(1812-1838)
Naissance de John Hunt. — Ses parents. — Ses premières années. — Ses goûts militaires. — Sa timidité. — Sa confiance en Dieu. — Le premier éveil de sa conscience. — Temps d’égarement. — La maladie. — Le sentiment du péché. — Les réunions méthodistes. — La paix de Dieu. — Un nouveau maître. — Besoins intellectuels. — Distractions. — Perspectives nouvelles. — Il parle en public. — Il devient prédicateur laïque. — Sa seule ambition. — Progrès rapides. — Succès. — Sa piété profonde. — Il entre à l’institut d’Hoxton. — Ses études. — Soif de sainteté. — Règles de dévotion. — Résultats.
John Hunt naquit à Hykeham Moor, près de Lincoln, en Angleterre, le 13 juin 1812. A cette époque, son père, honnête fermier, jouissait d’une certaine aisance. Mais le propriétaire de la ferme qu’il tenait en location ayant dû la faire passer en d’autres mains, il se vit enlever la position comparativement facile qu’il occupait et tomba alors, lui et ses quatre enfants, dans un état voisin de la misère. L’école de la pauvreté fut la première à laquelle John forma son caractère qui y reçut une trempe virile ; il dut apprendre de bonne heure à ne compter guère que sur soi et sur Dieu, et l’on verra comment il sut par la suite mettre à profit ces grandes instructions puisées dans le malheur. Bien que la position de ses parents s’améliorât insensiblement dans la longue lutte qu’ils soutinrent contre l’indigence, ils ne devaient lui laisser pour tout bien que l’exemple d’une irréprochable honnêteté et d’une activité énergique ; il dut lui-même, dès l’âge de dix ans, s’engager comme garçon de ferme, après avoir passé quelque temps dans la pauvre école de la paroisse. Il se faisait déjà remarquer par une intelligence singulièrement précoce, par le sérieux de son caractère, et en même temps par un manque d’aptitude à peu près complet pour les travaux rudes et fatigants de la campagne. Nul ne savait aussi bien que lui répéter le texte sur lequel le clergyman avait prêché le dimanche, mais par contre nul ne savait si mal venir à bout des mille petits travaux que l’on réclame d’un garçon de ferme. En voyant ce petit homme au visage sérieux, malhabile au maniement de la fourche, incapable de faire claquer un fouet et même de faire suivre à l’attelage l’étroit sillon tracé par la charrue, les garçons du village riaient et les mères de famille se félicitaient de ne pas l’avoir pour fils, déclarant qu’il ne serait jamais bon à rien, à moins qu’on n’en pût faire un mauvais tailleur d’habits. Pour lui, il s’était bien promis d’arriver, à force de persévérance, à faire aussi bien que ses compagnons, et toute son ambition se tourna, pendant quelque temps, de ce côté-là.
A mesure qu’il grandissait et que les années s’écoulaient, ses préoccupations s’élevaient insensiblement. Son père avait servi dans la marine ; il avait pris part à la bataille du Nil et à d’autres combats navals importants, et. pendant les soirées d’hiver, John avait souvent écouté, avec une vive attention, les longs récits que le vieux soldat faisait au coin du feu. Il avait alors rêvé la vie militaire et ses dangers, et le désir de s’enrôler se présenta souvent à son esprit. Mais l’enfant était trop timide pour faire part à personne de ces idées belliqueuses dont on se serait moqué, il le savait bien. Aussi, concentrant en soi ces rêves d’avenir qui venaient flotter délicieusement la nuit devant ses yeux, il se contentait d’accomplir ses devoirs aussi fidèlement que cela lui était possible. Le moment était venu où une révolution complète allait s’opérer dans ses pensées.
Les parents de John Hunt, bien qu’ils n’eussent aucune notion précise par rapport à un christianisme vivant, avaient inculqué à leur fils une confiance naïve en Dieu, en même temps qu’ils lui avaient recommandé d’avoir recours à la prière dans toutes ses épreuves. L’enfant simple et ignorant avait compris, et non seulement il s’acquittait chaque jour des pratiques pieuses en usage dans sa famille, mais encore, lorsqu’il entendait gronder la foudre ou aboyer de mauvais chiens, ou lorsqu’il redoutait de rencontrer dans la nuit quelque fantôme ou quelque prétendue sorcière, il tombait sur ses genoux, se recommandait à Dieu, puis continuait gaiement son chemin, persuadé que la Providence prendrait soin de lui. Cette confiance naïve en Dieu qui fut plus tard l’un des traits dominants de son caractère chrétien fut fortifiée en lui à cette époque de sa vie par la vue d’un danger auquel il échappa, un jour qu’il tomba de cheval, la tête la première, sans pourtant se faire le moindre mal. Dès lors, il lisait la Bible avec régularité et fuyait les jeunes gens vicieux et légers. Dans ses lectures, il s’arrêtait parfois avec angoisse sur les passages qui parlent de l’éternité des peines des réprouvés ; un frisson glaçait alors son sang, il tremblait des pieds à la tête, non que le sentiment du péché fût déjà bien précis chez lui ; son émotion avait quelque chose d’irréfléchi, je dirais presque d’instinctif. Quoiqu’il en soit, c’était là déjà une préparation.
A force de persévérance et de volonté, John en grandissant avait réussi à effacer l’espèce d’infériorité dans laquelle il se trouvait placé par rapport à ses camarades ; il était devenu fort et courageux, et la comparaison que l’on pouvait essayer d’établir entre eux et lui n’était plus à son désavantage. Malheureusement ce ne fut pas seulement en adresse et en vigueur qu’il voulut ne pas leur être inférieur ; leur exemple l’entraîna dans le péché ; il en vint à négliger la lecture et la prière, et à perdre ses bonnes dispositions. « Néanmoins, nous dit-il, je ne réussissais pas à apporter au service de Satan la moitié autant d’ardeur que je l’eusse voulu. »
Il n’y avait dans ce besoin d’étourdissement qu’une tentative malheureuse d’étouffer la voix importune d’une conscience qui commençait à parler haut. Une maladie fort grave qui lui survint, lorsqu’il n’avait que seize ans, montra combien factice était cette agitation mondaine, et lui prouva à lui-même qu’il n’est pas facile d’échapper à Dieu. Une fièvre cérébrale violente menaça de l’emporter, et l’adolescent put contempler la mort de bien près, dans les longues heures de souffrance qu’il dut passer dans sa chambre. Il s’opéra dans son âme un profond travail de conviction auquel il faisait allusion par la suite lorsqu’il écrivait : « Je me dis alors qu’il ne me servirait à rien de promettre au Seigneur de le servir s’il me rétablissait, attendu que des promesses semblables, j’en avais souvent fait et souvent violé dans le passé. Je compris que la seule chose à faire pour moi, c’était de commencer à servir Dieu sans retard et dès ce moment, selon les lumières que je possédais. Je tombai alors à genoux et me mis à prier ; puis j’ouvris ma Bible en commençant ma lecture par l’Apocalypse. Ce livre me jeta dans un grand trouble, bien que je ne comprisse qu’imparfaitement ce que je lisais. » Ces bonnes résolutions se fortifièrent encore chez lui, lorsqu’il apprit que l’un de ses amis était mort de cette même maladie à laquelle il n’échappait lui-même, il le sentait, que par une intervention évidente de la miséricorde de Dieu.
A peine en convalescence, il se vit entouré de ses anciens camarades qui essayèrent de le distraire, mais il leur fit entendre qu’il se proposait de commencer une vie nouvelle et qu’il ne se sentait plus libre de les suivre. Dès qu’il put sortir, il se rendit chez des voisins connus par leur piété, et leur fit part de ses convictions, et, tandis qu’il parlait, des larmes abondantes ruisselaient sur sa figure ; ils prièrent avec lui, et lui-même se mit à prier avec ferveur, implorant de Dieu le pardon de ses péchés.
Peu après, il se lia d’amitié avec un jeune homme pieux qui le mit en relation avec les réunions que tenaient dans le voisinage des pasteurs méthodistes. Il fut frappé de la simplicité de leur prédication qui le fit pénétrer plus avant qu’il ne l’avait encore fait dans la connaissance de son cœur. Une réunion intime à laquelle il assista et où chacune des personnes présentes fit part aux autres de ses expériences religieuses, semble avoir surtout exercé la plus salutaire influence sur ses sentiments. Lorsque son tour fut venu, tout tremblant il communiqua à ses frères les angoisses par lesquelles il passait, et la plupart lui adressèrent de sérieux et fraternels encouragements qui le relevèrent un peu.
Il put bientôt entrer en relations plus étroites encore avec ces chrétiens simples et fervents qu’il avait appris à aimer, mais ces rapports ne lui apportèrent pas d’abord toute la joie qu’il en attendait ; au contraire, à mesure qu’il connaissait mieux les chrétiens, il découvrait en eux une joie et une assurance qu’il ne possédait pas ; il apprenait aussi à sonder son cœur et à mieux comprendre son état de péché devant Dieu. Cette étude douloureuse durait depuis une année déjà, sans que sa conscience fût apaisée ; il avait enfin acquis la conviction qu’il méritait la colère de Dieu, à cause de ses nombreuses transgressions.
Ce fut sous les prières du célèbre et pieux pasteur. John Smith que le garçon de ferme, âgé alors de dix-sept ans, sentit la paix de Dieu qui résulte du pardon remplir son cœur. Sa conversion, amenée par un long et douloureux travail intérieur, eut pourtant une crise décisive dont le souvenir demeura fortement empreint sur l’âme du jeune homme. Il écrivait plus tard, en parlant de cette époque : « En aucune partie de ma vie religieuse, je ne me suis senti en communion aussi intime avec Dieu ; jamais depuis lors je n’ai possédé une aussi grande délicatesse de conscience, une telle joie dans le service de Dieu, et une compassion aussi vive pour l’âme de mes semblables. J’étais persécuté par mes anciens camarades ; mais c’était « pour la justice, » eux-mêmes en convenaient. »
En même temps que son âme s’ouvrait à la compréhension des choses religieuses, il sentait naître en lui un ardent désir de savoir. Sa culture intellectuelle avait été complètement négligée, et ce ne fut qu’à force d’intelligence et de bonne volonté qu’il réussit à acquérir les connaissances qui lui furent nécessaires dans la carrière qu’il devait embrasser plus tard, bien qu’alors il n’y pensât nullement. Ayant eu le bonheur d’entrer à cette époque au service d’un maître à la fois lettré et pieux, il put enfin satisfaire ses goûts et consacrer tous ses loisirs à la lecture et à l’étude. Son intelligence jusqu’alors emprisonnée dans le cercle étroit des occupations de sa vie journalière, prit son essor et arriva à la conscience de sa force. Ce fut surtout vers sa chère Bible, qu’il aimait d’une croissante affection, qu’il fit converger tous ses travaux intellectuels. Ses préoccupations studieuses le poursuivaient partout, et, soit qu’il fût aux champs, soit qu’assis sur sa charrette il conduisît au marché les céréales de son maître, on était sûr de le trouver plongé dans ses réflexions. Quelquefois, il faut le dire, ses méditations lui étaient plus profitables à lui-même qu’elles ne l’étaient à son maître. Une fois, par exemple, celui-ci l’avait chargé de porter le lendemain une charge de blé au marché de Newark. Hunt se leva en temps convenable, donna l’avoine à ses chevaux et les attela à la charrette du fermier ; mais, tout absorbé par la lecture qu’il avait faite la veille de quelque passage de Home ou de Paley, il ne s’aperçut pas, avant d’arriver au marché, qu’il avait oublié de charger les sacs de blé sur la charrette. De petites mésaventures comme celle-là étaient assez fréquentes, mais le fermier que servait John était pieux, et, voyant que son serviteur mettait tout son zèle à accomplir ses devoirs, il excusait tout, se disant que Dieu destinait sans doute ce jeune homme à une vocation plus relevée.
C’était là aussi la conviction qui se faisait jour insensiblement au milieu des membres de la petite société méthodiste qui se réunissait à Swinderby. Ils avaient remarqué la conduite chrétienne de John, et plusieurs avaient été frappés des habitudes studieuses et réfléchies du jeune garçon de ferme. Or, l’un des traits caractéristiques de l’Église wesleyenne c’est de mettre à profit tous les talents de quelque nature qu’ils soient, en sorte que chaque communauté est pour ainsi dire aux aguets afin d’utiliser les dons de ses membres pour l’édification de l’Église. La localité que nous avons nommée n’était visitée qu’occasionnellement par les pasteurs, et un laïque devait souvent présider le culte. Un dimanche soir, sur l’invitation pressante de ses frères qui, dans les réunions de prières, avaient pu se convaincre de l’onction et de la facilité de Hunt, il se décida, après avoir longtemps hésité, à adresser quelques timides paroles à l’assemblée. Ce petit essai satisfit tellement la congrégation qu’elle l’appela à lui prêcher, toutes les fois que le pasteur serait absent. Mais le pauvre jeune homme, naturellement timide, passait par des transes et des frayeurs indescriptibles, toutes les fois qu’il était appelé à prendre la parole en public. Quelques épreuves qu’il rencontra dès l’abord augmentèrent cette défiance qu’il avait de lui-même ; mais, tout compté, il y avait là un élément de force et de succès. L’épreuve fut rude toutefois ; pendant plusieurs mois, il se vit ballotté par le doute et la tentation, et ce ne fut qu’à la suite de violents combats qu’il put se décider à prêcher. L’appel de l’Église était si clair et si pressant, que force lui fut de laisser là ses hésitations pour répondre à la voix intérieure qui le poussait dans la carrière de l’évangélisation. Son nom parut sur le tableau des services du circuit au rang des prédicateurs laïques. Lorsque cette liste des services religieux lui fut remise, il entra en tremblant dans sa chambre, la déploya devant lui, se jeta à genoux et demanda à Dieu, au milieu de larmes abondantes, qu’il lui révélât clairement sa volonté. Bientôt le calme se fit dans son esprit, ses doutes s’évanouirent, et la conviction naquit en lui que Dieu l’appelait à prêcher son Évangile. Cette conviction demeura inébranlable jusqu’à l’heure de sa mort.
L’humble garçon de ferme n’avait aucune ambition par rapport à l’avenir, et il ne songeait nullement à sortir de sa position, pensant que, comme beaucoup d’autres dans son église, il pourrait se rendre utile en qualité d’évangéliste laïque non rétribué. Plus que jamais il se livra à l’étude, et ses auditeurs remarquèrent bientôt que d’une fois à l’autre il faisait de nouveaux progrès. Un pasteur qui l’entendit un jour, fut tellement frappé de son intelligence et de ses dons naturels, qu’il résolut de faire tous ses efforts pour le décider à entreprendre des études en vue du ministère. Dans une conversation qu’il eut avec lui, il lui demanda quelles étaient ses pensées sur ce sujet. Le jeune homme qui, depuis quelque temps, se sentait appelé à se consacrer exclusivement à l’œuvre de Dieu, déclara qu’il ne se croyait pas capable de devenir jamais ministre, mais il confessa qu’il avait « une ambition, » — ce fut sa propre parole, — celle de prier un missionnaire sur le point de partir pour le Cap de le prendre comme domestique. « Je pourrais peut-être, ajoutait-il modestement, outre les services matériels que je lui rendrais, devenir utile dans l’école du dimanche, et adresser quelques prédications aux colons anglais. » Le pasteur acquit, dans cette entrevue, la conviction que ce jeune homme pouvait faire quelque chose de mieux dans l’œuvre du Seigneur que de cultiver les champs de la mission au sud de l’Afrique. Cette modestie nullement affectée le lui fit prendre en sérieuse estime, et il se promit de faire quelque chose pour lui.
Le jeune fermier avait fait de si rapides progrès dans tous les sens que sa réputation se répandit bientôt, et les chapelles des villes principales du comté lui furent ouvertes ; partout sa parole attirait la foule et produisait de profondes impressions sur les âmes. Son instruction était loin assurément d’être complète, mais il possédait un naturel si richement doué, son langage était empreint d’une candeur et d’une onction telles, que ses auditeurs charmés et convaincus ne pouvaient se lasser de l’entendre. Il réunissait une brillante imagination à un esprit méthodique et dialecticien. « La véhémence de sa conviction était telle, écrit son biographe, qu’il communiquait à ses auditeurs le feu qui dévorait sa propre âme, en sorte que parfois l’assemblée tout entière se courbait sous cette main rugueuse et durcie par le travail des champs, et des larmes et des sanglots répondaient à ses appels énergiques. Le secret de ses succès, je le trouve sur un chiffon de papier où il écrivait à ce moment : « Je suis convaincu que, pour être utile comme prédicateur, je dois être éminent comme chrétien individuel ; » et il continue en s’accusant de n’avoir pas visité les malades assez régulièrement, ni censuré le mal avec assez de fidélité. Bien qu’il se vît recherché et admiré, il ne paraît pas s’en être enorgueilli ; le sentiment des lacunes nombreuses de sa culture et de son talent le gardait dans l’humilité, et le poussait à la prière. C’était à genoux qu’il acquérait la puissance qui l’accompagnait dans là chaire. Quel temps il passait dans une lutte intense, nul ne pourra le dire que Celui « qui voit dans le secret. » Un jour qu’il priait de la sorte avant de monter en chaire, un jeune homme pénétra dans sa chambre pour lui parler, mais bientôt il s’en revint, disant que le prédicateur n’avait pas même remarqué son entrée dans la chambre, et qu’il paraissait tellement en communion avec Dieu et absorbé dans le sentiment de sa présence qu’il n’avait pas eu le courage de l’interrompre. »
Ces détails sur les premiers travaux de Hunt comme prédicateur laïque étaient nécessaires pour faire comprendre le caractère et la vie du missionnaire. Ce travail si fortement individuel où il se trouvait souvent abandonné à ses seules forces, devait développer en lui à la fois l’habitude d’aller de l’avant par soi-même et le besoin de s’appuyer constamment sur Dieu, les deux qualités fondamentales et indispensables de tout missionnaire.
En septembre 1835, John Hunt fut admis à l’institut à la fois littéraire et théologique d’Hoxton, près de Londres. Sa piété et sa douceur le firent estimer et aimer de ses professeurs et de ses condisciples, bien que parfois l’accent provincial de l’ancien garçon de ferme amenât un sourire sur les lèvres de ces derniers. Il manifestait pour l’étude un zèle remarquable et des dispositions étonnantes, et les trois années qu’il passa à l’institut le transformèrent au point de le rendre méconnaissable. Ses aptitudes naturelles avaient enfin trouvé leur voie, et sa forte intelligence se développait rapidement au contact de ces livres et de ces études qu’il avait souvent rêvés dans le passé, sans pouvoir en jouir comme il l’eût désiré. Il sentait mieux que personne les lacunes de son instruction première, et il les déplorait au point de s’imaginer parfois qu’il était condamné à être à toujours un homme inférieur, et au point de craindre d’avoir agi d’une manière trop précipitée, en acceptant l’appel qui lui avait été adressé. La suite devait répondre à ces préoccupations très naturelles et très respectables, en prouvant qu’elles n’avaient aucune raison d’être.
Quelques-uns des amis de Hunt avaient craint que les études auxquelles il allait se livrer n’eussent pour résultat d’altérer la simplicité de sa foi. Il n’en fut rien heureusement. Cette foi avait jeté de trop profondes racines dans son âme, et surtout elle avait été conquise par lui au prix de trop de larmes et de trop de combats pour se laisser facilement ébranler. Ces années furent au contraire pour lui une période de progrès et d’affermissement. Sa foi passa par une crise salutaire d’où elle sortit retrempée et fortifiée pour les luttes que l’avenir lui réservait. Quelques lignes empruntées à l’une de ses lettres indiqueront au lecteur ce grand trait de la piété du jeune étudiant, je veux dire cette ambition de progrès, cette soif de sainteté’qui fut son tourment, dirai-je, ou sa force plutôt, tout le long de sa carrière : « Le Seigneur a béni mes travaux depuis que je suis à Londres, écrit-il. Oh ! je sens que si j’étais plus saint, je serais aussi plus utile. Je crains, parfois d’être une occasion de chute et même de perdition pour quelque âme par mon manque de sainteté. Mais pourquoi en serait-il ainsi ? Mon Dieu ne veut-il pas m’accorder la plénitude du salut que Jésus m’a acquis en mourant pour moi ? Oui, Seigneur, je puis recevoir par la foi une mesure plus abondante de sainteté ; oh I augmente ma foi … Ne nous contentons pas d’un christianisme ordinaire. Prions et croyons jusqu’à ce que la foi et la prière nous deviennent faciles. Je crois que l’on peut en arriver à vivre en Dieu, au point qu’il devienne aussi naturel de prier et de croire que de respirer. »
C’est une erreur dangereuse que de s’imaginer que plus la piété est profonde plus elle se passe de règles. Ce qui arrive au contraire, c’est que, se connaissant mieux, elle se surveille davantage. Hunt se donna, dès la première année de ses études, les règles suivantes pour ses dévotions quotidiennes :
- Commencer le jour en rendant grâces à Dieu pour la nuit écoulée ;
- Autant que possible, établir l’emploi de la journée ;
- Présenter spécialement à Dieu dans la prière chacune des parties de ces occupations, et implorer son assistance contre les tentations probables du jour ;
- Lire à genoux une portion de la Bible ;
- Prier pour mes parents, pour mes amis, pour l’Église et pour le monde.
Ces divers exercices occuperont une heure environ.
Le soir :
- Confier à ma mémoire un passage de l’Écriture ;
- Examen de soi-même ; confession ; action de grâce ; prière.
Quelqu’un pourra trouver qu’il y a quelque chose d’un peu légal dans cette division si méthodique du temps consacré aux dévotions particulières. Je n’en disconviens pas ; qu’on y voie cependant une tentative de réagir, au moyen d’une discipline sévère, contre les entraînements d’une vie studieuse, et l’on se sentira plus porté à admirer qu’à blâmer notre jeune étudiant.
Son séjour à Hoxton fut marqué pour lui à la fois par des progrès remarquable dans son développement intellectuel et par des progrès non moins sérieux dans sa vie intérieure. Selon la recommandation apostolique, il avait ajouté à la foi la science, sans pour cela, comme tant d’autres, sacrifier la première à la seconde. On verra combien cette double préparation devait être nécessaire au futur missionnaire, au futur traducteur de la Bible.
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