Biographie de Robert Murray Mac-Cheyne

II.
Travaux dans la vigne du Seigneur après l’imposition des mains

Le semeur s’avance en pleurant, portant la semence qu’il jette ; il revient tout joyeux chargé de ses gerbes.

(Psaumes 126.6)

1.

Tandis que Mac-Cheyne était encore occupé à passer, devant le presbytère d’Edimbourg, les examens définitifs de théologie, au printemps et en été de l’année 1835, un grand nombre de pasteurs le demandèrent en qualité d’aide et de suppléant. Il fut, entre autres, particulièrement sollicité de choisir pour son début les paroisses réunies de Larbert et de Dunipace, près Stirling, dont M. John Bonar était alors pasteur. Ces invitations bienveillantes le décidèrent à demander, comme cela se fait souvent en pareil cas, au presbytère d’Edimbourg, sous la direction duquel il avait jusqu’alors poursuivi ses études, de transférer le reste de ses examens publics à quelque autre presbytère moins pressé d’affaires, auprès duquel il pût les achever sans délai. Sa requête reçut le meilleur accueil, et comme il avait des relations dans le Dumfriesshire, il choisit le presbytère d’Annan, qui lui donna, le 1er juillet 1835, l’autorisation de prêcher l’Évangile. Il nous apprend quels sentiments il éprouva alors par quelques lignes qu’il écrivit le même soir : « Prêché trois sermons d’épreuve dans l’église d’Annan, et après avoir subi encore un examen d’hébreu, le Modérateur, M. Monglaws, m’a autorisé solennellement à prêcher l’Évangile. Bénis l’Éternel, ô mon âme, et que tout ce qui est au dedans de moi loue et magnifie son saint nom. Ce que j’ai si longtemps désiré comme le plus grand honneur qui pût être fait à l’homme, tu me l’as accordé enfin, à moi qui ose à peine dire après saint Paul : A moi, le moindre de tous les saints, a été donnée cette grâce d’annoncer parmi les gentils la bonne nouvelle de la richesse inscrutable du Christ. Sérieusement impressionné, quoique incapable de sentir mon indignité comme je le devrais. Oh ! que que je sois paré d’humilité ! »

Un événement arrivé la semaine précédente, bien fait pour l’attrister en tout temps, vint d’ailleurs donner un caractère de gravité inaccoutumé à son entrée dans la carrière. C’était la mort si regrettable du révérend John Brown Patterson, de Falkirk, homme doué d’une éloquence rare et d’un savoir éminent, et qui avait mis toutes ses facultés, toutes ses forces, son âme tout entière au service de son Dieu. En quelques jours la fièvre l’enleva. Peu avant sa mort, il s’était singulièrement préoccupé de l’effrayante responsabilité des pasteurs, il en avait beaucoup parlé ; aussi sa fin prématurée fut-elle pour beaucoup de ministres une leçon frappante, et pour tous un avertissement de la soudaineté avec laquelle le compte des âmes qui leur étaient confiées pouvait leur être redemandé.

Le dimanche suivant, Mac-Cheyne prêcha pour la première fois dans l’église de Ruthwel, près de Dumfries, le matin, sur le « Réservoir de Bethesda, » et l’après-midi sur « la Porte étroite. » Le même soir il écrit dans son journal : « J’ai éprouvé qu’annoncer Christ avec autorité est une chose beaucoup plus sérieuse encore que je ne l’avais imaginé ; mais quel glorieux privilège ! » La semaine suivante (samedi 11 juillet), nous trouvons encore : « Seigneur, emploie-moi à ton service quand il te plaira et où il te plaira. En ta main, tout ce que j’ai reçu remplira sa destination. Donne-moi donc d’être sans inquiétude. » Le lendemain, de nouveau, après avoir prêché à Leith : « Avant de monter en chaire je me suis souvenu de la Confession qui dita : Nous avons eu plus de souci du messager que du message. » Plus loin, toujours à la même date : « Tandis que j’étais en chaire, il me vint à la pensée que si Dieu permettait que je devinsse son ministre, je pourrais jouir dans la prédication de doux moments de communion avec lui. L’âme tout entière est émue quand elle parle pour Dieu. Il serait donc possible que la foi devînt alors plus vive que dans des moments de calme et de repos. »

a – Il fait ici allusion à la Confession des péchés pleine et entière (Full and candid Acknowledgement of sins), à l’usage des étudiants et des ministres, rédigée en 1651, par la Commission de l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse, et fréquemment réimprimée depuis lors. (Note de l’auteur).

Il ne commença ses travaux à Larbert que le 7 novembre. Dans l’intervalle, il prêcha en divers lieux, et beaucoup de personnes commencèrent à s’apercevoir de la douceur particulière que prenait la parole en passant par ses lèvres. La lettre par laquelle il annonçait qu’il consentait à travailler dans cette paroisse, contenait entre autres choses les paroles suivantes : « J’ai toujours eu pour but, et c’est aussi ma prière, de ne faire aucun plan d’avenir, tellement je suis convaincu que la place qui me convient le mieux sera celle où le Seigneur jugera à propos de me mettre. »

La paroisse, théâtre de ses premiers travaux, était fort considérable, car elle ne renfermait pas moins de six mille âmes. L’église paroissiale est à Larbert ; cependant un second temple avait été érigé à Dunipace, bien des années auparavant, grâce aux efforts énergiques de M. Bonar. M. Hanna, plus tard pasteur de Stirling, venait de quitter Larbert lorsque Mac-Cheyne vint le remplacer, avec un cœur brûlant de zèle et de dévouement, mais dans un état de santé assez précaire. Ses devoirs d’aide consistaient à prêcher chaque dimanche alternativement à Larbert et à Dunipace, et à faire pendant la semaine un aussi grand nombre de visites pastorales que le lui permettaient ses forces de corps et d’âme. Les deux paroisses présentaient de notables différences dans les traits généraux de leur caractère, néanmoins toutes les deux étaient l’objet de soins également empressés de la part du pasteur et de son aide ; et souvent ils s’unirent dans la prière pour demander que les canaux des cieux s’ouvrissent sur les deux églises. Il y eut là des âmes sauvées. Que de fois pourtant le fidèle pasteur ne mêla-t-il pas ses larmes à celles de son jeune collaborateur, en s’écriant : « Seigneur, qui a cru à notre prédication ! » Ils semèrent beaucoup dans la foi, et ne perdirent jamais courage alors même que les récoltes semblaient ne point répondre aux semailles.

Mac-Cheyne se complaisait extrêmement dans le souvenir que Larbert était l’un des lieux où Robert Bruce, ce saint homme de Dieu, avait jadis travaillé et prié. Il s’en rappelle plus tard, même au fond de la Terre-Sainte, car, écrivant de là, il exprime le vœu « que l’Esprit souffle sur Larbert comme aux jours de Bruce. » Mais ce qui lui tenait au cœur, ce qui occupait ses pensées plus que toutes les réminiscences pareilles, c’était le salut des âmes : il en avait soif. Une lettre qu’il écrivit de Dundee, en 1837, à M. Bonar, montre de quelles compassions il était animé envers ses paroissiens. « Je ne saurais exprimer l’intérêt que je ressens pour Larbert et Dunipace. Il me semble que c’est mon pays natal. Le soleil de justice s’y lèvera-t-il jamais pour éclairer ses montagnes et ses vallées de la lumière de la connaissance de Jésus ? »

Il ne se fut pas plutôt installé dans son habitation, qu’il commença son œuvre. Et, pour lui, le commencement de tout travail consistait invariablement dans la préparation de son propre cœur. Pendant les premières heures si calmes du matin, il préludait, par ses dévotions particulières, aux événements du jour. Les murs de son cabinet, témoins intimes de son esprit de prière, virent, je pense, bien des larmes et entendirent bien des supplications et des soupirs. Souvent dès l’aube du jour il chantait quelque cantique. Enfin il recherchait beaucoup sa propre sanctification dans une lecture attentive de la Parole, et il est peu de chrétiens qui aient réalisé autant que lui les bénédictions promises par le Psaume 1. Son feuillage ne se flétrit point, car ses racines étaient au bord des grandes eaux.

C’est à Larbert qu’il commença à faire une étude approfondie des œuvres de Jonathan Edwards ; il les regardait comme une mine qu’il suffisait d’exploiter pour qu’elle produisît des trésors ; les Lettres de Samuel Rutherford n’étaient pas moins fréquemment entre ses mains. De temps à autre, il parcourait aussi des ouvrages scientifiques, mais il ne le faisait plus qu’avec le but bien arrêté d’y trouver l’éclaircissement de vérités spirituelles. Un jour qu’il lisait des détails sur l’architecture des insectes, il s’écria, transporté d’admiration : « Dieu règne sur une fourmilière tout aussi visiblement que sur des hommes vivants ou de puissants séraphins. »

Extrêmement désireux de croître dans la connaissance des Écritures, il faisait une étude régulière et assidue de l’Ancien Testament aussi bien que du Nouveau. Il aimait à pénétrer jusqu’aux derniers recoins de la vaste révélation de Dieu ; aussi disait-il un jour à un ami : « Il serait un triste observateur du monde, l’homme qui ne voudrait examiner que les champs fleuris et les jardins bien arrosés des terres cultivées. On ne peut se former aucune idée juste de notre monde, si l’on n’a pas erré au milieu des rocs sauvages de la montagne, à travers les plaines marécageuses et les landes stériles ; si l’on n’a enfin, du pont d’un navire, contemplé l’étendue des grandes eaux sans aucun rivage à l’horizon. Il en est de même de la Bible ; ce serait une triste manière de l’étudier, que de ne pas vouloir connaître toutes les paroles inspirées de Dieu ; que de ne pas sonder soigneusement les chapitres même les plus arides, pour y recueillir le bien qu’ils ont été destinés à produire ; que de ne pas s’efforcer de comprendre toutes les sanglantes batailles qui y sont racontées, afin d’y trouver du pain pour celui qui mange, et de tirer le miel de la carcasse du lion. » — (Juin 1836.)

Il se préoccupait beaucoup de rechercher tous les secours possibles pour avancer dans la sanctification, et cela le conduisit à observer les désavantages de ceux qui ne sont pas journellement stimulés par la société de chrétiens plus avancés qu’eux. « J’ai remarqué, dit-il à M. H. Bonar, de Kelso, qu’ici, à la campagne, ma montre ne marche pas aussi bien qu’en ville. Des variations légères et graduelles la font avancer ou retarder, et je suis tout surpris de me trouver à une heure différente de tout le monde, et, qui pis est, du soleil. L’explication est toute simple : en ville, je rencontrais à chaque rue un clocher avec une bonne horloge, et la plus légère variation de ma montre était aussitôt aperçue et rectifiée. Je pense parfois qu’il en est précisément de même de cette montre intérieure dont les aiguilles ne sont pas dirigées vers le temps, mais vers l’éternité. A la longue, et par gradations insensibles, les rouages de mon âme s’alanguissent, ou bien les ressorts des passions deviennent trop puissants, et je ne trouve aucune horloge vivante à laquelle je puisse me comparer, et sur laquelle je puisse régler ma marche. Mais vous avez toujours le soleil ! me direz-vous. C’est vrai ; cela devrait me suffire, n’étaient ces nuages qui le cachent si souvent à mes faibles yeux. »

2.

Dès l’entrée de sa carrière, Mac-Cheyne ne donna à ses auditeurs que ce dont il s’était nourri lui-même. Sa prédication était comme le développement de ses expériences personnelles et l’expression de sa vie intime. Il aimait à se fortifier et à restaurer son âme dans les parcs herbeux et le long des ruisseaux tranquilles avant d’y conduire le troupeau confié à ses soins, afin de pouvoir d’autant mieux le diriger vers les endroits où il avait lui-même trouvé le souverain Berger.

La vue de son champ de travail était du reste bien faite pour l’accabler. De nombreuses mines de houille, les fonderies de fer de Caron, renferment une population plongée en grande partie dans une indifférence profonde, ou directement hostile à la vérité. Mac-Cheyne vit de suite que le pasteur qu’il était venu aider, quels que fussent d’ailleurs son zèle, ses forces et sa persévérance, était chargé de devoirs auxquels nul homme n’aurait pu suffire. Après quelques semaines de travail, le champ lui parut plus illimité et la masse de la population plus inaccessible qu’il ne l’avait jamais imaginé.

C’est en grande partie à ces premières expériences qu’il faut attribuer l’ardente sympathie avec laquelle il accueillit le plan de l’Église pour la réorganisation des paroisses, effort noble et chrétien pour porter le salut à des populations qui devaient sans cela être négligées, et qui n’étaient que trop disposées à vivre et à mourir loin de Dieu. Les lignes suivantes, extraites d’une lettre à l’un de ses amis, feront connaître ses sentiments à cet égard : « Il y a une cruauté vraiment affreuse dans la froide opposition faite à ce qu’il soit donné un plus grand nombre de ministres à des paroisses aussi négligées et aussi surchargées que celle-ci. Si l’un de nos commissaires royaux voulait seulement consentir à subir la fatigue corporelle imposée au pasteur de Larbert, uniquement par les visites aux malades et aux mourants, et en se dispensant de toute autre visite et de préparations à la prédication, et cela pour un seul mois, j’ose affirmer que s’il se trouvait en état de sortir de son lit, après toute cette fatigue, pour assister aux séances de la commission, ses opinions et son vote auraient changé du tout au tout. »

Quelques semaines s’écoulèrent ainsi, remplies du matin au soir par l’accomplissement des travaux et des devoirs de son ministère. Une épreuve nouvelle, discipline salutaire, allait l’atteindre. A la fin de décembre, une forte oppression et une toux violente le forcèrent de renoncer pendant quelques semaines à son ministère public et inquiétèrent vivement ses amis, qui crurent ses poumons attaqués. Un examen attentif démontra que, quoique le poumon droit eût cessé de fonctionner régulièrement, la poitrine elle-même n’était pas sérieusement atteinte. La gorge demeura pendant quelque temps dans un tel état d’embarras et d’irritation, que, s’il eût continué à prêcher, le mal n’aurait pas tardé à devenir fort grave. Enfin il guérit et put recommencer son œuvre en prenant quelques ménagements.

Cette indisposition mit au jour l’extrême délicatesse de sa conscience au sujet de sa responsabilité comme ministre. A l’origine de son malaise, comme il était allé à Edimbourg « par une matinée de soleil si délicieuse, que Dieu lui-même semblait la lui avoir préparée, » il écrivit à M. Bonar : « Si je n’ai pas recouvré la santé dans trois semaines, à partir d’aujourd’hui, je crains qu’il ne me soit impossible de prendre sur moi la responsabilité de vous laisser plus longtemps travailler seul et supporter sans aide le fardeau de veiller sur six mille âmes. Non, cher monsieur, je dois reconnaître la volonté de Dieu dans cette dispensation de sa Providence, et faire place, s’il le commande, à des ouvriers nouveaux et plus capables. J’espère qu’il me rendra à vous et à votre paroisse, et je le prie que ce soit avec un cœur enseigné par la maladie à parler de plus en plus comme un mourant à des mourants. » Puis, faisant allusion à deux malades : « Pauvres A. D. et G. H. ! je pense souvent à eux. Je ne puis maintenant plus rien faire pour leur bien, si ce n’est de prier pour eux. Dites-leur que je ne les oublie pas devant le Seigneur. »

Lorsqu’un pasteur dévoué qui connaît le chemin étroit qui mène à la vie, est mis de côté, les jours de son affliction sont probablement pour son troupeau une aussi grande preuve de l’amour de Dieu, que ses temps de force et d’activité. Dans la retraite, l’homme de Dieu peut se recueillir, sonder les plaies de son cœur, et, comme Moïse, intercéder devant le Seigneur pour son troupeau autant que pour lui-même. Mac-Cheyne croyait que c’était à quoi Dieu voulait l’amener. Le fait même que le Seigneur l’arrêtait ainsi à ses débuts lui fit considérer cette épreuve avec d’autant plus de sérieux. « Paul demandait, écrit-il : Seigneur, que faut-il que je fasse ? et il fut répondu : Je lui montrerai quelles grandes choses il aura à souffrir pour mon nom. Peut-être en sera-t-il ainsi de moi. J’ai été trop avide d’accomplir de grandes choses. L’amour de la louange a toujours été mon péché dominant, et quelle meilleure école que celle de longues souffrances endurées dans la solitude, loin du regard des hommes ! » Dans une nouvelle lettre à M. Bonar, il disait : « Je vois clairement que tout mon travail, dans ces temps de faiblesse et de maladie, devrait consister dans la prière et l’intercession. Et cependant telle est la puissance de Satan sur notre misérable cœur, que je puis à peine me rappeler une époque où j’aie été moins disposé à remplir ces devoirs. J’essaie de m’appuyer moi-même sur ma très sainte foi, priant par le Saint-Esprit, me conservant moi-même dans l’amour de Dieu et attendant la miséricorde de notre Seigneur Jésus-Christ pour obtenir la vie éternelle. Ces paroles de saint Jude sont maintenant revêtues pour moi de singulières beautés. S’il est bon d’être une fois dans l’amour de Dieu, il est bon assurément d’y demeurer. Et cependant combien nous en sommes éloignés ! Je ne puis douter que toute liberté ne me soit offerte pour pénétrer dans le sanctuaire ; pas plus que de mon droit, de mes titres à entrer par le chemin nouveau et sanglant. Je ne puis douter que, si je m’y présente, je ne sois non seulement pardonné, mais accepté pour l’amour du Bien-Aimé ; ni que l’Esprit ne soit prêt à descendre dans mon cœur comme un esprit de prière et de paix, me rendant capable de prier par le Saint-Esprit. Je suis persuadé que Jésus veut se tenir devant le Père comme mon intercesseur, priant pour moi, quoiqu’il ne prie pas pour le monde ; et que Dieu, qui a fait tant de promesses à la prière est disposé à entendre et à exaucer celle que je lui adresserai. J’ai la certitude que la seule vraie félicité de notre nature est de demeurer ainsi en Dieu, et pourtant, créature étrange et inexplicable que je suis ! trop souvent je ne me soucie guère de la rechercher. J’erre tout autour du sanctuaire ; parfois je m’y précipite à travers le voile déchiré ; je vois alors qu’il y a infiniment plus de bonheur à habiter là que dans les tentes du monde ; et toutefois il est certain que je n’y habite pas. Mes prières vous accompagnent, surtout près du lit de douleur de A. D. et de C. H. J’espère qu’ils vivent encore et que Christ est glorifié en eux. »

En reprenant ses travaux il put se fixer à Carronvale, dans un site délicieux. Mais quelque agréable que lui fût cette position, il n’était pas entièrement satisfait ; sa santé n’était pas encore bien remise et il déplorait l’incapacité où il se trouvait de travailler autant que l’eût fait un ministre plus robuste. Il jetait souvent des regards de regret vers la population des mines de houille, et plus tard, quand il s’en souvenait, il se reprochait amèrement, quoique bien injustement, de l’avoir négligée. « Je n’ai rien fait pour Kinnaird et Milton. Ces deux endroits s’élèvent en témoignage contre moi, surtout le dernier au travers duquel j’ai si fréquemment passé. » — Ce n’était pas les conforts, mais bien les résultats positifs du ministère qu’il ambitionnait ; cela le portait naturellement à juger des paroisses d’après ce qu’elles étaient relativement à ce grand but. Il écrit d’une paroisse voisine qu’il avait eu l’occasion de visiter : — « Le presbytère est par trop charmant. Il est peu d’hommes qui puissent vivre là sans dire : Voici mon repos ! Je crois que les presbytères ne devraient jamais être aussi beaux. »

Un incident assez simple fut le moyen de donner à sa prédication beaucoup d’aisance et d’animation. Dès le commencement de son ministère, il réprouva l’habitude de lire les sermons en chaire, par la raison que cette méthode lui paraissait affaiblir extrêmement la liberté et la ferveur qui conviennent au messager de l’Évangile. Il ne récitait pas non plus ce qu’il avait écrit. Sa méthode consistait à graver dans sa mémoire la substance de son sujet, dont il avait d’abord écrit les développements avec soin, puis de prêcher d’abondance. Un matin qu’il se rendait rapidement à Dunipace, son sermon écrit tomba sur la route sans qu’il s’en doutât. Privé par cet accident de ses moyens de préparation habituels, il n’en parla qu’avec plus d’aisance et de liberté. Pour la première fois en sa vie il découvrait ses dons pour l’improvisation, et apprenait, à son grand étonnement, qu’il était plus maître de lui-même et de sa parole qu’il ne l’eût jamais supposé. Cette découverte ne diminua en rien le sérieux et le soin qu’il apportait à ses préparations. Le seul usage qu’il en fit à cette époque fut d’apprendre à dépendre plus directement de Dieu et à se reposer sur sa bénédiction immédiate plus que sur une préparation satisfaisante. « Une chose, dit-il, me remplit toujours d’une douce consolation, c’est que Dieu peut agir au moyen des plus faibles paroles, tout aussi bien qu’au moyen des plus élégantes et des plus recherchées, peut-être même davantage, afin que la gloire en soit toute à lui. »

Bientôt toutes ses facultés furent de nouveau employées à distribuer le pain de vie en commun avec M. Bonar. Nous trouvons à cette époque, dans son journal, quelques notes, assez rares et clair-semées, qui nous permettent de suivre ses progrès spirituels.

21 février 1836. — Dimanche. Béni soit le Seigneur qui me donne de voir encore un de ces jours du Fils de l’Homme. Repris mon journal, si longtemps abandonné ; non que je n’y voie l’inconvénient de me porter à y exprimer plutôt ce que je désire être que ce que je suis réellement, — toutefois les avantages l’emportent. Il en résulte de saines appréciations des événements du jour et de leur valeur aux yeux de Dieu. — Prêché deux fois à Larbert, sur la justice de Dieu, Romains 1.16. « Car je n’ai pas honte de l’Évangile de Christ, vu qu’il est la puissance de Dieu en salut à tout croyant ; au Juif premièrement, puis aussi au Grec. » Le matin, je me suis préoccupé davantage de préparer la tête que le cœur. J’ai souvent commis cette erreur, et je m’en suis toujours mal trouvé, surtout dans la prière. Corrige-moi donc, ô Seigneur !

27 février. — Prêché à Dunipace, sur Romains 5.10, « car si lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, beaucoup plutôt étant déjà réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie, » avec plus de cœur que je ne me rappelle l’avoir jamais fait ; ce que je dois, d’une part au caractère si évangélique de mon texte, et de l’autre à une préparation faite avec beaucoup de prières. L’auditoire était moins nombreux qu’à l’ordinaire. Quel singulier bonheur n’éprouvons-nous pas lorsque Dieu nous prépare lui-même à nous lever pour plaider sa cause ! Si seulement je plaidais tout à fait pour lui et non pour moi-même !

5 mars. — Prêché à Larbert avec beaucoup de facilité, grâce à la correction de mon erreur du 21 février. C’est pour cela que mon cœur était plein et que les mots se pressaient sur mes lèvres. « Mets mon cœur au large et je courrai, » disait David. Mets mon cœur au large et je prêcherai.

Ces derniers mots nous donnent la clef de ce ministère si remarquable et si profondément sérieux. De l’abondance du cœur la bouche parlait. Mac-Cheyne ne donnait pas simplement de l’eau vive, mais de l’eau vive puisée à la source où il s’était lui-même désaltéré ; et n’est-ce pas là le vrai ministère de la bonne nouvelle ? Quelques pasteurs essaient ce qu’ils appellent une méthode plus intellectuelle de s’adresser aux consciences ; mais avant de s’engager dans cette voie, ils devraient examiner s’ils sont plus capables que d’autres de préparer leur cœur d’une manière profonde et sérieuse. Car comme la partie philosophique d’un discours n’est probablement pas celle qui atteindra la conscience, les ministres qui sont des hommes intellectuels doivent travailler dans un esprit de prière dix fois plus puissant, s’ils veulent que leur parole pénètre leur propre cœur et ceux de leurs auditeurs. Un ministre ne peut prêcher avec compassion pour ceux qui périssent qu’autant qu’il y est poussé par cette vue du péché et de la justice qui touchait si profondément l’âme de l’Homme-Dieu. (Voyez Psaumes 38 et 55).

3.

A cette époque Mac-Cheyne fournit plusieurs articles au journal religieux le Christian Herald ; l’un d’eux traitait des conversions soudaines, et prouvait que les Écritures nous autorisent à en attendre de pareilles. Il semble aussi que c’est pendant ce mois qu’il écrivit les vers sur Mungo Park, l’une des poésies qui attira l’attention du professeur Wilson. Mais quoi qu’il fît, son but était d’honorer le Seigneur. Après avoir entendu la prédication d’un ministre étranger, il écrit (3 avril) : — « Elle renfermait bien des choses émouvantes, mais j’ai soif d’entendre parler davantage de Christ. »

Sous date du dimanche, 16 avril 1836, nous trouvons : — « Prêché avec quelque ouverture de cœur. Ah ! pourquoi ne pleurerais-je pas comme Jésus le fit sur Jérusalem ? — Consacré la soirée à donner des instructions à deux délicieuses écoles du dimanche. Beaucoup de fatigue corporelle. Infinie bonté de Dieu qui donne du repos à celui qui est las.

13 avril. — Allé à Stirling pour entendre le docteur Duff développer encore une fois son plan. Plus de chaleur et d’énergie que jamais. Il s’enflamme à mesure qu’il avance. Je me suis vu presque constamment contraint de donner mon assentiment à son système. S’il s’agissait d’émouvoir seulement une assemblée, il serait déjà justifié ; mais dès que le but en est de susciter de nouveaux missionnaires, il est plus qu’inattaquable. Je suis maintenant prêt à aller aux Indes, si Dieu m’en ouvre la voie. Me voici, envoie-moi !

Ce zèle missionnaire dura autant que sa vie. Dieu l’avait réellement préparé ; et cette disposition à aller de bon cœur partout où il serait appelé le compléta pour ainsi dire et donna à toute l’œuvre de son ministère un cachet d’abnégation et de désintéressement. Cette tendance missionnaire ne doit-elle pas se retrouver quelque peu dans tous les vrais ministres ? Peut-on être réellement un messager du Seigneur, si l’on n’est pas, en tout temps, prêt à répondre à ses appels ? Est-on excusable de refuser une vocation qui vient du Nord, parce qu’on en désire une du Sud ? Si nous sommes vraiment envoyés de Dieu, il faut qu’il nous trouve prêts comme Esaïe.

24 avril. — Oh ! que l’œuvre de ce jour soit bénie ! et non pas seulement la mienne, mais celle de tous tes fidèles serviteurs, dispersés sur la face du globe, et jusqu’à ce que ton sabbat vienne, ô Seigneur !

26 avril. — Visites à Carron-Shore. — Bien reçu partout. C’est un travail vraiment agréable, qui m’a beaucoup réjoui et encouragé. Prêché ensuite sur Proverbes ch. 1.

8 mai. — Communion à Larbert, dans laquelle j’ai rempli l’office d’ancien. Éprouvé quelques mouvements de foi et de joie. La Cène a été administrée par un fidèle vieux pasteur, M. Dunpster de Denny, un homme enseigné de Dieu. Ce matin près de mourants ; ce soir près d’un cadavre, la pauvre J. F., morte la nuit dernière. J’ai posé la main sur son front glacé et tâché de lui fermer les yeux. Seigneur, donne-moi force pour vivre pour toi, force encore à l’heure de la mort.

15 mai. — Il y a eu aujourd’hui une éclipse annulaire du soleil. Réuni les deux services en un, afin d’être à temps. La vue de ce cordon de lumière tout autour du disque sombre de la lune était vraiment magnifique. Seigneur, un jour ta main enlèvera ces luminaires, car le soleil ne sera plus nécessaire pour éclairer le pays de la promesse ; l’Agneau en est la lumière, un soleil qui ne peut être éclipsé, qui ne disparaîtra jamais.

17 mai. — Visité treize familles qui se sont toutes réunies ce soir à l’école, où je leur ai parlé sur Jérémie 50.4. « Allant et pleurant. » Senti quelque élargissement de cœur. Je leur ai annoncé la vérité ouvertement ; et j’avais quelque désir de les voir sauvés, à la gloire de Dieu.

21 mai. — Préparation pour dimanche. Anniversaire de ma naissance. J’ai donc vécu vingt-trois ans ! Béni soit mon Rocher ! Quoique je ne sois qu’un enfant dans la connaissance de la Bible et de Toi, ô Seigneur, cependant daigne te servir de moi pour tout ce qu’un enfant peut faire, ou souffrir. Combien j’ai peu souffert dans l’année qui vient de s’écouler, si ce n’est dans mon corps ! Oh ! que ma force dure autant que mes jours. Fortifie-moi pour l’heure de la souffrance et pour celle de la mort.

22 mai. — Oh ! Seigneur, quand tu opères, tous les découragements s’évanouissent ; si tu t’éloignes, tout est découragement. Béni soit Dieu pour une pareille journée, une sur mille ! Pourquoi n’en est-il pas toujours de même ?… Veille et prie !

Pendant le même mois il se rendit à Edimbourg pour assister aux séances de l’Assemblée générale de l’Église et il profita de l’occasion pour voir quelques unes des personnes de Canongate qu’il visitait jadis comme étudiant : « J. S. est maintenant bien avancé ; évidemment Dieu le conduit. Il m’a ému jusqu’aux larmes. Visites intéressantes chez L. ; il est bien près de la mort et toujours dans les mêmes sentiments. Je ne puis m’empêcher d’espérer qu’il y a là quelque foi. Vu madame M., elle a beaucoup pleuré : très ému, quoique doutant et dans les ténèbres. Tu le sais ! ô Seigneur !

11 juin.– Hier je suis monté à Dunipace. On aurait dit que j’avais peur de prononcer le nom de Christ. Vu une grande quantité de personnes mondaines qui avaient grand besoin d’entendre quelques paroles sérieuses, et cependant je n’ai pu prendre sur moi de parler. Le peu que j’ai dit a presque complètement manqué son but. Seigneur, je ne suis pas digne d’être ton serviteur. Aujourd’hui j’ai cherché à préparer mon cœur pour les services de dimanche prochain. Suivant l’exemple de Boston, dont je viens de lire la vie, je me suis examiné moi-même avec prières et avec jeûne. 1. Mon cœur accepte-t-il réellement l’offre du salut par Christ ? Est-ce que je consens à être sauvé par la voie qui lui donne toute louange et toute gloire et à moi aucune ? Ce chemin du salut le regardé-je comme celui de la Bible, et mon cœur en fait-il ses délices ? Seigneur, sonde-moi et considère mon cœur ; éprouve-moi, car je ne puis que répondre : oui ! oui ! 2. Est-ce le désir de mon cœur d’être entièrement sanctifié ? Y a-t-il quelque péché que je désire conserver ? Le péché m’est-il odieux, surtout quand il m’attaque subitement et me surmonte ? Seigneur, tu connais toutes choses, tu sais que je hais tout péché, et que je désire être rendu complètement semblable à toi. Voici la plus douce promesse de la Bible : « Le péché n’aura pas domination sur vous (Romains 6.14). Oh ! si je pouvais m’abattre profondément dans la poussière, aussi bas que possible, afin que la justice de Jésus et sa force fussent seules exaltées. Senti beaucoup de froideur et un grand chagrin de ce que je ne pouvais m’en affliger. Vers le soir je me suis ranimé. Retrouvé le calme d’esprit au moyen du chant de cantiques et de la prière.

12 juin. — Dimanche. Aujourd’hui un pécheur a annoncé Jésus, ce même Jésus qui a fait toutes choses pour lui, et cela si récemment ! Journée où j’ai reçu beaucoup de secours ; quelques aspirations sérieuses du cœur vers la seule puissance de vie, mais où j’ai souvent été tenté à me rechercher moi-même et à me livrer à l’orgueil. Oh ! que des brises de vie spirituelle soufflent sur moi ! Soirée. Quelque peu aidé à présenter à de petits enfants la beauté et l’excellence de Jésus. Grande fatigue de corps, accompagnée cependant de quelque paix. Certes « un jour dans tes parvis vaut mieux que mille ailleurs. »

15 juin. — Jour de visite à Carronshore ; — heureux jour. Nombreuse réunion dans la soirée. Après, je me suis senti très heureux, quoique affligé d’avoir annoncé avec amertume la bonne nouvelle. Assurément c’est un doux message dont il ne devrait être parlé qu’avec une tendresse angélique, surtout par un pauvre pécheur comme moi.

Il eût été bien difficile de discerner plus tard aucune trace de cette amertume dans sa prédication, et cependant il sentait si vivement combien elle nous est naturelle à tous, qu’il en faisait souvent le sujet de ses conversations, et qu’il s’affligeait et s’humiliait dès que sa parole n’avait pas eu l’accent d’une sérieuse compassion. Je me souviens qu’un jour il me demanda le texte de ma dernière prédication. C’était : « Les impies vont dans les enfers. » A l’ouïe de ces effrayantes paroles, il me demanda vivement : « Et avez-vous pu les développer avec amour ? » Il est certain qu’il y a une immense différence entre le ton de reproche et de censure et celui d’avertissement sérieux. Ce ne sont point les choses dures qui pénètrent la conscience, mais bien l’accent de l’amour divin, entendu au milieu des éclats du tonnerre ; les sons doux et subtils, après le vent impétueux et le tremblement. Le point le plus acéré de l’épée à deux tranchants n’est pas mort, mais vie ; et contre les âmes fortifiées dans leur propre justice, l’amour devrait toujours être employé de préférence à la crainte. Ces âmes peuvent entendre parler avec infiniment plus d’indifférence de l’enfer et du feu qui ne s’éteint point, que des portes du ciel entièrement ouvertes pour les recevoir. En affirmant que la bonne nouvelle a été apportée pour donner à tout pécheur qui la croit l’assurance immédiate de la vie éternelle, on frappe l’orgueilleuse inimitié du monde contre Dieu de coups bien plus rudes et plus profonds qu’en montrant la malédiction éternelle et la mort seconde.

19 juin. — Dimanche. Matinée pluvieuse. Prêché à Dunipace, à une petite assemblée, sur la parabole de l’ivraie. Je rends grâces à Dieu pour cette bienheureuse parabole. Dans mes deux discours, je puis me souvenir de beaucoup d’odieuses pensées d’orgueil, d’admiration de moi-même et d’amour de la louange qui, s’insinuant dans mon cœur, cherchaient à le détourner du service du Seigneur.

22 juin. — Carronshore. Dernière visite. Quelques larmes ; cependant je crains qu’elles n’aient été pour le messager, non pour le message ; je crains de me plaire à être l’objet d’un tel amour. Seigneur, qu’il n’en soit pas ainsi ! Périsse mon honneur, pourvu que le tien soit exalté à jamais !

26 juin. — Vrai jour de sabbat. Ciel d’or. Église comble et plus d’animation qu’à l’ordinaire. Appellerai-je l’animation de ce jour un souffle de l’Esprit, ou une excitation de la nature ? Je sais que tout ne provenait pas de la grâce : l’admiration de moi-même, la vanité, le désir de ma propre gloire, l’amertume, — ces choses étaient des bouffées d’un vent terrestre… ou infernal. Mais n’y avait-il rien dans tout cela de ta grâce ? Seigneur, tu le sais. Je n’ose te faire tort en disant : non ! — Présidé l’école du dimanche de Larbert avec le même entrain et la même joie. Culte domestique avec des sentiments pareils. Loué soit Dieu ! Oh ! que la saveur de ce jour se répande sur toute la semaine ! Par là j’éprouverai si c’était l’effet d’une excitation naturelle, ou si la grâce de Dieu y avait une grande part. Hélas ! combien je tremble à la pensée de mes matinées du lundi, ces temps d’indifférence et de mort ! Seigneur, bénis la semence semée aujourd’hui dans le cœur de mes amis, par la main de mes amis, et sur toute la surface du globe ; — hâte la moisson !

3 juillet. — Après une semaine de labeurs et une préparation hâtive, j’ai passé un dimanche mélangé de paix et de trouble. Le matin, avant le service, appelé pour voir Mme E., mourante. Prêché sur le geôlier de Philippe, dans l’agitation, mais avec quelques lueurs de la vérité pure, telle qu’elle est en Christ. Senti que j’y mettais beaucoup de mon expérience personnelle. Par moments, la congrégation sortait de sa torpeur, mais pour y retomber bientôt après. Oh ! Seigneur, donne-moi de m’attendre à toi pour ouvrir les cœurs, à toi qui ouvris le cœur de Lydie ! Je crains que tu ne veuilles pas bénir ma prédication jusqu’à ce que j’aie été amené à ne plus compter que sur toi. Oh ! ne retiens pas une seule bénédiction à cause de mon péché ! — Après midi. Prêché sur le chemin des Rachetés, dans de meilleures dispositions et avec plus de joie. Je sentais parfois la vérité monter en bouillonnant de mon cœur sur mes lèvres. Quelques étincelles d’amour, cependant pas à beaucoup près autant sous l’influence de cet esprit que les deux derniers dimanches. Revu la femme mourante. Oh ! quand plaiderai-je pour les pécheurs avec larmes et avec un cœur débordant de compassion ? Seigneur, fais-moi connaître de quel esprit je suis animé ! Donne-moi ton doux esprit, qui ne conteste ni ne crie. Grande lassitude ; peu d’esprit de prières et de confiance en Christ.

Le mardi 5 juillet, anniversaire du jour où il avait été admis à prêcher l’Évangile, il écrit : « — Semaine mémorable. Voici un an que je prêche… Jésus, ou moi-même ? — Je me suis souvent prêché moi-même, il est vrai, mais j’ai prêché Jésus. »

Quelques jours plus tard, la main de l’affliction s’appesantit de nouveau sur lui, mais cette fois pour peu de temps. Néanmoins il devint désormais évident pour lui que ce serait par des douleurs personnelles qu’il acquerrait en partie cette expérience qui devait contribuer à donner à son ministère public un caractère particulier.

8 juillet. — Depuis mardi j’ai été retenu chez moi par la maladie. Mis de côté encore une fois pour que je sente mon inutilité et que je me guérisse de mon orgueil. Quand est-ce que ma volonté propre sera anéantie ? — « Seigneur, je veux prêcher, courir, visiter, lutter !… » — « Non ! répond le Seigneur ; il faut que tu te couches sur ton lit et que tu souffres. » Aujourd’hui j’ai laissé échapper d’excellentes occasions de dire un mot pour Christ. Le Seigneur a vu que j’aurais parlé pour ma propre gloire autant que pour la sienne, et il m’a fermé la bouche. Je vois clairement qu’un homme ne peut être un ministre fidèle, s’il ne prêche Christ pour l’amour de Christ ; abandonnant toute idée d’attirer les gens à lui et ne cherchant absolument qu’à les conduire à Christ. Seigneur ! fais-moi cette grâce ! Ce soir, quelques mouvements d’humilité ; aussi ai-je pu combattre quelque peu dans la prière pour le salut des âmes. Toutefois, mes prières peuvent à peine être appelées des prières. — Plus tard, dans la soirée, il écrit encore : « Il y a aujourd’hui cinq ans que mon frère est absent du corps et présent avec le Seigneur ; cinq ans qu’il en sait davantage et qu’il aime davantage que tous les saints qui sont ici-bas. Jusqu’à ce que le vent du jour souffle et que les ombres s’enfuient, retourne, mon Bien-Aimé (Cantique des cantiques 2.17). »

10 juillet. — Je crains que je ne devienne plus terrestre à certains égards. Aujourd’hui j’ai éprouvé de la difficulté à engager une conversation sérieuse immédiatement après la prédication, alors que mon cœur aurait dû brûler au dedans de moi. Refusé une invitation à dîner par des motifs autres que ceux qui auraient dû me diriger, bien que ma conscience m’ait repris et que je m’en sois humilié. Ce soir, ma conversation est insensiblement devenue mondaine. Corrige ces choses en moi, ô Seigneur ! en remplissant davantage mon cœur d’amour pour Jésus, et en l’élevant plus souvent à toi.

17 juillet. — Dimanche. Oh ! puis-je me souvenir de mes propres paroles : que les moments de communion avec Dieu sont aussi ceux où les renards, les petits renards, gâtent les vignes (Cantique des cantiques 2.15). En regardant en arrière, je vois deux choses qui souillent cette journée : l’amour de la louange qui s’est mêlé à tout ce que j’ai fait, et mon acquiescement tacite aux paroles mondaines que j’ai entendues. Oh ! que cela me tienne dans l’humilité et me soit un fardeau qui me conduise au pied de la croix ! Alors, Satan, tu seras déjoué.

19 juillet. — Aujourd’hui est mort Will. Mac-Cheyne, mon cousin-germain, ministre dissident à Kelso. Combien je me repens des vaines discussions sur les questions ecclésiastiques que nous avons eues la dernière fois que nous nous vîmes, et où nous avons si peu parlé de Jésus ! Oh ! si seulement nous nous en étions entretenus davantage. Seigneur, enseigne-moi à parler toujours comme un mourant à des mourants.

24 juillet. — Communion à Dunipace. Entendu M. Purves, de Jedburgh, sur : « Et vous puiserez des fontaines de cette délivrance des eaux avec joie (Ésaïe 12.3). » Le seul moyen de profiter des moyens de grâce et de puiser des eaux est d’avoir accepté la réconciliation avec Dieu, en croyant que sa colère a été détournée. Vue vraiment précieuse de la gratuité de l’Évangile, qui m’a fait beaucoup de bien. Mon âme a besoin de se réveiller beaucoup pour saisir cette vérité.

Le 3 juillet il parlait de la nécessité d’unir l’expérience avec la vérité, telle qu’elle est en Jésus. C’est à cela qu’il fait de nouveau allusion dans le paragraphe précédent. Sa connaissance profonde du cœur humain et de ses passions le conduisait souvent à donner aux sujets par lesquels le pécheur pouvait être amené à voir son péché, aussi bien qu’aux signes qui font reconnaître un changement intérieur, plus de développements qu’il n’en donnait à la « bonne nouvelle. » Cependant, il sentit toujours que cette bonne et précieuse nouvelle, annoncée à des âmes plongées dans le mal et la corruption, était le vrai thème du ministre de Christ. Jamais il ne prêcha autre chose qu’un salut plein et entier, accessible aux plus grands pécheurs. Il évita aussi avec soin l’erreur de ceux qui réduisent l’Évangile en spéculation et en doctrines plutôt qu’ils ne le prêchent. Réduite à sa plus simple expression, la prédication est un messager qui, comme Ahimahats, a des nouvelles importantes à communiquer. Tout absorbée par les faits, il ne lui viendra pas à la pensée de spéculer sur de simples abstractions, peut-être même cessera-t-elle complètement de se préoccuper de son langage, et alors la seule grandeur de son message donnera parfois à ses paroles une éloquence véritable. Le fait glorieux :Par cet homme vous est annoncée la rémission des péchés (Actes 13.38), ce doit être la substance de toute prédication. Le messager est envoyé par son Seigneur, dans les chemins, dans les carrefours, afin de proclamer partout cette vérité infiniment importante.

4.

Mac-Cheyne semble avoir eu pour habitude invariable de s’appliquer à lui-même les paroles qu’il adressait à d’autres, et de devenir ainsi son propre auditeur. Nous avons déjà dit de quelle manière il se nourrissait de la Parole, non dans le but d’y chercher la matière de ses discours, mais pour son édification personnelle et immédiate. C’était pour lui une règle fondamentale : et tous les pasteurs jaloux de la prospérité de leur âme, sentiront que c’est ainsi qu’ils doivent se servir des Écritures, repoussant avec fermeté toute idée de nourrir les autres sans se nourrir eux-mêmes. C’est pourquoi il est nécessaire que la Parole pénètre dans le cœur des ministres tandis qu’ils l’annoncent. Ceux-ci ont besoin, autant que leurs paroissiens, de boire souvent la pluie qui tombe du ciel (Hébreux 6.7). C’est ce que faisait Mac-Cheyne. On trouve souvent dans son journal des notes comme la suivante : « 31 juillet. Dimanche. Après-midi prêché sur Judas trahissant Jésus, avec plus d’onction que je n’en ai jamais eu. Oh ! puissé-je demeurer dans le sein de Celui qui lava les pieds de Judas, qui plongea la main dans le même plat que lui, qui l’avertit et fut dans la douleur à cause de lui ! puissé-je être pénétré de sa tendresse, de son amour, si merveilleux et si insondable ! »

Un dimanche soir (7 août) qu’il revenait de l’école du dimanche de Torwood, il rencontra une personne qui lui suggéra un moyen de faire du bien. Deux familles de bohémiens (gypsies) étaient campées à quelque distance, dans une clairière des bois de Torwood. Quoique fatigué d’une longue journée de travail, il se mit de suite en marche pour les aller voir, comme il le faisait toutes les fois qu’un appel semblable lui était adressé. Assis près de leur feu, il leur lut la parabole de la Brebis perdue, dont il leur développa le sens avec affection et simplicité. Il se mit ensuite à genoux afin de prier pour eux, et les laissa quelque peu émus et très reconnaissants.

A cette époque, un de ses jeunes paroissiens dont l’état spirituel l’inquiétait, s’éloigna pour la première fois de la maison paternelle. Toujours vigilant et jaloux de gagner des âmes, il saisit avec empressement cette occasion de lui exposer avec quelque développement les choses qui regardaient sa paix :

Larbert, 8 août 1836.

      « Mon cher G.,

Vous serez sans doute surpris de recevoir une lettre de moi. J’ai souvent désiré faire plus ample connaissance avec vous, mais dans ces tristes paroisses, il nous est impossible de trouver le temps de nous lier avec toutes les personnes que nous désirerions connaître. Maintenant que vous avez quitté le toit paternel et notre Église, mes vœux vous suivent encore, ainsi que le bon souvenir de beaucoup d’autres personnes, et comme je ne puis plus vous parler, il faut bien que je choisisse ce moyen de vous exprimer mes pensées.

Je ne sais sous quel aspect vous me considérez, si c’est comme un ministre sévère et morose, ou comme un jeune homme qui pourrait être votre compagnon et votre ami ; mais, en vérité, il y a si peu de temps que j’étais comme vous, jouissant des plaisirs dont vous jouissez, et lisant les livres que vous lisez, qu’il me semble toujours que je suis encore un jeune garçon. C’est une des grandes raisons pour lesquelles je vous écris. Un sang également jeune coule dans mes veines et dans les vôtres ; les mêmes imaginations, les mêmes passions pleines de vie s’agitent dans mon cœur et dans le vôtre ; aussi en vous persuadant de venir avec moi à un même Sauveur, et de marcher le reste de votre vie sous la direction de l’Esprit de Dieu, ne vous demandé-je rien qui ne soit à la portée de votre âge. Je ne suis point un vieillard à cheveux blancs ; si cela était, vous pourriez encore me répondre que vous n’êtes qu’un jeune garçon. Mais non, je suis presque aussi jeune que vous ; aussi passionné que vous de bonheur et de vie, aussi passionné de courses vagabondes sur les montagnes, et curieux de voir tout ce qui est à voir, comme vous pouvez l’être vous-même.

Une autre chose encore qui m’engage à vous écrire, mon cher enfant, c’est que j’ai senti par expérience le besoin d’un ami qui pût me conseiller et me diriger. Comme vous, j’avais un bon frère qui m’a enseigné beaucoup de choses : il m’a donné une Bible et m’encouragea à la lire ; il essaya de me conduire comme un jardinier forme en espalier les branches d’un arbre fruitier, mais en vain. Je me croyais infiniment plus sage que lui, aussi voulais-je suivre mes propres voies. Je me rappelle l’avoir vu souvent lire sa Bible ou fermer la porte de son cabinet pour prier, alors que je m’habillais pour me rendre dans quelque société mondaine, ou pour aller à quelque bal. Ce cher ami et frère mourut, et quoique sa mort ait fait sur moi une impression bien plus profonde que sa vie, je connus pourtant dès lors la misère d’être sans ami. Je ne veux pas dire par là que je fusse sans relations, sans amis mondains, car j’en avais beaucoup ; mais je n’avais pas un ami qui s’inquiétât de mon âme, qui cherchât à me conduire au Sauveur, et à réveiller ma conscience assoupie. Je n’en avais aucun qui me parlât du sang de Christ qui purifie de tout péché, et de cet Esprit toujours disposé à changer notre cœur et à nous donner la victoire sur nos passions. Je n’avais pas non plus de pasteur qui vînt me prendre par la main et me dire : « Viens avec moi, et nous te ferons du bien. » Mais oui, j’avais un pasteur et un ami : c’était Jésus lui-même. Il m’a conduit par un chemin tel, qu’à lui, et à lui seul, appartient toute la louange. Et maintenant, quoique Jésus puisse encore en agir de même, la voie qu’il choisit ordinairement pour amener une âme à lui c’est de lui envoyer quelque guide terrestre. Si je pouvais remplir auprès de vous la place d’un tel guide, j’en serais heureux. Être un poteau indicateur montrant le chemin, c’est tout ce que je désire. J’ai senti si souvent le besoin d’en rencontrer moi-même, et c’est ce qui ne vous manquera que si vous n’en voulez pas.

Dites-moi, mon cher G., travailleriez-vous avec moins de plaisir, prendriez-vous vos repas avec moins de contentement d’esprit, dormiriez-vous moins tranquillement, si vous aviez obtenu le pardon de vos péchés, c’est-à-dire si toutes vos pensées, toutes vos actions mauvaises, vos mensonges, vos fraudes, vos profanations du dimanche, si tout, en un mot, était entièrement effacé de la mémoire de Dieu ? Pensez-vous que vous en seriez moins heureux ? Ah ! vous n’oseriez le dire. Le pardon de vos péchés ne vous rendrait-il pas plus heureux que vous ne l’êtes ? Vous me répondrez peut-être que vous êtes très heureux ! Je n’en doute nullement. Je sais que j’étais moi-même fort heureux sans le pardon de mes péchés. Je me souviens que je prenais grand plaisir à beaucoup de péchés ; à la profanation du dimanche, par exemple. J’ai fait pendant le saint jour de Dieu, bien des promenades délicieuses, me complaisant dans mes propres paroles, dans mes propres pensées, et cherchant mon propre plaisir. Je m’imagine qu’il est peu de jeunes gens inconvertis, qui aient été plus heureux que je ne l’étais moi-même. Aucun nuage n’assombrissait mon front ; j’ignorais ce que c’était que pleurer, si ce n’est sur quelque touchant livre d’histoires ; aussi croirai-je que vous dites tout à fait vrai, si vous me dites que vous êtes heureux tel que vous êtes. Mais hélas ! n’est-ce pas là ce qu’il y a de plus triste, que vous puissiez être heureux en demeurant un enfant de colère ; que vous puissiez sourire, et manger, et boire, et être joyeux, et bien dormir, tandis que cette nuit même vous pouvez être en enfer ? Heureux et non pardonné !… Terrible bonheur. Semblable à celui de la veuve indoue assise à côté du cadavre de son mari, et qui chante joyeusement tandis qu’on met le feu au bûcher qui va la consumer. Oui, mon ami, vous pouvez être très heureux de cette manière, jusqu’à ce que vous mourriez ; mais quand, de l’enfer, vous jetterez un regard en arrière, vous ne pourrez vous empêcher de dire que c’était un misérable bonheur. Et maintenant, pensez-vous encore que vous ne seriez pas plus heureux d’être pardonné, de pouvoir vous assurer en Jésus et dire : La colère de Dieu est détournée de moi ? Ne seriez-vous pas plus heureux à votre travail, plus heureux dans votre chambre ou avec votre famille, plus heureux dans votre lit ? Je puis vous affirmer par tout ce dont j’ai fait l’expérience, qu’autant le ciel est élevé au-dessus des enfers, autant les plaisirs de l’homme pardonné sont supérieurs à ceux de l’homme qui ne l’est pas. La paix qui résulte du pardon me rappelle un ciel bleu, calme et pur qu’aucune clameur terrestre ne peut troubler. Elle allège tout travail, donne une saveur exquise à chaque bouchée de pain, rend le lit de maladie doux et moelleux, et même Ole à la mort son aiguillon. Eh bien ! ce pardon peut être à vous dès à présent. Il n’est pas donné à ceux qui sont bons. Personne ne le reçoit pour avoir été moins mauvais que d’autres. Il est donné à ceux-là seulement, qui, sentant que leurs péchés ont appelé sur eux une malédiction à laquelle ils ne peuvent échapper par eux-mêmes regardent à Jésus comme à celui qui s’en est volontairement chargé.

Mais, mon cher ami, je désire ne pas vous ennuyer plus longtemps. Pour peu que vous soyez comme j’étais, vous aurez déjà bâillé bien souvent sur cette lettre. Toutefois si la grâce du Seigneur est avec vous, et touche, comme je l’en prie, votre cœur du désir d’être pardonné et d’être fait enfant de Dieu, peut-être ne prendrez -vous pas en mauvaise part ces lignes écrites en grande hâte. Comme vous vous éloignez de la maison paternelle pour la première fois, peut-être n’avez-vous pas encore l’habitude d’écrire des lettres, mais si vous pouvez le faire, j’aimerais beaucoup savoir de vos nouvelles : comment vous allez, quelles sont vos convictions, si tant est que vous en ayez ; vos difficultés, les parties de la Bible qui vous embarrassent, et je ferais mon possible pour éclairer votre voie et vous sortir de peine. Vous lisez régulièrement votre Bible, cela va sans dire ; efforcez-vous de la comprendre, ou, ce qui vaut mieux encore, de la sentir. Lisez-en plus d’une partie à la fois. Si vous avez lu dans la Genèse, par exemple, prenez aussi un Psaume ; si c’est Matthieu, étudiez aussi une petite portion de quelque épître. Transformez en prières vos lectures de la Bible. Ainsi quand vous lisez le Psaume 1 mettez votre Bible sur une chaise et agenouillez-vous en disant : « O Seigneur ! donne-moi d’être semblable à l’homme qui ne marche point suivant le conseil des méchants, etc., etc. » C’est le meilleur moyen d’entrer dans l’intelligence de la Bible et d’apprendre à prier. Dans vos prières confessez vos péchés par leur nom, en mentionnant un par un ceux du jour écoulé. Priez pour chacun de vos amis en particulier, pour votre père, pour votre mère, etc., etc. Si vous les aimez, vous prierez certainement pour leurs âmes. Je sais que de votre famille des prières s’élèvent constamment à Dieu pour vous ; ne le leur rendrez-vous pas en priant pour eux ? Faites-le régulièrement. Si vous priez pour d’autres avec sincérité, vos prières pour vous-même en deviendront plus faciles et plus ferventes.

 » Mais il faut que je termine. Adieu, cher G. Rappelez-moi au ban souvenir de votre frère, et me croyez votre véritable ami.

R. M. M. »

Lorsqu’un pasteur visite les membres de son troupeau, il est de son devoir de discerner leurs divers besoins (Ézéchiel 34.4) ; il doit : « fortifier les brebis languissantes, donner des remèdes à celle qui est malade, bander la plaie de celle qui a la jambe rompue, ramener celle qui a été chassée, et chercher celle qui est perdue. » C’est ce que Mac-Cheyne essaya de faire. Dans une lettre qu’il écrivit par la suite à M. somerville d’Anderston, il lui donne sur plusieurs personnes de Larbert et de Dunipace qu’il avait eu l’occasion de connaître des indications précieuses. « Veillez sur les saints plus que je ne l’ai jamais fait moi-même. Saisissez l’occasion de dire quelques mots sérieux à S. M. Quant à S. H. il se nourrira de la vérité toute simple, mais recommandez lui d’être humble. Faites en sorte que L. H. apprenne dans le silence ; ne lui parlez jamais religion, mais entretenez-la de son état spirituel. Enseignez à A. M. à regarder à Jésus avec simplicité. Avertissez et instruisez J. A. Retirez la famille B. de sa mondanité, si vous le pouvez. Réveillez Mme G. ou tenez-la réveillée. Parlez fidèlement aux B. Donnez-moi des nouvelles de M. G. ; est-elle réellement chrétienne ? avance-t-elle ? Et A. H., la lumière l’a-t-elle visitée ? M. T. m’a donné quelques doutes. M. G. pèse lourdement sur ma conscience ; je n’ai fait aucun bien à cette femme ; elle avait toujours l’art de détourner la conversation d’elle-même pour parler d’une manière générale de la vérité. Parlez hardiment. Qu’importera-t-il dans l’éternité d’avoir manqué aux fausses délicatesses du temps ? »

5.

C’est vers cette époque que la congrégation de la nouvelle église de Saint-Pierre à Dundee invita Mac-Cheyne à se présenter pour la place vacante de pasteur ; et à la fin du mois d’août, il fut élu tout d’une voix en cette qualité. Ce ne fut pas sans un sentiment très sérieux de l’œuvre qui allait lui être confiée qu’il accepta cet appel. S’il avait eu la liberté du choix, il aurait de beaucoup préféré, nous dit-il, une paroisse de campagne telle que Dunipace, mais le Seigneur paraissait vouloir qu’il en fût autrement. « Ses voies sont dans les grandes eaux. » Plus tard il nous dit à plusieurs reprises : — « Certes, il eût été naturel de penser que Dieu enverrait, dans une paroisse telle que la mienne, un homme fort et non un faible roseau. »

Voici comment il note ses impressions le premier jour qu’il prêcha dans l’église de Saint-Pierre, en qualité de candidat :

18 août. — Matin. Mon esprit n’était pas très bien disposé pour la prédication ; traité de la parabole du semeur. Après midi. Prêché sur la voix du Bien-Aimé ; Cantique des cantiques 2.8-17, avec plus d’encouragement et de secours de l’Esprit. Dans la soirée, parlé de tout mon cœur ; sur Ruth. Seigneur, maintiens-moi dans l’humilité. »

Lorsqu’il revint de Dundee pour la seconde fois, il remarqua à Dunipace, dans sa classe de jeunes filles, une attention plus qu’ordinaire. L’une de ses jeunes auditrices semblait avoir été complètement réveillée ce jour-là. « Béni sois-tu, Seigneur, pour tous tes dons ! » écrit-il le même soir ; jusqu’alors il avait semé sans voir de fruits. Et il semble que ce fut là un des points de la discipline du Seigneur, qui lui enseigna ainsi à persévérer dans le devoir et dans la foi, alors même que son travail n’obtenait aucun succès visible. La flèche qui devait atteindre des centaines d’âmes devenait de plus en plus acérée, mais elle resta pour un temps dans le carquois. Les choses qu’il prêchait furent d’abord entre les mains du Seigneur un moyen de toucher et d’amollir son propre cœur bien plus encore que ceux de ses auditeurs. Mais dès sa première prédication à Dundee, les signes de bénédiction commencent à paraître. Ce jour-là surtout, son sermon du soir, sur Ruth, est déjà béni pour deux personnes, et à peine de retour à Larbert, il a la douceur de voir des cœurs s’ouvrir à l’ouïe des dernières paroles qu’il devait prononcer dans ces paroisses où il croyait avoir prodigué ses forces en vain.

Avant de quitter M. Bonar, et sentant combien un suppléant lui était indispensable, il mit beaucoup de zèle et d’intérêt à lui en procurer un qui fût animé d’un amour sincère pour les âmes et bien qualifié pour l’œuvre. Enfin il crut l’avoir trouvé en M. somerville, cet ami si cher auquel il avait communiqué autrefois ses pensées et ses sentiments les plus intimes, et qui s’avançait à son tour vers le champ de la moisson, la main armée d’une faucille bien affilée. « Je vois clairement, écrit-il à M. Bonar, que mon pauvre ministère dans votre chère paroisse sera bientôt éclipsé. Mais pourvu que le front d’airain de l’incrédulité soit brisé, que tant de visages durs et insensibles soient enfin sillonnés des larmes de la repentance et de la foi, quel que soit l’instrument, vous vous en réjouirez, et je m’en réjouirai, et les anges, et le Père et Dieu des anges s’en réjouiront dans le ciel. » C’est dans cet esprit qu’il termina les dix mois si courts et si bien remplis de son séjour à Larbert.

Les derniers sermons qu’il y prononça avaient pour texte, Osée 14.1 : « Reviens, Israël, à l’Éternel ton Dieu ; » et Jérémie 8.20 : « La moisson est passée. » — Le soir il écrit dans son journal : « O Seigneur ! je me sens profondément accablé d’avoir fait pour eux si peu de ces efforts que tu te plais à bénir. Mes entrailles sont émues de compassion à leur égard, et d’autant plus que j’ai moins fait pour eux. Certainement, j’aurais pu travailler dix fois plus que je ne l’ai fait. J’aurais pu aller dans chaque maison ; j’aurais pu parler toujours comme ton ministre. Seigneur, pourrais-tu bénir des efforts aussi partiels et aussi peu soutenus ! »

Je crois que c’est à peu près dans ce temps-là que quelques-uns d’entre nous eurent l’idée de s’unir pour prier les uns pour les autres. Chaque samedi soir nous intercédions tous en général pour chacun de nous en particulier, afin que notre œuvre du lendemain fût abondamment bénie, et nous n’avons jamais vu de motif de discontinuer ce concert de prières. De temps à autre notre cercle s’élargissait, mais jusqu’à ce jour, la voix de Mac-Cheyne est la seule qui ait cessé de se faire entendre. Jamais il ne manqua de s’en souvenir tant qu’il vécut. « Larbert et Dunipace, écrit-il, me tiennent toujours au cœur, surtout le samedi soir, quand je prie pour que le dimanche soit béni. » On lui demandait un jour à Dundee si l’accroissement de ses occupations ne l’avait jamais entraîné à négliger les prières du samedi, ordinairement si rempli pour lui. Il répondit qu’il ne se souvenait pas de les avoir jamais oubliées. « Que deviendraient mes paroissiens, si je ne priais pas pour eux ? »

Le soin qu’il mettait à se préparer pour les services publics était extrême. Pour les réunions de prières et les petits cultes qu’il était appelé à faire dans le cours de la semaine, il ne jugeait pas nécessaire d’y consacrer un temps considérable, mais pour les services du dimanche il ne voulait pas donner à ses auditeurs ce qui ne lui avait rien coûté ; et du premier au dernier dimanche, il ne monta jamais en chaire, à moins de raisons urgentes, sans avoir beaucoup médité et beaucoup prié. Quelques amis réunis discouraient sur la manière de se préparer pour la chaire ; on lui demanda son avis qu’il résuma dans ces quelques mots d’Exode 27.20 : « De l’huile vierge, de l’huile vierge pour les lampes du sanctuaireb. » Mais son esprit de prières était encore plus remarquable. Avant de monter en chaire, il lui fallait être en communion avec Dieu ; il avait besoin de s’être plongé dans son amour. Et son ministère était si bien l’expression extérieure de son état intérieur, que la santé de son âme était absolument nécessaire pour donner à sa parole vigueur et puissance.

b – On obtenait cette huile en broyant les olives dans un mortier, et en les pressant ensuite légèrement. C’est ce qu’exprime la version anglaise (beaten oil) littéralement de l’huile battue ou frappée.

Pendant ces dix premiers mois, le Seigneur avait fait beaucoup pour lui, mais surtout en le formant pour son futur ministère. Il avait acquis un cœur de pasteur ; il avait passé par le creuset, goûté de ces chagrins personnels, profonds, amers, dont nous n’avons pu dire que peu de choses ; il avait senti les dards enflammés du méchant ; il s’était appliqué à l’examen de lui-même et à la prière ; enfin il avait éprouvé combien le roc est dur, et appris que même en possédant la verge qui peut l’ouvrir, le succès dépend de celui qui rend capable de la saisir. C’est ainsi que, préparé de Dieu pour l’œuvre qui l’attendait, il tourna sa face vers Dundee et planta ses tentes dans ce lieu où le Seigneur devait bénir si merveilleusement son ministère.

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