Les protestants ont pu, avec le temps, se diviser sur une foule de questions dogmatiques ou ecclésiastiques, mais, dès le début, et dans tous les pays, ils ont été unanimes pour proclamer l’importance de la prédication.
Au moment où se fit la Réforme, la religion avait dégénéré en un pur formalisme. Le culte ne consistait guère qu’en cérémonies qui ne s’adressaient plus qu’aux sens et à l’imagination de la foule ; quant à corriger ses mœurs, à lui faire connaître ses devoirs, à l’instruire des vérités du christianisme, nul n’y songeait, car les évêques, au lieu de prêcher, vivaient à la cour, ne venaient que rarement dans leurs diocèses et abandonnaient l’enseignement religieux à un clergé inférieur, ignorant, superstitieux et grossier. (Voir la Démocratie chez les prédicateurs de la Ligue, par Ch. Labitte. Paris, 1841.) A l’émotion qu’avaient pu produire, dans ce milieu corrompu, les protestations indignées et éloquentes de Pierre d’Ailly, de Gerson, de Clémengis, s’efforçant de raffermir le catholicisme en le rajeunissant, avait succédé un assoupissement nouveau, une confiance trompeuse dans la perpétuité des abus. En France, comme en Allemagne, nos réformateurs sentirent alors la nécessité de propager leur enseignement, par la parole ou par les écrits. Substituant à l’autorité le droit d’examen individuel, ils comprirent, et ce fut là leur force, qu’ils devaient s’adresser à tous et parler le langage commun. Ils laissèrent donc de côté le latin, la langue où s’était écrit jusque-là presque tout ce qu’on avait pensé de sérieux et, pour la première fois, la langue française, qui n’avait guère su que raconter les faits d’armes et les légendes d’amour, apprit à exprimer dans un langage clair et précis les vérités les plus hautes où puisse atteindre la pensée humaine. On l’a dit avec beaucoup de raison : « La prédication protestante fut, à ce moment, quelque chose d’austère, de rude même, qui peut rebuter, au premier abord, un littérateur habitué à d’autres genres de beauté. Mais qu’on y regarde de plus près, on trouvera, sous cette froideur du style, la chaleur de la conviction, sous cette négligence, une foi scrupuleuse, et, parmi ces orateurs oublieux de la réputation, des hommes qui n’oublient jamais le devoir » (Saurin et la prédication protestante jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, par Berthault, page 65. Paris, 1875).
Nos réformateurs affirmant que la foi chrétienne n’a pas d’autre base que la Bible, le premier de tous les devoirs était de lire et d’expliquer cette révélation divine de manière que tout auditeur fût mis en mesure, à l’occasion, de rendre compte de sa foi. Leur méthode d’exposition était essentiellement analytique ; elle consistait à prendre, les unes après les autres, les différentes parties du texte, dans leur ordre, pour en donner à l’auditeur le sens complet. « Un sermon se composait invariablement de l’explication d’un texte commenté minutieusement ; chaque mot de ce texte était le sujet d’une petite discussion. Le discours se terminait par l’application qui comprenait d’abord une conséquence à l’honneur de la foi réformée contre la croyance catholique ; puis une assez courte exhortation à l’auditoire. » (Histoire de la littérature française à l’étranger depuis le commencement du dix-septième siècle, par Sayous, t. II, p. 64. Paris, 1853).
Ce système analytique resta un des caractères de la prédication protestante pendant la première moitié du dix-septième siècle. Nos prédicateurs devaient continuer longtemps à négliger de lier entre elles les différentes parties d’un sermon pour leur donner un but final. Nous sommes donc encore loin du sermon proprement dit qui, dans un texte, ne saisit qu’une idée, mais s’efforce d’en développer toutes les conséquences. Ceci d’ailleurs ne doit pas nous surprendre. Rien ne se fait que par des transitions lentes et, dans l’histoire de la prédication, comme dans l’histoire de la littérature, on ne saurait établir des divisions chronologiques très rigoureuses. Il arrive le plus souvent qu’entre deux grandes époques d’un caractère bien tranché, il y a place pour une période intermédiaire qui n’a pas encore rompu avec celle qui précède et se rapproche de celle qui suit. Claude a vécu dans une de ces périodes. Il n’a pas abandonné l’ancienne méthode, mais il l’a modifiée puissamment. Comme ses prédécesseurs, il s’efforce de donner une explication forte et minutieuse de son texte, mais déjà il cherche à mettre en lumière une idée centrale. Ainsi, dans le second sermon sur la Parabole des Noces (Matthieu 22.1-7) : « Venez ici, chrétiens, apprendre deux importantes vérités ; l’une, ce que peut la corruption de l’homme privé du secours de la grâce, et l’autre, ce que fait la justice divine lorsque l’homme abandonne son devoir. Ce sont les deux points que nous avons à traiter. Nous avons à voir : premièrement, ce que firent les conviés lorsque le roi leur envoya ses serviteurs pour les appeler ; secondement, nous avons à considérer ce qui leur en arriva. »
Remarquons aussi la manière dont il énonce son sujet et son plan dans le troisième de ces sermons (Matthieu 22.8-10). « Ces paroles se divisent d’elles-mêmes en deux points : le premier contient ce que le roi dit à ses serviteurs, et le second, ce que les serviteurs firent pour exécuter l’ordre qu’ils avaient reçu. L’un est la vocation des gentils, en tant qu’elle a Dieu pour auteur, et l’autre, cette même vocation, en tant qu’elle a été exécutée par les ministres que Dieu avait choisis pour cela. »
Citons enfin, dans le cinquième sermon (Matthieu 22.14) : « Plusieurs sont appelés, mais peu sont élus. C’est en effet la conclusion que notre Seigneur tire de tout ce qu’il avait dit dans sa parabole, et c’est la raison qu’il donne de ce que les Juifs avaient rejeté son Évangile, et de ce qu’entre les gentils qui l’avaient reçu extérieurement, il s’en était trouvé quelques-uns qui n’avaient pas apporté à son divin banquet les dispositions qu’ils devaient. Pour traiter plus distinctement une si grande matière, nous la diviserons en deux points. Le premier sera de la vocation et de l’élection considérées en elles-mêmes, car il faut expliquer ce que c’est ; le second regardera leur étendue selon les bornes que notre texte leur donne : Plusieurs sont appelés et peu sont élus. »
Il se rapproche donc de ceux qui bientôt comprendront toute l’importance de la méthode et du plan. — La prédication de Claude a embrassé une période de quarante années (1645-1685) ; malheureusement nous n’avons que quelques sermons. En voici la liste :
- La Parabole des noces expliquée en cinq sermons.
- Sermon sur ces paroles : « Ne contristez pas le Saint-Esprit (Éphésiens 4.29-30), Charenton, 1666, in-8°.
- Les Fruits de la repentance ou sermon sur Proverbes 16.6-7 (Charenton, 1687).
- Explication de la section 53 du catéchisme (Sermon sur la Ste Cène. Quevilly et Rouen, 1682).
- Sermon sur les paroles de Jésus-Christ à St-Pierre : Matthieu 16.18. Rotterdam, 1684.
- Sermon sur Ecclésiaste 7.14 (prononcé à La Haye le 21 novembre 1685).
- Dernière exhortation que M. Claude fit à Charenton (Genèse 18.87. Rotterdam, 1688.)
- La récompense du fidèle et la condamnation des apostats (sermon sur Matthieu 10.32-33.)
Ces sermons, on le voit, sont peu nombreux, et l’on ne songe plus à s’en étonner quand on se rappelle toutes les exigences du ministère de Claude. Il possédait, dit-on, une remarquable facilité d’improvisation et elle ne nuisait nullement au développement harmonique de son argumentation ; mais il était difficile pour lui-même et, au milieu des innombrables occupations de sa vie, il ne lui restait guère de temps pour composer à l’aise, pour relire, pour corriger ses sermons.
A l’époque où parut Claude, l’influence littéraire du dix-septième siècle agissait partout, et la chaire protestante en profita à son tour. On commença à reconnaître qu’il ne suffit pas, pour être orateur, d’élucider un texte et d’exposer savamment les discussions de l’école. Claude et Du Bosc inaugurent la période qui aboutira à l’illustre Saurin. C’est en parlant de Du Bosc que Louis XIV dit, dans un moment d’admiration sincère : « je viens d’entendre l’homme de mon royaume qui parle le mieux. » Quant à Claude, son style exprime sa pensée avec beaucoup de précision et un naturel parfait. C’est lui qui a dit : « les manières allégoriques et paralléliques, si j’ose ainsi parler, sont d’ordinaire de méchants jeux d’esprit qui ont ce malheur de ne plaire à personne, mais qui, de plus, n’édifient nullement la conscience. » (1er sermon sur la parabole des noces).
Claude se propose, en général, de convaincre ses auditeurs, et toutes les parties de son discours tendent vers le même but. Ce n’est pas seulement dans l’Écriture Sainte et dans la théologie qu’il puise ses développements, il ne craint pas de consulter la philosophie et l’analyse psychologique. Il était, en effet, vraiment observateur, et nous nous en apercevons dans le petit traité de morale qu’il composa, sous ce titre : L’examen de soi-même pour se bien préparer à la communion. Là il montre qu’il connaissait tous les replis secrets du cœur et savait suivre les détours que l’âme prend pour se fuir ou s’abuser elle-même ; il lève le masque dont se couvrent les pécheurs qu’il veut conduire à Jésus-Christ comme leur souverain bien. « Ce n’est pas une morale outrée, nous dit M. De La Devèze, comme on en voit ailleurs, elle a ses rigueurs, mais elle est juste et toujours conforme à la vraie nature humaine. »
Claude revient souvent à la discussion des dogmes et des systèmes, mais n’oublie presque jamais d’en tirer des déductions pratiques. Il sait descendre dans son propre cœur pour découvrir les doutes et les angoisses des pécheurs, pour mettre en lumière les subterfuges et les déguisements derrière lesquels s’abritent les passions. Cependant la tractation constitue la partie la plus importante dans ses sermons et présente souvent tous les caractères d’une longue analyse. Le point de vue sous lequel la parole biblique est placée par le contexte, la valeur des termes qui la composent, les différents sens d’après lesquels elle peut être entendue, la preuve des vérités dogmatiques ou morales auxquelles elle se rattache, l’auteur veut tout expliquer et, par crainte d’être incomplet, il aborde tous les sujets auxquels l’amène le courant de sa tractation. On voit des ouvriers qui, dans la mine découverte, choisissent un filon qu’ils épuisent avant de toucher aux autres ; Claude, au contraire, porte la pioche sur tous indifféremment afin de s’en approprier les richesses, au risque d’emporter mêlée à l’or beaucoup de poussière.
Notre prédicateur s’adresse beaucoup plus à la raison de ses auditeurs qu’à toute autre faculté. Du reste, on peut dire, d’une façon générale, que les orateurs protestants manquent alors d’onction et de pathétique. Ils paraissent craindre de se livrer à une émotion vraie qui aurait cependant, nous semble-t-il, tant de force pour conquérir les cœurs. On dirait que l’austérité de la dialectique cherche à bannir de leur prédication les mouvements affectueux. Et pourtant, ils n’ont d’autre ambition sur la terre, ils ne demandent à Dieu d’autre grâce que de sauver les âmes.
Chez eux, il ne faut point chercher l’émotion dans tel ou tel morceau qui se puisse détacher. C’est une impression d’ensemble produite par la vigueur de l’enchaînement. Quelques citations seraient nécessaires ici, nous le sentons, mais notre étude a ses limites, et nous renvoyons nos lecteurs à l’excellent ouvrage de M. Vinet sur l’Histoire de la prédication parmi les réformés de France au dix-septième siècle. Chez Claude, comme chez les prédicateurs de la même époque, l’émotion, quand elle est produite, ne procède le plus souvent que de la raison. Cela nous ferait dire volontiers, en modifiant une belle pensée de Pascal : la raison a ses émotions différentes de celles du cœur, émotions de l’intelligence qui veut tenir ferme la vérité conquise et, se plongeant dans sa contemplation, dédaigne les ornements qu’une parole humaine pourrait lui donner. Mais un jour vint, jour solennel et terrible, où Claude apporta dans la chaire l’éloquence la plus intime et la plus saisissante qui puisse retentir dans un temple. L’édit de révocation était signalé, on allait le publier et le mettre à exécution ; alors Claude, peu de jours avant son bannissement, vint adresser une dernière exhortation à ceux de son troupeau. Lui, le méthodique, l’austère dialecticien, trouva, cette fois, des accents et des mouvements d’une véritable éloquence :
« A qui te comparerai-je, fille de Jérusalem, afin que je te conseille, car ta froissure est grande comme une mer ? et qui est celui qui te médecinera ? verse larmes jour et nuit, comme un torrent, Église du Seigneur, autrefois toute ma joie, aujourd’hui toute ma douleur. Pleurez, pleurez, le sujet est trop juste… Oh ! plût à Dieu qu’à l’exemple du souverain sacrificateur Jéojada, nous fussions en ce moment employés à renouveler l’alliance entre Dieu et son peuple ! Promettez à Dieu de cheminer en ses voies, que sa vérité vous sera plus chère que toutes choses, et de lui être fidèles jusqu’à la mort, et je vous jurerai, de sa part, qu’il sera encore votre Dieu. Oui, a dit l’Éternel, je leur serai Dieu. Vous le promettez ? Vous, cieux, je vous prends à témoin entre ce peuple et son Dieu. De la sorte, Dieu sera toujours votre Dieu. Vous serez sans pasteurs, mais vous aurez pour pasteur le grand pasteur des brebis, que vous irez entendre dans sa parole. Vous n’aurez plus les serviteurs, mais vous aurez le Maître. Vous ne viendrez plus entendre nos prédications, mais vous irez au sermon du Fils de Dieu, et tirerez les instructions de sa bouche. Vous n’entendrez plus notre parole, mais vous entendrez la voix du Seigneur, le chef et le consommateur de la foi. Vous n’aurez plus de temples ; mais le Souverain n’habite point les temples faits de main d’homme. De tous vos cœurs bien unis en la foi faites-lui une maison sainte qui s’élève pour être un tabernacle de Dieu en esprit… Si, par la séduction de la chair, vous êtes tentés et que vous disiez : Nous irons au pays d’Egypte, afin que nous ne voyions point de guerre et que nous n’oyions pas le son du cornet et n’ayions point disette de pain. Écoutez là-dessus la parole de l’Éternel : Vous, les restes de Juda, ainsi a dit l’Éternel, le Dieu d’Israël, si vous dressez votre face, résolus d’aller en Egypte, il adviendra que l’épée dont vous avez peur vous attrapera en Egypte et la famine vous y joindra… On vous fera des promesses : Je te donnerai ! Mais, ô fidèle, que te donnera-t-on, qui te récompense de la perte de ton Sauveur, qui te regardera comme un lâche et qui dira : jetez le serviteur inutile, pieds et mains liés, aux ténèbres extérieures. Que te donnera-t-on qui te puisse dédommager de la perte des biens éternels ? Écoute plutôt la promesse du Sauveur : Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie. Regardez, chrétiens, à ce grand jour auquel Jésus-Christ viendra avec les millions d’anges citer tous les hommes devant son tribunal… Souvenez-vous, frères bien-aimés, dans le désastre de l’Église, qu’il n’y a point d’asile assuré que l’innocence. Si, par la vanité des honneurs, vous abandonnez Dieu, Dieu vous livrera aux mains des hommes ; mais si, par la crainte de Dieu, vous méprisez les menaces des hommes, Dieu vous délivrera de leurs mains. Si, toujours innocents et fidèles à Dieu, vous faites ses affaires sur la terre, il fera les vôtres dans le ciel. Disons tous d’un cœur sincère : Nous te suivrons partout, fût-ce même à la mort. Sainte résolution, que vous nous êtes chère et que nous vous chérirons dans les cieux ! surtout soyez saints ; ce n’est plus le temps des divertissements et des plaisirs… Fiez-vous en l’Éternel, c’est chose grande que sa fidélité. Et dans ce désastre, nous prierons comme vous ; nous sommes toujours vos pasteurs. Oui, le dernier moment de ma vie qui, dans mon pieux dessein, eût été le dernier de mon ministère parmi vous, sera le dernier de mon amour. Jérusalem, si je t’oublie, que ma dextre s’oublie ! Sainte famille de mon père, cher héritage de mon Dieu, sacré troupeau de mon divin Maître, si je ne vous prêche dans ce lieu, je vous bénirai dans mon cœur, et là, vous serez le principal sujet de ma joie ou de ma tristesse, l’unique sujet de mes prières et la continuelle matière de mes vœux ardents. Les heures qui étaient destinées à vous prêcher le seront à prier et à conjurer le Ciel pour attirer ses grâces sur vous. Et toi, Seigneur, je ne te laisserai point que tu ne les aies bénis. Bénis cette vigne que ta main a daigné planter, les enfants de ces généreux pères qui ont versé leur sang pour ta querelle, qui te seront fidèles. Père saint, garde-les en ton nom. Seigneur Jésus, ne permets pas que les portes d’enfer prévalent contre eux. Et toi, Esprit saint, auteur des lumières et des grâces, remplis-les de consolation et de sainteté. Oh ! notre Dieu, que pas une brebis ne périsse ! Oh ! que puissions-nous, à ce grand et dernier jour, les voir toutes à la droite de Jésus-Christ et qu’ils soient notre joie et notre couronne en la journée du Seigneur. Amen ! »
Claude savait donc trouver le chemin des cœurs ; d’ailleurs ses péroraisons sont, en général, émouvantes. En voici une autre, moins connue et aussi digne d’être reproduite :
« Nous ne saurions mieux finir qu’en vous exhortant à bien imprimer dans votre cœur les choses que vous venez d’entendre. Car, comme nous vous l’avons dit au commencement, elles vous doivent servir, avec tant d’autres que la parole de Dieu vous enseigne, de témoignage devant Dieu et d’apologie devant les hommes, pour votre persévérance dans la religion dont vous faites profession. Armés de ces vérités, il n’y aura ni tentations que vous ne surmontiez, ni reproches que vous ne dissipiez, ni sophismes que vous ne puissiez repousser, ni épreuves que vous ne soyez capables de soutenir. Dieu, qui vous a fait la grâce de les connaître, vous a fait aussi celle de les aimer, il les a mises comme en dépôt dans votre esprit et dans votre cœur. Gardez-les avec soin et avec jalousie et ne permettez jamais qu’on vous les ravisse. Pour cet effet, méditez sans cesse de quel prix et de quelle dignité elles sont, et combien elles vous apportent de joie et de paix spirituelle dans leur possession. Car ce ne sont pas de simples vérités philosophiques qui ne fassent autre chose qu’égayer l’esprit et occuper l’imagination ; celles-ci remplissent la conscience et ouvrent le chemin du ciel. Mais, comme il n’y à que la grâce qui vous les ait révélées, il n’y a aussi que la grâce qui les puisse conserver en vous. Demandez donc à Dieu qu’il lui plaise de les imprimer de plus en plus dans votre âme et prenez garde à ne vous pas rendre indignes d’une si grande faveur » (Voir explication de la section 53 du catéchisme sur la sainte Cène, page 54).
Depuis que l’état des églises réformées de France devenait chaque jour plus alarmant, il s’était introduit dans la prédication protestante un élément nouveau, je veux parler des avertissements aux troupeaux, qu’il était essentiel de mettre en garde contre la tentation, et de fortifier dans la patience. Les avertissements auraient pu se produire plus tôt. L’édit de Nantes était trop en contradiction avec les préjugés et les erreurs du seizième siècle pour être fidèlement exécuté. Vainement il s’était affirmé comme perpétuel et irrévocable, vainement il avait été confirmé par Marie de Médicis, aussitôt après la mort d’Henri IV et par Louis XIII devenu majeur, il ne fut pas un seul jour sincèrement respecté (Voir l’Histoire de l’édit de Nantes par Benoît). En beaucoup d’endroits le culte réformé était empêché, les temples étaient démolis, les places de sûreté surprises, les enterrements troublés, les sépultures violées, les malades chassés des hôpitaux. On mettait en œuvre contre l’édit tous les faux-fuyants et toutes les hypocrisies. Une vaste conspiration semblait s’être promptement organisée pour arracher petit à petit tout ce que l’édit d’Henri IV avait accordé aux réformés. La séduction des consciences et ce qu’Agrippa d’Aubigné appelait si justement « la foire aux lâchetés » ne réussit que trop bien. Plusieurs nobles furent les premiers à juger que les honneurs et les dignités valaient bien une messe et ils exercèrent autour d’eux le prosélytisme de l’apostasie. Richelieu, pour détacher de leur croyance ceux dont la foi serait moins vive que leur ambition ne donna plus qu’aux gentilshommes catholiques les dignités de la cour et de l’année (Rulhières, Éclaircissements, page 15). Louis XIV alla plus avant dans cette voie. Infatué du pouvoir absolu, il croyait réussir facilement à rendre uniforme la croyance religieuse de son peuple. En rendant ses premières lois persécutrices en 1662, il ne pensait peut-être pas être amené à décréter celles de 1681 et des années suivantes. Il aurait préféré ne pas employer des rigueurs nouvelles pour fléchir les huguenots, nous voulons bien l’admettre, et il accepta avec empressement le système de conversion imaginé par Pellisson, cet ambitieux que Bayle appelait « le trésorier général de la propagation de la foi ». L’extinction de l’hérésie paraissait néanmoins à Louis XIV le plus glorieux triomphe que la Providence lui eût réservé. Ses mémoires, écrits vers 1670, nous en fournissent la preuve :
« Je crus que le meilleur moyen pour réduire peu à peu les huguenots de mon royaume était, en premier lieu, de ne les point presser du tout par aucune rigueur nouvelle, de faire observer ce qu’ils avaient obtenu de mes prédécesseurs, mais de ne leur rien accorder au delà et d’en renfermer même l’exécution dans les plus étroites bornes que la justice et la bienséance le pouvaient permettre. Quant aux grâces qui dépendaient de moi seul, je résolus, et j’ai assez ponctuellement observé depuis, de ne leur en faire aucune… je résolus aussi d’attirer, même par récompense, ceux qui se rendraient dociles, etc… » (Œuvres de Louis XIV, Mémoires et instructions, tome I, page 84.)
Le devoir des pasteurs, à cette époque, était, dès lors, tout tracé. Claude s’en acquitta dignement. On le voit ne pas ménager les reproches à ses auditeurs qu’il veut maintenir dans la bonne voie. Il insiste sur cette idée que Dieu châtie le troupeau réformé dont le zèle s’est refroidi, dont les mœurs ne répondent plus à la doctrine :
« Les remèdes que Dieu a jusqu’à présent employés pour notre conversion n’ont point produit d’autre effet que de nous endurcir de plus en plus dans nos vices ; il semble que nous soyons cette terre dont St Paul parle au 6me ch. de l’Épître aux Hébreux, laquelle boit souvent la pluie qui vient sur elle, mais qui ne produit pourtant que des épines et des chardons. Car, quant à la parole, soit qu’elle soit forte ou qu’elle soit douce, il n’importe ; soit qu’elle se tienne dans les simples termes de l’exhortation, ou qu’elle aille jusqu’aux censures et aux menaces, tout est égal : elle n’a plus d’efficace sur nous, nous ne la regardons plus que dans une seule vue qui est celle de notre divertissement, et désormais ce n’est plus à la conscience qu’il faudra prêcher, c’est à l’esprit et à l’imagination. Et quant aux afflictions dont Dieu nous visite, elles n’ont pas un meilleur succès. D’un côté, il nous dépouille peu à peu de nos biens temporels, il appauvrit nos familles à vue d’œil, il fait tomber sa verge sur ce que nous aimons le plus, sur nos maisons, sur nos champs, sur nos affaires, sur nos prétentions. Mais que produit cela, si ce n’est le malheur de nous rendre plus ardents et plus attachés à la poursuite de ces faux biens ?… Mais il n’en est pas de même lorsque Dieu nous châtie dans les choses qui appartiennent immédiatement à la religion ; comme lorsqu’il abat nos temples, qu’il nous ôte, en plusieurs lieux, la liberté de nos assemblées, qu’il nous ravit les moyens de nous avancer dans la connaissance de ses mystères et ceux de nous fortifier et de nous consoler nous-mêmes dans nos angoisses. Car, à cet égard, au lieu de nous faire courir avec plus de force après ces biens célestes, et de nous les faire désirer plus ardemment, ce qui serait le juste effet que cette affliction devrait produire en nous, elle n’en produit point d’autre que de nous accoutumer à leur privation et de nous faire regarder notre religion comme une religion mourante à qui nous disons : Va-t-en en paix ! » (2me sermon sur la parabole des noces).
Sévère pour lui-même et pour ses frères dans la foi, Claude est pénétré de charité, même pour les auteurs de l’intolérance et de la persécution. « Ce sera, dit-il dans son sermon sur les fruits de la repentance, ce sera sous la bénédiction de Dieu que nous jouirons de la protection de notre puissant monarque, laquelle, après celle de Dieu, doit être notre unique refuge. Prions le Roi des rois que, par sa providence immortelle, il veuille garder et conserver Sa Majesté en toutes les occasions. Que Dieu soit son soleil et son bouclier ! Prions-le de plus qu’il lui plaise de tourner son cœur vers nous et de nous le rendre favorable. »
L’exil ne modifia pas ces dispositions de son cœur, et l’on peut s’en convaincre en lisant le discours qu’il prononça à La Haye, peu de temps avant sa mort. S’adressant aux magistrats et aux habitants des Provinces-Unies, il les remercie d’abord d’avoir, selon les paroles de son texte, si bien usé de leur prospérité envers tant de pauvres réfugiés… :
« Dieu, continue-t-il, Dieu, veuille être votre rémunérateur et vous rendre mille et mille fois le bien qu’il vous a mis au cœur de nous faire. Souffrez pourtant que, pour nous attirer de plus en plus votre affection, nous vous disions à peu près ce que Ruth disait à Noémi : Nous venons ici pour ne faire qu’un même corps avec vous ; et, comme votre Dieu est notre Dieu, votre peuple aussi sera désormais notre peuple, vos lois seront nos lois, et vos intérêts nos intérêts. Où vous vivrez, nous vivrons ; où vous mourrez, nous mourrons, et nous serons ensevelis dans vos tombeaux. Aimez-nous donc comme vos frères et vos compatriotes, et ayez de la condescendance pour nos faiblesses. Nous sommes nés sous un ciel qui ne donne pas à tous ce tempérament sage, discret et retenu que le vôtre vous communique. Supportez-nous ; car, comme il est juste que nous nous formions, autant qu’il nous sera possible, aux règles de votre prudence, nous espérons aussi de votre équité qu’elle ne nous comptera pas toutes nos infirmités. — Pour vous, mes frères, qui êtes ici comme de misérables restes d’un grand débris, c’est à vous à qui je dois principalement appliquer ces autres paroles : et au jour de l’adversité, prends-y garde. C’est vous qu’elles regardent, c’est à vous qu’elles appartiennent. J’avoue qu’un de nos premiers devoirs, en entrant dans cet État, a été de remercier Dieu de nous avoir délivrés d’une rude et violente tempête et de nous avoir conduits heureusement dans ce port ; et dans cette vue, nous pouvons encore appeler ceci le jour de notre bien. Mais, quoique ce bien soit d’un prix inestimable, il est pourtant accompagné de tant de tristes souvenirs et mêlé de tant d’amertume qu’il faudrait être fort insensible pour ne le pas regarder aussi comme le jour de la plus grande adversité qui pouvait nous arriver. Je ne prétends pas vous faire ici une longue déduction de nos malheurs, ni m’arrêter sur les causes secondes qui nous les ont procurés. Nos malheurs vous sont connus ; et comment ne le seraient-ils pas ? ils le sont à toute l’Europe. Et pour les causes secondes, comme ce ne sont que des canaux impurs et des sources inférieures que la malignité du siècle a empoisonnées, il est bon de les couvrir d’un voile, de peur d’exciter en nous des mouvements que nous ne voulons pas avoir. Laissons-les au jugement de Dieu, ou plutôt, prions Dieu qu’il les change, et qu’il ne leur impute point ces fureurs. »
Un autre caractère général de la prédication protestante, à cette époque, c’est l’abondance des développements dogmatiques. Ne nous en étonnons pas ; il fallait opposer aux doctrines inventées par Rome les doctrines puisées dans la Bible. Et comme un élan, bien ou mal dirigé, vers le dogme, a toujours accompagné dans l’Église les réveils religieux, nous hésitons à reprocher aux prédicateurs du dix-septième siècle le ton exclusif de ces explications de la Bible et la confusion qu’on y pourrait relever entre la Parole divine et l’interprétation humaine de cette parole. Nous regrettons toutefois qu’ils se soient un peu trop renfermés dans le cercle de l’enseignement dogmatique au lieu d’insister sur les faits chrétiens, sur les faits historiques, dont le dogme n’est que l’expression plus ou moins exacte. N’est-il pas évident, aujourd’hui, que les prédicateurs, au lieu de s’attacher à la métaphysique, font mieux de puiser dans l’expérience humaine, en même temps que dans les Écritures, des leçons d’une application immédiate ?
Nous ne voulons pas exagérer le mérite des catholiques qui donnaient alors la première place à la morale dans leurs sermons. Ils agissaient ainsi, on ne saurait le nier, parce qu’ils n’avaient pas à établir le dogme, il leur était en général plus facile d’approfondir, comme le faisaient les protestants, toutes les questions en litige. Il n’en est pas moins vrai, à nos yeux, que leur prédication y gagnait. Nous ne voulons pas dire que le dogme n’ait aucune raison d’être, puisque la morale s’appuie sur lui et le suppose, mais la morale exige plus de développements. « Ceux qui croient de confiance sont très nombreux parmi les auditeurs, ceux qui pratiquent de confiance le sont beaucoup moinsg. » La Bible nous invite sans cesse à rentrer en nous-mêmes, à nous connaître et à nous surveiller. Expliquer l’homme à lui-même et prêcher la morale religieuse : tel doit être constamment le travail du prédicateur chrétien. Claude, quoiqu’il appartienne à la seconde moitié du dix-septième siècle, nous paraît avoir négligé cette méthode. La différence du goût de son temps et de celui du nôtre suffirait pour nous expliquer ce fait. Partout et toujours l’éducation et l’auditoire créent, pour ainsi dire, l’orateur. Il faut que la prédication, pour être actuelle, s’accommode aux temps et aux milieux. Toute éloquence est faite pour le public auquel elle s’adresse ; l’orateur parle pour l’auditoire et, le plus souvent à son insu, comme l’auditoire semble le demander.
g – M. le professeur Cougnard, Homilétique. Cours inédit.
Nous disions tout à l’heure qu’une prédication vraiment biblique doit insister beaucoup plus sur la morale que sur le dogme. Nos pères ne raisonnaient pas ainsi, et cependant ils s’attachaient bien plus que nous à l’élément biblique. Dans l’ancienne prédication réformée, la Parole sainte était plus en saillie que dans la nôtre, les citations mieux amenées et les explications plus nombreuses ; l’ensemble enfin portait un caractère biblique qui dénotait chez le prédicateur une connaissance intime des Livres saints et qui tend, de nos jours, à s’effacer toujours plus. Nous sommes de ceux qui le regrettent, ne fût-ce qu’au point de vue oratoire. Où trouverait-on plus d’éloquence, plus de poésie, plus de vie religieuse et morale que dans la Bible ? où trouverait-on plus d’images fortes, majestueuses ou saisissantes que chez les prophètes, par exemple ? Quelle prédication saura jamais, mieux que celle de Jésus-Christ, s’emparer des spectacles que présente le monde matériel pour instruire l’âme de ses devoirs ? — Mais remarquons, en passant, que les orateurs catholiques trouvaient un avantage dans la manière dont ils citaient la Bible. En effet, pour eux, le texte biblique inaltérable était la Vulgate, mais chacun la traduisait à son gré ; pour les prédicateurs protestants c’était la Version de Genève, écrite au seizième siècle, et pleine d’expressions vieillies et tombées en désuétude. Le prédicateur catholique avait, en outre, la faculté de fondre la citation dans son propre texte et de la modifier au besoin. Là où Bossuet traduit, en poète : « Nous mourons tous, et nous allons sans cesse au tombeau, ainsi que des eaux qui se perdent sans retour, » Du Bosc s’assujettit à dire : « Certainement nous mourons, et nous sommes semblables aux eaux qui s’écoulent par la terre. » — Quand Bossuet dit : « Elle a passé du matin au soir, ainsi que l’herbe des champs ; le matin, elle fleurissait, avec quelle grâce, vous le savez ; le soir, nous la vîmes séchée. » — Morus copie : « Toute chair est comme l’herbe, et toute sa grâce est comme la fleur d’un champ. L’herbe est séchée et la fleur est cheute. » Et Claude, de son côté, s’écrie : « Comme le cerf brame après le décours des eaux, ainsi mon âme aspire après toi, ô mon Dieu ! » etc. — Les sermons de Claude sur la parabole des noces sont les plus connus et mériteraient de l’être davantage, car on y respire une profonde piété et l’on y découvre plus d’une expression, plus d’une idée qui se trouvent aujourd’hui dans le domaine commun, ou qui vaudraient bien la peine d’être mises en lumière. Il y a là un élément permanent qui attirera toujours les âmes altérées de vérité, de pardon et de vie religieuse. Écoutons-le, par exemple, définir le royaume des cieux :
« L’Évangile est un royaume, mais un royaume qui n’a rien de commun avec ceux de la terre. Son origine est immédiatement du ciel ; le roi en est céleste, et les sujets, bien que ce soient des hommes et des hommes vivant encore dans le commerce du reste du monde, sont pourtant appelés des bourgeois ou des citoyens des cieux. » (Parabole des noces, premier sermon).
Malgré toutes les qualités que présente l’explication de la parabole des noces, nous reconnaissons que Claude ne s’y affranchit pas toujours de la méthode analytique. Dans d’autres sermons, il réussit mieux sous ce rapport. Ainsi, dans le sermon sur la Récompense du fidèle et la condamnation des apostats. Le texte était pris dans Matthieu 10.32-33. Ce texte n’est pas un prétexte, et Claude développe magistralement les paroles qu’il a choisies. On peut en juger par l’exorde :
« Le déguisement dans le monde y a toujours passé pour le sentiment d’une âme basse et lâche, auquel les gens d’honneur ont déclaré une guerre ouverte, comme à l’ennemi le plus dangereux de la société civile, puisque en bannissant la confiance que l’on doit avoir les uns aux autres, il ne laisse dans les esprits qu’un soupçon incommode qui ôte tous les plaisirs du commerce et qui attire enfin, tôt ou tard, sur ces âmes dissimulées la juste récompense de leur hypocrisie. — Mes frères, si le déguisement est insupportable dans le monde, parmi les gens qui se piquent d’honneur et de probité, il faut avouer qu’il l’est surtout dans la religion à l’Éternel. S’il ne le peut souffrir dans les actions les moins importantes de la vie, il l’a particulièrement en horreur dans le service qu’on lui prétend rendre… Quand on porte ses étendards, il veut qu’on les déploie ; quand il nous a honorés du caractère de ses enfants, il veut que nous en fassions une profession ouverte, et que les paroles de nos bouches soient les fidèles interprètes des mouvements de nos cœurs… Aussi, mes frères, Dieu, pour nous faire connaître l’horreur qu’il a pour ce péché, a toujours menacé ceux qui s’en rendaient coupables, de ses terribles vengeances ; comme, d’autre côté, il a toujours promis de couronner, de la manière du monde la plus glorieuse, la fidélité de ceux qui auraient eu le courage de confesser hautement le Dieu qu’ils adorent et les vérités qu’ils croient. Il me semble, mes frères, qu’il serait inutile que j’allasse chercher hors de notre texte des preuves de ce que j’avance, puisqu’il nous en fournit d’aussi évidentes que sont celles que vous venez d’entendre : quiconque, dit le Fils de Dieu lui-même, quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon père qui est aux cieux, etc. »
Enfin, dans son sermon sur les fruits de la repentance, Claude est encore plus maître de sa marche, et se rapproche davantage du sermon systématique. Mais là encore le sujet déborde le texte (Proverbes 16.6-7), texte qui, d’ailleurs, n’était pas heureusement choisi et que l’on perd de vue au milieu d’une trop longue série d’applications. Nous avions l’intention de donner ici une analyse de ce sermon, mais nous y renonçons, n’osant pas l’entreprendre après Vineth.
h – Histoire de la prédication parmi les réformés de France au dix-septième siècle, par Vinet, p. 322. Paris, 1860.
Les citations que nous avons faites suffisent, nous l’espérons, pour caractériser la prédication de Claude. « Son éloquence était mâle, pleine de grandeur et de majesté, et il aurait exercé un empire irrésistible sur son auditoire si la nature l’avait « doué de ces dehors imposants, de cet organe harmonieux qui séduisent toujours la multitude et font souvent la moitié du succès de l’orateur. » (Haag) Sa voix n’était ni agréable, ni sonore ; il avait un accent méridional beaucoup trop prononcé, ce qui, lorsqu’il fut question de l’attacher au Consistoire de Charenton, fit dire à Morus : Il aura toutes les voix pour lui, hormis la sienne. — Il avait une physionomie peu expressive, un extérieur épais et, par surcroît, était louche. On peut voir dans la bibliothèque de Genève, qui en fit l’acquisition en 1736, un portrait de Claude, copie estimée d’un portrait peint par Laurent.
Si Claude semble dédaigner les ornements oratoires, c’est qu’il est, avant tout, préoccupé du salut des âmes. En le lisant, l’esprit se repose de l’espèce de fatigue que laisse ce qu’il y a de trop recherché parfois dans les plus belles productions littéraires de ce temps. On aime entendre exprimer avec simplicité des principes fermement acquis, on aime ce langage empreint d’un sentiment profond de la réalité, où l’exagération ne saurait trouver place et d’où sont exempts tous les raffinements de l’esprit. Il semble protester contre la rhétorique brillante qui avait envahi déjà la chaire catholique. Pour beaucoup parmi les prédicateurs de la Cour, la chaire n’était pas autre chose que le marchepied des honneurs et des richesses. On briguait la chaire du Louvre, parce qu’elle était une porte ouverte sur les dignités et les bénéfices ecclésiastiques. Vainement Bossuet proteste, dans le Panégyrique de Ste-Thérèse, contre « l’opprobre que font à Jésus-Christ et à l’Évangile les ouvriers mercenaires. » Fénelon a des accents tout aussi sévères, et La Bruyère, dans son chapitre sur la Chaire, fait, à ce propos, de singulières remarques. Il paraît que certains esprits se faisaient de la prédication à la Cour une sorte d’amusement entre mille autres ; c’était un jeu où il y avait de l’émulation et des parieurs. Massillon avoue ce coupable excès de légèreté quand il dit à ses auditeurs de Versailles : « N’obligez pas les ministres de l’Évangile à recourir, pour vous plaire, aux vains artifices d’une éloquence humaine, à briller plutôt qu’à instruire. » (Sermon sur la parole de Dieu, 3me partie).
Les auditeurs de Claude ne venaient point chercher ces amusements stériles, ils ne risquaient pas d’ailleurs de les trouver près de lui. En 1688, le fils de Claude fit imprimer en cinq volumes les œuvres posthumes de son illustre père. Nous y trouvons un Traité de la composition d’un sermon « qui peut être profitable à ceux qui entendent les prédications et à ceux qui les font ». Claude divise son Traité en autant de parties qu’il y en a dans le sermon. D’abord il donne son jugement sur ce qu’on appelait la Connexion, c’est-à-dire la liaison d’un texte avec ce qui le précède ; mais il n’y insiste pas beaucoup. Il passe ensuite à la division et en marque les différents genres. De la division il vient à la tractation, et ceci reste le fort de l’ouvrage, car il y parle du choix des textes, des préceptes généraux qu’on doit toujours avoir devant les yeux, et des différentes voies que l’on peut suivre pour traiter un texte. Il appuie régulièrement ses réflexions sur une foule d’exemples, et il termine en parlant de l’exorde et de la conclusion. — Nous avons lu avec un véritable intérêt ces pages qui font très bien connaître les idées du temps sur la prédication et qui sont l’œuvre d’un observateur expérimenté ; mais nous ne croyons pas devoir en donner une longue analyse. Il n’y a pas là, en effet, un traité complet d’homilétique, et d’ailleurs les temps sont changés, et les règles particulières que Claude donnait ne pourraient plus nous servir aujourd’hui. Mais voici quelques observations qui nous paraissent mériter d’être reproduites.
Quand on prêche dans une église étrangère, il ne faut point choisir des textes de curiosité, ni de questions épineuses, autrement on dira qu’un homme a eu dessein de se prêcher soi-même. »
« La plupart des auditeurs sont des gens simples à qui pourtant il faut faire profiter la prédication, ce qui ne se peut, à moins qu’on soit fort clair. Et quant aux personnes savantes qui vous, écoutent, elles vous estimeront toujours beaucoup plus si vous êtes clair, que si vous êtes obscur. »
« En matière de religion et de piété, n’édifier pas beaucoup c’est détruire. Un sermon froid et pauvre fait plus de mal dans une heure que cent beaux sermons ne sauraient faire de bien. Je voudrais donc, non qu’un prédicateur fît toujours ses derniers efforts, ni qu’il prêchât toujours également bien, car cela ne se peut, ni ne se doit ; il y a des occasions extraordinaires pour lesquelles il faut réserver toutes ses forces, mais je voudrais au moins que, dans ces actions ordinaires et médiocres, il y eût un certain degré de plénitude qui laissât l’esprit de l’auditeur content et rempli. Il ne faut pas toujours le porter hors de soi-même, ni le ravir en extase, mais il faut toujours le satisfaire et le maintenir dans l’amour et dans le désir de pratiquer la piété. »
« Ne mettre rien dans la première partie d’un sermon qui suppose l’intelligence de la seconde, ou qui vous oblige de traiter la seconde pour faire connaître la première ; car, par ce moyen vous vous jetteriez dans une grande confusion et vous seriez obligé à des répétitions ennuyeuses. »
« Le prédicateur doit varier ses méthodes, pour qu’on ne dise pas qu’il n’a qu’un chemin, et que l’esprit de l’auditeur ne se fatigue de se voir toujours traité d’une même sorte. Car il n’y a rien de plus délicat ni qui se rebute plus facilement que l’esprit humain. »
« La conclusion d’un discours doit être vive et animée, pleine de belles et grandes figures aboutissant à émouvoir les passions chrétiennes, comme sont : l’amour de Dieu, l’espérance, la condamnation de nous-mêmes, etc. »