nA Messieurs les Pasteurs du Val-de-Ruz
n – Brochure parue en 1846.
Messieurs et bien chers Frères,
Il y a quelques mois, vous avez fixé pour sujet d’une de nos conférences ordinaires la question traitée dans ces lignes, et vous m’avez invité à vous présenter sur ce sujet un rapport qui pût servir de texte à notre entretien fraternel. Après avoir, dans une double conférence, examiné avec soin les idées principales de ce rapport, vous avez cru pouvoir y donner votre assentiment et vous m’avez engagé à les publier en les éclairant des lumières nouvelles que la discussion avait fait jaillir.
Vous êtes donc, chers Frères, à bien des titres, les vrais auteurs de ces lignes. Consentez à en être aussi les patrons auprès du public et à en accepter l’offrande comme un faible témoignage de la vénération et de l’affection que vous m’inspirez, ainsi que du bonheur toujours croissant que j’éprouve à unir mes mains aux vôtres dans l’œuvre de ce saint Ministère dont nous venons de rechercher ensemble et la base et le plan, dans la Parole de Dieu.
Si vous avez approuvé le contenu de ces lignes, vous approuverez certainement aussi la destination du produit éventuel de leur publicationo. Nous venons d’être témoins d’un acte qui fournira à l’histoire de l’Eglise, une de ses belles pages, et qui défend la cause du saint Ministère plus éloquemment que toutes les paroles. En face de cet acte de foi vous ne vous êtes pas permis sans doute de prononcer un jugement de condamnation sur ceux d’entre les pasteurs du canton de Vaud qui, par un motif de conscience aussi peut-être, n’avaient pas cru devoir s’y associer. Vous ne vous êtes point permis non plus de décider la question de savoir si une résistance inflexible mais purement passive, n’eût point été une voie plus sûre pour parvenir au saint but que poursuivent nos Frères ; mais, quelque réserve que vous ayez dû apporter dans vos jugements, vous n’en avez pas moins senti toutes vos sympathies se porter là où saignaient aux yeux de tous les plaies les plus vives, et votre cœur a ratifié ce que disait naguère un de nos collègues d’un autre vallon : « Depuis le jour où nos frères de Vaud ont donné leur démission il ne s’est pas passé un soir où en jetant un dernier regard sur ma famille rassemblée et sur ma paisible cure, je n’aie pensé à eux et ne me sois dit : Qu’ils viennent ! Cette demeure est aussi la leur. »
o – Le produit de la vente de cet ouvrage est destiné à être remis au Comité de secours pour les pasteurs démissionnaires du canton de Vaud.
Ces sentiments sont ceux de nous tous ; j’ai éprouvé le besoin de les exprimer ici. Que le Seigneur accomplisse temporellement et spirituellement envers nos Frères sous la croix cette promesse : « Celui qui perdra sa vie pour l’amour de moi, la retrouvera. » Qu’il veille sur Sion, dans ces jours de crise, ce Gardien qui ne sommeille point, et qu’il y conserve cette tour du saint Ministère sans laquelle il n’y a pour Sion, selon les décrets de son Roi, ni liberté au dehors, ni ordre au dedans ! Amen !
Ce travail n’embrassera, ni la question du Darbysmep, ni celle du saint Ministère, dans leur totalité ; il traitera chacune d’elles uniquement dans son rapport à l’autre, et l’une et l’autre ainsi restreintes, seulement dans leur rapport aux textes bibliques. Nous laisserons donc de côté, du Darbysme, tout ce qui se rapporte spécialement à l’apostasie de l’Eglise et à l’interprétation des prophéties relatives au retour de Christ ; et des textes bibliques relatifs au Ministère, tout ce qui se rapporte à la lutte contre le hiérarchisme catholique.
p – Ce nom est beaucoup trop personnel sans doute, comme celui de Plymouthisme beaucoup trop local. Il serait à désirer qu’on en eût un qui caractérisât le système en lui-même. Mais les éléments hétérogènes dont ce système se compose, rendent le choix d’une telle dénomination difficile. Qu’il nous soit donc permis d’employer ici le terme qui est le plus généralement usité parmi nous.
Pour la connaissance du côté historique du Darbysme, nous renvoyons à l’ouvrage de M. le professeur Herzog : Les frères de Plymouth, Lausanne, 1845. Cet ouvrage ne présente pas de points de vue d’ensemble, mais il ne laisse rien à désirer quant aux détails historiques. S’il pèche à cet égard, c’est, ce me semble, par le trop, plutôt que par le trop peu.
La question que nous chercherons à résoudre, est simplement celle-ci : comment la Parole de Dieu juge-t-elle le procès que M. Darby vient d’intenter au saint Ministère tel qu’il est établi au milieu de nous ?
Pour résoudre cette question, commençons par exposer le système de M. Darby lui-même sur ce point.
Nous ne pouvons malheureusement pas recourir ici aux propres paroles de l’auteur de ce système : nulle part il n’a résumé ses vues sur le Ministère d’une manière claire et suivie. On est réduit à les recueillir, comme des matériaux épars et de forme souvent assez bizarre, dans les quelques brochuresq que l’auteur a publiées sur ce sujet, et à en recomposer un édifice assez complet pour pouvoir y appliquer le cordeau de la Parole de Dieu. C’est ce que j’ai tenté de faire. Si je n’ai pas entièrement réussi : l’auteur ne pourra méconnaître au moins la bonne foi avec laquelle j’ai cherché à m’approprier ses pensées. Cependant la liaison et l’harmonie parfaite du système dont je vais rendre compte, semblent, garantir la vérité du tableau.
q – Les principales sont celles intitulées : Le Ministère considéré dans sa nature, etc. 1843 ; et de la présence et de l’action du Saint-Esprit dans l’Eglise, en réponse à l’écrit de M. Wolff sur le Ministère, Genève 1844. La première renferme bien des idées sérieuses et frappantes ; la seconde ne me paraît point mériter le jugement sévère qu’en porte M. Herzog, page 81 de son ouvrage.
M. Darby ne nie pas le Ministère ; seulement il l’établit et l’explique autrement que nous. Le Ministère de la Nouvelle Alliance, selon lui, n’est pas une charge ; c’est tout simplement l’exercice fidèle et consciencieux d’un don conféré par le Saint-Espritr, comme le dit saint Pierre, 1 Pierre 4.10 : « Que chacun de vous administre le don qu’il a reçu, au service des autres, comme étant de bons dispensateurs de la grâce variée de Dieu. » Il n’y a rien là d’officiel, d’humainement établi ou reconnu ; c’est un acte religieux et moral, dont l’individu n’est responsable qu’à Christ, le chef du Corps. De même que, dans le corps humain, outre la vie commune qui anime tout l’organisme, chaque organe possède en outre une aptitude, une faculté, et par là une fonction particulière pour l’utilité du tout, ainsi, dans l’Eglise qui est le corps de Christ, outre le don général du Saint-Esprit, qui est commun à tous les fidèles, chacun d’eux possède en outre une qualité, une aptitude, un don spécial qu’il doit, administrer pour l’utilité de l’ensemble. (Romains chapitre 12 ; 1 Corinthiens chapitre 12)
r – διακονια χαρισματος.
C’est là le Ministère de la Nouvelle Alliance. Chaque chrétien y a part dans une mesure et sous une forme quelconque. Ainsi vous avez le don de consolation ; rendez-vous chez les malades et les affligés, et exercez auprès d’eux votre don ; c’est là votre ministère. Vous avez le don d’exhortation ; parlez, dans les assemblées ou en particulier, pour encourager et pour réveiller vos frères ; c’est là votre ministère. Vous avez le don d’annoncer l’Evangile à ceux du dehors ; allez et venez comme évangéliste, partez comme missionnaire ; c’est là votre ministère, ministère dont vous êtes responsable à Christ, et à Christ seul.
Ce Ministère de la Nouvelle Alliance n’a d’autre pouvoir que celui que lui attire l’influence procurée par l’administration consciencieuse et par la supériorité relative du don qui lui sert de base. Et que l’on ne soit pas inquiet de ce pouvoir ; il se fonde sur quelque chose de supérieur à une délégation officielle et à une consécration de main d’homme. Il se fonde sur la puissance vivante de l’Esprit de Dieu qui confère le don et qui sait bien, quand et comme il lui plaît, lui ouvrir la voie et lui donner efficace. Que si quelqu’un prétend exercer un don qu’il n’a pas, un tel ministère restera sans influence et retombera de lui-même dans son néant.
Voilà, suivant M. Darby, l’idée biblique du Ministère de la Nouvelle Alliance. Sa nature, c’est le libre exercice d’un don spécial qui nous est conféré par le Saint-Esprit, sa source, c’est le Saint-Esprit, qui distribue les dons à chacun comme il lui plaîts ; son but, c’est la manifestation dans l’Eglise, et, par l’Eglise, dans le monde, de la gloire et des richesses incompréhensibles de Christ, pour l’accroissement et la prospérité de l’Eglise ; son terme enfin, c’est, comme le dit saint Paul (Ephésiens chapitre 4), l’arrivée de l’Eglise à la mesure de la parfaite stature de Christ. Le Nouveau Testament ne connaît pas d’autre Ministère.
s – Καθως βουλεται, 1 Corinthiens 12.11.
Mais à côté de cette administration individuelle des dons, qui dans son ensemble forme le Ministère Chrétien, la Parole de Dieu, selon M. Darby, nous parle encore de charges, telles que celles d’Evêque (ou Ancien) et de Diacre. Ces charges sont quelque chose de tout autre que le Ministère. Le but d’une charge n’est pas directement la manifestation des richesses de Christ, la communication d’une grâce spirituelle pour la conversion d’une âme ou l’édification de l’Eglise ; le but que le Nouveau Testament assigne aux charges, est plutôt l’administration de quelque chose d’extérieur, comme la distribution aux tables, pour les diacres (Actes chapitre 6), le maintien de l’ordre extérieur et la direction des affaires temporelles, pour les anciens ou évêquest. Sans doute, un diacre et un ancien pouvaient bien, outre leur charge, posséder un don et l’exercer en ministère ; ainsi Etienne joint à la charge de diacre le don de prophétie ; mais cette union d’une charge et d’un ministère était dans ces cas-là purement accidentelle et personnelle ; et ce qui le montre bien, c’est que tandis que le Ministère ne supposait, comme nous l’avons vu, aucune élection ou consécration humaine et reposait tout entier sur une aptitude particulière ajoutée par le Saint-Esprit à la grâce générale de la régénération, la charge, au contraire, était le résultat d’une vocation et d’une élection humaine, et ne supposait d’autre condition que le don général du Saint-Esprit, tel qu’il est communiqué à tous les fidèles. Voyez l’élection des diacres par l’Eglise de Jérusalem, Actes chapitre 6, celle des anciens par Paul et Barnabas, Actes 14.23, et ces nombreux passages des Epîtres à Tite et à Timothée, où Paul donne à ces deux mandataires apostoliques l’ordre d’établir des anciens et des diacres dans les églises, et pose pour condition d’élection, non tel ou tel don spécialu, mais des choses qui, au fond, doivent se retrouver à un certain degré chez tous les fidèles, une conduite irréprochable, une doctrine saine, une certaine aptitude à enseigner, et une famille bien gouvernée(1 Timothée chapitre 3 ; Tite chapitre 1) ; passages qui achèvent de prouver qu’il ne s’agissait nullement, dans ces charges, de l’exercice d’un don spirituel pour le salut ou la nourriture des âmes, mais plutôt d’une surveillance et d’une administration extérieure.
t – C’est du moins ainsi que j’ai compris M. Darby sur ce point, sur lequel je ne crois pas qu’il se soit jamais expliqué clairement. Il y a en effet là, si je ne me trompe, une des grandes difficultés de son système.
u – Χαρισμα.
En résumé, il faut donc, d’après M. Darby, distinguer deux choses dans la primitive Eglise :
- Les ministères, auxquels nomme le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit seul, en conférant tel ou tel don spécial ; ministères, qui s’exercent sous responsabilité purement morale et individuelle, sans aucune participation
- Les charges, qui se rapportent à des objets extérieurs, qui ne supposent d’autre condition que le don général du Saint-Esprit, et auxquelles le Seigneur, Chef de l’Eglise, élit d’une manière extérieure, par l’intermédiaire d’hommes qualifiés par lui pour cela, comme les Apôtres ou leurs délégués.
des hommes, et qui tendent à avancer l’assemblage spirituel des saints et l’édification du corps de Christ ;
Voilà, aux yeux de M. Darby, tout ce que la Parole de Dieu enseigne touchant le Ministère Chrétien.
Maintenant, comment le Ministère actuellement établi répond-il à ce Ministère biblique des dons, d’une part, et à ces charges administratives, de l’autre ?
Quant au ministère comme exercice libre et spontané d’un don, le Ministère actuel en est en tous points l’opposé. En effet, le premier est conféré par le Saint-Esprit, le second l’est par les hommes. Celui-là appartient à tous, à tous ceux que l’Esprit y appelle en leur conférant un don ; celui-ci est strictement limité à un certain nombre d’individus. Celui-là ne requiert qu’une influence, celle que lui procure l’énergie, la supériorité ou l’exercice fidèle du don ; celui-ci réclame une autorité indépendante de l’exercice et de la nature du don. Celui-là s’exerce gratuitement ; celui-ci se fait salarier, et dans la pratique, ressemble plus à un métier qu’à une activité spontanée de l’Esprit. En un mot, le contraste entre le Ministère biblique des dons et le Ministère actuel est tel, qu’un défenseur du second (M. Wolff) a naïvement avancé contre le premier, que le rétablir serait donner un coup de mort au Ministère actuel.
Mais si le Ministère actuel ne peut se soutenir comme réalisation du Ministère biblique des dons, peut-être se soutiendra-t-il comme continuation des charges administratives dans l’Eglise apostolique ? En effet, ces charges étaient quelque chose de permanent, en quelque sorte d’officiel ; et on y était appelé par l’intermédiaire des hommes, en vertu de l’imposition des mains, ce qui ressemble davantage au Ministère actuel.
Mais, d’abord, le Ministère actuel ne prétend pas se rapporter à une administration purement extérieure, celle confiée aux charges dans la primitive Eglise ; il réclame encore pour lui et et pour lui seul tout le domaine spirituel. Et en second lieu, qui confère actuellement le saint Ministère ? Dans les Eglises nationales, le clergé existant ; chez certains troupeaux dissidents, le troupeau lui-même. Or, qui leur a conféré ce droit ? Il n’y a dans l’Eglise qu’un droit, celui du Chef, de Christ. Ce droit, Christ, à son départ, a choisi douze délégués pour l’exercer en son nom. Ceux-ci ont donc eu le droit, sans aucun doute, de nommer, à des charges dans l’Eglise, et même d’y faire nommer leurs mandataires (Tite et Timothée, par exemple) que1 clergé, quel troupeau actuellement existant peut produire un mandat apostolique qui lui confère le droit de nommer à une charge dans l’Eglise de Jésus-Christ ? Et dès lors toute nomination pareille n’est-elle pas une usurpation des droits apostoliques, un empiétement sur le droit de Christ ? N’est-ce pas comme si, dans un royaume, à la mort du gouverneur d’une province, le monarque tardant ou se refusant, par des raisons à lui connues, à nommer un successeur à ce gouverneur, l’une des autorités de la province nommait de son propre chef à la charge vacante, ou s’en emparait ? Tant qu’il n’y a, de l’aveu de tous, dans l’Eglise, ni Apôtre ni délégué apostolique, la nomination à une charge ecclésiastique quelconque n’est et ne peut être qu’une usurpation.
Le Ministère évangélique actuel est donc, conclut M. Darby, très anti-évangélique. Il ne peut se soutenir, d’après la Parole de Dieu, ni comme réalisation des ministères de dons, ni comme une continuation des charges administratives. Il altère les premiers et les secondes en prétendant les réunir et les confondre en lui seul. Il ne reste par conséquent aux fidèles, qu’à se séparer le plus tôt possible d’un pareil ordre de choses contraires à la Parole, et sur lequel les châtiments de Dieu sont proches et inévitables ; qu’à s’affranchir d’un joug écrasant et purement humain, et qu’à se réunir, non pas en églises, ce qui supposerait le rétablissement des charges et par conséquent de la présence d’un Apôtre, mais en simples assemblées de culte, selon cette promesse du Sauveur, indépendante de toute organisation ou non-organisation ecclésiastique : « Là ou deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux ». Le vrai Ministère, l’exercice des dons, pourra du moins, selon ce que l’Esprit accordera, se réaliser librement dans des assemblées ; aucun prétendu ordre humain, vrai désordre divin, n’en étouffera la manifestation ; et quand le Seigneur trouvera bon, soit par l’envoi d’un Apôtre, soit par son propre retour, de tirer enfin son Eglise de cet état de ruines et de la rétablir glorieuse dans la possession des charges et dans la plénitude des dons, il ne rencontrera dans ces assemblées rien à condamner et à détruire ; il n’y trouvera qu’à édifier.
Voilà un exposé, aussi fidèle qu’il m’a été possible de le faire, des vues darbystes sur le Ministère.
Avant de passer à la seconde partie de ma tâche, la confrontation de ce système avec la Parole de Dieu, je me permettrai deux remarques générales, qui me paraissent ressortir d’elles-mêmes de l’exposé que je viens de faire.
1. Remarquons d’abord, que la plupart des coups par lesquels on croit en général pouvoir abattre cet ennemi, en réalité ne l’atteignent pas.
On lui reproche, par exemple, de rejeter le Ministère ; oui, le nôtre ; mais non pas celui qu’il envisage comme le seul vrai et le seul biblique. Celui-ci, le Darbysme prétend au contraire le rétablir.
On l’accuse de donner la main, par sa doctrine du Ministère universel, au radicalisme politique. Il y a ici une coïncidence apparente, mais apparente seulement. Le radicalisme, en fait de pouvoir, fait tout venir d’en-bas ; le Darbysme, au contraire, fait tout procéder d’en-haut. Avec ses apparences radicales, le Darbysme est au fond, quant aux dons, une pure aristocratie, l’aristocratie (prétendue) du Saint-Esprit, et quant aux charges, une oligarchie, peut-être même une monarchie absolue, celle de l’apostolat.
On reproche encore au Darbysme d’être un retour au Catholicisme, par son principe de la succession nécessaire des charges. Le principe darbyste est en effet, sur ce point, analogue à celui du Catholicisme ; mais quant au fait, l’opposition entre le Darbysme et le Catholicisme est néanmoins complète ; car, d’après M. Darby, la chaîne de la succession épiscopale est entièrement brisée dès le deuxième siècle, tandis que l’Eglise romaine affirme la continuité de cette chaîne jusqu’à nos jours.
On croit enfin, fréquemment, n’avoir qu’à alléguer quelques passages des Epîtres à Tite et à Timothée sur l’institution des anciens et des diacres, pour porter un coup mortel au Darbysme. L’exposé précédent montre que ce système aussi croit pouvoir rendre bon compte de ces passages.
2. Une seconde réflexion plus importante est celle-ci : Quel que soit notre jugement définitif sur le Darbysme, nous croyons que l’Eglise se ferait grand tort à elle-même, et méconnaîtrait les intentions de la Providence, si elle ne voyait dans ce système qu’un ennemi. Accueilli par elle avec charité, cet adversaire (comme tout adversaire) se changera certainement en un ami, qui contribuera à réveiller dans son sein le sentiment de plusieurs vérités importantes. Je n’indiquerai que ces deux : la première, c’est que le vrai Ministère chrétien, le Ministère d’esprit et de viev dont parle saint Paul, ne peut être conféré par une simple consécration humaine, mais doit reposer sur un appel et sur un don vivant de l’Esprit. Il peut sans doute être autre chose encore que l’exercice de ce don ; mais il doit être cela. Il est utile, nécessaire même sans doute, que l’autorité s’ajoute à l’influence ; mais malheur, de nos jours, au Ministère chez lequel l’influence n’accompagnerait et ne sanctifierait pas l’exercice de l’autorité ! Une telle autorité se ferait d’autant plus facilement méconnaître, qu’elle prétendrait s’imposer davantage. C’est donc tout en haut, dans la puissance de la vie indissoluble dont parle l’apôtre (Hébreux 6), et non dans une charte humaine, que le Ministère doit, aujourd’hui plus que jamais, puiser sa force.
v – Διακονια πνευματος, ζωης, 2 Corinthiens 3.
La seconde vérité que le Darbysme rappelle avec énergie, c’est qu’il est des dons spirituels départis à tous les fidèles sans exception, dons que le Ministère doit, non pas repousser et étouffer, mais accueillir, cultiver et utiliser. Ces dons-là, quoique étrangers parfois au Ministre, ne le sont pas au Ministère ; et peut-être de nos jours serait-ce l’un des plus grands dons d’un Pasteur, de savoir se les associer, et compléter par leur moyen son propre ministère.
A ces deux égards, j’appliquerais volontiers aux reproches, parfois amers, du Darbysme, ce que David disait des imprécations de Siméi : « Laissez-le, maudire c’est l’Eternel qui le lui a dit. »
Mais tout en donnant notre plein assentiment à tout ce que le système de M. Darby renferme de réellement vrai et salutaire pour l’Eglise dans le temps actuel, et en reconnaissant la nécessité d’élever et de maintenir le Ministère à la hauteur de ces vérités éternelles, irons-nous jusqu’à dire avec M. Darby, que l’institution actuelle du Ministère est anti-biblique, et qu’il ne reste plus aux pasteurs qu’à quitter leur poste et à livrer leur chaire à ceux que l’Esprit pressera d’y monter ? Ceci est une autre question qu’il s’agit d’examiner, la Parole de Dieu à la main. Fidèle au plan que je me suis tracé, je ne dirai rien des conséquences pratiques qu’entraînerait la réalisation en grand de pareilles vues. Je ne rechercherai qu’une chose : ces vues expriment-elles réellement le contenu des textes bibliques relatifs au saint Ministère, n’y ajoutant rien, n’en retranchant rien ?
Toute la doctrine de M. Darby sur le Ministère repose, comme on l’a vu, sur la séparation qu’il établit entre les Ministères de dons et les Charges. Les charges, dont les caractères paraissent être, selon lui, l’absence de tout don spécial, l’élection, par intervention humaine et l’emploi pour des usages temporels, sont : le diaconat, dont l’institution est racontée, Actes 6 et l’épiscopat, ou charge d’anciena, dont nous trouvons des traces dès les premiers temps de l’Eglise (Actes 11.30 ; 14.23). Les ministères, dont les caractères sont, au contraire, la présence d’un don spécial comme base, l’exercice de ce don sans élection humaine, et l’application à des usages tout spirituels, abondent dans la primitive Eglise, comme le démontrent les énumérations qu’en donne saint Paulb ; ce sont :
a – M. Darby admet avec nous, en opposition à l’Eglise catholique, que les termes d’évêque et d’ancien ne désignent dans l’Eglise apostolique qu’une seule et même charge. C’est ce qui ressort en effet avec évidence des passages suivants, comparés dans le texte original :
• Actes 20.17 comparé avec 28.
• Tite 1.5 comparé avec 7.
• 1 Pierre 5.1 et 2.
L’origine de ce double nom pour une même charge est aisée à comprendre. Le nom d’ancien, déjà usité chez les Juifs pour une charge semblable (Luc 6.3), passa de la Synagogue dans l’Eglise de Jérusalem. et de là dans les Eglises formées d’entre les Juifs. Dans les Eglises formées d’entre les païens, le nom grec d’évêque, c’est-à-dire surveillant, prévalut sur celui d’ancien, qui était d’origine juive.
b – Romains 12.6-8 ; 1 Corinthiens 12.7-11 ; 28-30 ; Éphésiens 4.11.
- L’apostolat, toujours placé en tête ;
- La prophétie, qui suit immédiatement ; ce don est mentionné, Actes 13.1 ; 1 Thessaloniciens 5.21, etc., et se manifestait par des allocutions vives et saisissantesc
- Le don des langues, qui, à la Pentecôte, est certainement la faculté de parler en langues étrangères existantes, mais qui, plus tard, comme à Corinthe, paraît avoir consisté plutôt dans un état d’extase accompagné d’émissions de voix extraordinaires, inarticulées, mais sonores et mélodieusesd
- Le don d’interprétation, par lequel une personne mise par le Saint-Esprit en relation intérieure avec celle qui parlait en langues, rendait compte à l’Eglise du sens de ce que disait cette dernière (1 Corinthiens 14.27-28) ;
- Le ministère d’évangélisation, qui se rapportait sans doute à la prédication ambulante de l’Evangile (Éphésiens 4.11 ; 1 Timothée 4.5) ;
- Le ministère d’enseignement, ou de doctrine, qui consistait dans une exposition claire et tranquille des vérités du salut (Actes 13.1 ; 1 Corinthiens 14.26 ; Jacques 3.1, etc.) ;
- Puis, les différents ministères relatifs à la cure d’âme ou aux fonctions pastorales, comme le don de consoler (1 Corinthiens 12.28), d’exhorter (Romains 12.7), de gouverner (1 Corinthiens 12.28), de paître (Éphésiens 4.11) ;
- Enfin, les opérations miraculeuses, comme les guérisons de malades (1 Corinthiens 12.28 ; Jacques 5.14), et les expulsions de démons (1 Corinthiens 12.28).
c – 1 Corinthiens 14.24-25. « Si tous prophétisent et qu’il entre quelque étranger il se prosternera la face contre terre et confessera que Dieu est véritablement parmi vous. »
d – 1 Corinthiens 14.2,4,7-9,19,23 ; etc. M. Darby n’admettra pas, sans doute, cette interprétation du don des langues. Elle n’est pas certaine, il est vrai ; mais cependant c’est de beaucoup la plus probable. Elle seule explique bien ce chapitre 1 Corinthiens 14. En tout cas, ceci est sans conséquence pour la question du Ministère.
Telle était la variété, la richesse des ministères dans l’Eglise apostolique. Qu’avaient de commun, dit M. Darby, ces manifestations spontanées et libres de la puissance du Saint-Esprit, avec les charges administratives d’ancien et de diacre ! Les ministères de l’Esprit et les charges sont deux séries distinctes dans l’Eglise apostolique. Le grand tort de l’Eglise postérieure est de les avoir réunies et confondues en un seul et même ministère ; confusion qui est encore la base de l’institution du Ministère actuel. A l’appui de cette thèse, M. Darby cite surtout avec confiance quatre listes ou énumérations des ministères de l’Esprit, dans les Epîtres de saint Paul, listes qui ne renferment point les dénominations d’ancien ni de diacre, et qui prouvent ainsi la distinction tranchée établie par la primitive Eglise entre les ministères et les charges.
C’est ici assurément le point décisif. Trouvons-nous, comme le prétend M. Darby, dans l’Eglise apostolique, d’un côté, les dons s’exerçant en ministères libres pour l’édification de l’Eglise, de l’autre, les charges, résultat d’une élection humaine pour une administration extérieure ; cela comme deux séries sans points de contact. Le procès est jugé en faveur de M. Darby. Pouvons-nous démontrer, au contraire, que ces deux séries sont deux courants sortis originairement d’une même source, et qui, après s’être séparés un moment, tendent de plus en plus, dès les temps apostoliques, à se rapprocher et à se confondre en un seul fleuve, instrument futur de la fécondité de l’Eglise, alors nous sommes sur la voie pour justifier l’institution actuelle, laquelle n’est autre chose, dans son principe, que la fusion du don divin et de la charge humaine en un seul et même Ministère. C’est donc là le véritable nœud de la question. Il m’a été déclaré franchement par un partisan de M. Darby, que si l’on pouvait prouver que l’un des ministères nommés par saint Paul dans l’une des quatre listes, désignât les charges d’ancien ou de diacre, c’en était fait du Darbysme. Examinons donc ces quatre listes, et voyons si en effet les charges en sont exclues, comme il le semble au premier coup d’œil.
Voici le tableau résumé du contenu de ces listes :
- Sept ministères, savoir : prophétie, ministèree, enseignement, exhortation, distribution, présidence, aumône. Romains 12.6-8
- Neuf ministères : discours de sagesse pratiquef, discours de connaissance contemplativeg, foi énergique en miraclesh, guérisonsi, miraclesj, prophétie, discernement des esprits, langues, interprétation. 1 Corinthiens 12.7-11
- Deux catalogues, dont l’un renferme, huit dons, l’autre sept ; six sont communs aux deux, savoir : apôtres, prophètes, docteurs, miracles, guérisons, langues ; puis, dans l’un, consolation et gouvernementk, et dans l’autre, interprétation. 1 Corinthiens 12.28-30
- Quatre ministères (on peut en compter aussi cinq) : apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et docteurs. Éphésiens 4.11.
e – Διακονια.
f – Σοφια.
g – Γνωσις.
h – Πιστις.
i – Χαρισματα ἰαματων.
j – Ενεργηματα δυναμεων.
k – Αντιληψις et γυβερνησις.
Qui ne serait frappé, en effet, de l’absence des noms de diacre et d’ancien dans ces listes, et comment s’étonner que M. Darby ait cru trouver là une preuve irréfragable de la vérité de son système ! Mais ne nous arrêtons pas à la superficie, et analysons ces listes.
Dans la première (Romains 12), au milieu des autres ministères, entre la prophétie et le doctorat, est indiqué un ministère appelé spécialement ministère. Le mot grec employé ici (diaconia) signifie proprement service, et a dans l’Ecriture un sens très indéterminé : quelquefois il désigne l’activité, chrétienne en général, en tant que service continuel envers le Seigneur ; d’autres fois il désigne une forme spéciale de cette activité, la charge d’ancien, par exemple (Colossiens 4.17) ; plus souvent encore celle de diacre, dont ce mot était même devenu le titre spécial (Philippiens 1.1 ; 1 Timothée 3.8). Il est clair que dans chaque cas particulier c’est au contexte à décider, non du sens (il est invariable), mais de l’application plus ou moins générale ou particulière à faire du sens de ce mot. Dans la liste dont il s’agit ici, et au milieu de tous ces ministères spéciaux, il est évident que le sens général d’activité, chrétienne est inadmissible et que ce terme de ministère ou diaconie ne peut désigner ici qu’un ministère spécial, proprement appelé de ce nom. Or, peut-on indiquer un office qui soit dans ce cas, autre que la charge du Diaconat ? Saint Paul lui-même, dans cette épître, quelques chapitres plus bas, fait usage de ce terme dans ce sens appellatif (la diaconesse Phébé, 16.1).
Dans cette même liste (Romains 12), il est question d’un ministère de présidencel ; ce ministère est sans doute le même que celui de gouvernementm, dont il est parlé dans, la seconde énumération (l Corinthiens 12). Que faut-il entendre par là ? Le système de M. Darby nous interdit d’y voir une indication des fonctions de l’Ancien ou Evêque. M. Darby n’a point encore indiqué clairement, à mon sû du moins, la nature des fonctions épiscopales dans la primitive Eglise ; et c’est là pour lui un point difficile, précisément parce que son système lui défend d’attribuer à l’Evêque aucune des fonctions énumérées dans ces listes. Mais saint Paul, qui n’était pas lié par le système de M. Darby, ne nous laisse aucun doute sur la question de savoir à qui appartenait la fonction de présider et de gouverner dans la primitive Eglise (1 Timothée 3.4-5) :
l – Ο προἰσταμενος.
m – Κυβερνησις.
« Celui-là seul, dit-il, est propre à être évêque, qui a bien présidé sa propre maisonn ; car si quelqu’un ne sait pas présider sa propre maison, comment prendra-t-il soin de celle de Dieu ? »
n – Il emploie le même mot que Romains 12 : προἰσταμενον
Et (1 Timothée 5.17) il veut « que les anciens qui ont bien présidéo soient jugés dignes d’une double récompense. » Quel est donc ce ministère de présidence et de gouvernement dont parle saint Paul dans les listes Romains 12 et 1 Corinthiens 12 sinon précisément la charge d’ancien ou d’évêque, quant à l’une de ses principales attributions ?
o – Οἱ καλως προεστωτες πρεσβυτεροι.
Dans la liste Éphésiens 4.11, le dernier ministère indiqué par saint Paul est celui des pasteurs et docteurs. (La tournure de la phrase dans l’original indique, sinon la fusion complète, au moins la réunion fréquente de ces deux ministères.) Qui devons-nous nous représenter comme chargé de ce ministère de cure d’âme et d’enseignement, dans l’Eglise apostolique ? Quant à la fonction de pasteur, saint Paul résout assez clairement la question quand (Actes 20), s’adressant aux anciens de l’église d’Ephèse, qu’il avait convoqués à Milet, il leur dit : « Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques, pour paîtrep l’Eglise de Dieu. » Qui était donc chargé du soin de paître le troupeau de Christ dans la primitive Eglise sinon les évêques ? Qui sont, par conséquent, les pasteurs désignés Éphésiens 4.11, sinon les évêques ?
p – Le mot grec employé ici (ποιμαινειν) est le même que celui employé Éphésiens 4.11, pour désigner la fonction de pasteur (ποιμην)
Ce passage (Actes 20) présente encore à M. Darby une difficulté que nous devons mentionner en passant. M. Darby, comme nous l’avons vu, prétend que dans la primitive Eglise c’était le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit seul, qui conférait les ministères en conférant les dons, tandis que les charges étaient conférées par les hommes. Mais saint Paul dit ici aux anciens d’Ephèse : « le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques. » Or, l’épiscopat étant une charge, comment saint Paul peut-il dire que c’est le Saint-Esprit qui y a nommé ? A cela M. Darby répond, sans doute, que le Saint-Esprit est pris ici dans un sens impropre, pour désigner les Apôtres agissant par le Saint-Esprit. Mais comment saint Paul pourrait-il dire, comme il le ferait dans ce cas : « le troupeau sur lequel les Apôtres vous ont établis évêques pour paître l’Eglise de Dieu ? » Paître est un don auquel, d’après M. Darby, aucun homme, non pas même les Apôtres, ne peuvent nommer. De quelque manière que nous retournions cette phrase, voici donc toujours saint Paul nous parlant, ou d’une charge conférée par le Saint-Esprit, ou d’un don conféré par les Apôtres ; ce qui, dans les deux cas, le met en contradiction avec M. Darby.
Revenons à nos listes. Ce n’est pas seulement le passage des Actes que nous venons de citer, qui prouve que les pasteurs, dans la primitive Eglise, n’étaient autres que les évêques. « Vous étiez autrefois, dit saint Pierre, comme des brebis errantes ; mais maintenant vous êtes revenus au pasteur et évêque de vos âmes » (1 Pierre 2.25). Si l’épiscopat était ce qu’en fait M. Darby, une charge purement extérieure et sans rapport au pastorat, cette image qu’en tire saint Pierre, et cette intime alliance de mots : au pasteur et évêque, pourraient-elles s’expliquer ? Le même apôtre dit (1 Pierre 5.1) : « J’exhorte les anciensq, moi leur co-ancien… paissezr le troupeau de Dieu parmi vous, le surveillants etc. » Ne ressort-il pas de là, que la fonction de paître le troupeau était l’office propre de l’épiscopatt?
Le résultat de tous ces passages de saint Paul et de saint Pierre, est donc que les pasteurs (Éphésiens 4.11) ne sauraient désigner, dans la pensée de saint Paul, aucune autre personne que celle des anciens.
q – Quelques-unes de nos traductions ont remplacé ici, comme dans d’autres passages, le mot du texte : anciens, par celui de pasteurs. Nous voulons prouver précisément la vérité de cette traduction ; mais pour cela nous avons besoin de rétablir la traduction littérale.
r – Ποιμανατε
s – Επισκοπουντες
t – M. Darby objectera peut-être, que dans ce passage le nom d’ancien désigne une autorité d’âge et non de charge. Et la manière dont saint Pierre oppose aux anciens les plus jeunes (1.5), pourrait certes donner quelque poids à cette objection. Cependant, l’abus d’autorité contre lequel Pierre prémunit les anciens (l.2-3), nous force de penser à une supériorité, non d’âge seulement, mais de position ecclésiastique. Et si nous nous, rappelons que dans les Eglises auxquelles Pierre écrivait, la charge d’ancien était ordinairement confiée, comme chez les Juifs, aux doyens d’âge du troupeau, nous comprendrons la relation d’idées qui amène (verset 5) l’opposition : quant aux plus jeunes.
Au titre de pasteurs saint Paul ajoute, dans la même liste, celui de docteurs. Ceci bien loin d’ébranler le résultat que nous venons d’obtenir, quant à la personne des pasteurs, ne fait, au contraire, que le confirmer. Sans, vouloir prétendre, en effet, que la charge d’enseigner n’appartînt dans ces premiers temps qu’aux anciens, il est évident, par les passages suivants de saint Paul, que c’étaient essentiellement eux qui étaient chargés de ce soin :
1 Timothée 3.2, saint Paul recommande à son disciple de n’imposer les mains pour l’épiscopat qu’à des hommes qui aient le don d’enseigner. « Car, dit-il, il faut que l’évêque soit un homme apte à enseigneru ». Ce n’est pas là une qualité accidentelle, secondaire ; c’est une condition essentiellev, aussi essentielle que les qualités morales indiquées avant et après.
u – Ανηρ διδακτικος.
v – Δει, il faut.
Dans l’Epître à Tite 1.9, après avoir énuméré également les qualités morales indispensables à un ancien, saint Paul termine par ces mots : « Tenant ferme à la vraie doctrine, afin qu’il puisse exhorter aussi les autres dans cette doctrine et convaincre les contredisants. » Enfin, quand, dans ce même passage, Paul donne à l’ancien le titre d’économe de Dieu, cela ne rappelle-t-il pas celui d’économes des mystères de Dieu, qu’il donne aux prédicateurs de la Parole (1 Corinthiens 4.1) ? Et ces passages ne nous montrent-ils pas dans la personne des Anciens, aussi bien que dans celle des Apôtres, la réponse à cette question prophétique du Seigneur : « Quel est l’économe fidèle et prudent que le maître a établi sur ses domestiques pour leur donner dans le temps la mesure ordinaire de blé ? » (Luc 12.42)
D’après ces passages, il n’est pas douteux que par ces docteurs, que saint Paul identifie en quelque sorte par la forme de l’expression avec les pasteurs (Éphésiens 4.11), il ne veuille désigner très particulièrement les Anciensw. Paul paraît vouloir dépeindre, par cette double dénomination, la charge d’ancien dans ses deux attributions les plus importantes, la cure d’âme et l’enseignement. On voit comment chaque mot, en quelque sorte, nous pousse à un résultat contraire à la thèse de M. Darby.
w – M. Darby a fait observer avec raison que la forme de l’expression : pasteurs et docteurs, ne prouvait pas nécessairement l’identité des deux ministères ; voyez Éphésiens 2.20. Aussi n’est-ce pas là-dessus que nous nous sommes appuyés.
Le ministère des pasteurs et docteurs est précédé, dans cette même liste, de celui des Evangélistes. Ces Evangélistes, ou prédicateurs ambulants (en opposition aux pasteurs et docteurs à poste fixe) remplaçaient, dans la primitive Eglise, la Parole écrite qui n’existait pas encore, et au degré le plus éminent devenaient les aides et les compagnons d’œuvre des apôtres. Le seul exemple bien connu que nous possédions d’un évangéliste, c’est Timothée. Saint Paul désigne son ministère comme l’œuvre d’un évangéliste (2 Timothée 4.5). C’est probablement ce don d’évangéliste qu’il l’exhorte à raviver en lui (2 Timothée 1.6) ; et dès lors nous pouvons penser que tous les aides apostoliques, comme Silas, Tite, Marc, Luc, étaient des évangélistes. Or, puisque, d’après M. Darby, ces évangélistes exercent un ministère de don, et non une charge ; puisque, d’après les expressions formelles de saint Paul (Éphésiens 4.8,11), (expressions que M. Darby presse fortement, et nous n’avons aucune raison de rien rabattre de leur énergie), les évangélistes eux-mêmes, dans leur personne, sont un don de Christ glorifié à l’Eglise ; que résulte-t-il de là, selon M. Darby, quant à l’origine de ce ministère ? Que toute vocation et consécration humaine qui tendrait à changer ce Ministère de l’Esprit en charge, est incompatible avec son essence même, et ne viserait à rien moins qu’à lier l’Esprit par de terrestres entraves ! Et cependant, voici comment saint Luc nous raconte l’origine du ministère de Timothée (Actes 16.1) : Paul, dans son second voyage en Asie-Mineure, ayant besoin d’un aide, appelle Timothée pour l’accompagner, non ensuite de quelque révélation d’en haut mais tout simplement ensuite du bon témoignage qui était rendu à ce jeune homme par les fidèles des troupeaux de Lystre et d’Iconie. Voilà pour la vocation. Quant à l’exercice de la vocation, saint Paul trouve bon de l’inaugurer par une consécration en forme ; et non content d’imposer lui-même les mains à ce jeune frère, il les lui fait imposer encore par tout le Presbytère, c’est-à-dire, par tout le Collège des Anciens de Lystre, comme il le lui rappelle expressément, 2 Timothée 1.6 ; 1 Timothée 4.14. Est-ce là la manière dont devrait, suivant le système de M. Darby, commencer un ministère de don ? Ce mode de procéder de saint Paul ne ressemble-t-il pas parfaitement à celui d’après lequel furent établis les Anciens dans ces mêmes villes, par Paul et Barnabas (Actes 14.25) ? Si la vocation et la consécration sont les caractères d’une charge, le ministère de Timothée n’est-il pas empreint ici du sceau d’une véritable charge, et ne reconnaissons-nous pas, comme à l’œil, dans cet exemple, combien est factice le système qui, au nom de la liberté du Saint-Esprit, déclare incompatibles le don divin et la charge humaine ?
C’est ce qu’un autre exemple, plus frappant encore, va nous prouver.
Dès le sein de sa mère, saint Paul avait été choisi pour devenir un instrument d’élite comme prédicateur de l’Evangile. Cependant, lorsque l’heure décisive est arrivée où son ministère doit commencer, comment y est-il appelé ?
« Il y avait, nous dit l’Esprit Saint, dans l’église d’Antioche, quelques prophètes et docteurs, savoir : Barnabas, Simon appelé Niger, Lucius le Cyrénéen, Manahem et Saul. Comme donc ils vaquaient au service du Seigneur, et qu’ils jeûnaient, le Saint-Esprit leur dit : Séparez-moi Barnabas et Saul, pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés. Après donc qu’ils eurent jeûné, et prié, ils leur imposèrent les mains et les firent partir. Eux donc, étant envoyés par le Saint-Esprit, etc. » (Actes 13.1-4)
Comme, dans ce passage, l’action de Dieu et l’action de l’homme, bien loin de s’exclure, s’unissent admirablement pour produire, d’abord, le ministère d’Evangéliste, et bientôt l’Apostolat de saint-Paul !x Dès longtemps, et lui et Barnabas sont appelés à cette œuvre par le Saint-Esprit ; cependant, c’est par l’intermédiaire de leurs collègues que Dieu veut que s’opère leur vocation définitive. Ils sont certainement remplis d’un don spécial pour ce ministère ; cependant, ce don n’est pas soustrait, mais soumis à la reconnaissance de l’Eglise et à l’imposition des mains. Ce sont les hommes qui les font partir ; et cependant c’est le Saint-Esprit qui les envoie. C’est ainsi que, jusque sur les degrés de l’Apostolat, nous retrouvons cette coopération de l’élément divin et de l’élément humain, cette transformation du don en charge, dont M. Darby nie la possibilité.
x – Saint Paul, quoique Apôtre dès longtemps dans le plan de Dieu, ne paraît d’abord ici que comme prophète et docteur ; il devient évangéliste par l’imposition des mains ; de là la position de son nom après celui de Barnabas, dans le commencement du voyage (Actes 2.7). Ce n’est que peu-à-peu qu’il acquiert aux yeux de l’Eglise cette position et cette autorité apostolique que dès longtemps il possède dans la pensée divine.
Et l’Apostolat, enfin, ce don suprême de Christ à l’Eglise, par lequel saint Paul commence trois des quatre listes que nous examinons, cette clef de la voûte dans la constitution de la primitive Eglise, comment nier qu’il ne soit une charge en même temps qu’un don ! Les Apôtres, saint Paul lui-même, n’ont-ils pas été élus extérieurement (Luc 6.12-13 ; Actes 26.16) ? Le nombre précis de douze, correspondant au nombre des Tribus d’Israël, n’indique-t-il pas une véritable charge dans l’Eglise (Matthieu 19.28) ? La manière dont, au chapitre 1 des Actes, les Apôtres s’empressent de remplir la place devenue vacante par la trahison de Judas, ne nous confirme-t-elle pas qu’il s’agit, dans l’Apostolat, non d’un don intérieur et spontané de l’Esprit seulement, mais d’une charge officielle ? L’Apostolat était à la fois le plus éminent des dons et la plus éminente des charges, car il reposait sur cet Esprit de Témoignage (Jean 15.26, 37) donné aux Apôtres, en prémices pendant la vie du Sauveur, en plénitude à la Pentecôte ; et il découlait d’une élection extérieure faite par la personne même du Seigneur. L’Apostolat nous présente ainsi, au faîte des Ministères de la primitive Eglise, la fusion du don et de la charge au degré le plus éminent de l’un et de l’autre.
Résumons maintenant le résultat auquel nous a conduit l’examen de ces quatre listes, invoquées par M. Darby.
Les Charges, c’est-à-dire, les ministères dépendant d’une vocation et consécration extérieure, ne sont nullement exclues de ces listes, comme le prouvent ces ministères de Diaconie, de Présidence, de Gouvernement, de Cure d’âme, d’Enseignement, d’Evangélisation, et d’Apostolat, qui y sont mentionnés ; donc, le don du Saint-Esprit n’est point exclusif de la charge officielle, ni l’inverse ; au contraire, là où les choses se passent selon la Parole de Dieu, le don provoque plutôt la charge, comme la charge à son tour confirme le don. Le don est l’indice de la volonté du Chef ; la charge est la marque de la reconnaissance du don par le Corps. C’est le don qui donne au Ministère son influence ; la charge lui confère l’autorité. Il n’y a rien là de contradictoire. Nous retrouvons au contraire ici, sous une forme particulière, le grand principe qui est à la base de tout l’ensemble et de tous les détails du Christianisme, cette coopération du divin et de l’humain que l’esprit sectaire a toujours cherché à détruire, soit en confondant, soit en isolant les deux principes coopérants.
Une seule objection pourrait encore, ce me semble, troubler l’évidence de ce résultat : Pourquoi, dans ces listes, saint Paul ne mentionne-t-il pas par leur nom les charges du Diaconat et de l’Episcopat, et n’indique-t-il que le don qui leur sert de base ? Quant au Diaconat, il ne le saurait le mentionner plus expressément qu’il ne fait, Romains 12, puisqu’il n’y avait pas d’autre nom pour cette charge que celui qu’il emploie ici. Quant à l’Episcopat, rappelons-nous le but de saint Paul dans toutes ces énumérations. Il ne veut certainement pas donner une statistique des offices ecclésiastiques de son temps ; il veut encourager les fidèles par le tableau de la variété admirable des dons que Christ accorde à l’Eglise, pour son accroissement au dehors et son édification au dedans. Or si, dans l’Episcopat comme dans chaque charge ecclésiastique, il y a deux faces, le don divin qui est le fond, l’âme, et la sanction humaine qui est la forme, le corps de la charge, on comprendra facilement qu’ici, où il s’agissait de faire ressortir l’œuvre de Christ, c’était sous la première face que Paul devait présenter la charge en question. Le titre d’Evêque était ici insignifiant ; c’était le don divin dans la charge, le Pasteur, le Docteur dans l’Evêque, que Paul devait montrer aux fidèles, à la louange de la grâce infiniment variée de Christ.
S’il ne s’agissait que de démontrer par la Parole de Dieu, la compatibilité du don et de la charge et leur fréquente fusion en un Ministère, dans l’Eglise apostolique, notre tâche serait, je crois, remplie ; et le principe du Ministère actuel, qui n’est autre que cette fusion même, serait justifié contre les attaques de M. Darby. Mais, même après la solution de cette question fondamentale, plusieurs des objections de détail de M. Darby subsistent encore dans toute leur force. Les listes mêmes que nous venons d’examiner, tout en consacrant par plusieurs exemples le principe, de la régularisation du don en charge, mentionnent à côté de ces dons régularisés, et en quelque sorte médiatisés, d’autres dons qui paraissent avoir toujours conservé leur entière indépendance, comme ceux de prophétie, de langues, de connaissance contemplative dont l’exercice ne paraît pas avoir été régularisé jamais par une consécration extérieure. De là naît une objection contre notre Ministère actuel, qui ne comporte point dans son sein cet élément libre. En lisant les Epîtres aux Corinthiens, on est même forcé d’avouer que c’étaient précisément ces dons absolument libres dans leur exercice, qui fournissaient la plus large part à l’édification, du troupeau, tandis que les charges régulières ne jouaient dans les assemblées de l’Eglise qu’un rôle tout-à-fait secondaire. Aujourd’hui, au contraire, les charges ont tout envahi ! Que dis-je, les charges ? Une charge, qui seule a survécu aux autres, exerce le monopole le plus complet dans l’Eglise, et cela sous la forme la plus monarchique ! Ce n’est pas même un Collège d’Anciens, qui gouverne et édifie le troupeau ; c’est un seul homme, qui réunit tout en sa personne, la cure d’âme et l’enseignement, l’administration et la discipline. Ajoutez à cela des formes, comme celles du salaire régulier, des études scientifiques préparatoires, et de l’imposition des mains, sans mandat apostolique ; et vous aurez la mesure du contraste entre l’état actuel de cette charge et son modèle dans la primitive Eglise.
Ici s’ouvre donc une nouvelle lutte, non plus sur le principe du Ministère actuel, mais sur le mode de réalisation et sur les applications diverses de ce principe. Le fondement a beau être justifié ; l’édifice construit dessus ne l’est pas encore. Or il est évident que pour juger ce nouveau procès, des textes isolés ne suffisent plus. Recourons donc maintenant à une autre voie. Cherchons à réunir en un tableau tous les traits disséminés dans la Parole de Dieu sur le Ministère Chrétien, et puis, laissons ce tableau décider. Seulement, avant d’entreprendre cette nouvelle tâche, remarquons que ce tableau, pour être fidèle doit nécessairement devenir une histoire. C’est l’un des plus grands défauts de cette théologie anglaise, si féconde en fruits du genre de celui que nous analysons en ce moment, de se représenter l’Eglise apostolique comme une institution fixe, invariable, parachevée dans ses formes dès le premier jour, et cristallisée à jamais dans le moule où la main de la Providence l’a jetée à l’heure de sa naissance. A quelles conséquences ne mène pas un tel point de vue ! C’est en partant de ce principe, qu’on a pu et qu’on a dû dire que l’institution des Diacres (Actes 6) avait été le premier pas vers l’apostasie de l’Eglise. En effet, c’était le premier changement apporté à la forme de l’Eglise depuis le jour de la Pentecôte ! De telles conséquences jugent leur principe.
Non ; la constitution de l’Eglise n’est pas, comme la forme du cristal, sous l’empire d’une formule mathématique. L’Eglise est le corps de Christ, un organisme spirituel, manifestant une vie, et dès lors susceptible d’un développement, d’un mouvement dans les limites de sa propre idée. Tout changement de constitution n’entraîne pas nécessairement pour elle une chute. Ses formes peuvent, doivent même changer, selon les divers degrés de sa vie intérieure selon la mesure de son accroissement extérieur, et enfin selon la diversité des milieux à travers lesquels son Chef trouve bon de la faire passer. Ainsi, dans ce court espace de temps appelé la période apostolique, un observateur impartial est forcé de reconnaître, non seulement de grandes différences entre les églises contemporaines, mais encore les traces d’une transformation en grand dans l’ensemble de la constitution de l’Eglise et des églises ; transformation rapide, semblable à celle que subit l’enfant dans le sein maternel.
Ce sont ces phases successives que nous allons chercher à caractériser, quant au sujet dont nous nous occupons ici.
Jésus n’avait laissé à ses Apôtres aucune direction positive sur la constitution de l’Eglise. Contrairement à la manière d’agir des fondateurs humains, le fondateur de l’Eglise, se confiant entièrement en la divinité de son œuvre, avait abandonné l’organisation extérieure de cette œuvre à l’Esprit de vie qui devait le remplacer ici-bas. Cependant nous trouvons dans plusieurs de ses paroles l’indice de l’existence future d’un Ministère régulier et permanent dans l’Eglise. Durant sa vie terrestre, il institue des Apôtres ; il ordonne à Pierre de paître ses brebis et ses agneaux ; il parle de vignerons auxquels sera confiée la vigne du royaume de Dieu, et qui en rendront les fruits ; de pêcheurs qui jetteront le filet, d’ouvriers qui cultiveront le champ et voudront en arracher l’ivraie avant le temps ; enfin, de serviteurs préposés aux autres et chargés de leur distribuer au temps convenable la mesure ordinaire de blé. Voilà tout autant d’images par lesquelles Jésus avait positivement institué à l’avance dans son Eglise le contraste de deux éléments ; l’un, essentiellement réceptif et dirigé, les ceps, les brebis, les poissons, les épis, les serviteurs de rang inférieur ; l’autre, essentiellement actif et directeur, les vignerons, les bergers, les pêcheurs, les ouvriers, les serviteurs d’un rang supérieur.
Cependant cette distinction était une de ces choses auxquelles s’appliquait sans doute, dans la pensée de Jésus, cette parole : « J’aurais encore bien des choses à vous dire, mais vous ne pouvez maintenant les porter. » La Pentecôte, en donnant naissance à l’Eglise, réalise et détermine ces indications.
Dans le premier instant qui suit ce grand événement, le principe directeur se concentre dans les douze Apôtres. En effet, malgré la large répartition du don des langues en ce premier jour de l’Eglise, les Apôtres sont le foyer d’où tout part, auquel tout converge. C’est eux qui se présentent solennellement devant le peuple (Actes 2), pour rendre témoignage à Christ glorifié ; c’est eux qui vont de maison en maison, rompant le pain, annonçant la Parole ; c’est à leurs pieds que l’on dépose les dons de la charité fraternelle ; c’est eux qui les distribuent ; c’est par leurs mains que s’opèrent les miracles ; tout le peuple, les fidèles eux-mêmes, sont saisis de frayeur à la vue des jugements et des prodiges qui s’opèrent par leur moyen (Actes 5.11-12).
C’est ici la première phase du Ministère, phase que l’on pourrait caractériser spécialement du nom d’apostolique. Car en ce moment le Ministère est tout entier concentré dans l’Apostolat. Les Apôtres éprouvent un premier accomplissement de cette promesse : « En vérité je vous dis, à vous qui m’avez suivi, que lorsque le Fils de l’homme sera assis sur le trône de sa gloire dans le renouvellement, vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël. »
Cependant cet état du Ministère ne dure pas et ne peut durer, par deux raisons. En premier lieu, l’accroissement extérieur de l’Eglise rend le Ministère apostolique matériellement insuffisant. Les Apôtres eux-mêmes le reconnaissent, et sentent bientôt la nécessité de se décharger d’une partie de leurs fonctions, et d’abord de la partie de ces fonctions qui leur paraît la moins importante, de la distribution des aumônes. De là l’institution des Diacres (Actes 6), provoquée par les Apôtres eux-mêmes. Il n’est pas juste de dire que la nomination à cette charge ne supposât aucun don spécial ; à côté du don général du Saint-Esprit, les Apôtres indiquent encore, comme condition d’élection au diaconat ; la sagessey, qui est aussi un don spécial (1 Corinthiens 12). Ce don, organisé en charge par l’imposition des mains apostoliquesz, devient le Diaconat ; et l’élément directeur dans l’Eglise est partagé, dès ce moment, en deux charges.
y – Σοφια.
z – Les apôtres apparaissent encore ici, vis-à-vis de l’Eglise qui élit, comme seuls porteurs de l’autorité ecclésiastique.
Mais cet appui ne paraît pas avoir longtemps suffi. L’accroissement continuel de l’Eglise, surtout sa propagation hors de Jérusalem, et le devoir toujours plus senti par les Apôtres, de remplir leur mission spéciale et l’office propre de leur chargea, les forcent à abandonner peu-à-peu la position pastorale qu’ils avaient prise, dans le premier moment vis-à-vis de l’Eglise de Jérusalem, et à prendre la position apostolique à laquelle il sont appelés vis-à-vis de l’Eglise entière. Le vide qui se forme par là dans la direction spéciale du troupeau de Jérusalem, est rempli par une nouvelle charge, celle d’Ancien ou Evêque, dont l’institution ne nous est pas racontée, mais dont nous trouvons les premières indications, Actes 11.30 ; 15.2, et qui, ainsi que la charge de diacre, se répand dans toutes les Eglises chrétiennes, tant celles formées d’entre les Juifs (1 Pierre 5.1-4 ; Jacques 5.14, etc.), que celles formées d’entre les païens (Actes 14.23 ; Philippiens 1.1 ; 1 Timothée 3 ; Tite 1).
a – « Vous me servirez de témoins, tant à Jérusalem que dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes 1.8).
La charge d’Ancien était naturellement supérieure à celle de diacre : son origine postérieure l’indique ; car ce n’est qu’à mesure que l’Apostolat se retire, si j’ose ainsi dire, de bas en haut dans la sphère d’action qui lui est propre, que naissent successivement les charges. D’après ce qu’on a vu plus haut, les dons essentiellement requis pour la charge d’Ancien étaient ceux de gouvernement, d’enseignement et de cure d’âme ; ce qui indique suffisamment la nature des fonctions assignées à cette charge dans la primitive Eglise.
Ainsi nous voyons le Ministère, l’élément actif, se multiplier en charges diverses à mesure que l’Eglise grandit et qu’elle offre à la fois une plus grande surface à cultiver et une plus grande abondance de dons à utiliser.
Le résultat de cette première transformation est donc l’application de l’Apostolat à la tâche qui lui est propre, celle du témoignage rendu dans tout le monde à Christ vu et entendub, et l’abandon du soin des pauvres et des soins pastoraux dans chaque Eglise particulière aux Diacres et aux Anciens. Mais, ainsi restreint, l’Apostolat ne suffit point encore à sa tâche ; il appelle à son aide des hommes doués aussi du don de témoignage, quoique dans une moindre mesure, et partage avec eux : le ministère de l’Evangélisation. Ce sont Tite, Timothée, Luc, Marc, Silas, Barnabas ; ce dernier est même parfois appelé apôtre, tant la transition entre ce nouveau ministère et l’apostolat est insensible. Ainsi naît la charge d’Evangéliste, qui fut pour Paul aussi le marche-pied pour s’élever à l’apostolat. Si l’Episcopat peut s’appeler la localisation de l’Apostolat, la charge d’Evangéliste en est comme la multiplication ; multiplication d’autant plus nécessaire que le témoignage apostolique écrit manquait alors à l’Eglise, et que l’Apostolat ne possédait pas ce don de toute présence, qu’il a acquis aujourd’hui par la dissémination des Saintes-Ecritures.
b – « Vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes dès le commencement avec moi » (Jean 15.27).
« Il faut donc que de ceux qui ont été avec nous, pendant tout le temps que le Seigneur a vécu parmi nous, depuis le baptême de Jean, jusqu’au jour où le Seigneur a été enlevé d’avec nous, il y en ait un qui soit témoin avec nous de sa résurrection » (Actes 1.21-22)
« Ne suis-je pas apôtre ?… N’ai-je pas vu le Seigneur ? » (1 Corinthiens 9.2).
Rien de plus naturel et de plus aisé à comprendre, ce nous semble, que cette apparition successive des Charges dans l’Eglise apostolique, et que le rapport de ces charges aux besoins qui les provoquaient, d’une part, aux dons qui les animaient, de l’autre.
Mais à cette première modification du Ministère apostolique primitif, en correspond une seconde, qui s’opère parallèlement à la première et par une raison toute intérieure. Les charges absorbaient sans doute une partie considérable des dons que l’Esprit répandait dans l’Eglise ; mais dans ce temps de grâce et de richesse surabondante, une grande partie de ces dons devait nécessairement rester sans emploi officiel. Leur manifestation ne devait cependant pas être étouffée. Il ne faut pas éteindre l’Esprit, dit saint Paul. A côté du ministère régulier des Charges, devait donc se former un certain nombre de ministères irréguliers, si l’on peut employer cette expression, provenant de ceux des dons que leur trop grande abondance ou leur nature tout-à-fait instantanée ne permettait pas de régulariser en charges.
Nous pouvons envisager comme une première apparition de ces ministères libres, ces langues parlées, au jour de la Pentecôte, non seulement par les douze, mais par les cent-vingt Actes 1.15 ; 2.1. Ces ministères libres se multiplient bientôt dans l’Eglisec. Les langues, les prophéties, les révélations particulières appelées par saint Paul connaissanced, les opérations miraculeuses, comme les guérisons et les expulsions de démons, ne sont que des rameaux divers de cette branche extra-officielle du Ministère, qui forme l’un des plus beaux ornements de l’Eglise naissante.
c – M. Darby range encore dans cette catégorie la prédication des chrétiens dispersés après le martyre d’Etienne (Actes 8.4). C’est là, en effet, un ministère, mais le ministère universel confié à tous les chrétiens, qui ne repose sur aucun don spécial et qui n’est autre chose que le devoir imposé à tous, de la confession du nom de Christ. Cette prédication ne saurait donc être citée comme exemple de ministère, non pas même dans le sens darbyste ; car elle ne repose pas sur un don spécial. C’est un devoir universel, dont la négligence n’entraîne rien moins que la damnation Luc 9.26.
d – Γνωσις (1 Corinthiens 13.2, 8).
Ainsi, à mesure que l’Apostolat, qui avait d’abord rempli toute la sphère du Ministère, se retire dans la fonction qui lui est propre, se forme, peu à peu un second état de choses ; les dons spirituels départis à l’Eglise entière entrent en exercice, et le Ministère non-apostolique se divise en deux branches : l’une, provenant des dons régularisés par l’imposition des mains (l’influence du don est ici rehaussée par l’autorité de la charge) ; l’autre, formée des dons qui conservent leur complète indépendance et qui s’exercent en ministères aussi irréguliers que le don lui-même. Le Livre des Actes et les Epîtres de saint Paul nous montrent ces deux formes de ministère prospérant l’une à côté de l’autre. Quelquefois elles sont réunies dans un même homme ; ainsi Etienne le diacre est en même temps plein du don de prophétie ; Paul l’apôtre parle en langues, prophétise, guérit, plus que quelque Corinthien que ce soit (1 Corinthiens 14). D’autres fois, une même fonction ecclésiastique s’exerce sous les deux formes, le ministère d’enseignement par exemple, qui, d’une part, est exercé par des docteurs aussi libres que les prophètes (Actes 13.1) ; et qui, de l’autre, forme un élément essentiel de la charge d’ancien (Tite 1 ; 1 Timothée 3) ; peut-être en était-il de même du ministère d’Evangélisation ; régularisé en charge chez Timothée, il est possible qu’il fût spontané chez d’autres.
Quoi qu’il en soit des détails, il est évident que ces deux espèces de Ministères, les dons régularisés en charges et les dons libres, co-existent, coopèrent dans l’Eglise naissante, et cela sous l’ombre tutélaire de l’Apostolat.
Cependant, comme cette seconde période du Ministère s’est développée insensiblement de la précédente, elle n’est à son tour qu’une transition à un troisième état de choses qui se forme peu à peu dans les églises et que nous trouvons universellement réalisé à la fin du siècle apostolique. Les Epîtres de saint Paul, consultées dans leur ordre chronologique, indiquent assez nettement les phases de cette nouvelle transformation dont l’Apocalypse marque le terme et le résultat.
Dans les Epîtres aux Thessaloniciens, qui sont les premières en date, il est bien question des dons spirituels, en particulier de celui de prophétie : « N’éteignez pas l’Esprit ; ne méprisez pas les prophéties ; éprouvez toutes choses, retenez ce qui est bon. » (1 Thessaloniciens 5.19-21). « Nous vous prions de ne vous point laisser ébranler dans vos pensées par quelque révélation » (2 Thessaloniciens 2.2). Cependant ces dons paraissent n’avoir atteint, dans cette église, qu’un assez faible développement. Saint Paul est obligé, comme nous venons de le voir, d’exhorter le troupeau à ne pas les mépriser, à ne pas étouffer l’action de l’Esprit, mais à écouter ces allocutions libres où l’humain se mêle hélas si facilement au divin, et à retenir ce qui peut s’y trouver de bon. Le seul passage qui semble faire allusion à des charges régulières dans cette Eglise est 1 Thessaloniciens 5.12. « Nous vous prions d’avoir en considération ceux qui travaillent parmi vous et qui président sur vous selon le Seigneur et vous exhortent. » Mais les expressions sont trop indéterminées pour qu’il soit permis de rien conclure de positif de ce passage.
C’est dans l’église de Corinthe, que nous trouvons le plus riche épanouissement des dons spirituels, comme saint Paul se plaît à le reconnaître en commençant sa première Epître à cette église : « Je rends grâces continuellement à mon Dieu pour vous à cause de la grâce qui vous a été donnée en Jésus-Christ, de ce que vous avez été enrichis en lui en toutes choses, en toute parole et en toute connaissance, de sorte qu’il ne vous manque aucun don » (1 Corinthiens 1.4-7).
Dans ce moment là, l’église de Corinthe nous présente le printemps de l’Eglise au milieu des peuples païens, comme la Pentecôte et les jours qui la suivent, nous offrent le tableau de cette même saison dans l’Eglise sortie du peuple Juif. Les dons surabondent à Corinthe ; saint Paul compte jusqu’à neuf ministères différents dans une de ses listes. Sans vocation, sans consécration, sans préparation extérieure, ils surgissent, en quelque sorte, au milieu des assemblées, par la seule impulsion de l’Esprit, et suffisent complètement à l’édification du troupeau (1 Corinthiens 15).
L’épiscopat et le diaconat semblent presque n’exister pas à Corinthe ; du moins n’est-il fait que très légèrement allusion à ces charges, lorsque Paul parle du ministère de gouvernement (1 Corinthiens 12.28), et peut-être, lorsqu’il dit (1 Corinthiens 16.16), en parlant de la famille Stephanas, qui s’est consacrée au service des saints : « Je vous prie d’être soumis à de tels hommes et à tous ceux qui les aident et travaillent avec eux. » C’est l’Apôtre saint Paul lui-même, qui, de sa main ferme, relève et manie la houlette pastorale, échappée, ce semble, aux mains des Anciens, au milieu des manifestations bouillonnantes de la puissance de l’Esprit dans ce troupeau ; c’est grâce à son autorité apostolique, qu’il réussit à contenir dans de justes bornes ce fleuve des dons libres, qui, par les affluents provenant du cœur corrompu de l’homme, menaçait déjà de se changer en un torrent dévastateur. De là les sérieux avertissements sur la nécessité de l’humilité au chapitre 12, de la charité au chapitre 13, et de l’ordre au chapitre 15.
Il y a certainement en ce moment, dans cette église, une distinction marquée entre les ministères libres (comme la prophétie, les langues) auxquels est confiée l’édification de l’Eglise, et les charges d’ancien et de diacre, dont la place serait peut-être envahie par les dons, si l’apostolat ne venait l’occuper et en remplir momentanément les fonctions. (Voyez par exemple, 1 Corinthiens 5). N’est-ce point là le moment, dans le développement de l’Eglise apostolique, qui a frappé M. Darby et dominé exclusivement sa plume dans le plan qu’il trace de l’organisation de l’Eglise et du Ministère pour tous les temps ? Mais de la convenance d’un état de choses dans un moment donné, l’on ne doit pas conclure à sa convenance pour tous les tempse. C’est ce que la suite de cette histoire va nous montrer.
e – On raconte que, dans les premières guerres de la révolution française, les soldats inspirés par l’enthousiasme, comprenaient d’eux-mêmes leurs devoirs et semblaient pouvoir se passer de chefs. Eût-il été sage de conclure de là à l’inutilité des emplois militaires et au système de guerre libre ?
Dans l’Epître aux Romains, qui chronologiquement se range après celles aux Corinthiens, l’apôtre mentionne encore une grande abondance de dons. Au chapitre 12, il en compte sept. Cependant ces dons sont non seulement moins nombreux, mais aussi d’un genre de manifestation moins extraordinaire qu’à Corinthe. Ce sont des opérations plus simplement morales, si je puis ainsi dire ; il n’est plus question de langues et d’interprétation, de miracles et de guérisons, mais de prophétie, de ministère, de distribution, de présidence, d’aumônes (versets 6 à 8) ; d’où l’apôtre passe sans transition à l’amour sans hypocrisie et aux autres vertus chrétiennes (versets 9 et suivants). Le torrent semble commencer à se renfermer dans le lit où il doit couler plus tard.
Dans l’Epître aux Ephésiens, écrite assez longtemps après celle aux Romains, à une église à laquelle ne paraissent pas avoir manqué, dans le commencement, les dons miraculeux (voyez, par exemple, Actes 19.6), les seuls ministères que saint Paul mentionne encore, sont ceux d’Apôtre, de Prophète, d’Evangéliste et de Pasteur et Docteur. Ce mot de dons, qui remplit une si grande place dans la première Epître aux Corinthiens, ne paraît pas dans toute celle-cif ; d’où il ne faut pas conclure, sans doute, à la non-existence absolue de ces dons (pas plus qu’à Corinthe nous n’aurions eu le droit de conclure de la non-mention des charges à leur non-existence) ; mais il faut bien conclure de cette circonstance à un affaiblissement considérable dans le degré de l’action et de l’importance de ces dons. On voit ainsi les dons du Saint-Esprit se diviser peu-à-peu en deux classes : d’un côté, les dons qui, surnaturels sans doute dans leur principe, qui est l’Esprit de Dieu, tendent néanmoins à rentrer, quant à leur manifestation, dans le cours ordinaire des choses ; ce sont ceux qui servent de base aux charges, et qui doivent se conserver dans l’Eglise ; et de l’autre côté, les dons miraculeux non seulement dans leur principe mais aussi dans leur manifestation. Ceux-ci, plus éclatants que nécessaires, occupent une place toujours moins relevée et toujours moins large dans la vie de l’Eglise.
f – Non pas même 4.7-8. Le mot grec est tout autre.
Dans l’Epître aux Colossiens, contemporaine de celle aux Ephésiens, même silence sur les dons de cette seconde classe ; mais une commission pour l’Evêque (4.17) : « Dites à Archippe : prends garde au Ministère que tu as reçu du Seigneur, afin que tu le remplisses. »
L’Epître aux Philippiens, écrite plus tard encore (tout à la fin du premier emprisonnement de Paul, à Rome), est également muette quant à ces dons ; mais la salutation par où elle commence est adressée aux Saints qui sont à Philippes, aux Anciens et aux Diacres. Ainsi les charges prennent toujours plus dans l’Eglise la première place, cette place que les dons miraculeux envahissaient à Corinthe. On sent qu’après une première et puissante explosion, l’Esprit s’est peu-à-peu créé dans les charges les canaux réguliers par lesquels il veut désormais féconder la terre. Et il ne nous appartient pas de blâmer cette marche. Ici aussi il faut savoir dire : « L’Esprit agit comme il veut. »
Enfin, après un assez long intervalle de temps, suivent les Epîtres pastorales, qui, à tant d’égards, caractérisent d’une manière frappante la dernière période de la vie de l’Apôtre. Ici nous trouvons, quant au Ministère, la transformation achevée, et pour résultat, quel état de choses ? Saint Paul, sur le point de quitter la terre, entrevoit l’éloignement de ce retour de Christ qu’il avait cru plus prochain ; il comprend que les destinées de l’Eglise sur la terre se prolongeront plus qu’il ne l’avait attendu autrefois ; et, comme un père mourant, au moment de se séparer de ses enfants, pourvoit avec sollicitude à leurs besoins, Paul, au moment de quitter l’Eglise d’ici-bas, cherche à pourvoir aux moyens de lui conserver intact et pur l’aliment éternel, le bon dépôt, la saine doctrine, jusqu’à ce jour là, ce jour de Christ dont il comprend maintenant la distance, sans vouloir la mesurer. Et à quel moyen a-t-il recours dans ce but ? Exhorte-t-il ses jeunes compagnons ou successeurs à attendre et à réclamer d’en haut de nouveaux Apôtres pour remplacer les anciens qui s’en vont ? Il n’y pense pas. Sont-ce les dons libres et miraculeux sur lesquels il appuie son espérance, et qu’il les exhorte à ranimer dans l’Eglise par leurs prières et leurs efforts ? Il n’en dit pas un mot. A quel moyen s’arrête-t-il donc ? Dans la première Epître à Timothée et dans l’Epître à Tite, il presse ces deux Evangélistes, consacrés autrefois pour le service de l’Eglise (1 Timothée 4.14), de consacrer à leur tour, dans toutes les églises, dans chaque ville (Tite 1.5), des Anciens et des Diacres. Il leur donne des règles exactes pour cette nomination, décrit avec soin ces charges, la première surtout, comme une charge qui non seulement doit administrer le temporel de l’Eglise, mais doit pourvoir aussi et principalement à ses besoins spirituels, par la cure d’âme et, l’enseignement (Tite 1.7, 9 ; 1 Timothée 3.2, 5). Il prend tellement intérêt à ces charges, qu’il veut qu’on encourage les diacres par la perspective de l’élévation à l’épiscopat, s’ils accomplissent bien l’œuvre plus humble du diaconat (1 Timothée 3.13) ; et que, s’appuyant sur cette parole de l’Ancien Testament : « Tu n’enmuselleras point le bœuf qui foule le grain, » et sur celle-ci de Jésus-Christ : « L’ouvrier est digne de son salaire, » il ordonne de pourvoir aux besoins temporels des Anciens, et leur assigne une rémunération proportionnée à la grandeur et à la diversité de leurs travaux (1 Timothée 5.17-18).
Enfin, dans la seconde Epître à Timothée, évidemment la dernière sortie de la plume de l’Apôtre, vers la fin de son second emprisonnement, en face d’une mort qu’il prévoit comme prochaine (2 Timothée 4.6-18), dans ce Testament solennel, qu’il dépose, en faveur de l’Eglise, entre les mains de son disciple, Paul porte ses regards plus loin encore dans l’avenir, et donne à ses précautions pour l’Eglise une portée plus lointaine. Prévoyant le moment où l’Eglise sera privée, non des Apôtres seulement, mais de leurs premiers compagnons d’œuvre, où Tite, Timothée, et toute cette seconde génération apostolique aura rejoint la première dans l’Eglise triomphante, il fait cette recommandation à Timothée : « Les choses que tu as entendues de moi devant plusieurs témoins, confie-les à des hommes sûrs, tels qu’ils soient capables d’en instruire aussi d’autres. » (2 Timothée 2.2). Il est clair que Paul ne veut pas parler ici de catéchumènes à instruire, pour en faire de simples Chrétiens, mais de Catéchistes à former, et de futurs Pasteurs et Docteurs à préparer à l’Eglise, de l’élite du troupeau, afin que ceux-ci, à leur tour, en instruisent d’autres, soit comme, simples fidèles, soit comme leurs successeurs dans le Ministère, et qu’ainsi le bon dépôt soit transmis de mains sûres en mains sûres jusqu’à ce jour là. Voilà le moyen sur lequel Paul compte, comme devant être l’instrument de la puissance de Dieu pour conserver intact le bon dépôt jusqu’au retour de Christ. Voilà le Ministère permanent qu’institue saint Paul, le tuteur auquel l’Apostolat mourant confie l’Eglise jusqu’au retour de Christ.
Réunissons maintenant ces traits disséminés dans les Epîtres pastorales, et nous aurons le tableau du Ministère voulu par saint Paul :
- Son essence : les dons de cure d’âme, d’enseignement et de gouvernement, régularisés en charges par l’autorité ecclésiastique existante (1 Timothée 3.1 et suivants ; Tite 1.5 et suivants).
- Son but : la transmission non-interrompue du bon dépôt de saint Paul, de la doctrine Apostolique (Tite 1.9).
- Ses moyens de préparation : une étude spéciale de cette doctrine, étude proportionnée sans doute, dans chaque temps, aux besoins et des fidèles qu’il faut exhorter dans cette doctrine, et des adversaires qu’il faut convaincre de sa vérité (2 Timothée 2.2 ; Tite 1.9).
- Son mode de succession : la transmission du bon dépôt, de mains sûres en mains sûres, par l’imposition des mains et après sérieux examen (1 Timothée 5.17-18).
- Ses moyens d’existence matérielle : une rémunération pécuniaire, proportionnée au poids de la charge et à la variété des travaux (1 Timothée 5.17-18).
- Son terme, enfin : ce jour-là, le jour du retour de Christ et de la perfection de l’Eglise (2 Timothée 1.12 ; Éphésiens 4.13).
Lorsqu’on réunit ces traits divers en un tableau, le plan de ministère qui en résulte, ne semble-t-il pas tracé dans un temps bien plus rapproché du moment actuel, que de celui où ce même saint Paul écrivait sa première Epître aux Corinthiens ? Et qu’est-ce que ce tableau, sinon la description du saint Ministère évangélique actuel, dans tous ses traits essentiels ?
Voilà, sinon quant à la lettre qui tue, du moins quant à l’esprit qui vivifie, le mandat apostolique que l’on demande au ministère actuel. Ce ministère est bien sur la ligne tracée au Ministère chrétien par le doigt de saint Paul mourant, et prolongée par lui prophétiquement jusqu’au jour du retour de Christ.
Que nous enseignent enfin là-dessus les autres écrits du Nouveau Testament ? Presque toutes les indications qui s’y trouvent, sont antérieures aux Epîtres pastorales, et par conséquent au résultat que nous venons d’obtenir. Cependant ne les négligeons pas.
Nous avons déjà parlé de quelques passages de la première Epître de saint Pierre. Ce sont les seuls, dans cette Epître, qui jettent quelque lumière sur le Ministère. Celui du chapitre 5 est le principal ; les Anciens chargés de paître le troupeau y sont dépeints comme les représentants et, en quelque sorte, les vice-pasteurs du Souverain Pasteurg qui doit bientôt reparaître (verset 4). Tout ce passage rappelle d’une manière frappante la réinstallation de saint Pierre dans l’apostolat : « Pais mes brebis ; pais mes agneaux » (Jean 21.15) ; et saint Pierre semble vouloir ici léguer aux Anciens cette grande mission, que le Seigneur ressuscité lui avait confiée alors à lui-même. Quant au passage 4.10-11 sur lequel s’appuie particulièrement M. Darby, nous admettons pleinement l’application qu’il en fait au Sacerdoce général de tous les chrétiens. Mais ce que nous ne saurions y voir, c’est une négation d’un Ministère proprement dit, comme charge spéciale, dans l’Eglise puisque par là Pierre se mettrait en contradiction avec lui-même, et nierait ce qu’il établit dans le passage, cité plus haut (verset 1 et suivants).
g – Αρχιποιμην
L’Epître de saint Jacques nous offre le tableau d’Eglises à peine sorties des langes du Judaïsme (voyez 1.1 ; 2.19 ; 3) h. Le premier passage relatif au Ministère se trouve 3.1 : « Qu’il n’y ait pas plusieurs docteurs parmi vous. » Ces paroles, ainsi que tout le chapitre d’où elles sont tirées, nous reportent à l’état de choses des synagogues juives, où chacun pouvait prendre la parole à volonté ! Ce passage parle donc, au premier coup-d’œil, en faveur du système d’allocutions libres, tel que veut l’établir M. Darby. Mais remarquons que, tout en reconnaissant cet état comme fait, saint Jacques ne l’approuve point et cherche à y en substituer un autre où la liberté de parler dans les assemblées soit restreinte à un petit nombre de docteurs, sinon même à un seul, spécialement désigné pour cela : « Qu’il n’y ait pas plusieurs docteurs parmi vous. Car » (ajoute l’Apôtre avec une vraie connaissance du cœur de l’homme) « la multiplicité des docteurs entraîne après elle la multiplicité des péchés de la langue, et par là même l’aggravation de la condamnation de chacun. » Tout le chapitre qui suit n’est que le développement de ce texte.
h – Notre opinion sur cette Epître n’est pas d’accord avec l’idée généralement reçue, qu’elle a été écrite dans le but de rectifier certains malentendus occasionnés par l’abus de la doctrine de la justification, enseignée par saint Paul. Nous croyons qu’elle est plutôt dirigée contre le monothéisme mort et purement intellectuel de lecteurs encore à demi juifs, qui se croyaient sauvés uniquement parce que, comme Abraham et Rahab, ils croyaient en un seul Dieu. De là l’avertissement 2.19, et le ton de toute l’Epître. Elle paraît avoir été écrite d’assez bonne heure.
Dans un second passage sur le Ministère (5.14) saint Jacques recommande au fidèle malade de faire venir les anciens, afin qu’ils l’oignent d’huile, en priant pour lui au nom du Seigneur, et qu’ainsi il soit guéri (si sa guérison est conforme à la volonté de Dieu). Que ne lui dit-il : « Appelle ceux qui ont le don de guérir » ! Mais non : l’Apôtre adresse le malade aux anciens, aux pasteurs en charge, en attribuant, dans ce moment là du moins, le don de prière et de guérison miraculeuse à la charge et à la charge comme telle. Est-ce là le système de l’incompatibilité des dons et des charges, enseigné par M. Darby ?
L’Epître aux Hébreux, qui paraît être postérieure à toutes les précédentes, renferme un seul passage sur le Ministère : « Obéissez, dit l’Apôtre, à vos conducteurs et soyez leur soumis ; car ils veillent sur vos âmes, comme devant rendre compte. » Tout dépend ici de savoir de quoi ils doivent rendre compte. Si c’est des âmes, comme le disent nos, traductionsi et comme semble l’indiquer le contexte, il y a là un fort argument contre le système de M. Darby. Car il est évident qu’un tel passage attribuerait au Ministère une autorité, et non une influence seulement, et ferait de la cure d’âme une charge très réelle. Aussi M. Darby, ne pouvant faire rentrer ce passage, ainsi compris, dans son système, prétend-il que ce n’est pas des âmes, que ces conducteurs doivent rendre compte, mais de leur propre don, et de son exercice. Si ces paroles étaient adressées aux Pasteurs eux-mêmes, pour leur rappeler leurs devoirs, cette interprétation de M. Darby ne serait pas inadmissible. Mais c’est au troupeau que s’adresse l’apôtre, pour l’engager, par la grandeur du dépôt confié aux Pasteurs (« ils veillent sur vos âmes ») à leur rendre cette tâche plus légère, à force de docilité et de soumission. Qu’a donc à faire ici le don des Pasteurs et le compte qu’ils doivent en rendre ? Combien n’est-il pas plus naturel de rapporter ce compte à rendre, au trésor qui vient d’être mentionné, à ces âmes qui leur sont confiées ! Dès lors, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître, que ce passage aussi prouve contre le ministère de pure influence, et attribue au Ministère Chrétien une autorité !
i – En ajoutant le petit mot en devant les mots rendre compte.
L’Apocalypse enfin, qui clôt si admirablement le Nouveau Testament et la Bible, complète le tableau du Ministère biblique. Ce livre commence par sept Lettres adressées par Jésus-Christ glorifié aux Anges des sept Eglises d’Asie. Qui sont ces Anges ? Il est impossible de penser ici à des anges dans le sens que nous donnons ordinairement à ce mot. Les reproches et les menaces qui sont adressées à quelques-uns d’entre eux, les promesses mêmes qui sont faites aux autres et qui supposent des rachetés de Christ et par conséquent des hommes (Hébreux 2.16), écartent absolument cette explication. Cette expression ne peut donc être qu’un titre extraordinaire donné par Christ aux Evêques de ces églises, pour élever leurs sentiments à la hauteur de la position que Christ leur a assignée, et leur en faire mesurer toute la responsabilité. De même que toutes les figures employées dans l’Apocalypse, celle-ci repose sur un passage de l’Ancien Testament. Malachie 2.7, il est dit dans un morceau qui n’est pas sans analogie de sens et de but avec les Lettres de l’Apocalypse : « Les lèvres du Sacrificateur gardaient la science ; on recherchait la loi de sa bouche, parce qu’il était l’ange de l’Eternel des armées. »j
j – Voyez aussi Zacharie 12.8 : « Le plus faible d’entre eux sera comme David, et la maison de David sera comme des anges, comme l’ange de l’Eternel des armées. »
Le mot ange signifie proprement envoyé, messager ; comme le Prêtre de l’ancienne alliance était envoyé de Dieu pour annoncer au peuple le message céleste, ainsi les Evêques sont envoyés aux églises comme des Messagers d’en haut, pour paître, au nom du Seigneur glorifié, son troupeau sur la terre. La même idée est renfermée dans l’image sous laquelle les sept Evêques sont représentés au chapitre 1, comme des Etoiles dans la main droite de Jésus-Christ, c’est-à-dire sans doute, comme des reflets de sa céleste lumière. Quelques interprètes, tout en admettant ce sens du mot ange, ont appliqué ce terme non à un individu, mais au Collège des anciens personnifié, dans chaque troupeau ; ce qui donnerait toujours à la charge d’ancien une valeur tout-à-fait incompatible avec le système de M. Darby. Mais nous ne saurions cependant admettre cette explication qu’avec de grandes restrictions ; Jésus ne fait pas ici des figures de rhétorique ; on sent, sous les vives images dont se sert ici le Seigneur, mieux qu’une personnification, on sent une personne réelle et un individu sérieusement responsable ; et si l’on veut maintenir le sens de collège des anciens, on ne peut le faire qu’en reconnaissant que ce Collège était représenté par un ancien ou Evêque principal spécialement chargé, dans chaque troupeau, des devoirs et de la responsabilité de l’Episcopat. Et c’est toujours cet ancien principal, ce Doyen du presbytère et du troupeau, auquel nous sommes ramenés par cette image de l’Etoile dans la main droite du Sauveur, et par la dénomination d’Ange de l’Eglise (Apocalypse 1.20 ; 2.1, etc.).
Que conclure de là relativement à la forme du Ministère au moment où fut écrite l’Apocalypse, c’est-à-dire, en tout cas, dans la seconde moitié du siècle apostolique ? C’est que, après avoir été longtemps partagée entre les membres d’un Collége d’anciens, l’influence et l’autorité pastorales s’étaient toujours plus concentrées entre les mains d’un seul homme, dans chaque troupeauk. D’après le contenu des Lettres adressées à ces sept Anges ou Evêques, il paraît que leur Ministère embrassait à la fois la cure d’âme, l’enseignement, l’administration et la discipline. Cet état de choses, Jésus ne le blâme point ; il le reconnaît, il l’accepte. Bien plus, il part de là pour distribuer à ces Anges les louanges ou les reproches, les encouragements ou les menaces. Il conclut de la grandeur des droits à celle des devoirs, et par cette conclusion confirme la réalité des premiers. Et certes, s’il y avait eu dans cette forme, en quelque sorte monarchique, à laquelle était alors parvenu le Ministère, quelque chose de contraire à sa volonté, et qu’elle eût été à ses yeux l’effet de quelque empiétement clérical, pouvons-nous croire que dans ces lettres pleines de reproches contre les églises et leurs pasteurs, Jésus n’eût pas trouvé un mot à dire sur un abus aussi criant et pernicieux ? Quant aux dons que nous appelons particulièrement miraculeux, il n’en est pas question dans ces Lettres ; l’état religieux du troupeau est envisagé, s’ils existent encore, comme hors de toute relation avec eux, et rapporté uniquement à l’action des dons organisés en charge dans la personne de l’Ancien ou Evêque proprement dit (en y joignant peut-être, comme nous venons de le dire, le Collège des anciens inférieurs).
k – L’histoire ecclésiastique confirme pleinement ce résultat.
Tel est le dernier mot de la Bible sur la forme du Ministère chrétien ; mot, non plus de saint Paul, ni de saint Pierre, ni de saint Jacques, ni de saint Jean, mais de Jésus, le Seigneur.
Admirons ici combien les voies de Dieu sont variées et sages, et combien ses pensées dépassent infiniment l’uniformité d’un système !
A son origine, l’Eglise, faible plante, avait besoin d’un appui. Dieu le lui accorde dans l’Apostolat, collège souverain de douze hommes qui à la plénitude incomparable du don joignent le privilège d’une élection et d’une consécration sans pareille. C’est le point de départ du Ministère chrétien, le Ministère apostolique pur.
Cependant la tige de l’arbre grandit et se fortifie la sève divine y abonde ; les dons d’en haut affluent et demandent essor. Cet essor, Dieu le leur ouvre dans cette multitude de ministères, énumérés par saint Paul, les uns, ministères libres qui ne réclament aucune consécration humaine et règnent par leur seule influence ; les autres, ministères réguliers, dont l’apostolat provoque l’institution, comme pour se suppléer et se multiplier lui-même, et à chacun desquels il remet quelqu’une de ses fonctions primitives avec l’autorité qui y est jointe. C’est ici la seconde période du Ministère, le ministère simultané des dons libres et des charges, forme mixte qui prospère pendant quelque temps sous la garde de l’Apostolat.
Mais bientôt l’activité puissante de la sève se calme, l’abondance extraordinaire des dons diminue, et le temps arrive où aux fleurs de la première saison doivent succéder des fruits plus durables. En ce moment l’appui qui jusqu’ici avait soutenu le tronc, lui est retiré ; l’Apostolat prend fin ; et la branche de l’arbre la plus riche et la plus puissante, soit par les dons qu’elle renferme, soit par l’autorité dont elle est revêtue, la Charge d’Ancien, est choisie de Dieu pour pourvoir, dans chaque troupeau, au maintien de l’ordre et de la discipline. C’est cette charge aussi qui, en vertu du don d’enseignement sur lequel elle repose est appelée à pourvoir à l’édification régulière du troupeau, en l’absence des dons extraordinaires qui s’y épanouissent. En un mot, c’est l’Episcopat (dans le sens biblique du mot) que Dieu choisit, à la fin du siècle apostolique, pour abriter désormais l’Eglise sous son ombre tutélaire. Cette troisième phase du Ministère biblique peut donc s’appeler l’époque du ministère épiscopal ou presbytérienl.
l – Dans le langage de la Bible ces deux mots signifient exactement la même chose aussi bien que ceux d’évêque et d’ancien (ou presbytère), d’où ils dérivent.
Tel est le résultat auquel aboutit le développement du saint Ministère en dedans de la Parole de Dieu. Et qui ne voit combien chacune de ces formes, la première par sa vigueur oligarchique (si l’emploi d’une telle expression est ici permis), la seconde par sa liberté largement aristocratique et presque démocratique, la troisième par son unité et sa concentration monarchique, convient admirablement au jour et à l’heure où le Seigneur la suscite dans l’Eglise ! Indépendamment du caractère également biblique de ces trois formes de Ministère, chacune d’elles reçoit de sa parfaite convenance aux besoins donnés le sceau de sa divine origine.
Mais de cette circonstance même naît une difficulté. Lorsque l’Eglise dépassant la ligne où s’était arrêtée la Bible, eut établi au dessus de l’Ange de l’église d’Ephèse, de Sardes, etc., un Ange de l’Eglise Chrétienne et que, par cette monstruosité accompagnée de tant d’autres, une réformation fut devenue nécessaire, laquelle des trois formes ci-dessus indiquées dut servir de modèle dans la reconstitution du saint Ministère ? Toutes trois étaient également divines, également bibliques. L’Esprit et la Parole de Dieu, qui guidaient les Réformateurs, ne les laissèrent pas longtemps dans le doute à cet égard. Trop instruits dans les Ecritures pour songer à rétablir l’Apostolat et, dans tous les cas, trop humbles pour se poser eux-mêmes en Apôtres, trop sages aussi et trop bons connaisseurs du cœur de l’homme, pour essayer de livrer le vaisseau de l’Eglise, sans pilote apostolique, à l’impulsion des dons libres, ils rejetèrent les deux premières formes, qui avaient été dépassées déjà dans la primitive Eglise, et s’attachèrent à la troisième que, Dieu avait instituée dans les circonstances les plus semblables à celles dans lesquelles ils se trouvaient eux-mêmes. Le Ministère auquel la Bible s’était arrêtée, fut celui auquel eux aussi s’arrêtèrent. Dans chaque troupeau, ils établirent un Ancien principal qui, pour éviter ce nom d’Evêque auquel se rattachait désormais le souvenir de tant d’abus, prit le nom de Pasteur. Semblable à l’Ange dans les églises de l’Apocalypse, ce Pasteur fut établi sur le troupeau pour le diriger sous tous les rapports, et investi de l’autorité qui, d’après la Parole de Dieu, doit accompagner une telle charge et une telle responsabilité ! Puis, en raison de la grandeur et de la variété de ses fonctions, on lui adjoignit, dans les églises Réformées du moins, un collège d’Anciens inférieurs, appelés spécialement anciens, et qu’on eût pu appeler aussi diacres. Ils devaient assister le Pasteur proprement dit, dans le soin des pauvres et des malades, dans l’exercice de la discipline et dans l’administration de la Sainte-Cène, ce qui répondait au ministère des diacres et des anciens inférieurs vers la fin du temps apostolique. On voit combien la réorganisation du Ministère par nos Réformateurs fut scrupuleusement calquée sur le modèle biblique, dans sa forme la plus applicable aux circonstances données. Cette institution des Anciens, en particulier, est un témoignage frappant de la fidélité de ces hommes, à rendre à l’Eglise tous les moyens d’édification dont le Seigneur l’avait autrefois pourvue. Grâces à Dieu, cette institution n’est point tombée en désuétude parmi nous ; peut-être devons-nous en grande partie à son maintien cette bénédiction spéciale que Dieu s’est plu, à répandre sur notre église Neuchâteloise. Fût-elle même, en bien des lieux et moments, devenue une forme, cette forme s’offre aujourd’hui comme un moyen aisé, régulier, de réaliser sans secousse l’une des importantes vérités qu’a cherché à mettre en lumière M. Darby, c’est que les dons d’un homme ne suffisent pas pour alimenter le Ministère Chrétien, mais que, pour répondre pleinement à son but, ce Ministère a besoin de tous les dons éminents que l’Esprit de Dieu accorde au troupeau. Puissent nos Consistoires paroissiaux réaliser toujours mieux cette vérité ! Puisse le souffle d’En haut pénétrer parfaitement cette institution précieuse et en faire découler sur l’Eglise, en face des graves événements qui s’avancent, des bénédictions plus grandes encore que celles, dont nous lui sommes déjà redevables!
Voilà non des raisonnements, un système ; mais des faits, des faits bibliques mis en regard des faits actuels. Maintenant, que la Bible, à laquelle M. Darby en appelle comme nous, prononce !
Cependant, si décisif que paraisse être le résultat que nous venons d’atteindre, à ce résultat M. Darby opposera sans doute l’objection suivante :
Et si cette diminution des dons extraordinaires, cette cessation de l’apostolat sur lesquelles vous vous appuyez pour justifier l’introduction d’une troisième forme de : Ministère dans l’Eglise, si ces faits n’étaient autre chose que les tristes symptômes d’une déchéance et même d’une apostasie, dans l’Eglise, apostasie prévue, annoncée par tous les Apôtres, par Jésus lui-même, comme très prochaine (Matthieu 24 ; 2 Thessaloniciens 2 ; 2 Timothée 3) ! De ce que saint Paul, saint Pierre, saint Jean, saint Jacques, Jésus lui-même (dans l’Apocalypse), reconnaissent, mentionnent ces faits, il ne s’en suit pas qu’ils les approuvent. C’est s’appuyer sur un roseau brisé, que de défendre l’état actuel en le comparant à un ordre de choses qui n’était peut-être lui-même qu’une dégénération, un résultat du péché de l’homme !
Cette objection est grave, et suffirait, si elle était fondée, pour nous ravir tout le fruit de nos recherches. Examinons-la donc en prenant de nouveau la Parole de Dieu pour guide.
Nous ne pouvons traiter ici la question générale de l’apostasie de l’Eglise (pour parler le langage de M. Darby). Nous nous bornerons à ce qui a rapport au Ministère. La cessation de l’Apostolat est-elle en effet l’indice d’une chute dans l’Eglise, et la disparition des dons extraordinaires, le symptôme d’une décadence ? De la solution de ces deux questions dépend évidemment la solution définitive de la question du Ministère.
Remarquons d’abord que, dans les différents passages où sont énumérés les symptômes d’une décadence dans l’Eglise, il n’est jamais question de ces changements dans la forme du Ministère. (Voyez les passages déjà cités.) Comment, si ces changements avaient la portée qu’on leur attribue, la Parole de Dieu ne mettrait-elle pas les fidèles en garde sur un point aussi important ! Bien plus, comme nous l’avons vu en examinant le contenu des Epîtres, pastorales, saint Paul travaille lui-même activement à cette transformation du Ministère. C’est lui qui, passant sous silence les dons extraordinaires, donne partout dans l’Eglise une prépondérance décidée au ministère épiscopal. Si ce changement se liait au développement d’une apostasie, ne serait-ce pas se rendre complice de cette œuvre et faire ce qu’il interdit à Timothée, prendre part aux péchés d’autrui ? Et Jésus lui-même dans l’Apocalypse, lorsqu’il énumère, dans sept lettres consécutives, ses griefs contre l’Eglise et ses pasteurs, comment arrive-t-il qu’il ne dise pas un mot ni de la disparition des Apôtres, ni de l’affaiblissement des dons, ni des empiètements des évêques ! Comment, ces évêques, les représente-t-il comme des Anges, messagers d’en haut, comme des Etoiles dans sa main droite, s’ils ne sont à ses yeux que les porteurs d’une autorité usurpée et les instruments d’une apostasie (Apocalypse 1.20 etc.) !
Sans doute, si les dons extraordinaires du Saint-Espritm étaient une manifestation nécessaire de la vie chrétienne, leur disparition serait un symptôme de l’affaiblissement de cette vie. Mais ce n’est pas là l’idée que la Parole de Dieu nous donne de ces dons. Déjà dans l’ancienne alliance il est digne de remarque que Jean-Baptiste, le plus grand des prophètes, ne paraisse point avoir eu le don de miracles. Les Apôtres et les septante disciples étaient encore bien faibles dans la connaissance et la vie chrétienne, lorsque déjà ils guérissaient les malades et chassaient les démons. Nous ne voyons nulle part dans la Bible qu’un progrès dans la vie intérieure soit suivi d’une multiplication de ce genre de dons. Saint Paul déclare au contraire, dans la première Epître aux Corinthiens, au chapitre 15, qu’on peut parler toutes les langues et des hommes et des anges, avoir des révélations jusqu’à pénétrer les plus grands mystères, posséder une foi capable d’opérer des miracles et de transporter les montagnes, et être sans amour, c’est-à-dire sans vie ! Jésus-Christ, dans le Sermon sur la montagne, nous parle de disciples qui, un jour, en appelleront à leurs prophéties, à leurs miracles, aux démons mêmes qu’ils ont chassés, mais à qui il répondra : « Je ne vous ai jamais connus ! » (Matthieu 7). Judas avait aussi le don des miracles, et cela dans un temps où le Seigneur s’écrie : « Ne vous ai-je pas choisis, vous douze ; et l’un de vous est un démon ? »
m – C’est ici le moment d’expliquer exactement dans quel sens nous nous servons de cette expression usitée dans le langage ordinaire. Quant à leur principe et à leur nature, tous les dons du Saint-Esprit sont extraordinaires, surnaturels, par cela même que ce sont les dons du Saint-Esprit. Mais quant à leur manifestation au dehors, il y a entre eux cette différence, que les uns brisent visiblement le cours ordinaire des choses, tandis que les autres s’accommodent aux lois naturelles et déguisent leur nature supérieure sous ce voile dont Dieu revêt ordinairement son action. C’est sous ce dernier rapport seulement que l’on peut distinguer entre des dons ordinaires et des dons extraordinaires.
Je ne cherche pas ici à expliquer ces faits ; je les constate seulement ainsi que la conséquence qui en découle : c’est que les dons miraculeux, quoique se trouvant historiquement en relation avec la vie nouvelle apportée par Jésus à l’humanité, ne sont en aucune relation avec la possession individuelle de cette vie, n’en indiquent jamais le degré, peuvent manquer là où elle prospère, abonder là où elle fait défaut, et ne sauraient par conséquent, par leur présence ou leur absence, être un indice de prospérité ou de chuten.
n – On pourrait nous objecter la promesse de Jésus, Marc 16.17 : « Voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru, ils chasseront les démons » etc. mais cette promesse indique précisément la relation historique entre les dons miraculeux et la fondation de l’Evangile sur la terre. Si l’on voulait donner à ce passage un sens absolu et individuel, la promesse qui y est renfermée ne se serait pas même accomplie aux jours de la Pentecôte. Où trouvons-nous en effet que les trois mille et les cinq mille convertis dans ces jours-là, aient tous individuellement possédé le don des miracles ? Il s’agit ici de l’Eglise en grand, comme l’indique du reste suffisamment le contexte.
Mais il y a plus ; cette disparition des dons extraordinaires, dans laquelle on prétend voir le signe d’une chute, elle avait été annoncée par Saint Paul comme entrant dans le plan de Dieu et marquant dans le développement de l’Eglise, non une chute, mais un progrès. Dans ce même chapitre (1 Corinthiens 15) où saint Paul, pour ramener ses lecteurs à des idées plus saines sur la valeur des dons extraordinaires, cherche à leur faire comprendre l’absence de toute relation nécessaire entre la possession des dons et celle de la Vie, il appuie cette considération par une autre, tirée du caractère purement passager de ces manifestations extraordinaires dont on s’exagère le prix. Il reprend, les trois dons qui se faisaient le plus remarquer dans la primitive Eglise, comme ministères libres, savoir la prophétie, les langues et la connaissance (ou révélations par extase), et il déclare que ces dons seront abolis (verset 8). Pour le prouver, il les compare au langage figuré, aux intuitions naïves, aux émotions vives et passagères de l’enfant (verset 11) ; comme tels il les oppose à l’état de perfection de l’Eglise, état qu’il compare à celui de l’homme fait et dans lequel la vue immédiate et la communion parfaite de Dieu rendra impossibles ces extases passagères, ces cris de joie subits et ces tableaux symboliques, en un mot, toutes ces manifestations extraordinaires dans lesquelles se complaisaient les Corinthiens.
Mais, dira M. Darby, ce raisonnement de saint Paul, tout en prouvant, sans doute, que les dons extraordinaires sont passagers, prouve en même temps qu’ils devaient demeurer jusqu’au retour de Christ, jusqu’au moment de la perfection. Cette conclusion, relative à l’Eglise, serait du même genre que la suivante relative à saint Paul : « Saint Paul dit au verset 11 : « Quand j’étais enfant, je parlais, je pensais, je jugeais comme un enfanto ; mais quand je suis devenu hommep, j’ai déposé ce qui était de l’enfant. » Donc saint Paul n’a déposé le langage, les raisonnements et les allures du premier âge, que lorsqu’il est devenu homme fait, et il a passé sans transition de l’enfance à la maturité. » Paul ne nie pas plus par son raisonnement un état intermédiaire, un temps de jeunesse, pour l’Eglise, qu’il ne veut le nier pour lui-même par l’image qu’il emploie. Seulement pour faire comprendre sans réplique la nature passagère des dons extraordinaires, il fait intervenir immédiatement le temps où ils seront évidemment impossibles. Mais un peu plus bas, au verset 13, il caractérise lui-même l’époque intermédiaire et, si j’ose ainsi dire, le temps de l’adolescence de l’Eglise par les dons qui lui sont propres, quand il dit : « Maintenant donc ces trois choses, demeurent, la foi, l’espérance et l’amour, et la plus grande c’est l’amour. »
o – Νηπιος.
p – Ανηρ.
Cette expression demeurent, évidemment opposée à celle qui se rapporte aux dons extraordinaires, seront abolis (verset 8), ne peut se rapporter à autre chose qu’à l’état présent de l’Eglise, au temps qui sépare celui des dons extraordinaires et celui de la perfection ; car dans ce dernier la foi sera changée en vue, l’espérance en possession. « La foi, » n’est-elle pas « une démonstration des choses qu’on ne voit point ? » Et « comment espérerait-on encore ce qu’on voit ? » Or « là nous verrons face-à-face et nous connaîtrons comme nous avons été connus » (verset 12). Saint Paul distingue donc évidemment dans ce chapitre trois états de l’Eglise, celui de l’enfance, pendant lequel Dieu lui accorde ces dons extraordinaires, semblables aux fleurs dont un père orne le berceau de son nouveau-né ; l’âge de la jeunesse qui embrasse tout le temps du pèlerinage terrestre de l’Eglise depuis la fin du siècle apostolique, et dont la foi, l’espérance et l’amour forment l’impérissable couronne ; enfin l’âge mûr ou l’état céleste dans lequel l’amour seul entre et demeure sans changer de nature, parce qu’alors Dieu est tout en tous et que Dieu est amour.
Sans doute c’est, dans la vie de l’homme, un moment critique et d’une apparence peu réjouissante, que celui où aux grâces et aux expressions naïves du sentiment enfantin succède la sécheresse de la raison qui s’éveille et la raideur d’une volonté qui commence à se sentir. Cependant quel père éclairé s’attristera de ce changement et n’y reconnaîtra un progrès ? Tel est, selon saint Paul, dans la vie de l’Eglise, le moment de la cessation des dons miraculeux, en apparence une chute, en réalité un progrès. L’enveloppe brillante s’évanouit ; mais le fond solide, les éléments réels et permanents de la vie de l’Eglise demeurent et se développent.
Si donc l’on veut prouver, une chute dans l’Eglise, qu’on nous démontre la cessation de la foi, de l’amour et de l’espérance, conformément à ce qu’annoncent Jésus, Matthieu 24.12, Luc 18.8, et saint Paul, 2 Timothée 3.2-5, pour les derniers temps ; mais qu’on se garde d’alléguer en preuve un fait comme celui de la cessation des dons. Ce serait refuser à l’Eglise ce privilège de la variété dont jouit toute vie, dont jouit la nature elle-même, et mettre sur le compte du péché de l’homme un fait providentiel dans son principe, progressif dans son essence et ses résultatsq.
q – Nous ne pouvons passer ici sous silence l’opinion qui a été émise récemment par M. Wolff sur le sujet qui nous occupe, savoir que tous les dons du Saint-Esprit étaient miraculeux et ont cessé et qu’il ne reste à l’Eglise que le don du Saint-Esprit, le Saint-Esprit donné également à tout fidèle comme principe de régénération et de vie nouvelle. Cette opinion est sans doute, un moyen très simple de couper court à toutes les difficultés que soulève le système de M. Darby. Mais par là ne prête-t-on point le flanc aux coups de l’adversaire que l’on croit frapper à mort ? Le passage Romains 12.6-10 et suivants, ne montre-t-il pas combien est insensible la transition entre les dons spirituels et les vertus chrétiennes ? Le passage 1 Pierre 4.10-11, ne se rapporte-t-il qu’à des dons miraculeux et abolis ? Et M. Darby n’a-t-il pas victorieusement démontré, dans sa réponse, que nier les dons du Saint-Esprit, c’est nier la présence et l’action du Saint-Esprit lui-même dans l’Eglise ? En général on s’aperçoit bien vite que ces deux systèmes de la cessation et de la permanence de tous les dons, sont au fond deux frères ennemis, enfants d’une même théologie pour qui le mot de développement est un mystère, toute idée de nuance un scandale, d’une théologie qui ne sait pas distinguer entre conserver et pétrifier, dénouer et trancher, et dont le mot d’ordre est toujours : tout ou rien. Or comme tous les êtres réels ici-bas sont renfermés entre ces deux points extrêmes du tout et du rien, au moral comme physique, il suit de là que cette théologie est condamnée à ne vivre que d’abstractions et à manquer en tous points la réalité. Ainsi dans le cas actuel il est également faux de prétendre et que tous les dons ont cessé et qu’ils sont tous demeurés. Il n’y a ni scission ni immobilité dans l’action du Saint-Esprit. Il distribue ses dons en tous temps, mais comme il lui plaît. Il donne toujours mais toujours diversement.
La cessation de l’Apostolat doit elle-même, quelque étrange que cela puisse paraître, être envisagée comme progrès. « Aussi longtemps » dit saint Paul par rapport à un autre objet, « que l’héritier est enfant, » il est sous des tuteurs et des curateurs, jusqu’au temps marqué par son père. » Cette parole peut s’appliquer à l’état de l’Eglise, sous le gouvernement apostolique. Les Apôtres furent, pour l’Eglise à l’état d’enfance, des tuteurs et des curateurs. Mais lorsque le divin enfant eut pris de l’accroissement, que l’heure de la majorité, du développement libre et spontané eut sonné pour lui, comme Dieu avait donné les Apôtres dans sa grâce, je n’hésite pas à le dire, il les retira aussi dans sa grâce ; et le dernier Apôtre, en quittant l’Eglise, eût pu dire : « Il vous est avantageux que je m’en aille. » Non seulement en effet l’idée même de l’Apostolat (le témoignage rendu à Christ vu et entendu) emportait naturellement, quoique non nécessairement, sa fin prochaine ; et cette fin était sans inconvénient pour l’Eglise, puisque les Ecrits des Apôtres perpétuaient désormais leur Témoignage. Mais surtout, l’œuvre de fondation une fois accomplie, la continuation d’une autorité comme celle de l’Apostolat eût pesé d’un poids disproportionné dans la balance des destinées de l’Eglise et mis obstacle à son développement au lieu de le hâter. L’Eglise n’avait plus rien de nouveau à recevoir. Tout était renfermé pour elle dans ce Christ vivant, mort, ressuscité, glorifié, que lui avaient légué les Apôtres. Mais ce talent, reçu en quelque sorte passivement, il s’agissait de se l’approprier, de le faire valoir au profit du Maître et du monde, d’étaler au dehors la richesse. C’était là désormais la tâche de l’Eglise. D’enfant, elle était devenue jeune homme. Le Seigneur lui ouvrait une longue et glorieuse, carrière, celle de l’indépendance extérieure, afin de réaliser la dépendance intérieure et volontaire qui est la seule vraie. Pour cela l’Apostolat nécessaire comme commencement, n’eût plus servi de rien, eût au contraire été une gêne. Il devait donc cesser, et cesser quand il cessa. C’est ce qui est implicitement renfermé dans l’image qu’emploie saint Paul Éphésiens 2.20 : « Etant un édifice bâti sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus étant la principale pierre de l’angle. » L’édifice a beau se continuer d’âge en âge et recevoir d’un siècle à l’autre de nouveaux étages ; le fondement ne se pose qu’une fois, comme la pierre de l’angle elle-même n’a été posée qu’une fois, Hébreux 7.27.
Il n’y a donc rien, ni dans la cessation extérieure de l’Apostolat (je dis extérieure, car au fond l’Apostolat subsiste encore, par les Ecrits apostoliques), ni dans la cessation des dons miraculeux, il n’y a, dis-je, rien dans ces deux faits qui puisse le moins du monde infirmer le résultat que nous avons obtenu plus haut. Cette double cessation est entièrement régulière, providentielle ; et bien loin de rendre suspecte la nouvelle forme de Ministère qui en est résulté, elle communique au contraire à ce Ministère, le sceau providentiel dont elle est elle-même empreinte.
Quel est maintenant le résultat de ces recherches ? Le voici en peu de mots :
a) Quant au système de M. Darby sur le Ministère : Ce système, dans ce qu’il a de vrai, est l’exposé d’une phase du développement des églises apostoliques. Mais :
- Cet exposé est incomplet, en ce qu’il refuse de reconnaître dans cette période, à côté des dons libres, les dons régularisés en charges. Le principe de cette erreur est, comme nous l’avons vu, l’isolement anti-biblique du divin et de l’humain.
- Cet exposé, ainsi faussé, reçoit de M. Darby une fausse application ; car, de cette phase essentiellement passagère ce système tire une formule qu’il applique, comme un corset de force, à l’Eglise dans tous les temps ; et comme cette opération ne réussit point, M. Darby est contraint de rompre avec tout le développement de l’Eglise, de ne plus voir qu’une longue apostasie dans son histoire, et de tenter de la rejeter hors de la ligne où elle se trouve providentiellement placée dès les temps apostoliques jusqu’à nos jours.
b) Quant au Ministère actuel :
- Son principe, la fusion du don divin et de la charge humaine est parfaitement conforme à la Parole de Dieu.
- La concentration de la conduite du troupeau dans une charge (celle d’Ancien), et de cette charge dans un seul homme, est également conforme au modèle du Ministère tel que nous le trace définitivement la Bible.
- Ce Ministère d’un homme doit chercher à se renforcer et à se multiplier par les dons que l’Esprit de Dieu accorde aux membres du troupeau, soit en s’associant officiellement ces dons, comme la charge actuelle d’Ancien lui en offre le moyen ; soit en encourageant et en dirigeant ces dons dans leur exercice privé.
Bien des personnes objecteront peut-être que ce résultat, satisfaisant sans doute quant au Ministère en soi, n’offre cependant aucune garantie quant à la fidélité de ceux qui l’exercent, ce qui serait pourtant le point essentiel pour l’Eglise ; que tout dépend dès lors de la question de savoir à qui est remis le choix des Pasteurs ; puisque, si ce choix est mal fait, le Ministère le plus excellent et le plus biblique en principe, devient inutile en réalité.
Nous n’avons point examiné jusqu’ici la question du choix des Pasteurs, et nous n’en dirons actuellement que quelques mots. Nous nous trouvons complètement d’accord sur ce point avec M. Darby, qui a prouvé aux Dissidents, qu’il n’y a pas dans tout le Nouveau Testament un seul cas d’élection d’ancien par le troupeau. Le passage Actes 14.3, allégué par M. Rochat, ne peut signifier autre chose, que ceci : « Après leur avoir élu des anciens, ils (Paul et Barnabas) partirenta. » Ce passage dit donc précisément le contraire de ce que voudrait prouver M. Rochat. Mais, dans tous les cas, pense-t-on qu’un mode d’élection quelconque, par le clergé ou par le troupeau, pût jamais prévenir l’abus dont on tire une objection contre l’utilité du saint Ministère, et cet abus, si grave qu’il puisse être, justifie-t-il une telle conséquence ? L’Apôtre Judas trahit Jésus ; les Apôtres en concluent-ils, au premier chapitre des Actes, que l’Apostolat est inutile ? L’évêque d’Ephèse a oublié sa première charité ; celui de Pergame néglige d’exercer la discipline contre les pécheurs scandaleux ; celui de Sardes a le bruit de vivre, mais il est mort ; celui de Laodicée n’est ni froid ni bouillant, tellement que Jésus menace de le vomir de sa bouche ; Jésus en conclut-il, dans l’Apocalypse, que l’Episcopat est inutile ? Non, la Parole de Dieu ne conclut nulle part, ni dans l’Ancien ni dans le Nouveau Testament, des imperfections de l’officiant à l’inutilité et au rejet de l’office. Ne soyons pas plus exigeants qu’elle.
a – Voyez aussi sur ce passage l’excellente dissertation de M. Wolff dans son ouvrage sur le Ministère.
Et que fera donc une Eglise qui a le malheur de se voir livrée à des conducteurs indignes ?
Voici la direction qui nous paraît ressortir sur ce point des principes émis par la Bible sur l’institution du saint Ministère. Le but que la Parole de Dieu assigne à cette charge est ; comme nous l’avons vu, la conservation de la saine doctrine la transmission du bon dépôt apostolique jusqu’au jour de Christ. Aussi longtemps donc que le Ministère répond à ce but, il n’y a aucune difficulté, et malheur à celui qui, voulant être plus sage que Dieu, prétendrait pouvoir se passer de ce moyen providentiel ! Il ne tardera pas à savourer les fruits amers de son esprit indiscipliné.
Mais lorsque le Ministère établi s’écarte du droit chemin et, au lieu transmettre la saine doctrine apostolique, se fait l’instrument d’une doctrine malfaisante et empoisonnée, lorsque de moyen il devient obstacle, alors sans doute le but sacré qui le soutenait, l’abandonne, et la position devient fausse et pénible pour le Pasteur et pour le troupeau. Mais en cela même se manifeste la nécessité et bientôt l’instrument de la réaction. Alors apparaît dans toute sa dignité ce Ministère, ce Sacerdoce impérissable de tous les fidèles, dont il est si souvent fait mention dans les saintes Ecritures. Non sans doute que ce sacerdoce doive, même alors, s’exercer d’une manière violente, et recourir aux armes charnelles. Non ; c’est à Dieu seul qu’il appartient de renverser ce que Lui seul à élevé, ce que Lui seul peut rétablir. Plus le mal est grave, plus le fidèle doit sentir que le remède ne peut venir que d’En haut et que, si un renouvellement complet est nécessaire, alors surtout, il faut, pour l’opérer, un acte divin, un acte Créateur semblable à celui par lequel a été primitivement fondé ce Ministère qui s’est écarté du but. Le devoir du simple fidèle sera donc, non de prendre la place de Dieu, mais de provoquer et de préparer l’action de Dieu, en rendant humblement témoignage à la vérité, comme son Maître, Jean 18.37, dans la position où Dieu l’a placé, 1 Corinthiens 7, par ses paroles et par sa vie, et en appelant sur ce témoignage et sur l’Eglise au milieu de laquelle il est rendu, la bénédiction d’En-haut ; et puis de laisser la droite de l’Eternel faire vertu.
C’est là ce qui s’est fait lors de la Réformation, et ce qui a imprimé à cette œuvre de rétablissement un sceau si remarquable de permanence. De moyen, le Ministère établi était devenu obstacle ; à la suite de l’humble, mais courageux témoignage, rendu par un Confesseur de la vérité, dans les limites strictes de sa vocation, Dieu brise l’instrument rebelle ; puis, suscitant de nouveaux docteurs et prophètes, comme au commencement, Il rétablit, par cet acte extraordinaire, un Ministère nouveaub, conforme au plan, fidèle au but primitif, lequel rentre, immédiatement après, dans l’ordre de succession régulière tracé par les indications apostoliques.
b – Ainsi s’expliquerait la non-consécration de Farel, à supposer qu’elle fût prouvée, comme le prétend M. Darby. Mais du silence des historiens sur un fait si spécial peut-on conclure qu’il n’ait pas eu lieu ?
De nos jours un tel acte Créateur est-il nécessaire ? Peut-être, là où le Ministère établi depuis la Réformation se montre obstinément hostile à son but, la conservation du bon dépôt de saint Paul jusqu’à ce jour là. Là une crise est inévitable ; « la vigne sera ôtée à ces vignerons, et donnée à d’autres qui en rendront les fruits. » Mais là où le Ministère établi se consacre avec un zèle tout nouveau à sa grande tâche, là où l’acte restaurateur, s’il est, en quelque degré, nécessaire, se passe au sein même de ce Ministère, cet acte, tournera à son affermissement et non à sa destruction ; la main de Dieu, à moins d’intention de châtiment pour les peuples, bénira et conservera l’ordre qu’elle a elle-même établi et rendra impuissantes les attaques, non motivées, des adversaires de cet ordre ; à un tel Ministère le Seigneur a dit et dira : « Je le ferai être une colonne dans le Temple de mon Dieu et il n’en sortira jamais ! » Apocalypse 3.12.
Amen !