Etymologie et signification.
Le nom d’Habakuk ne nous a été conservé que dans le livre que nous possédons de ce prophète ; il ne se trouve nulle part ailleurs dans les écrits canoniques de l’Ancien Testament. Ce nom, חבקוק, a évidemment pour racine le verbe חבק, au pihel חִבֵק, embrasser. Mais comment expliquer cette étymologie ? Delitzsch prétend que la racine véritable de ce nom est la racine bilitère בק (le ח n’étant qu’une adformante radicale) qu’il compare au grec πηγ–νύειν et au latin pang-ere. Ce verbe ח-בק, (συμπηγνύναι, zusammenfalten, umfalten) par un redoublement de la dernière syllabe, donnerait donc la forme pilpel חֲבַקְבֵק, embrasser avec effusion, d’où l’on aurait חֲבַקּוּק, contracté de חֲבַקְּבֻּק (comme l’on a בַקְבּוּק, de בִקְבֵק pilpel de בָקַק). — Le mot חֲבַקּוּק signifierait ainsi embrassement avec effusion. — Mais cette étymologie nous semble bien compliquée, et Delitzsch lui-même l’avoue, quoiqu’il ajoute que, pour un nom propre, elle ne doive pas paraître étrange.
L’étymologie donnée par Hitzig nous semble préférable, en ceci surtout qu’elle est beaucoup plus simple. « Le nom du prophète, dit-il, dérive de la racine חבק — חבקּוּק viendrait directement de חבוּק comme נאפוף de נִאוּף ; seulement, au lieu de חֲבַקּוּק, il faudrait lire חֲבְקוּק, orthographe qui serait ainsi d’accord avec celle que donnent la version syriaque et la version arabe.
Les LXX, à ce que l’on sait, rendent le mot חֲבַקוּך par celui de Ἀμβακοὺμ ainsi que plusieurs écrivains grecs. Comment expliquer ce changement ? Pour ce qui tient à l’intercalation du μ entre l’Ἀ et le β, Delitzsch l’explique en supposant que les LXX ont lu חֲבָּקוּק au lieu de חֲבַקּוּק. Ils auraient donc rendu le daguesch fort du ב en faisant précéder celui-ci d’un μ (Ex. סַבְּבָא donne σαμβύκη Daniel 3.5) L’on pourrait cependant, ce nous semble, généraliser peut-être davantage cette explication, en disant que les Grecs, dans les noms propres, changent volontiers la syllabe Ἀ en Ἀμβ, et cela encore aujourd’hui. Ainsi le nom de About (Ed.) a été rendu dans les journaux grecs modernes par celui de Ἀμβουτ.
Mais reste à expliquer le remplacement du ק final par le μ ; la chose est plus difficile, et les opinions d’exégètes distingués nous le montrent amplement. Gésénius prétend que la parenté entre le κ et le μ provient d’une corruption très ancienne. — Bleek n’est guère plus clair sur ce sujet. « Il reste incertain, dit-il, si cette transformation a été faite par les traducteurs grecs ou si elle provient d’une corruption très ancienne de ce mot. » — Du reste la plupart des commentateurs ne donnent aucune explication de ce changement. Nous ne prétendons donc pas vouloir en donner une ; seulement nous dirons, et c’est là une règle générale, qu’en grec on ne trouve aucun mot se terminant par un κ. Les lettres finales sont, sauf de rares exceptions, les trois lettres ν, ρ, ς. — L’on trouve, il est vrai, le mot Ἀμβακουκ dans plusieurs manuscrits grecs, mais ce ne peut être là qu’une correction postérieure faite d’après l’hébreu.
Plusieurs Pères grecs écrivent encore Ἀββακοὺμ orthographe qui a donné lieu à une étymologie très curieuse exposée par Suidas : Ἀββακοὺμ ; πατὴρ ἐγέρσεως. τὸ μὲν γὰρ Ἀββᾶ (אַבָּא) σημάινει πατὴρ ; τὸ δὲ Κοὺμ (קוּם) ἔγερσις, ὡς καὶ παρὰ τῴ ϑείῳ Εὐαγγελίῳ ; Ταλιϑά, κούμ ; ἢγουν ἡ παῖς ἐγείρου. Ὅϑεν δῆλον, ὅτ διὰ τῶν δύο ββ γραπτέον τὸ Ἀββακούμ. C’est ainsi encore que l’explique l’auteur de l’histoire synoptique de la vie et de la mort des prophètes : Ἀμβακοὺμ ἤ Ἀββακοὺ ἑρμηνευεται πατὴρ ἐργέσεως.
Quant à la signification du nom du prophète, nous avons vu que, d’après l’étymologie donnée par Delitzsch ou Hitzig, le mot חֲבַקּוּק signifie embrassement avec effusion, le redoublement des deux dernières radicales donnant plus d’intensité à l’action exprimée par le verbe simple. (Comme אָהַב aimer, אֲהַבְהֵב aimer ardemment, brünstig lieben.)
Mais quel sens faut-il donner à ce mot embrassement ? Pourquoi notre prophète avait-il reçu un tel nom ? Le Sohar résout la question en nous disant qu’Habakuk était le fils de la Sunamite, ressuscité par Elisée. D’après le récit rapporté 2 Rois 4.16, Elisée dit à la Sunamite : Dans l’année qui vient, en cette même saison, tu embrasseras un fils (אתי חבקת בן). Et ce fils, ont dit les Rabbins, c’était Habakuk. Le redoublement du ק radical s’explique même, selon eux, par le fait qu’il a été embrassé deux fois, une fois par sa mère, une seconde fois par le prophète Elisée. Il n’est certes pas nécessaire de nous arrêter à réfuter une telle assertion.
Luther, avec assez de raison peut-être, unit intimement le sens du nom d’Habakuk avec la mission même du prophète : « Habakuk, dit-il, avait un nom qui convenait bien à sa mission ; car Habakuk signifie celui qui embrasse (ein Herzer). Or c’est bien là ce qu’il fait par sa prophétie ; il embrasse son peuple, il le prend dans ses bras, c’est-à-dire il le console, il le relève comme on le fait pour un homme affligé ou un enfant qui pleure. » — D’autres ont expliqué ce sens d’embrassement par les rapports qui unissaient le prophète à son Dieu ; — « quasi amabilis est Domini, » a dit Jérôme.
On a cependant donné au mot חבקוק un autre sens, quoique faisant dériver ce nom du même verbe ; c’est le sens de lutte, lutteur. — Jérôme, donnant aussi au verbe חבק la signification de lutter, combattre (le rapprochant sans doute de אבק), s’exprime en ces termes : « Vel ex eo, quod amabilis Domini est, vocatur amplexatio, vel quod in certamen et luctam et, ut ita dicam, amplexum cum Deo congreditur, amplectantis, id est, luctantis sortitus est nomen. Nullus enim tam audaci voce ausus est Deum ad disceptationem justitiæ provocare et dicere ei : cur in rebus humanis et in mundi istius πολιτείᾳ tanta rerum versatur iniquitas ? » Et ailleurs encore : « Habakuk luctator fortisac rigidus stat custodiam suam…, » etc. C’est aussi le sens qu’adopte Abarbanel, sens qu’il explique en disant que le prophète semble lutter avec Dieu dans l’espèce de reproche contenu Habakuk 1.2.
Quant à nous, s’il fallait nous décider pour l’une des explications qui ont été faites des deux sens donnés au nom du prophète, nous ne saurions, à vrai dire, pour laquelle pencher, chacune étant également ingénieuse et intéressante. Mais ce qu’il nous faut avant tout, c’est le sens vrai. Or, nous pensons que ce sens est celui d’embrassement, amplexatio, et celui-là seulement. Le verbe חבק, en effet, n’a d’autre signification que celle d’embrasser. Comme exemple nous citerons 2 Rois 4.16 ; Ecclésiaste 3.5 ; Genèse 29.13 ; 48.10, où ce mot est pris au propre, et Job 24.8 ; Lamentations 4.5, où il est pris au figuré, pour se coucher sur. — Ce verbe signifie aussi plier, mais s’emploie alors avec ידים, comme dans Ecclésiaste 4.5. Quant à expliquer pourquoi le nom du prophète signifie embrassement, cela nous importe peu, d’autant plus qu’il n’a été présenté et que l’on ne pourra jamais, à cet égard, énoncer que des hypothèses.