribuer trop à l’individu.
[Ceci ne détruit pas ce que nous avons dit de la transmission de la vérité d’un individu à l’autre. Cependant n’est-il pas possible que l’habitude de n’aller au temple que pour entendre le discours, et la réduction de tout le reste à peu de chose, ait pour effet de ne faire voir qu’une personne et qu’un moment, le prédicateur et la prédication ? Et n’importerait-il pas que l’efficacité du culte fût plus indépendante de la personne du prédicateurd ?]
d – Voyez Théologie pastorale, pages 7 à 10
Quoi qu’il en soit, dans les deux cultes qui nous suggèrent ces réflexions, la parole est d’une haute importance. Un ministre, dans l’un comme dans l’autre, est essentiellement un homme qui parle la parole de Dieu. Or, la parole de prédication, qui est une parole de réconciliation et de sanctification selon les oracles de Dieu (1 Pierre 4.11), peut-elle être l’objet d’un art ?