Stromates

LIVRE PREMIER

CHAPITRE III

Contre les sophistes et les prôneurs de la science inutile.

La foule des gens de cette sorte est nombreuse. Les uns, esclaves des plaisirs, et d’avance refusant de croire, se rient de la vérité digne de tant de respect, et se font un jeu de ce qu’ils nomment son origine barbare. Les autres, enflés d’eux-mêmes, s’efforcent de découvrir dans nos paroles des sujets de calomnie contre elle ; ils élèvent des disputes sur tout ; ils cherchent des subtilités, ils usent à l’envi des plus petits moyens, querelleurs et pointilleux sur des riens, comme dit l’Abdéritain. Leur langue est pleine de volubilité, dit un poète, elle profère mille paroles de toutes sortes, et en fait partout une grande distribution. Et ailleurs : Il te faut entendre réponse à ce que tu as dit. Enflés de leur art, les malheureux sophistes, débitant à toute heure leurs propres mensonges, et travaillant pendant leur vie entière à choisir des mots, à donner à leur style une tournure particulière, à arranger leurs phrases, se montrent plus bavards que des cigales ; ils caressent, ils flattent d’une manière peu convenable à des hommes, les oreilles de ceux qui les écoutent. Ce sont des fleuves et non de simples ruisseaux de paroles stériles, ils ressemblent à de vieilles chaussures. Tout est faible en eux et sans consistance, ils n’ont de bon que la langue. L’athénien Solon les a très bien caractérisés lorsqu’il les attaque en ces termes :

La langue est tout pour vous, vous ne songez qu’aux paroles qui séduisent ; les actes ne vous importent nullement. Chacun de vous suit les traces du renard, et vous avez tous l’esprit vide et frivole.

C’est ce que nous donne à entendre cette parole du Sauveur :

« Les renards ont des tanières, mais le fils de l’homme n’a point où reposer sa tête. »

Car c’est sans doute en celui qui croit, en celui qui a été entièrement séparé de ceux que l’Écriture nomme bêtes sauvages, que se repose la tête de celui par qui tout existe,

« le Verbe doux et bienfaisant qui surprend les sages dans leurs propres artifices ; car le Seigneur pénètre seul les pensées des sages, et il en connaît la vanité. »

L’Écriture donne ainsi le nom de sages aux sophistes qui ne s’occupent que de mots et d’arts futiles. C’est de là que les Grecs eux-mêmes se sont aussi, par dérivation, servis a la fois du nom de sages et du nom de sophistes, pour désigner ceux qui se livrent avec ardeur à quelque étude que ce soit. C’est pourquoi Cratinus, faisant dans les Archiloques le dénombrement des poètes, dit : Vous avez bien examiné ce qu’étaient les sophistes ?

Pareillement, le comique Jophon dit des rhapsodes et d’autres encore, dans Les joueurs de flûte et les satyres :

« Une foule nombreuse de sophistes fit invasion chez nous. »

C’est d’eux et de tous ceux qui, à leur exempte, se sont livrés à l’étude stérile d’une vaine éloquence, que l’Écriture dit avec raison :

« Je détruirai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants. »

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