Afin que tous les fidèles viennent à lire cette histoire plus attentivement et soigneusement, il sera bon de montrer en bref le profit qu’on en pourra recueillir. Les auteurs profanes voulant bien louer l’histoire, ont accoutumé de dire qu’elle est maîtresse de la vie. Or si tel titre peut convenir à un récit de quelques choses advenues, où il sera simplement remontré ce qu’il faudra fuir ou imiter par les exemples proposés : que dirons-nous des saintes histoires, lesquelles non seulement forment et adressent la vie de l’homme par dehors, afin que par vertu elle acquière louange, mais aussi (ce qui est bien plus à apprécier) nous montrent que Dieu dès le temps jadis a eu soin de son Eglise, et qu’il a été toujours bon garent et protecteur de ceux qui ont eu recours à lui et s’y sont fiés, qu’il a été propice et bénin aux pauvres pécheurs : et enseignant la foi, nous élèvent jusqu’au ciel ? Je laisse à dire qu’elles magnifient et célèbrent en général la providence de Dieu sur tout l’univers : qu’elles nous apprennent à connaître le vrai service de Dieu d’entre les fausses inventions des hommes : qu’elles ne manquent jamais à bien discerner entre vice et vertu. Mais encore me veux-je déporter pour le présent de traiter les louanges qui appartiennent en commun à toutes les saintes histoires : je toucherai seulement ce que ce livre a de propre.
Saint Luc donc nous propose ici de grandes choses et fort utiles. Premièrement, quand il raconte que le saint Esprit a été envoyé sur les apôtres, non seulement il montre que Christ a été véritable en sa promesse, mais aussi nous enseigne qu’il a les siens en grande recommandation, et qu’il sera à jamais gouverneur et protecteur de son Eglise. Car c’a été à cette fin qu’alors le saint Esprit est descendu. Et de là nous sommes enseignés que malgré la distance des lieux Christ ne laisse point d’être toujours avec les siens, et de leur assister ainsi qu’il a promis. Puis après ici nous est décrit le commencement du règne de Christ, et par manière de dire, le renouvellement du monde. Car combien que le Fils de Dieu avant que partir de ce monde eût déjà par sa prédication assemblé quelque Eglise : toutefois on n’a point vu l’état de l’Eglise Chrétienne bien dressé, jusques à ce que les apôtres étant d’en-haut armés de nouvelle vertu, ont annoncé ce grand Pasteur Jésus-Christ être mort et ressuscité, afin que ceux qui auparavant étaient vagabonds et errants, fussent sous sa conduite tous ensemble recueillis en une bergerie. Il nous est donc ici expliqué quels ont été les commencements de l’Eglise depuis que Christ est monté au ciel, et par quels moyens elle a été augmentée et avancée. Or en cela est connue tant la puissance admirable de Christ, comme la vertu et efficace de son Evangile. Car quand avec la seule voix de l’Evangile Christ a si aisément conquis tout le monde, et l’a rangé à son obéissance par des gens de basse qualité et sans autorité : combien que Satan de tous côtés fit ses efforts à l’encontre : il a en cela montre une singulière preuve de sa puissance Divine. Nous apercevons aussi la vertu incroyable de l’Evangile, en ce que non seulement il est venu en avant en dépit de tout le monde, mais aussi a avec grande magnificence mis bas et assujetti à Christ tout ce qui semblait être invincible. Ainsi la simple parole qui est sortie de la bouche de ces pauvres gens, qui étaient en petit nombre et de nulle estime, a plus fait que si Dieu avait devant tout le monde tonné et foudroyé d’en-haut. D’autre part aussi le saint Esprit nous avertit que jamais le règne de Christ ne vient à se dresser, que Satan ne s’élève furieusement à rencontre, et employé toutes ses forces pour l’abattre ou ébranler. Et non seulement nous sommes enseignés que Satan bataille contre Christ en ennemi mortel, mais que presque tout le monde enflammé d’une semblable rage n’épargne rien pour empêcher que le règne demeure à Christ. Qui plus est, il nous faut tenir pour certain que les méchants quand ils crient et tempêtent ainsi contre l’Evangile, combattent sous l’enseigne de Satan, et qu’ils sont par lui poussés en une telle lutte. Voilà la cause et source de tant de fâcheuses émotions, de malheureuses conspirations, de méchantes pratiques et complots des malins pour empêcher le cours de l’Evangile, que saint Luc explique en plusieurs endroits. Bref, comme les apôtres ont par expérience connu que l’Evangile est feu et glaive, ainsi faut-il que leur pratique nous serve aujourd’hui de leçon, afin que nous sachions que jamais il ne sera qu’on ne voie l’Evangile assailli de grands et dangereux dangers, tant par la malice obstinée de Satan, que par la rébellion naturelle des hommes : ce qui sera cause de merveilleux changements et troubles horribles.
Mais d’autre part, saint Luc nous raconte que ce nonobstant, les apôtres avec grande magnanimité et constance ont exécuté la charge qu’ils savaient leur être donnée de Dieu. Il nous montre aussi comme ils ont vertueusement passé une infinité de fâcheries, ennuis et vilains tours, comme ils ont porté patiemment et soutenu les flots de persécutions cruelles : en somme, comme ils ont été tout faits à endurer injures et toute pauvreté et misère. Or ces exemples sont pour nous conduire et accoutumer à patience. Car puis que le Fils de Dieu a une fois prononcé que son Evangile sera toujours accompagné de la croix, c’est folie à nous de nous faire à croire que l’Eglise doive fleurir en ce monde, et avoir un état paisible et tranquille. Apprêtons-nous donc à endurer de même. Mais nous avons en même temps une consolation qui n’est pas petite : c’est que tout ainsi que Dieu a jadis miraculeusement gardé son Eglise au milieu de tant d’afflictions, esclandres et oppositions, aussi nous maintiendra-il et aidera encore aujourd’hui. Et de fait, vu que tout ce livre nous montre comment l’Eglise étant toujours environnée de mille morts, est préservée et soutenue par la seule main de Dieu : il n’y a point de doute que Dieu n’ait voulu ici nous mettre devant les yeux la providence singulière qu’il déploie pour le salut de celle-ci. D’avantage, nous y avons le récit de quelques sermons qu’ont fait les apôtres, lesquels parlent de la miséricorde de Dieu, de la grâce de Christ, de l’espérance de l’immortalité bienheureuse, de l’invocation de Dieu, de pénitence, de la crainte de Dieu, et autres principaux points de la doctrine céleste : et en traitent si proprement qu’il ne faut point chercher ailleurs un vrai sommaire de la piété et religion Chrétienne. Si c’est chose et honnête, et utile, de savoir quel a été le commencement de l’Eglise Chrétienne, comment les apôtres sont entrés à prêcher l’Evangile, quel profit et avancement ils ont fait, et cependant quels combats il leur a fallu soutenir, comme ils ont joyeusement et vertueusement poursuivi leur train entre tant d’empêchements, comment sous l’ignominie de la croix ils ont magnifiquement triomphé de toute la bravade et orgueil du monde, comment Dieu leur a assisté par de merveilleux moyens : nous devons bien avoir en singulière recommandation ce livre-ci : sans lequel la connaissance de ces choses tant grandes serait ou du tout ensevelie et perdue, ou fort embrouillée et obscure, ou douteuse et incertaine. Car nous voyons que Satan a en cet endroit employé toute sa finesse, pour faire qu’on ne trouvât rien des faits des apôtres sinon corrompu et barbouillé de mensonges, afin de rendre suspect tout ce qu’on dirait d’eux, et d’effacer par ce moyen de la mémoire des fidèles toute la souvenance de ce temps-là. Car il a suscité en partie de sots rêveurs, en partie de rusés moqueurs, lesquels sous des noms empruntés ont mis en avant des tables mal bâties, desquelles l’absurdité a ôté toute autorité même aux vraies histoires. Pour exemple : nous voyons je ne sais quels petits livres intitulés du nom de Linus, parlant de saint Paul, et saint Pierre, où il y a des niaiseries tant lourdes, qu’il semble qu’on ait voulu de propos délibéré apprêter à rire aux personnes profanes, et dépiter les gens de bien : et la belle dispute qu’on a forgée de saint Pierre avec Simon le Magicien, qui est tant ridicule qu’elle déshonore grandement la Chrétienté. Autant en faut-il dire de tout ce mélange qui est intitulé, Les Revues et Conciles de Clément : et est allégué parmi les ravauderies de Gratian. Car combien qu’il n’y ait là que des fariboles où il n’y a nulle apparence, toutefois pour ce qu’elles sont fardées du nom des anciens, les simples en sont abusés, et les malins n’ont point de honte de les mettre en avant tout assurément, comme si c’étaient arrêts apportés du ciel. Satan a abusé de cette licence de mentir, afin que nous n’eussions aucune certitude des choses advenues depuis que Christ est monté au ciel. Et de fait, si ce livre de saint Luc n’était demeuré pour nous servir de registre, il semblerait que Christ montant au ciel n’eût laissé en ce monde aucun fruit de sa mort et résurrection. Car toute la mémoire en serait perdue aussi bien que la présence de son corps. Nous ne saurions point qu’il a tellement été reçu en la gloire céleste, que cependant il a souveraine domination par tout le monde. Nous ne saurions point que la doctrine de l’Evangile a été publiée par le ministère des apôtres, afin que de main en main elle parvint jusques à nous, quelque temps qu’il y ait entre-deux. Nous ne saurions point qu’ils ont reçu le saint Esprit pour ne rien enseigner qui ne fût de Dieu, afin que notre foi fut fondée sur la ferme et certaine vérité. Et pour finir, nous ne saurions point que cette prophétie d’Ésaïe eût été accomplie, en laquelle il avait prédit que la Loi sortirait de Sion, et la parole de Dieu de Jérusalem. Or puis que ce livre, lequel sans doute est procédé du saint Esprit, nous rend certain témoignage de toutes ces choses, non sans cause j’ai dit ci-devant, et maintien encore que nous le devons tenir pour un trésor singulier.