Pour moi-même et pour le travail que Dieu m'a permis d'accomplir, je dois une inexprimable reconnaissance à mes chers et vénérés parents, qui sont maintenant dans leur repos, mais l'influence de leur vie demeurera à toujours.
Ces mots furent écrits bien des années plus tard par l'enfant qui vint égayer le foyer de James Taylor, à Barnsley, en 1832. Ce n'était bien entendu ni le premier James Taylor, qui était depuis longtemps auprès du Seigneur, ni le fils qui avait grandi et pris la place du père. Il y a deux générations entre la visite de John Wesley à Barnsley et la naissance de l'enfant dont nous raconterons les expériences et dans la vie duquel le caractère des jours anciens allait porter un fruit si riche.
Pour qu'à l'âge de cinquante ans, au milieu de toutes les responsabilités d'une importante mission en Chine, Hudson Taylor pût rappeler avec une inexprimable reconnaissance l'éducation qu'il avait reçue dans son enfance, il fallut bien que des influences de valeur fussent à l'œuvre dans le foyer paternel. En quoi consistèrent-elles ? De quoi les parents rendirent-ils leur fils si redevable ? Que reçurent-ils eux-mêmes qui devait s'avérer si précieux pour d'autres ? Voilà d'importantes questions ; les réponses révèlent la fidélité d'un Dieu qui garde Son alliance et dont la bénédiction est promise « aux enfants de Ses enfants ».
James Taylor, le maçon, eut la joie de voir encore le commencement de cette bénédiction. Le groupe qui avait été formé par son ministère semble s'être développé rapidement après la visite de Wesley. La cuisine de Betty Taylor fut bientôt trop exiguë et peu à peu il fallut songer à édifier une petite chapelle. Un des premiers membres admis dans l'église, à l'achèvement de la construction, fut John Taylor, le fils aîné du maçon. Cette double joie dut être la grâce suprême accordée au père qui, peu de mois après, arrivait au terme de sa carrière. C'était en 1795.
Heureusement pour Betty et les plus jeunes enfants, John Taylor fut capable, dans une certaine mesure, de suppléer à l'absence de son père. Il avait dix-sept ans et un emploi régulier. Il avait appris la fabrication des peignes pour tisserands et y excellait. Travaillant fort et ferme, il occupa peu à peu une place en vue dans le commerce de la ville. Il put ainsi faire sa part pour l'entretien de sa famille et, avant qu'il fût longtemps, put même envisager de fonder un foyer. Il aimait Mary Shepherd, de Bradford, et en était aimé. Les parents de la jeune fille étaient de souche écossaise. Ceci doit être relevé, car cette union allait apporter à la famille Taylor des qualités d'un prix inestimable. Mary était une grande fille, avec un cœur chaud sous un extérieur paisible. John, à côté de toutes ses qualités pratiques, était bon musicien et avait un heureux caractère. Il n'avait que vingt et un ans lorsqu'en mai 1799, ils unirent leurs vies dans la chapelle de Barnsley.
La bénédiction de Dieu reposa sur ce foyer que vinrent égayer sept enfants. À la chapelle également, une grâce surabondante était accordée. John et Mary dirigeaient des classes bibliques pour les jeunes, et les talents musicaux de John étaient fort estimés. « À la place des pères, il y aura les enfants. » Cette promesse s'accomplit d'une manière si remarquable que les bâtiments, bien suffisants du temps de James Taylor, devinrent trop petits pour la génération suivante. John Witworth, le jeune architecte, augmenta encore la difficulté quand il introduisit cette excellente nouveauté connue sous le nom d'École du dimanche. Suivant l'exemple de M. Raikes, de Gloucester, il se mit à rassembler les enfants qui vagabondaient dans les rues. Il n'avait aucune idée de l'ampleur du travail qu'il entreprenait. Mais, le premier jour, quand on vit six cents enfants se rassembler, tous avides d'être instruits, il fut évident que non seulement l'école était une nécessité, mais encore qu'il fallait trouver un immeuble plus vaste.
Peu après, il devint indispensable aussi d'agrandir la chapelle. Elle fut transformée et améliorée, si bien que James Taylor, s'il avait pu revenir, ne l'aurait pas reconnue. La réouverture de ce sanctuaire, peu après Noël 1810, fut une grande fête. Le petit James Taylor, aux cheveux bouclés, qui portait le nom de son aïeul, n'avait même pas quatre ans. Les chants, la nombreuse assistance, la décoration des lieux, firent sur lui une impression ineffaçable. Bien des années plus tard, il aimait à rappeler la joie avec laquelle la chapelle, fondée par son grand-père, fut consacrée à nouveau au service de Dieu.
Dès le premier jour, la bonne main de Dieu reposa sur ce petit James. Du point de vue de l'éducation, lui et ses frères eurent des avantages inconnus de la génération précédente. Leurs parents purent leur faire suivre les écoles, puis, dans la mesure du possible, les laissèrent choisir leur vocation. L'un reprit le commerce de son père, l'autre devint courtier en titres, et un troisième embrassa la carrière pastorale. James désirait être médecin et aurait fait les études nécessaires si les circonstances l'avaient permis. Comme c'était au-dessus de sa portée, il choisit la pharmacie et entra en apprentissage chez un ami dans une ville voisine.
Sept années d'apprentissage hors du foyer firent de lui un homme avant même d'avoir atteint vingt et un ans. Le genre tranquille de ce commerce à la campagne lui donna des occasions d'étudier. Très éveillé et appliqué, il lisait beaucoup et était méthodique dans toutes ses habitudes. Après la Bible, la théologie était son étude favorite. Il lut de nombreux sermons et d'excellentes biographies. En outre, il était doué pour la musique et pour les mathématiques. Il s'intéressait aux oiseaux, aux plantes et à la nature en général. De taille moyenne, il était fort, actif, avait un gai sourire et des manières agréables qui le rendaient attachant.
C'était du moins ce que disait sa mère quand, à l'occasion des jours de congé, il revenait à la maison. Et il arriva qu'elle ne fut pas seule à penser ainsi. Le foyer de John Taylor n'était plus le petit cottage près de la chapelle où Mary Shepherd entra comme jeune mariée. John Taylor, dont les affaires avaient prospéré, avait bâti une solide maison de pierre, en ville, et c'était là que la famille était installée depuis quelques années. Il eût été difficile de trouver un endroit plus heureux quand tous y étaient réunis.
De l'autre côté de la rue, il y avait une demeure tout aussi attrayante où grandissaient un même nombre de garçons et de filles. Naturellement les contacts étaient très fréquents. Le pasteur et M. Hudson comptaient au nombre des plus chauds amis de James Taylor et souvent, le dimanche soir, quand les deux familles rentraient de la chapelle, elles exécutaient des cantiques en plein air.
M. Hudson n'était pas très doué pour la prédication, mais il était fidèle et consacré. Quant à M. Hudson, elle alliait la douceur d'esprit à une grande énergie, et elle était en bénédiction à beaucoup. Trois garçons et quatre filles complétaient la famille. Amélie, la fille aînée, avait quinze ans seulement quand ils vinrent s'établir à Barnsley.
Bien que jeune encore, Amélie était pour ses parents un appui tout particulier. En plus de l'éducation soignée qu'elle avait reçue au foyer, elle avait bénéficié d'un stage de plusieurs années dans une école de Quakers. Sincère, sérieuse, active, ne pensant jamais à elle-même, elle était aimée de chacun. Tout ce qu'elle était et faisait, révélait un cœur entièrement livré au Seigneur.
Mais la situation financière de la famille Hudson était difficile. Aussi, pour aider en quelque mesure ses parents, et bien que le sacrifice lui fût sensible, elle chercha un gagne-pain. Avant même d'avoir atteint l'âge de seize ans, elle entra comme gouvernante de trois petits enfants au château de Donnington. Elle fut heureuse dans cette activité et ses enfants l'aimaient. Les congés étaient rares et ses courtes visites à Barnsley lui paraissaient bien espacées.
Comme James Taylor en apprentissage, elle connaissait de bonne heure la discipline de la vie. Peut-être ce fait contribua-t-il à les rapprocher. Ils apprirent à se connaître et se trouvèrent en pleine communion d'esprit sur les choses les plus profondes de la vie. Le résultat était à prévoir. Une vraie affection grandit entre ces deux jeunes gens, si bien faits l'un pour l'autre et, avant que le pasteur Hudson ne quittât Barnsley, ils se fiancèrent, entourés de l'amour et des prières de leurs familles. C'est ainsi que furent associés les deux noms : Hudson Taylor.