John Bunyan : Chaudronnier, Poète, Évangéliste

Première partie

1. Premières fondations

John Bunyan vit le jour le 30 novembre 1628, dans le cottage de Thomas Bonnion son père, à Elstow, comté de Bedford. Les Bonnion étaient une des vieilles familles du pays. Les Anglais, très friands de généalogies et soucieux toujours de se trouver quelque racine dans la génération de la Conquête, remontent volontiers de Bonnion d'où est sorti Bunyan à Bon John et de là à Bon Jean. C'est cependant problématique. Thomas Bonnion orthographiait son nom Bonnion ou Bunyan, indifféremment.

Thomas Bonnion était chaudronnier de son état. On sait de lui qu'il mit en terre successivement plusieurs épouses, en grande douleur ; mais que ne pouvant souffrir le long veuvage, il se remariait Invariablement un mois après les funérailles, au grand scandale des bonnes gens du pays. La mère de John était Dame Bunyan, la deuxième du nom.

Thomas était pauvre artisan. Pour autant qu'il nous est possible d'en juger, il était très ponctuel dans les pratiques de la religion anglicane, la seule qu'autorisât Sa Majesté de Londres, et avait à cœur de bien élever ses enfants.

John devait écrire plus tard : « J'étais d'une extraction basse et dépourvue du moindre éclat, la maison de mon père étant des plus humbles du pays, sa famille des plus méprisées... Je ne suis jamais allé à l'école aux pieds d'Aristote ou de Platon, mais fus élevé dans la maison de mon père, dans les conditions les plus misérables, avec quelques pauvres paysans comme moi... Pourtant, je bénis Dieu de ce que, par cette porte, il m'a fait entrer en ce monde pour prendre part à la grâce et à la vie qui est, par Christ, en son Evangile. »

La vie à Elstow était paisible bien qu'à cette époque, l'Angleterre traversât une des périodes les plus tourmentées de son histoire. Le roi Charles 1er avait maille à partir avec son Parlement ; Il devait même, le moment venu, y perdre à la fois la couronne et la tête. Thomas Bonnion, lui, s'occupait à rétamer pots et casseroles.

Nous n'avons à notre disposition pour peindre la jeunesse de John Bunyan, que son propre témoignage, tel qu'il nous le donne au début de sa « Confession », Grâce surabondante. Il aurait été, à l'entendre, un pendard et un vaurien. De son roman La vie et la mort de Monsieur Badman (Méchant homme) que l'on s'accorde à considérer comme une manière d'autobiographie, nous tirons un portrait vivant de garçon turbulent, difficile à tenir. Oh ! bien bénins, tout bien considéré, ses méfaits de gamin : escapades traditionnelles, vergers dévastés, poulaillers mis au pillage... Il est chef de bande, cela va sans dire. Il a découvert aussi, dans le fourré, de fameuses cachettes, fort utiles le dimanche, quand Il lui semble urgent de disparaître, à l'heure du sermon. C'est que les sermons, en ces temps héroïques, exigent une forte dose de stoïcisme de la part des jeunes auditeurs. Si d'ailleurs, à sa grande détresse, il ne peut esquiver le sermon, long d'une heure, il dort, ou attache ses yeux « à quelque objet charmant ».

Le gamin fait le désespoir de sa bonne mère. Il a tendance à voler ses camarades, à mentir et, pour comble de cynisme, à raconter des histoires ! Mais le triomphe de sa vie ne sera-t-il pas de raconter des histoires ? Surtout, à en perdre l'haleine, il jure ! Il a une langue de démon. Il souligne de son exemple ce témoignage d'un auteur contemporain : « Le péché de blasphème est le plus fertile en ce pays. Car on peut entendre de petits garçons dans la rue, jurer de terrible façon, assez pour faire frémir d'horreur un homme d'âge mûr. »

Bunyan dit lui-même « qu'il n'avait pas son égal pour jurer, maudire, mentir et blasphémer le Saint Nom de Dieu ».

John Bunyan est très emphatique dans cette noire peinture. Mais il faut nous méfier du témoignage de cet homme qui écrit à quelque trente années de là, et qui fouille son passé avec le regard Impitoyable et dur d'un Puritain. Il n'y a pas de peccadille pour un Puritain.

Il est probable que John fut un garçon comme les autres, bien vivant, turbulent, très éveillé, et chenapan autant que peut l'être gamin bien né, dans toutes les races de la terre.

Mais, vraisemblablement, ses fredaines n'allaient pas sans admonestations sévères et sans menaces jetées à la bottée, abracadabrantes et cyniques, souvent ! Que de fois n'a-t-on pas dû le menacer du diable, qui se tient dans l'ombre, à portée de la voix, prêt à emporter vers ses chaudières les enfants désobéissants ! Ne lui a-t-on pas dit aussi, et redit, que les menteurs ont leur lot dans l'étang de soufre et de feu ? Nous nous imaginons facilement le garnement allant au lit sans souper, au sortir d'une semonce embrasée de tous les feux de l'enfer, s'endormant la tête encore toute pleine de ce fracas, pour se sentir tout de suite entraîné dans des rêves horrifiants, infernaux, nourris précisément des visions évoquées dans la cohue des malédictions maternelles. Sûrement le diable d'Elstow devait servir à l'éducation de la jeunesse du pays, émule de nos Croquemitaines et de nos Loups Garous. Le peuple était très superstitieux ; le mauvais œil, la sorcellerie, les démons faisaient l'objet des conversations journalières. Satan était une réalité très concrète, l'Ennemi, tapi dans quelque antre du pays...

Bunyan nous raconte qu'à neuf et dix ans, il vivait dans une peur atroce de l'Enfer et de Satan ! Une bonne partie de sa vie devait se dérouler dans le prolongement de ces paniques des premiers ans. Dieu seul fut témoin des luttes qu'il eut à soutenir, plus tard, pour s'en libérer.

L'enfant se révélait très sensible. Son imagination brûlait en d'étranges fièvres et ses terreurs le détraquaient. L'enfant est père de l'homme. Nous retrouvons ce Bunyan-là plus tard, au cours des étapes de sa laborieuse transfiguration.

Dès ses lointaines manifestations, son individualité s'était imposée avec force. Elle s'affirma davantage encore dans une adolescence qui continua, en les consolidant, toutes les tendances de l'enfance. Sa seule délivrance fut de ne plus connaître ses horribles cauchemars.

Trois amis, raconte-t-il, le conduisirent dans l'ivrognerie, le vice et la malhonnêteté. Et il lisait de mauvais livres ! Craignons de prendre Ici encore le Puritain en flagrant délit de pessimisme. Macaulay affirme qu'il fut un Jeune homme modèle. Il est vrai que Southey dit qu'il fut quelque chose comme un jeune voyou. Il a été probablement mondain comme on pouvait l'être dans le hameau perdu d'Elstow, qui comptait une soixantaine de feux.

Lorsqu'il eut seize ans, sa mère mourut. Un mois après sa sœur Marguerite partait à son tour. Un autre mois écoulé, et son père se remariait.

Cependant de grands événements se préparaient. Encore quelques semaines et John allait partir, soldat, vers l'inconnu. L'Angleterre traversait des temps fatidiques. Le roi Charles ne venait pas à bout de son Parlement avec qui Il avait des démêlés. En ces jours belliqueux, les Querelles se réglaient sur les champs de bataille. Cromwell suivait son destin, bien qu'il fût encore obscur. Tout le pays était ébranlé. De partout, la jeunesse ralliait les camps adverses.

John Bunyan fit comme les autres.

A seize ans, soldat ! Le fait n'était pas rare. Puis le foyer d'Elstow était bien bouleversé, la fièvre collective bien contagieuse ! D'ailleurs, John était par tempérament, un soldat.

Le magnifique conteur qu'il deviendra plus tard, nous laissera-t-Il quelque récit de ses exploits, au moins de ses visions de guerre ? Discrétion extraordinaire ! Dans les soixante ouvrages qu'il nous a donnés, il n'y a qu'une seule phrase qui contienne une allusion à sa vie de soldat. Il raconte comment un camarade prit un jour son tour de garde pour lui rendre service, et comment Il reçut une balle de mousquet, dont il trépassa.


3. Maison de Bunyan à Bedford.


4. Maison d'Elstow où Bunyan s'installa après son retour de l'armée et son mariage.

C'est tout ce que nous savons de cette carrière militaire, d'ailleurs fort courte. Nous ne savons même pas de quel côté il combattit ! Toutefois su biographes modernes semblent s'être mis d'accord pour en faire un soldat de Fairfax, au service du Parlement.

John Bunyan aimait le courage, follement. C'était une sorte de tête brûlée. Quand il y avait un risque à prendre, c'était lui qui le prenait. Pour son tempérament la guerre devait offrir de belles perspectives de plaies et de bosses. Elle était destinée, d'ailleurs à toujours hanter son imagination. Toute son œuvre est un train de guerre ; un souffle d'épopée la soulève. Chaque page recèle une escarmouche.

Une de ses plus belles allégories a pour titre La Sainte Guerre. Nul doute qu'il n'ait revécu, lorsqu'il l'écrivit, d'irrésistibles souvenirs de combats et de sièges. Mansoul assiégée (Ame-d'homme, la ville rebelle), c'est peut-être le siège de Leicester transposé sur le plan spirituel.

Le Voyage du Pèlerin est la marche héroïque d'une sainteté martiale. Le saint de Bunyan. est armé de pied en cap et ne se repose de ses combats que pour se préparer à d'autres. Grandcœur, chevalier sans reproche, passe le temps qu'il ne donne pas à la prière et aux pieux propos, à frapper d'estoc et de taille, et Il faut voir quels fameux coups il donne !

Pourquoi ce soldat-né qu'était Bunyan ne nous a-t-il jamais parlé de la guerre de sa jeunesse ? Est-ce parce qu'il regrettera plus tard d'avoir pris part à la Rébellion ? Etait-il dangereux alors d'en écrire ? Ou, l'âge étant venu et le poids, Bunyan s'était-il mué en Tory ? Ou plutôt, baptiste et à demi-Quaker, bien qu'il s'en défendît, devait-il devenir, comme ses frères en la foi, pacifiste absolu ? « Je veux aimer mes ennemis, prier pour eux, devait-il écrire en 1684 (Conseils à ceux qui souffrent) parce qu'ils me font du bien croyant me faire du mal, et parce que Je veux être comme le Père Céleste ; si mon ennemi a faim, je veux lui donner à manger, s'il a soif, à boire. »

Bunyan écrivain, c'est le nouveau Bunyan, le premier étant mort. Son ardeur belliqueuse et son amour d'aventures sont sublimés. Il livre ses batailles dans ses allégories, dans sa prédication agressive. dans ses prières poussées à la pointe de l'épée, dans sa sainteté vécue dangereusement en perpétuel corps à corps, aux avant-postes, hardie et furieuse dans l'assaut sus à l'ennemi qui ne livre le terrain que pouce à pouce. Guerrier de l'esprit ! « Si quelqu'un veut connaître le vrai courage, qu'il Jette là les yeux ! »

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