Dans mon premier livre, ô Théophile, j’ai raconté toutes les choses que Jésus a commencé de faire et d’enseigner,
Saint Luc pour se donner entrée à déduire les choses qui sont advenues après l’Ascension de Christ, recueille en somme ce qu’il avait traité au premier livre, afin de faire une continuation du premier au second. Or pour une brève description de l’histoire Evangélique, il met que c’est un récit des choses que Christ a faites et enseignées tandis qu’il a conversé en terre. Quant à ce qu’on l’expose communément que la sainteté de vie a précédé en Christ, et que puis après il a enseigné : ce n’est point à propos de l’intention de S. Luc. Il est bien vrai que les mœurs d’un bon et saint docteur doivent être tellement réglées, que la vie doit parler premièrement que la langue : autrement, il ne différerait en rien d’un bateleur ou joueur de farces. Mais S. Luc a plutôt regardé à ce qu’il avait dit vers la fin de son histoire Evangélique (Luc 24.19) : à savoir que Christ avait été homme Prophète, puissant en œuvre et en parole : c’est-à-dire, excellent aussi bien en faits qu’en paroles. Combien qu’il y a un peu de différence entre ce passage et l’autre. Car la puissance des œuvres qui est là louée, appartient aux miracles : mais ce faire, duquel il est ici parlé, s’étend plus loin, selon mon jugement : à savoir qu’il comprend tous ses faits excellents, qui appartenaient spécialement à son ministère, lesquels sa mort et résurrection tiennent le premier lieu. Car l’office du Messie ne consistait pas seulement en doctrine et à enseigner : mais il fallait qu’il fut réconciliateur entre Dieu et les hommes, rédempteur du peuple, restaurateur du Royaume, et auteur de la félicité éternelle. Toutes ces choses, dis-je, comme elles étaient promises du Messie, aussi on les attendait de lui.
Nous voyons maintenant que la somme de l’Evangile est comprise en ces deux points, à savoir, en la doctrine de Christ, et en ses faits : en tant que non seulement il s’est acquitté envers les hommes de l’ambassade qui lui avait été commise par son Père : mais aussi a accompli de fait, tout ce qu’on pouvait requérir du Messie. Il a commencé son règne, il a apaisé Dieu par son sacrifice, il a effacé les péchés des hommes par son propre sang, il a vaincu le diable et la mort, il nous a remis en vraie liberté, il nous a acquis justice et vie. Et afin que tout ce qu’il a fait et dit, fut bien certain et comme ratifié, il a déclaré par miracles qu’il était le Fils de Dieu. Ainsi ce mot de Faire, s’étend aussi aux miracles : mais il ne le faut pas restreindre à ceux-ci seulement. De ceci nous avons à noter, que ceux qui entendent seulement l’histoire nue, ne savent ce qu’est l’Evangile, s’ils n’ont avec cela connaissance de la doctrine, laquelle leur déclare le fruit des faits de Christ. Car c’est un lien sacré, lequel il n’est loisible de rompre. Par quoi, toutes les fois qu’il est fait mention de la doctrine de Christ, apprenons d’ajouter ses œuvres comme sceaux, par lesquels la vérité de celle-ci a été confirmée, et l’effet manifesté. D’autre part, à ce que la mort et résurrection de Christ nous soit fructueuse, et même que les miracles aient leur utilité, soyons semblablement attentifs à la bouche de celui qui parle. Voilà la vraie règle de Chrétienté.
De toutes les choses que, etc. Je ne veux rejeter ce qu’aucuns ont exposé, que S. Luc a plutôt dit De toutes les choses, que Toutes les choses : d’autant qu’il se peut bien faire qu’on traite des œuvres et de la doctrine de Christ jusqu’à certains points : mais que de expliquer le tout par ordre, en sorte qu’il y ait une narration pleine et parfaite, ce serait une chose par trop difficile : comme S. Jean exhorte, que le monde ne pourrait tenir les livres qu’on en ferait, Jean 21.25. Il nous faut aussi noter, qu’il dit qu’il a commencé son histoire dès le commencement des œuvres de Christ. Et toutefois, après avoir expliqué la nativité de celui-ci, il saute tout soudain à son an douzième : et après avoir touché en bref, que Christ disputa alors au temple, laissant les dix-huit ans d’après sans en faire mention, il commence à coucher d’un fil continuel l’histoire des actes de Christ. Il apparaît donc qu’ici il entend seulement les faits et dits qui servent à la somme de notre salut. Car depuis que Christ étant vêtu de notre chair s’est manifesté au monde, il a vécu comme en privé en la maison, jusqu’au trentième an de son âge, auquel nouvelle charge lui fut imposée par le Père. Quant à la première partie de sa vie, Dieu a voulu qu’elle demeurât cachée et inconnue, afin que le reste de l’histoire qui nous donne connaissance des choses qui édifient notre foi eût plus de lustre et nous fut en plus grande recommandation. Quant à ce mot : Nous avons parlé par ci-devant, il faut entendre une antithèse entre ce second livre lequel l’Evangéliste commence maintenant, et l’autre précédent, afin que nous sachions qu’ici il se propose un nouveau argument ou sujet.
jusqu’au jour où il fut enlevé, après avoir donné des ordres par l’Esprit saint aux apôtres qu’il avait choisis ;
La fin donc de l’histoire Evangélique, c’est que Christ est monté au ciel. Car comme dit S. Paul, il est monté, afin qu’il accomplît tout, Ephésiens 4.10. Il est vrai que notre foi recueille bien d’autres fruits de cette Ascension : mais il suffira de noter ici, que toutes les parties de notre rédemption ont été lors parfaites et accomplies, quand Christ est monté au Père : et que pourtant S. Luc en déduisant jusqu’à ce point le récit, s’est acquitté de son devoir, en ce qui concerne la doctrine et les faits de Christ. Et il est dit qu’il fut reçu en haut : afin que nous sachions qu’il est vraiment parti de ce monde : et que nous ne consentions point aux rêveries de ceux qui pensent que Christ n’a nullement changé de lieu quand il est monté au ciel.
Ses ordres par le Saint Esprit… Par ceci S. Luc nous démontre que Christ n’est point tellement parti de ce monde qu’il n’ait plus soin de nous. Car il montre bien par ce qu’il a ordonné un perpétuel gouvernement en son Eglise, qu’il veut pourvoir à notre salut, et l’a en recommandation. Et même il a affirmé qu’il veut présider sur ses fidèles, et être présent avec eux jusqu’à la fin (Matthieu 28.20) comme à la vérité il est présent avec eux par ses Ministres. S. Luc donc signifie que Christ n’est point parti de ce monde, que premièrement il n’ait pourvu au gouvernement de son Eglise. Dont nous recueillons qu’il est soigneux de notre salut. Aussi S. Paul au passage que je viens d’alléguer, a expressément noté cette prévoyance de Christ, disant qu’il a rempli tout en ordonnant Apôtres, Evangélistes, Pasteurs, etc. Au reste, quant aux mandements que S. Luc dit que Christ a donnés à ses apôtres : j’expose cela touchant de prêcher l’Evangile : comme on a accoutumé de donner certains mandements ou mémoires aux ambassadeurs, afin qu’ils n’attentent rien à la volée, et outre la volonté de celui qui les envoie. Or tout ceci est mis pour la louange de la doctrine que les apôtres ont annoncée. Et afin que la chose soit plus claire, il nous faut observer chacun point l’un après l’autre. Premièrement, il dit qu’ils avaient été élus par Christ : afin que leur vocation nous soit bien certaine et approuvée. Car quand il parle ici de l’élection de Dieu, ce n’est pas pour opposer celle-ci aux mérites des hommes : mais seulement pour noter qu’ils ont été suscités de Dieu, et ne se sont point témérairement ingérés à cet office. Cela est bien vrai, que les apôtres ont été élus par grâce : mais il est question maintenant de l’intention de S. Luc, à quel but il tend. Or je dis qu’il ne tend ailleurs, sinon à ce que la vocation des Apôtres nous soit certaine : afin que nous apprenions à ne regarder pas aux hommes, mais au Fils de Dieu qui est l’auteur et garant de leur vocation, car toujours cette maxime doit être étroitement observée en l’Eglise, que nul ne s’attribue cet honneur. Secondement, il dit qu’ils ont été instruits par les mandements et enseignements de Christ, de ce qu’ils devaient faire. Comme s’il disait qu’ils n’ont point mis en avant de leurs inventions : mais ont enseigné fidèlement ce que le maître céleste leur avait enjoint. Et afin que ce que Christ leur a ordonné et commandé ait plus grande autorité, il ajoute que cela a été fait par la conduite du S. Esprit. Non point que le Fils de Dieu ait eu besoin d’être gouverné d’ailleurs, lequel est la sagesse éternelle : mais pour ce qu’il était homme aussi, il nous ramène expressément à l’autorité de Dieu, afin qu’on ne pense point que l’instruction qu’il a donnée à ses apôtres, procède d’un Esprit et entendement humain. Ainsi donc il signifie qu’en la prédication de l’Evangile il n’y a rien de l’homme : mais que c’est une ordonnance divine de l’Esprit, à laquelle il faut que tout le monde soit assujetti.
à qui aussi, après avoir souffert, il se présenta lui-même, vivant, par beaucoup de preuves, se faisant voir à eux pendant quarante jours et parlant de ce qui regarde le royaume de Dieu.
Il a ajouté ceci pour confirmation de la résurrection de Christ, comme c’est un point qu’il est bien nécessaire de connaître, et sans lequel l’Evangile est du tout mis bas, et n’y a plus aucune foi. Et pour dire en peu de paroles, toute la majesté de l’Evangile s’en va en décadence, si nous ne savons que Jésus-Christ vivant parle du ciel, à quoi saint Luc a principalement regardé. Ainsi donc que la vérité de ceci ne fut mise en doute, il dit qu’elle a été approuvée par beaucoup de signes. Lequel mot Erasme, en suivant le traducteur Latin ancien, a traduit Arguments : et moi Approbations : pour ce qu’entre les signes ceux qui concluent nécessairement, sont nommés de ce même mot par Aristote au premier livre de sa Rhétorique. C’est ce que j’ai dit, que Christ, afin que ses apôtres ne fussent en incertitude touchant sa résurrection, la leur a attesté par plusieurs signes évidents, et qui apportaient une preuve irréfutable. Au reste, il ne raconte point ces signes ou démonstrations, sinon qu’il dit, qu’il fut vu par eux plusieurs fois par quarante jours. S’ils ne l’eussent vu qu’une fois, cela aurait pu engendrer quelque soupçon : mais vu qu’il s’est montré tant de fois, il n’a laissé aucune occasion d’en douter. Par ce même moyen saint Luc a voulu aussi effacer le blâme de la tardiveté, laquelle il a expliqué avoir été présente chez les apôtres, afin qu’elle ne dérogeât à la certitude, et autorité de leur prédication.
Parlant du royaume de Dieu. S. Luc montre derechef que les apôtres ont été très bien enseignés par le Précepteur unique, avant qu’ils prissent la charge d’enseigner tout le monde. Par quoi, tout ce qu’ils ont mis en avant du Royaume de Dieu, tant de bouche que par écrit, sont ces propos que S. Luc dit leur avoir été tenus par Christ. Au surplus, par ce mot il montre à quel but tend la doctrine de l’Evangile : à savoir, à ce que Dieu règne en nous. Le commencement de ce Royaume, c’est la régénération : la fin et l’accomplissement, c’est l’immortalité bienheureuse : les avancements entre deux sont en l’accroissement et augmentation de la régénération. Mais afin que nous entendions mieux ceci, il faut noter en premier lieu, que nous naissons et vivons comme étrangers du Royaume de Dieu, jusqu’à ce que Dieu nous reforme en nouvelle vie. Et pourtant on peut proprement opposer au Royaume de Dieu, le monde, notre chair, et tout ce qui est en la nature de l’homme. Car l’homme naturel arrête tous ses sens sous les éléments de ce monde : on cherche ici la félicité et le souverain bien. Cependant nous sommes bannis du Royaume de Dieu : et Dieu est (par manière de dire) banni d’avec nous. Mais Christ par la prédication de l’Evangile nous élève à la méditation de la vie bienheureuse. Et pour ce faire, il corrige et réforme en nous les affections terriennes : et même il nous sépare du monde, nous dépouillant des vices de notre chair (Romains 8.13). Or tout ainsi que tous ceux qui vivent selon la chair, sont menacés de la mort éternelle : aussi selon que notre homme intérieur est renouvelé en l’avancement de la vie spirituelle, nous approchons d’autant plus près de la perfection du Royaume de Dieu, qui est la participation de la gloire Divine. Dieu donc veut maintenant régner en nous, afin de nous faire finalement participant de son Royaume bienheureux. Nous recueillons de ceci, que le sommaire des propos de Christ a été de la corruption du genre humain, de la tyrannie de péché auquel nous sommes asservis, de la malédiction et condamnation de la mort éternelle que nous avons tous méritée : de même, du moyen de recouvrer le salut, de la rémission des péchés, du renoncement de la chair, de la justice spirituelle, de l’espérance de la vie céleste, et autres choses semblables. Et aussi quant à nous, si nous voulons être dûment instruits en la religion Chrétienne, il nous faut appliquer toute notre étude à ces choses.
Et comme il était assemblé avec eux, il leur commanda de ne point s’éloigner de Jérusalem ; mais d’attendre la promesse du Père, que vous avez entendue de moi,
Ils avaient bien déjà auparavant fait office d’apôtres : mais ce n’avait été que pour quelque peu de temps. Et même, ce premier mandement d’enseigner que Christ leur avait enjoint lors qu’il vivait en terre, était comme un préparatif de l’office d’apôtre qu’ils devaient par après exercer, et duquel ils n’étaient encore capables, Matthieu 10.7. Ainsi donc, ils n’avaient point encore de charge ordinaire enjointe devant la résurrection, mais étaient seulement comme hérauts pour réveiller leur nation, afin qu’audience fut donnée à Christ. Après la résurrection ils ont donc été créés apôtres, afin qu’ils publient par tout le monde la doctrine qui leur était commise. Cependant, quant à ce que Christ après les avoir créés, leur ordonne toutefois de s’abstenir de faire leur office, il ne le fait point sans bonne cause. Et même on pourrait amener beaucoup de raisons, pourquoi il a fallu qu’ainsi fut fait. Il n’y avait pas encore longtemps qu’ils avaient vilainement abandonné leur maître : plusieurs marques de leur incrédulité étaient encore fraîches. Vu qu’ils avaient été si parfaitement enseignés, ils avaient bien montré qu’ils étaient par trop lourds et grossiers, d’avoir soudainement mis le tout en oubli. Et ces vices n’étaient pas sans note de paresse, laquelle ne pouvait être autrement bien purgée, qu’en différant de leur communiquer la grâce promise, afin que leur désir fut d’autant plus aiguisé. Mais sur toutes les autres raisons, il nous faut principalement noter cette-ci, que le Seigneur avait limité et ordonné certain temps pour envoyer le S. Esprit, afin que le miracle nous fut plus manifeste. D’avantage, il les a tenus quelque temps sans rien faire, afin qu’il leur montrât mieux combien l’affaire qu’il leur voulait mettre entre mains, était grand et difficile. Aussi par cela la vérité de l’Evangile nous est confirmée, quand nous lisons qu’il a été défendu aux apôtres de se mettre en train de faire l’office de la publier, jusqu’à ce que par succession de temps ils fussent bien préparés. Or commandement leur a été fait de demeurer ensemble : d’autant qu’ils devaient tous recevoir un même Esprit. S’ils eussent été espars, on n’eût pas si bien connu leur unité. Depuis, combien qu’ils aient été dispersés en diverses régions, toutefois, pour ce qu’ils ont apporté ce qu’ils avaient puisé d’une même source, cela a été autant comme si toujours ils eussent tous parlé par une même bouche. De plus, il fallait qu’ils commencent la prédication de l’Evangile en Jérusalem, afin que la Prophétie fût accomplie, La Loi sortira de Zion, et la parole du Seigneur de Jérusalem, (Esaïe 2.3). Quant au mot Grec, combien qu’on le peut traduire en diverses sortes, je me suis toutefois arrêté à la traduction d’Erasme, pour ce que le mot d’Assembler me semblait plus convenable au sens du passage.
Mais qu’ils attendissent la promesse. Il fallait bien que ceux qui peu de temps après devaient assujettir le monde au joug de Christ, fussent premièrement eux-mêmes conduits et accoutumés à obéissance. Et de fait, ils nous ont montré par leur exemple, qu’il ne nous faut reposer ni mettre en travail, sinon selon qu’il plaira à Dieu nous déclarer qu’ainsi il le veut. Car si nous guerroyons toute notre vie sous son enseigne et conduite, pour le moins il doit avoir autant d’autorité envers nous, que quelque chef ou capitaine terrien aura sur ses soudards. Par quoi, tout ainsi que la discipline militaire porte cela, que nul ne se bouge sans le congé de son capitaine, aussi ne nous est-il licite de sortir ou de rien tenter, jusques à ce que le Seigneur nous ait fait signe : et si tôt qu’il sonnera la retraite, il nous faut reposer. Le passage aussi nous exhorte à être faits participants des dons de Dieu par espérance. Mais il nous faut noter la nature de l’espérance telle qu’elle est ici décrite. Car ne pensons pas que l’espérance qu’un chacun se forge à la volée, soit pourtant espérance : mais c’est celle qui est fondée en la promesse de Dieu. Pourtant Christ ne permet pas aux apôtres d’attendre ce que bon leur semblera, mais il ajoute expressément, la promesse du Père. Il se fait aussi témoin de celle-ci : pour ce que nous devons avoir une telle assurance, que quand toutes les puissances d’enfer s’élèveraient à l’encontre, néanmoins ceci nous demeure ferme en nos cœurs, que c’est à Dieu que nous avons cru. Je sais à qui j’ai cru, dit saint Paul, 2 Timothée 1.12. Or il résume ici en mémoire ce qui est dit Jean 14.16 : Je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Consolateur, qui demeurera avec vous, à savoir l’Esprit de vérité… Je vous ai dit ces choses demeurant avec vous, mais l’Esprit que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses… Quand l’Esprit de vérité sera venu, lequel je vous enverrai de par mon Père, il rendra témoignage de moi,… Si je m’en vais, je vous enverrai le Consolateur qui reprendra le monde. Il avait dit aussi longtemps auparavant : Qui croit en moi, fleuves d’eau vive couleront de son ventre, Jean 7.38.
car Jean a baptisé d’eau, mais vous, vous serez baptisés d’Esprit saint dans peu de jours.
Ici Christ parlant à ses apôtres, leur rappelle ceci en mémoire des propos de Jean Baptiste. Car une partie d’entre eux avait entendu de la bouche de Jean Baptiste ce que les Evangélistes expliquent : Il est vrai que je vous baptise d’eau : mais celui qui vient après moi, baptisera du Saint Esprit et de feu. Maintenant Christ prononce qu’ils connaîtront de fait être véritable ce que Jean a dit. Au reste, ceci a grandement servi pour confirmer la sentence précédente. Car c’est un argument pris de l’office de Christ. Jean a été envoyé pour baptiser d’eau : il a fait son office comme il était convenable à un bon serviteur de Dieu. Le baptême de l’Esprit a été commis au Fils. Il reste donc qu’il s’acquitte de son office. Car il ne se peut faire qu’il n’exécute ce que le Père lui a enjoint, et pourquoi il est descendu en terre. Mais ceci semble absurde, que ce qui avait été dit en général de la grâce de régénération, soit soumis à la restriction que le Saint Esprit fût envoyé visiblement. Je réponds que Christ n’a pas baptisé du Saint Esprit lors seulement qu’il l’envoya en espèces de langue de feu. Car il avait déjà fait les apôtres participants de ce baptême de l’Esprit : et tous les jours il baptise les élus en cette sorte. Mais pour ce que ce magnifique envoi du Saint Esprit a été un signe de la grâce cachée que Dieu inspire assiduellement à ses fidèles, et qu’il accorde bien à propos avec le témoignage de Jean Baptiste. Et à la vérité ce fut lors comme le commun baptême de toute l’Eglise. Car outre ce que les Apôtres ont reçu le Saint Esprit, non point particulièrement pour eux, mais pour le profit de tous les fidèles, là a été montrée comme en un miroir la grâce universelle de Christ envers son Eglise, quand il a répandu sur celle-ci les dons de son Saint Esprit comme en pleine abondance. Combien donc que Christ baptise tous les jours les élus de son Père, cela toutefois n’empêche point qu’il n’ait bien à propos allégué ce témoignage mémorable par-dessus les autres, afin que les apôtres entendissent n’avoir reçu de Jean Baptiste que le commencement ; et toutefois non point en vain, vu que la perfection n’était pas loin.
Or quant à ce que presque tous ont recueilli de ce passage et autres semblables, que le baptême de Jean est différent du baptême de Christ, c’est un argument frivole. Car il n’est point ici question du baptême mais seulement comparaison est faite des deux personnes. Quand Jean Baptiste disait qu’il baptisait d’eau, il ne traitait point quel était son baptême, mais quel il était lui-même, afin qu’il ne s’attribuât ce qui était propre à Christ. Comme aujourd’hui il ne serait pas licite aux ministres de parler autrement d’eux-mêmes, qu’en donnant à Christ la louange de toutes les choses qui sont figurées au baptême : ne se réservant rien de reste que l’administration extérieure. Car quand ces titres sont attribués au baptême, que c’est le purification de régénération, la purgation des péchés (Tite 3.5), que c’est une communauté de mort et de sépulture avec Christ, et un sacrement par lequel nous sommes entés en son corps (Romains 6.4) : ce n’est point pour montrer ce que l’homme fait, qui est seulement ministre du signe extérieur : mais plutôt ce que fait Christ, lequel seul donne efficace aux signes. Il nous faut toujours retenir cette distinction, afin de ne point dépouiller Christ en attribuant trop aux hommes. Toutefois on pourrait demander, pourquoi il nomme ici plutôt Jean Baptiste que quelque autre. Car premièrement il apparaît assez que Jean s’est confessé être ministre de l’eau, et a déclaré Christ auteur du baptême spirituel. C’est certes pour ce qu’il fallait que Jean fut amoindri, et au contraire que Christ vint à croître de plus en plus. Or est-il ainsi que les apôtres portaient encore si grande révérence à Jean, que cela pouvait aucunement obscurcir la gloire de Christ. Pourtant Christ, afin de les retirer et arrêter à sa personne, dit qu’ils n’ont été baptisés de Jean sinon extérieurement, et toutefois par même moyen les confirme, afin qu’ils ne doutent point de la promesse. Car ils avaient Jean Baptiste en grande révérence ; et pourtant ils avaient cette persuasion, que le baptême qu’ils avaient reçu de sa main, n’était pas inutile. Or si on doit attendre de Christ l’efficace et la vérité de lui, les Apôtres doivent certainement espérer, que ce que Jean Baptiste a figuré sera accompli. Ainsi nous aussi devons nous résoudre, que nous n’avons pas été baptisés en vain par la main d’un homme : d’autant que Christ qui a ordonné de faire ainsi, fera son office, c’est-à-dire qu’il nous baptisera du Saint Esprit. Ainsi, la foi tire du signe extérieur une conséquence à l’efficace intérieure : cependant toutefois, elle n’attribue point au signe ou au ministère plus qu’il ne faut : car au signe elle regarde la promesse, qui est de Christ : et le reconnaît seul pour auteur de la grâce. Gardons donc une telle modération, que l’honneur de Christ ne soit diminué en sorte quelconque : et que toutefois nous espérions de notre baptême le fruit qui est ici noté.
En disant que ce sera avant peu de jours il veut que la brièveté du temps les rende plus joyeux et prompts à bien espérer. Dont s’ensuit que sa mort ne les doit point fâcher, vu qu’elle a apporté un fruit de si grand prix. Au reste, notons aussi que S. Luc a ici usé du nom de baptême improprement, c’est-à-dire, hors de sa signification ordinaire, afin que l’antithèse et opposition entre Christ et Jean fut entière. Par même raison, S. Paul, après avoir mis la Loi des œuvres, afin qu’il y ait antithèse et correspondance de deux côtés, en lieu de dire La foi, dit, La Loi de la foi, Romains 3.26.
Eux donc étant réunis, l’interrogèrent, disant : Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu rétabliras le royaume d’Israël ?
S. Luc explique que les Apôtres étaient assemblés, quand cette interrogation fut faite ; afin que nous sachions qu’elle n’a point été mue par la folie d’un ou de deux seulement, mais de tous ensemble. Or il faut dire qu’ils étaient merveilleusement rudes, vu qu’ayant été si parfaitement enseignés, et d’un si grand soin, par l’espace de trois ans ; toutefois ils se montrent aussi ignorants que s’ils n’eussent jamais entendu un seul mot. Il y a autant d’erreurs en cette interrogation qu’il y a de mots. Ils s’enquièrent du Royaume ; mais cependant ils songent un royaume terrien, lequel consiste en repos extérieur, en délices, en richesses et autres biens semblables. Et quand ils assignent le temps présent à cette restauration, ils veulent triompher avant que batailler. Car avant que mettre la main à l’œuvre à laquelle ils étaient ordonnés, ils veulent jouir du fruit du labeur. Ils s’abusent aussi en ce qu’ils restreignent à l’Israël charnel le Royaume de Christ, lequel devait avoir son étendue jusques aux derniers bouts du monde. Au reste, il y a ce vice en toute la question, qu’ils veulent être sages plus que de besoin. Ils n’ignorent point les prophéties de la restauration du Royaume de David ; ils avaient souvent entendu prêcher Christ de ce rétablissement. Bref, c’était une chose si vulgaire, qu’en la servitude même tant misérable en laquelle était lors le peuple, ils ne laissaient point d’avoir les esprits dressés à l’attente du Royaume à venir. Or espéraient-ils cette restauration par la venue du Messie. Cela a fait que les apôtres voyant Christ ressuscité, se sont immédiatement imaginé qu’elle était imminente. Mais cependant ils montrent qu’ils ont mal profité sous un si bon maître. Par quoi Christ reprend en sa réponse qui est brève, tout un chacun de ces erreurs bien à propos, comme je dirai bientôt. Il use du mot Rétablir, qui signifie établir de nouveau ce qui était déchu et en ruines. Car il fallait que d’Isaï comme d’un tronc sec sortît un surgeon, et que le tabernacle de David déchu fut redressé. (Esaïe 11.1 ; Amos 9.11)
Il leur dit : Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ;
Il reprend toute la demande en général. Car elle était curieuse, vu que les apôtres désiraient savoir ce que le Seigneur voulait être caché. Or la vraie mesure de savoir est, que selon que Dieu passe outre en enseignant, nous soyons prêts d’apprendre ; et que nous ignorions volontiers tout ce qu’il nous veut être caché. Or comme ainsi soit qu’une sotte et vaine curiosité nous est naturelle presque à tous, et que l’audace la suit de bien près, il nous faut diligemment noter cette admonition de Christ, par laquelle il corrige ces deux vices. Mais afin que nous entendions son intention, il nous faut aussi entendre les deux membres qu’il conjoint. Ce n’est point à vous, dit-il, de connaître les choses que le Père a mises en sa propre puissance.. Il est vrai qu’il parle des temps et saisons ; mais vu qu’il y a une même raison pour d’autres choses, nous en devons tirer un commandement général : Que nous contentant de ce que notre Dieu nous a révélé, nous pensions n’être point licite que nous nous enquérions d’autres choses. Voilà la vraie modération entre deux extrémités. Les Papistes pour donner couverture à leur lourde ignorance, disent qu’ils laissent là les secrets de Dieu. Voire, comme, si toute notre foi et religion consistait en autres choses qu’en des secrets de Dieu. Il faut donc chasser Christ avec son Evangile, s’il nous faut entièrement abstenir des secrets de Dieu. Mais (comme j’ai dit) il faut garder médiocrité. Car nous devons désirer d’apprendre, en tant que le Précepteur céleste nous enseigne. Mais ne soyons si hardis de toucher à ce qu’il nous veut être caché ; afin que nous ne soyons sages sinon à sobriété, c’est-à-dire par mesure. Par quoi, toutes les fois qu’une sotte cupidité de savoir plus qu’il n’est besoin, nous sollicite, rappelons en mémoire cette sentence de Christ, Ce n’est point à vous de connaître. Car si nous ne voulons entrer par force malgré qu’il en ait, et contre sa défense, cette sentence sera assez suffisante pour réprimer le naturel frétillant de notre esprit.
Maintenant quant à la prescience des temps, Christ ne condamne autre façon de nous enquérir des choses, sinon celle qui passe outre la mesure de la révélation Divine. Et comme j’ai dit, ceci est signifié au second membre, Lesquelles le Père a mises en sa propre puissance. Il est certain que Dieu a en sa puissance l’hiver et l’été, et les autres saisons de l’an, le froid et le chaud, le beau temps et la pluie, (Genèse 1.14 ; 8.22) mais pour ce qu’il a attesté que l’ordre des ans serait perpétuel, il n’est pas dit qu’il ait mis en sa puissance ce qu’il a communiqué aux hommes. Tout ce que les Philosophes ou laboureurs comprennent par art, doctrine, jugement, ou usage, nous ne dirons pas que Dieu se soit réservé cela, d’autant que (par manière de dire) il leur a mis cela entre mains. Autant en faut-il dire des Prophètes. Car leur office était de connaître les choses que Dieu leur manifestait. Mais il faut que nous soyons aveugles en l’événement caché des choses, quant au temps à venir. Car il n’y a rien qui nous retarde plus de faire notre devoir, que de nous enquérir trop curieusement en cet endroit. Car nous voulons toujours prendre conseil, et faire nos délibérations selon l’événement à venir ; au contraire, le Seigneur cachant ce qui doit advenir, nous limite ce qu’il nous est besoin de faire. Ce combat vient de là, que nous ne laissons pas volontiers à Dieu ce qui lui appartient, à savoir que lui seul conduise et gouverne les événements ; mais nous nous ingérons de prendre une sollicitude qui ne nous appartient point, et de laquelle la saison n’est pas venue. En somme, Christ nous défend de transférer à nous ce que Dieu s’est réservé pour soi. De cette espèce est la prescience des choses qu’il a entreprises de gouverner à son plaisir outre notre opinion, et par-dessus la capacité de notre entendement.
mais vous recevrez une puissance, quand le Saint-Esprit sera venu sur vous ; et vous serez mes témoins, à Jérusalem d’abord, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.
Christ les renvoie tant à la promesse de Dieu qu’à la charge qu’il leur commettait ; qui était un très bon remède pour réprimer leur curiosité. La curiosité procède volontiers d’oisiveté et de défiance. Pour remédier à la défiance, il est besoin de méditer les promesses. Les charges qui nous sont commises, montrent à quoi il faut que nous nous occupions et employons notre industrie. Il commande donc à ses disciples d’attendre patiemment ce que Dieu a promis, et d’être attentifs à exécuter la charge que Dieu leur avait enjointe. Cependant il taxe leur trop grande précipitation, de ce que n’ayant encore reçu le saint Esprit, ils anticipent en renversant le droit ordre, les dons qui lui sont propres. Car cela n’est pas tenir le droit chemin, quand en lieu qu’ils étaient appelés à une condition de guerroyer, ils veulent s’exemptant de tous travaux jouir d’un repos plaisant. Quand donc il dit, Vous recevrez la vertu, il les exhorte sur leur faiblesse ; afin qu’ils ne pourchassent devant le temps ce qu’ils ne peuvent obtenir. On peut lire ceci en deux sortes ; ou : Vous recevrez la vertu de l’Esprit venant sur vous ; ou, la vertu quand l’Esprit sera venu sur vous. La seconde lecture toutefois convient mieux, car elle exprime mieux leur défaut, jusqu’à ce que le Saint Esprit vienne sur eux.
Et me serez témoins. Par ce seul mot il corrige deux erreurs. Car d’un côté il signifie qu’il faut combattre avant qu’ils aspirent au triomphe ; et puis il enseigne que le Royaume du Messie est d’une autre nature qu’ils ne pensent. Vous me serez donc témoins, c’est-à-dire : Il faut que le laboureur travaille avant qu’il reçoive le fruit (2 Timothée 2.6). De ceci recueillons qu’il nous faut maintenant plutôt être attentifs à tenir le chemin par lequel on parvient au Royaume de Dieu, que nous amuser à philosopher subtilement de l’état de la vie éternelle. Plusieurs s’enquièrent quelle sera à l’avenir leur béatitude, quand ils seront élevés au ciel ; mais du chemin qu’ils doivent tenir pour en approcher seulement, il ne leur en chaut. Or il fallait premièrement renoncer au monde. Ils disputent de la qualité de la vie à venir, laquelle ils doivent avoir avec Christ ; cependant ils ne pensent point qu’il nous faut participer à sa mort, afin qu’après nous vivions avec lui (2 Timothée 2.11). Que chacun donc s’arrête au travail qui lui est commis présentement en ce monde ; bataillons tous vaillamment sous Christ notre capitaine ; persévérons constamment et courageusement au cours de notre vocation ; Dieu déploiera puis après le fruit en temps opportun.
Après cela s’ensuit une autre correction du propos des apôtres, quand Christ dit qu’ils lui seront témoins. Car par ce mot il a voulu ôter à ses disciples la fausse imagination qu’ils avaient du Royaume terrien ; car il signifie en bref, que ce Royaume consiste en la prédication de l’Evangile. Il ne faut donc point qu’ils songent ni à richesses, ni à délices, ni à puissance externe, ni à rien de terrien, mais qu’ils comprennent que Christ est dès lors régnant, quand il assujettit et range le monde sous son obéissance, par la doctrine de l’Evangile. Dont il s’ensuit qu’il domine et règne spirituellement, et non point à la façon du monde. Or ce que les apôtres avaient conçu en leurs esprits du royaume charnel, procédait de l’erreur commune de toute la nation. Et de fait, il ne se faut point étonner s’ils se sont tous abusés en cet endroit. Car en premier lieu, quand nous mesurons ce Royaume selon notre sens, que pouvons-nous concevoir qui ne soit lourd et terrien ? Attendu que comme bêtes brutes nous sommes transportés de tout notre sens, à ce qui est commode à notre chair. Nous suivons plutôt ce qui est présent, et nous nous y arrêtons. Cela aussi a été cause que les Juifs ont tiré à la commodité de la chair toutes les prophéties qui décrivent par figures le Royaume de Christ sous une image des royaumes terrestres ; combien toutefois que l’intention de Dieu fut d’élever leurs esprits plus haut. Or quant à nous, afin que nous ne soyons enveloppés en mêmes erreurs, apprenons à détourner nos esprits de toutes autres imaginations, et à les dresser à la prédication de l’Evangile, laquelle établit en nos cœurs le siège du Royaume de Christ.
Par toute Judée et Samarie. Premièrement, il signifie que ce ne sera point un travail d’un jour, quand il leur assigne de publier partout le monde la doctrine de l’Evangile. D’avantage, il repousse obliquement la fausse opinion qu’ils avaient conçue touchant l’Israël. Ils tenaient de ce rang seulement ceux qui étaient engendrés d’Abraham selon la chair. Mais Christ témoigne que la Samarie doit être unie, laquelle combien qu’elle fut voisine de Judée, quant à la situation, toutefois était fort éloignée quant à l’affection du cœur. Il témoigne que toutes autres régions, et lointaines, et profanes, doivent être conjointes avec le peuple saint, afin qu’elles participent à la même grâce. On sait assez en combien grande horreur les Juifs ont eu les Samaritains (Jean 4.9). Maintenant Christ veut que la paroi soit rompue (Ephésiens 2.14), et que des deux peuples en soit fait un corps, afin que son Royaume soit dressé par tout. En nommant la ville de Jérusalem et le pays de Judée, qui étaient des lieux lesquels les disciples avaient expérimenté être pleins d’ennemis fort envenimés, il leur donne à entendre qu’ils ont assez de travail sur la planche, et où ils trouveront assez de fâcheries ; et c’est afin qu’ils ne pensent plus que le triomphe soit si prochain. Car c’était une chose qui leur devait bien donner de la frayeur, de dire qu’il leur fallait venir en avant en la présence de tant d’ennemis cruels, pour provoquer leur rage. Il assigne le premier lieu aux Juifs, pour ce qu’ils étaient comme les enfants aînés, (Exode 4.22). Néanmoins il appelle toutes nations indifféremment, lesquelles étaient auparavant étrangères à l’espérance de salut. Car nous apprenons par ceci, que l’Evangile a été prêché par tout, par commandement exprès de Christ, afin qu’il parvint jusque à nous.
Et après qu’il eut dit ces choses, il fut élevé pendant qu’ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux.
Les Lecteurs pourront apprendre de notre Institution, quel profit nous apporte l’Ascension de Christ ; toutefois pour ce que c’est un des principaux articles de notre foi, S. Luc s’emploie diligemment à la prouver et confirmer. Ou à mieux dire, le Seigneur même a voulu mettre la chose hors de tout doute, quand il est ainsi manifestement monté au ciel ; et a notifié la certitude de cette ascension glorieuse par d’autres circonstances. Car s’il se fut secrètement évanoui, les disciples fussent demeurés étonnés. Maintenant, vu qu’étant en lieu haut, ouvert et éminent de tous côtés, ils voient celui avec lequel ils avaient conversé, lequel même ils entendent encore parler, être élevé en haut, qu’ils le suivent de vue, et le contemplent jusques à ce qu’il soit caché par la nuée ; ils n’ont nulle occasion de douter où il est allé. Deux Anges se présentent, qui confirment cela par leur témoignage. Or il a fallu que cette histoire ait été ainsi diligemment rédigée par écrit, afin que nous sachions que combien que le Fils de Dieu n’apparaisse nulle part au monde, il est toutefois vivant au ciel. Et quant à ce que la nuée l’a retiré de la vue des hommes avant qu’il entrât en la gloire céleste, il semble que cela a été fait, afin que se contentant de leur capacité, ils n’entreprissent de faire enquête plus haute approfondie. Nous sommes aussi enseignés sous leur personne, que la vivacité de nos esprits n’est pas si grande, qu’elle puisse monter jusques à la hautesse de la gloire du Fils de Dieu. Par quoi, que cette nuée nous soit une bride pour réprimer notre audace, tout ainsi que sous la Loi la fumée couvrant le Tabernacle.
Et comme ils avaient les yeux fixés au ciel, pendant qu’il s’en allait, voici, deux hommes en vêtements blancs s’étaient placés à côté d’eux,
Il appelle les Anges hommes, pour ce qu’ils apparurent en forme d’homme. Car combien qu’il s’est pu faire qu’ils eussent pris vraiment des corps humains (de quoi nonobstant je ne voudrais débattre ni pour une partie ni pour l’autre) toutefois ce n’étaient point des hommes à la vérité. Mais puis que cette façon de parler suivant la figure que l’on appelle métonymie, se trouve bien souvent en l’Écriture, et principalement au premier livre, de Moïse, je ne m’y arrêterai plus longuement. Les robes blanches étaient un signe de majesté vénérable, et non vulgaire. Car Dieu les a voulu discerner par cette marque des autres hommes communs ; afin que les disciples fussent plus attentifs à ce qu’ils diraient ; et afin aussi qu’aujourd’hui même nous sachions que cette vision leur a été présentée de Dieu.
qui leur dirent : Hommes galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce même Jésus, qui a été enlevé d’avec vous au ciel, reviendra de la même manière que vous l’avez vu allant au ciel.
Je ne suis nullement d’accord avec ceux qui pensent que les apôtres aient été ainsi appelés par opprobre ; comme si les Anges les reprenaient ainsi que gens de lourd esprit et tardifs à comprendre les choses. Mais selon mon jugement, ceci même a servi pour réveiller les apôtres à être plus attentifs, quand des Anges qu’ils n’avaient vus ni connus auparavant, parlent à eux comme à leurs familiers. Toutefois il semble qu’ils soient repris à tort, de ce qu’ils dressent les yeux au ciel. Car où est-ce qu’on doit plutôt chercher Christ ? Combien de fois l’Écriture nous appelle-t-elle au ciel ? A cela je réponds qu’ils ne sont point repris de ce qu’ils élèvent les yeux en haut ; mais pour ce qu’ils cherchent Christ des yeux charnels, tandis qu’il venait de mettre une nuée entre deux pour réprimer et brider tous leurs sens corporels, afin de ne le chercher plus en cette sorte. De plus, d’autant qu’ils espéraient qu’il retournerait bientôt, pour jouir de sa présence derechef ; et toutefois il était monté pour habiter au ciel, jusques à ce qu’il vienne pour la seconde fois pour juger généralement tout le monde. Par quoi, apprenons premièrement de ce passage, qu’il ne nous faut chercher Christ ni au ciel ni en terre, sinon par foi ; d’avantage, que nous ne devons désirer sa présence corporelle, afin qu’il converse avec nous au monde. Car celui qui s’arrêtera en l’une de ces deux choses, se reculera bien loin de lui. Ainsi ils ne sont point repris simplement de ce qu’ils s’émerveillent, mais pour ce qu’ils étaient étonnés de la nouveauté de la chose ; comme il advient bien souvent que nous sommes ravis inconsidérément de la grandeur des œuvres de Dieu, mais quant à considérer le but de celles-ci, nous n’y appliquons point notre entendement.
Celui-là, à savoir Jésus, qui a été élevé, etc. cette sentence contient deux membres. Le premier est, que Jésus-Christ a été reçu au ciel, afin qu’ils ne le tirent plus en terre par une sotte affection. Le second est incontinent après ajouté par forme de consolation, touchant son second avènement. De ces deux membres ensemble conjoints, ou d’un chacun à part, on peut déduire un argument ferme pour réfuter les Papistes, et tous autres quelconques, qui constituent par leur imagination une présence corporelle de Christ aux signes du pain et du vin. Car quand il est dit que Christ a été élevé au ciel, il est certain que la distance des lieux est ouvertement notée. Je confesse bien que ce mot de Ciel est pris en diverses sortes ; tantôt pour l’air, maintenant pour tout l’enclos des sphères, tantôt pour le Royaume glorieux de Dieu où la majesté de Dieu a son siège propre, combien qu’il remplisse tout le monde. Qui est la raison pourquoi S. Paul (Ephésiens 4.10) colloque Christ par-dessus tous les cieux, d’autant qu’il est par-dessus le monde, et avec ce qu’il obtient le souverain degré en cet habitacle de l’immortalité bienheureuse ; d’autant qu’il est éminent par-dessus tous les Anges, desquels il est le chef. Mais ceci n’empêche point qu’il ne soit absent de nous, et que par ce mot de Ciel ne soit ici dénotée une séparation du monde. Quelque chicane qu’ils amènent, c’est une chose toute certaine que le ciel auquel Christ a été élevé, est opposé à toute la rondeur du monde. Par quoi pour être au ciel, il faut qu’il soit dehors du monde. Mais le principal est de regarder l’intention des Anges, et la fin à laquelle ils tendent ; car par ce moyen on jugera mieux du sens des mots. Les Anges veulent retirer les disciples du désir de la présence charnelle. Pour cette raison ils dénoncent qu’il ne viendra que pour la seconde fois. Car l’assignation de ce temps-là tend à ce but, qu’ils ne s’abusent point en l’attendant plus tôt. Qui est-ce qui ne voit que par mêmes mots est exprimé qu’il est absent du monde selon le corps ? Qui ne voit qu’il nous est défendu de désirer de l’avoir en terre ? Ils ont une chicane en laquelle ils pensent avoir une distinction bien subtile pour échapper, quand ils disent qu’il viendra lors en forme visible ; mais maintenant qu’il vient tous les jours invisiblement. Mais il n’est point ici disputé de la forme. Seulement les apôtres sont exhortés qu’il faut laisser Jésus-Christ au ciel, jusqu’à ce qu’il apparaisse au dernier jour. Car ici est condamné le désir de la présence corporelle comme absurde et pervers. Ils nient que la présence de la chair soit charnelle ; vu que le corps glorieux nous est présent par un moyen supernaturel et miraculeusement. Mais on peut bien repousser leurs imaginations touchant le corps glorieux, comme puériles et frivoles ; car ils se forgent un miracle sans aucun témoignage de l’Écriture. Le corps de Christ était déjà glorieux, lors qu’après qu’il fut ressuscité il conversait avec ses disciples. Cela a été fait par une vertu de Dieu extraordinaire et secrète. Les Anges toutefois défendent de désirer de l’avoir dorénavant présent en cette sorte, et disent qu’il ne viendra point aux hommes en cette façon. Par quoi, selon leur commandement, ne le retirons point du ciel par nos imaginations ; et ne pensons point qu’il soit présent en nos mains ou autres sens plutôt qu’aux yeux. Je parle toujours du corps. Car quant à ce qu’ils disent que le corps de Christ est infini, tout ainsi que c’est un songe sot, aussi le devons-nous rejeter sans difficulté. Cependant je confesse volontiers que Christ est monté pour remplir toutes choses ; mais je dis qu’il est répandu par tout par la vertu de son Esprit, et non point selon l’essence de sa chair. Je confesse aussi qu’il nous est présent par la Parole et les Sacrements. Et ne faut point douter que ceux qui reçoivent les signes par foi, ne soient aussi faits vraiment participant de la chair et du sang de Christ. Mais cette communication n’a rien de commun avec les rêveries des Papistes. Car ils se forgent Christ sur l’autel, ni plus ni moins que Numa Pompilius faisait venir son Jupiter, ou que les sorcières tirent la lune du ciel par leurs enchantements. Mais Jésus en nous présentant du pain en la Cène, nous appelle au ciel, afin que par foi nous puisions la vie de sa chair et de son sang. Ainsi, sa chair n’entre pas dedans nous pour nous être vivifiante ; mais elle épand en nous sa vertu par la puissance secrète du Saint Esprit.
Viendra ainsi que vous l’avez vu, etc. j’ai dit que la tristesse de l’absence est apaisée, voire du tout ôtée par cette consolation, quand nous entendons que Christ retournera. Car il faut en même temps noter la fin ; à savoir qu’il viendra Rédempteur, pour nous recueillir avec soi en l’immortalité bien heureuse. Car tout ainsi qu’il n’est point maintenant oisif au ciel (comme Homère forge des dieux qui prennent leurs plaisirs et ébats) aussi ne sera-t-il point derechef vu sans fruit. Par quoi la seule attente de christ doit arrêter les désirs importuns de notre chair, et soutenir notre patience en toutes adversités, et soulager notre ennui. Et elle fait ceci entre les fidèles, qui ont cela pour résolu qu’il est leur Rédempteur. Car quant aux infidèles, elle ne leur apporte autre sentiment que de crainte et horreur. Et combien qu’ils se moquent maintenant quand mention est faite de son avènement ; toutefois ils seront contraints de regarder assis en son trône judicial, celui lequel ils dédaignent maintenant d’ouïr. Au reste, c’est une chose frivole, de remuer cette question, à savoir s’il viendra avec ses habits, desquels il est croyable qu’il était lors vêtu. Quant à ce que saint Augustin en touche en l’épître CXLVI envoyée à Consentius, je n’ai délibéré de le réfuter ; mais il vaut mieux que je laisse là ce que je ne puis déclarer et démêler.
Alors ils s’en retournèrent à Jérusalem, de la montagne appelée des Oliviers, qui est près de Jérusalem, à la distance d’un chemin de sabbat.
Pour venir à une autre histoire, il explique qu’après que les apôtres furent retournés en Jérusalem, ils demeurèrent tous ensemble en une haute chambre. Car le mot duquel il use, signifie le haut de la maison, qu’on avait accoutumé de louer ; et les seigneurs de la maison retenaient la partie la plus commode. Par quoi S. Luc signifie que les apôtres étaient fort étroitement logés ; et toutefois que cette incommodité ne les a point contraints de se séparer l’un d’avec l’autre. Ils pouvaient bien vivre un peu plus commodément un chacun à part ; mais il ne fallait pas qu’ils fussent séparés avant que de recevoir le Saint Esprit. Quant à ce qu’il note la distance du lieu, cela sert pour la certitude de l’histoire. Sinon que d’aventure il ait aussi voulu exprimer, qu’ils n’ont point été étonnés de crainte du danger, et la frayeur ne les a pu empêcher de retourner ensemble, et de s’assembler en une même maison, voire une maison qui n’était guère ample, tellement que la troupe qui était plus grande que ne pouvait comprendre l’espace du lieu, pouvait bien engendrer quelque murmure.
Le chemin d’un Sabat avait deux mille pas ; et cette supputation convient au passage Jean 11.18 ; où il est dit que Jérusalem est distante de Béthanie presque de quinze stades, qui sont environ 4900 pas. Or la montagne des Oliviers était à côté de Béthanie. Le chemin d’un Sabat n’était point limité par la Loi (car le Seigneur commande simplement en la Loi de se reposer) mais pour ce que les Juifs ne se pouvaient tenir de trotter, pour aller à leurs affaires, comme nous voyons que le Seigneur se plaint de ce qu’ils portaient leurs charges et fardeaux hors des portes, (Jérémie 17.24) à cette cause il est facile à croire que par le commun consentement des Sacrificateurs, avait été fait un édit pour réprimer un tel débordement, qu’il ne serait loisible de cheminer plus de deux mille pas le jour du Sabat. toutefois S. Jérome en la réponse qu’il fait à Algasia, dit que cette tradition est venue de deux Rabbins, à savoir de Riba et de Simon Heli.
Et quand ils furent arrivés, ils montèrent dans la chambre haute, où ils se tenaient habituellement : c’était Pierre et Jean et Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemi et Matthieu, Jacques, fils d’Alphée, et Simon le zélote, et Jude, fils de Jacques.
Les autres ont traduit, Où demeuraient ; comme s’ils eussent là coutumièrement habité. Mais je pense plutôt que lors premièrement ils louèrent ce logis pour habiter ensemble, jusques à ce que le Saint Esprit vint. Les Papistes se montrent ici bien ridicules, en déduisant la primauté de S. Pierre de ce qu’il est mis ici le premier entre les apôtres. Mais encore quand nous confesserions bien qu’il a été le premier entre les douze, si n’est-ce pas à dire pourtant qu’il ait présidé sur tout le monde. Or s’il est le souverain des apôtres, pour ce qu’il est ici le premier nommé, nous pouvons semblablement inférer, que la mère de notre Seigneur Jésus-Christ est la dernière de toutes les femmes, pour ce que son nom est mis au dernier lieu. Ce qu’ils n’admettront nullement ; comme à la vérité ce serait une chose trop absurde. Par quoi s’ils ne veulent exposer leur Papauté à la moquerie de tous, comme ils ont fait jusqu’à présent, qu’ils cessent de l’orner de telles sottises. Mais que pourraient-ils faire autre chose ? Ils veulent prouver par les Écritures qu’il y a eu un second chef de l’Eglise après Christ. Or il n’y a pas une seule syllabe qui favorise à leur imagination. Il ne se faut donc étonner s’ils empoignent à la volée des passages par-ci par-là, lesquels quand encore nul ne leur arracherait des mains, si est-ce que d’eux-mêmes ils leur en tomberaient. Mais laissons-les là et observons plutôt l’intention de S. Luc.
Pour ce que les apôtres avaient vilainement abandonné Christ, et qu’un chacun s’était retiré où sa crainte l’avait poussé, ils méritaient d’être privés de tout honneur comme, gens qui avaient lâchement abandonné leur Seigneur au besoin. Afin donc que nous sachions qu’ils avaient été de nouveau et derechef recueillis sous l’enseigne du Seigneur, et remis en leur premier degré, S. Luc exprime les noms d’un chacun.
Tous ceux-là persévéraient d’un commun accord dans la prière, avec les femmes, et Marie, mère de Jésus, et avec les frères de Jésus.
Les autres disent, Avec les femmes au lieu de leurs femmes ; et pensent que S. Luc parle de celles qui avaient accompagné Christ. Or de ma part, tout ainsi que je ne voudrais débattre de ceci avec homme quelconque ; aussi je n’ai fait difficulté de préférer ce que je jugeais être plus probable. Je confesse que le mot Grec duquel use saint Luc, peut être pris en toutes les deux sortes. Mais la raison pourquoi je pense qu’il parle de leurs femmes est, pour ce que comme puis après ils avaient l’habitude de mener leurs femmes par tout, selon le témoignage de S. Paul, 1 Corinthiens 9.5 ; il n’est point vraisemblable qu’il fussent pour lors séparés d’elles. Car il leur était beaucoup plus facile de se reposer en un lieu avec leurs femmes, qu’en voyageant changer souvent de place avec elles. D’avantage, pourquoi, attendant la venue du Saint Esprit prochaine, eussent-ils privé leurs femmes de la participation d’un si grand bien ? La femme de S. Pierre lui devait bientôt après servir d’aide. Autant en faut-il penser des autres. Elles avaient besoin d’une merveilleuse constance et force, afin qu’elles ne défaillissent point. Comment croirait-on donc que leurs maris les aient bannies ou oubliées, lors qu’ils attendaient la vertu du Saint Esprit ? Mais encore qu’on retienne l’autre lecture qui est plus générale, à savoir les femmes, si est-il raisonnable que celles qui étaient mariées soient comprises en ce nombre. Quelque chose qu’il y ait, S. Luc nous a voulu exhorter en passant, combien leurs cœurs étaient changés en mieux. Car en lieu que les hommes frappés de crainte s’étaient enfuis auparavant, maintenant les femmes sont assemblées avec eux, et ne craignent aucun danger.
Il met la mère de Christ avec les autres femmes, de laquelle toutefois il est dit que S. Jean la nourrissait en sa maison. Mais (comme j’ai dit) ils ne s’étaient tous assemblés sinon pour quelque temps. Puis après il n’y a doute que l’un s’en alla d’un côté, l’autre de l’autre. Quant à ce mot de Frères, il est assez notoire que par celui-ci les Hébreux comprennent tous cousins.
Tous ceux-ci persévéraient, etc., saint Luc montre ici qu’ils avaient leurs esprits et leurs cœurs dressés à l’attente du Saint Esprit. Car ce qu’ils priaient était que Christ leur envoyât le Saint Esprit, comme il leur avait promis. Dont nous recueillons que lorsque la foi sera vraie, elle nous sollicitera à invoquer Dieu. Car il y a grande différence entre l’assurance de la foi, et une nonchalance. Et de fait, le Seigneur ne nous rend point certains de sa grâce, afin que nos esprits se laissent couler par paresse ; mais plutôt afin qu’il aiguise d’avantage en nous l’affection de prier. Et aussi la prière n’est point un signe de doute, ainsi plutôt un témoignage de confiance et assurance ; d’autant que nous demandons à Dieu qu’il nous octroie quand nous le prions, ce que nous savons qu’il nous a promis. Ainsi faut-il qu’à leur exemple nous persévérions en oraison, afin que tous les jours nous obtenions accroissements nouveaux du Saint Esprit. J’appelle accroissements, pour ce que avant que nous puissions faire une oraison, il est nécessaire que les prémices du Saint Esprit nous soient données. Car il n’y a que lui qui soit maître idoine pour nous faire prier comme il appartient (Romains 8.25) ; lequel non seulement nous met les mots en la bouche, mais aussi gouverne les affections intérieures. Au surplus, S. Luc exprime deux choses qui sont propres à la vraie oraison, à savoir qu’ils ont persévéré, et étaient tous d’un accord. Au reste, c’a été un exercice de leur patience, que Christ les a tenus quelque temps en suspens ; combien qu’il peut envoyer le Saint Esprit tout incontinent. Ainsi Dieu nous fait attendre, et (par manière de dire) nous laisse languir, afin qu’il nous accoutume à persévérer. C’est une chose vicieuse, voire une peste dangereuse, que la hâtiveté et précipitation de nos désirs ; par quoi il ne se faut étonner si le Seigneur châtie un tel vice. Cependant (comme j’ai dit) il nous exerce a persévérer en prières. Pourtant si nous voulons que nos oraisons ne soient inutiles, ne soyons point lassés du retardement du temps.
Quant à la concorde et union des cœurs, elle est opposée à la dispersion et dissipation qui était advenue par la crainte. Toutefois en général une telle vertu est requise dans les prières, et nous le pouvons même recueillir de ce que Christ commande à chacun particulier de prier pour tout le corps et en commun, comme s’il priait sous la personne de tous ; en disant, Notre Père, etc., Donne-nous, et ce qui s’ensuit, Matthieu 6.9. D’où procède cette unité de langues, sinon d’un même Esprit ? par quoi S. Paul Romains 15.6, voulant bailler une règle de droitement prier tant aux Juifs qu’aux Gentils, chasse loin toutes haines couvertes, afin (dit-il) que nous glorifions Dieu tous ensemble d’un courage et d’une bouche. Et de fait, avant que Dieu puisse être invoqué de nous comme Père, il faut que nous soyons frères, et qu’il y ait entre nous un consentement fraternel.
En ces jours-là, Pierre s’étant levé au milieu des frères (or il y avait une réunion d’environ cent vingt personnes assemblées), dit :
Il fallait que Matthias fut substitué au lieu de Judas, afin qu’il ne semblât avis que ce que Christ avait une fois établi et ordonné, fut rompu ou abattu par la déloyauté d’un homme. Il n’avait point élu sans cause au commencement douze principaux annonciateurs de son Evangile. Car vu qu’il annonce qu’ils seraient les juges des douze lignées d’Israël, (Matthieu 19.28) il montre que cela a été fait tout exprès, afin qu’ils recueillissent en une foi les lignées d’Israël, qui étaient éparses par tout le monde. Or depuis que les Juifs ont rejeté la grâce qui leur avait été offerte, il a fallu que l’Israël de Dieu ait été recueilli et amassé de toutes nations des Gentils. Ce nombre donc était comme un nombre sacré : que s’il eût été diminué par la méchanceté de Judas, la prédication de l’Evangile aurait eu, et encore aujourd’hui moins d’autorité ; vu que son commencement clocherait, par manière de dire. Combien donc que Judas eût violé l’institution de Christ, pour autant qu’il dépendait de lui, néanmoins elle est demeurée ferme et inviolable. Le malheureux périt, comme il en était digne ; toutefois l’ordre des Apôtres est demeuré en son entier.
Or là était une compagnie de gens nommés par nom. On ne sait si par cette forme de parler il dénote les hommes, lesquels seuls ont proprement nom ; vu que les femmes portent le nom de leurs maris ; ou bien s’il prend simplement les noms pour chaque tête ou personne ; comme les Hébreux usent de ce mot, Ames. On peut aussi douter, si seulement ils ont fréquenté tous les jours cette chambre haute, en laquelle les apôtres étaient logés ; ou s’ils y ont toujours demeuré ensemble. Car à grand peine ce lieu eût-il pu tenir tant de gens, pour y vivre ordinairement. Et certes je trouve plus vraisemblable que S. Luc exprime ici le nombre, afin que nous sachions que tous étaient assemblés lors que S. Pierre fit cette remontrance. Dont nous pouvons conjecturer qu’ils n’étaient pas toujours là présents. Quant à moi, encore que je n’ose rien affirmer, toutefois étant induit de cette conjecture probable, j’accorde plus volontiers de ce côté, à savoir, que toute l’Eglise fut pour lors appelée ; car il était question d’une affaire d’importance ; à quoi même tend ce mot, que S. Pierre se leva.
Hommes frères, il fallait que fût accomplie la parole de l’Ecriture que l’Esprit saint a prononcée d’avance, par la bouche de David, relativement à Judas, qui a servi de guide à ceux qui ont pris Jésus ;
Pour ce que S. Pierre parle ici, les Papistes le font chef de toute l’Eglise ; comme si nul ne pouvait parler en la congrégation des fidèles, qu’il ne soit fait Pape tout incontinent. Nous confessons bien que comme il est nécessaire qu’en toutes congrégations il y en ait un qui tienne le premier lieu ; aussi les apôtres ont fait cet honneur à S. Pierre. Mais que fait cela pour la Papauté ? par quoi, les laissons là, considérons ce que le Saint Esprit prononce par la bouche de celui-ci. D’entrée il dit qu’il fallait que l’Écriture fut accomplie, afin que nul ne fut troublé de la chute horrible de Judas. Car cela semblait être mal convenable, que celui qui avait été élu et choisi par Jésus-Christ à un ministère et office tant excellent, tombe ainsi vilainement au commencement de sa course. Saint Pierre ôte un tel scandale, quand il dit que cela a été prédit par les Écritures. D’ici est tirée une admonition fort propre pour pratiquer ordinairement, à savoir qu’il faut porter un tel honneur aux avertissements de l’Écriture, quand elle prédit des choses qui doivent advenir, qu’ils nous servent pour apaiser les troubles et épouvantements qui nous surviennent des choses non espérées. Car il n’y a rien qui nous effraye plus, que quand nous nous arrêtons à notre propre sens, et que nous nous forgeons des achoppements de nous-mêmes, auxquels Dieu serait appareillé de remédier, si nous tenions pour ferme et résolu, qu’il n’y a nulle absurdité en tout ce que Dieu a prévu, ordonné, et même prédit, afin de nous rendre plus fermes et constant. Et toutefois Judas n’a point été excusable, pourtant si ce qui lui est advenu, avait été prédit ; vu que ce qu’il s’est révolté, n’a point été par l’impulsion de la prophétie, mais par la malice obstinée de son cœur. Or le propos de S. Pierre contient deux membres. Car en premier lieu, il ôte le scandale que les esprits fidèles pouvaient concevoir de la ruine de Judas ; même qui plus est, il recueille une exhortation de cela, que les autres apprennent à craindre Dieu. Et puis il démontre qu’il restait qu’un autre fut mis en la place de Judas. Il prouve l’un et l’autre par citation de l’Écriture.
Que le saint Esprit avait prédite, etc. Telles façons de parler donnent plus grande autorité aux Écritures, quand nous entendons que David et tous les Prophètes n’ont parlé que par la conduite et gouvernement du Saint Esprit ; en sorte qu’ils ne sont point auteurs des prophéties, mais le saint Esprit qui s’est servi de leur langue comme d’un instrument. Comment ainsi soit donc que nous soyons si hébétés que nous ne portons pas tel honneur aux Ecritures qu’il appartient, il faut diligemment noter ces formes de parler, et nous y accoutumer aussi ; afin que nous nous rappelions souvent en mémoire l’autorité de Dieu pour confirmer notre foi.
car il était compté parmi nous et il avait eu part à ce ministère.
Il dit qu’il était du nombre des douze, pour montrer qu’il fallait que ce lieu vide fut rempli, afin que le nombre demeurât entier. Ce qui s’ensuit tend à un même but, à savoir qu’il avait obtenu une portion de l’administration. Car il s’ensuit de cela, que le corps eût été aucunement imparfait, si cette partie eût défailli. C’était assurément une chose épouvantable, que celui lequel Christ avait élevé en si haut degré d’honneur, ait été précipité en si horrible ruine. Laquelle circonstance aggrave l’énormité du crime, et exhorte aussi les autres qu’ils avisent à eux, et qu’ils craignent. Et ne faut point douter que ce n’ait été une chose fort grave aux disciples, d’ouïr faire mention de lui. Mais saint Pierre explique expressément l’excellence de cet office, afin qu’ils soient plus soigneux et attentifs à chercher le remède.
Cet homme donc a acquis un champ avec le salaire de l’injustice, et s’étant précipité, il s’est rompu par le milieu, et toutes ses entrailles ont été répandues.
Et ceci a été connu de tous les habitants de Jérusalem, en sorte que ce champ-là a été appelé en leur propre langue, Hakeldamach, c’est-à-dire, le champ du sang.
Je trouve vraisemblable que saint Luc a entrelacé cette narration de la fin de Judas ; et pour cette cause j’ai enfermé tout ceci par parenthèse, afin de le séparer d’avec le propos de saint Pierre (Calvin parle de sa propre traduction du livre des Actes). Car quel besoin était-il d’expliquer aux disciples une chose qui leur était toute notoire ? D’avantage c’eût été une chose absurde de parler ainsi à eux ; que le champ qui avait été acheté du salaire de trahison, est nommé par les Juifs en leur langage, Haceldéma. Car quant à ce qu’aucuns répondent, que c’est à gens Galiléens auxquels saint Pierre adresse son propos, qui avaient un langage séparé des Juifs ; c’est une raison frivole. Il est vrai qu’il y avait quelque différence en la prononciation ; mais était en telle sorte qu’ils s’entendaient familièrement l’un l’autre ; comme les Parisiens et ceux de Rouen. D’avantage, comment conviendrait le mot de Jérusalem, vu que c’était là-même où saint Pierre tenait ce propos ? A quel propos aussi eût-il exposé en Grec entre les Hébreux un mot de leur langue vulgaire ? Afin donc que les paroles de S. Pierre ne fussent obscures aux lecteurs pour l’ignorance de l’histoire, saint Luc a entrelacé en sa personne cette sentence de la fin et mort de Judas.
A possédé. La signification de ce mot se peut prendre en deux sortes. Mais selon mon jugement, il signifie ici Posséder, plutôt qu’Acquérir. Toutefois pour ce que cela ne fait pas beaucoup en quelle sorte nous le prenions, je le laisse en la liberté d’un chacun. Or il parle ainsi, non pas que Judas ait joui du champ, ou que lui-même ait acheté le champ, lequel a été acheté après sa mort ; mais saint Luc a voulu dire, que la sépulture avec une perpétuelle marque d’ignominie lui a été le salaire de sa trahison et méchanceté. Car il n’a pas tant vendu Jésus-Christ, que son Apostolat trente deniers. Il n’a point joui de l’argent ; seulement il a retenu le champ. Au demeurant, il est advenu par une singulière providence de Dieu, que le nom vulgaire du champ a été une marque d’infamie publique aux Sacrificateurs, qui avaient acheté le sang innocent à un traître. Il dit que les Hébreux l’ont ainsi appelé en leur langage, pour ce qu’il était Grec de nation. Et il appelle langage Hébraïque, tel qu’en usaient les Juifs depuis la captivité de Babylone, c’est à dire mêlé de Syriaque et de Chaldaïque.
Car il est écrit dans le livre des Psaumes : Que sa demeure devienne déserte, et qu’il n’y ait personne qui l’habite ; » et encore : Qu’un autre prenne sa charge.
Il ôte tout le scandale qui pouvait advenir de la réjection de Judas ; et ce par l’Écriture. Toutefois il pourrait sembler que ce passage est tiré par les cheveux, comme l’on dit. Car premièrement, David prie que ceci advienne non seulement à un homme, mais à ses ennemis, en nombre pluriel. Secondement, il semble que S. Pierre attribue mal à propos à Judas ce qui a été dit des ennemis de David. Je réponds que David parle là tellement de soi, qu’il décrit la condition du règne de Jésus-Christ. Ce Psaume (dis-je) contient l’image commune de toute l’Eglise, qui est le corps du Fils de Dieu. Par quoi il a fallu que les choses qui sont là écrites, aient été accomplies. Sur cela, si on veut objecter que ce qui a été dit contre les ennemis de David, ne concerne point Judas ; la réplique est, que cela même fait qu’il convienne plutôt à Judas, pour ce que David ne regarde point seulement à soi comme étant séparé du corps de l’Eglise, mais plutôt comme un membre de Christ ; et qui plus est, représentant son image, il se met en avant au nom de celui-ci. Quiconque donc saura que cette condition a été spécialement imposée à David, qu’il fut figure de Christ, ne s’étonnera point que ce qui a été figuré en David soit appliqué à Christ. Pour cette cause, comprenant toute l’Eglise, il commence par le chef, et décrit sur tout ce que Christ devait souffrir par la bande des méchants. Car nous savons par la doctrine de saint Paul, que tous les maux que les fidèles endurent, sont parties des afflictions de Christ, et appartiennent à l’accomplissement de celles-ci (Colossiens 1.24). Il est certain que David a gardé cette conjonction et ordre, ou plutôt l’Esprit de Dieu, lequel par la bouche de David a voulu enseigner toute l’Eglise. Or ce qui a été généralement dit des persécuteurs de Christ, est rejeté à bon droit sur le porte-enseigne ; duquel, tout ainsi que l’impiété et méchanceté horrible est éminente, aussi la punition doit être évidente et mémorable. Or si derechef on objecte qu’en ce Psaume il n’y a que des imprécations, et non point des Prophéties ; et que pourtant c’est improprement que saint Pierre tire de cela, qu’il a fallu que ceci ait été fait ; la solution est facile ; car David n’a point été incité d’une perverse et vicieuse affection de la chair à désirer vengeance, mais il a eu le saint Esprit pour guide et conducteur. Tout ce donc qu’il a prié par le mouvement du saint Esprit, vaut autant que prophéties ; car le Saint Esprit ne requiert rien sinon ce que Dieu a délibéré en soi-même d’accomplir, et qu’il nous veut aussi promettre.
Or comme ainsi soit que S. Pierre allègue deux divers témoignages des Psaumes, le premier tend là : Que Judas avec son nom et sa famille devait être exterminé, afin que la place fut vide ; le second qui est tiré du Psaume 109, regarde à ce qu’il fallait qu’un autre fut mis en sa place pour exercer son ministère. Il est vrai qu’il semble que ce soient deux choses répugnantes, de dire que l’habitation soit déserte, et cependant qu’il y ait quelqu’un qui succède. Mais pour ce qu’au premier passage le Saint Esprit prononce seulement que les adversaires de l’Eglise seront exterminés, afin qu’ils laissent la place vide et sans habitant quant à eux, cela n’empêche point qu’un autre ne soit puis après pris d’ailleurs pour succéder et occuper la place déserte. Et de même par ceci est augmentée la punition, que l’honneur est transféré à un autre, après qu’il a été ôté à celui qui en était indigne.
Qu’un autre prenne son Évêché. Le mot hébreu Pecudah, n’a peu être plus proprement translaté. Car il signifie une charge et administration, là où il faut veiller et avoir l’œil dessus. Ce qu’aussi signifie le mot d’Évêché ; car ceux qui exposent, Qu’un autre prenne sa femme, sont réfutés même par la déduction du texte. Car il est dit de la femme au verset suivant, qu’elle soit faite veuve. Après donc avoir prié que le méchant soit ôté de ce monde, il ajoute en même temps, qu’il soit dépouillé de tout honneur ; et non seulement cela, mais qu’un autre lui succède ; ce qui redouble la punition, comme j’ai dit. Cependant il note obliquement que le traître et méchant duquel il parle, ne sera point quelqu’un de petite étoffe, mais qui aura dignité, de laquelle toutefois il déchoira et sera privé. Au surplus, il nous faut apprendre de ce passage, que les méchants ne demeureront point impunis de ce qu’ils auront persécuté l’Eglise. Car une telle malheureuse issue leur est préparée à tous.
Il faut donc que de ceux qui nous ont accompagnés, pendant tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu parmi nous,
depuis le baptême de Jean jusqu’au jour où il a été enlevé d’avec nous, il y en ait un qui devienne avec nous un témoin de sa résurrection.
Il pourrait sembler de prime face, que cette conséquence et conclusion de S. Pierre est cherchée de bien loin. Car si David a dit que l’administration de Judas devait être donnée à un autre, il ne s’en suit pas pourtant que les disciples dussent élire un successeur. Mais pour ce qu’ils savaient que la charge leur était enjointe de dresser l’ordre de l’Eglise, aussitôt qu’il a montré qu’il plaisait au Seigneur que cela fut fait, de là il infère à bon droit que les disciples devaient mettre la chose en exécution. Car puis que Dieu se veut servir de nous pour maintenir le gouvernement de son Eglise, aussi tôt que nous sommes faits certains de son vouloir, nous ne devons tarder à exécuter diligemment, tout ce que requiert le devoir de notre ministère. Or il n’y avait point de doute quel était en ceci le devoir de l’Eglise. Comme quand nous entendons que ceux qui ayant charge en l’Eglise ne font pas leur devoir, et sont en mauvais exemple, doivent être déposés de leur office, et qu’on doit mettre d’autres en leur place ; l’Eglise doit prendre cette charge. Par quoi, c’était une chose superflue de mettre en question ce qui était sans doute. Souvenons-nous donc de toujours penser quel est notre devoir, afin que nous soyons prêts à rendre obéissance au Seigneur.
Or pour ce qu’il parle d’élire un apôtre, il affirme qu’il faut qu’il soit fait témoin de la Résurrection ; signifiant par cela, que l’office d’apôtre ne peut être sans annoncer l’Evangile. Dont il apparaît aussi combien sont ridicules les Évêques de la Papauté, lesquels combien qu’ils ne soient que masques et comme idoles muettes, toutefois se glorifient et vantent qu’ils sont successeurs des apôtres. Mais qu’ont ils de semblable ? Je confesse bien que S. Pierre requiert ici un témoin qui ait vu les choses, tel que S. Jean se dit, quand il dit, Celui qui l’a vu en rend témoignage, Jean 19.5 ; car c’était un point bien requis pour confirmer la certitude de la chose. Mais cependant S. Pierre s’astreint et ses compagnons aussi à la nécessité d’enseigner, quand il les fait annonciateurs de la Résurrection de Christ. Il nomme la Résurrection non pas qu’il faille seulement rendre témoignage de celle-ci ; mais pour ce que premièrement la prédication de la mort est comprise sous celle-ci, puis après pour ce que nous avons en elle la fin et l’accomplissement de notre rédemption. D’avantage, elle contient en soi le gouvernement céleste de Christ, et la puissance de l’Esprit laquelle il déploie à garder les siens, à établir justice et droiture, et à remettre un bon ordre ; puis à abolir la tyrannie du péché, et exterminer tous les ennemis de l’Eglise. Sachons donc que le mot de la Résurrection, ne tend point à exclure les choses qui sont nécessairement conjointes en même temps. Cependant notons que S. Luc fait mention principalement de la Résurrection du Fils de Dieu, comme du principal article de l’Evangile ; comme aussi S. Paul enseigne au chapitre 15 de la première aux Corinthiens. Mais les apôtres ont-ils été vraiment les seuls témoins de la résurrection ? Cela n’a-il pas été commun aux autres disciples ? Car il semble avis que S. Pierre attribue cet office seulement aux apôtres. Je réponds qu’un tel titre leur est attribué, pour ce qu’ils étaient spécialement appelés à cela, et par là ont obtenu le premier rang en la charge de cette ambassade. Ils n’étaient donc pas seuls mais bien les principaux.
Tout le temps que le Seigneur, etc. Il prend le commencement de ce temps, depuis que le Seigneur Jésus commença à se manifester au monde. Ce qu’il faut diligemment noter, comme j’ai souligné ci-dessus. Car il avait presque trente ans, qu’il se tenait caché se portant comme un homme privé. Car il n’a point voulu être connu sinon en tant qu’il était expédient pour notre salut. Quand donc le temps fut de mettre en exécution son office qui lui était enjoint par son Père, alors il s’est montré comme un homme nouveau, et quasi nouvellement né. Que ceci nous serve pour brider notre curiosité ; comme un chacun peut bien apercevoir combien il y peut servir. Certes toute la vie de Christ a pu être un miroir admirable d’une perfection plus qu’entière ; et toutefois il a voulu que la plus grande partie de sa vie ait été inconnue et comme ensevelie, afin de fixer notre attention en la considération et étude des choses qui étaient les plus nécessaires et dignes d’être connues. Qui est donc celui qui osera maintenant extravaguer hors Jésus-Christ, vu que lui-même en la connaissance qu’il a voulu donner de sa personne, s’est accommodé à l’édification de la foi des fidèles ?
Aller et venir : En Hébreu, expression pour fréquenter entre les hommes, et avoir une commune conversation de biens avec eux. Et en ce sens les habitants de la ville sont dits entrant et sortant par les portes. Ainsi en Jean 10.9 : Si aucun entre par moi, il entrera et sortira, et trouvera pâture. Combien qu’en 2 Chroniques 1.10 il semble qu’il soit pris pour une marque de superintendance et gouvernement.
Et ils en présentèrent deux : Joseph, appelé Barsabas, qui fut surnommé Juste, et Matthias.
Il n’en fallait qu’un pour être substitué en la place de Judas ; et nonobstant ils en présentent deux. On peut demander, pourquoi ils ne se sont contentés d’un. Est-ce pour-ce qu’ils fussent tellement égaux, que les Apôtres n’eussent pu discerner lequel des deux était le plus suffisant ? Or cette raison n’eut point été valable à la vérité, pour soumettre le jugement au hasard du sort. Et il semble aussi que Joseph fut en plus grande réputation. Est-ce pour ce qu’entre les apôtres il y eût des affections diverses, et qu’ils fussent divisés ? Certes il n’est nullement probable ; et même ne convient point bien à l’excellent témoignage de l’accord et union dont S. Luc vient de rendre compte. Bref, c’eût été une chose absurde, que l’élection d’un apôtre eût eu cette tache, et fut comme polluée par une telle dissension. Mais plutôt le sort y est entrevenu afin qu’on sût et qu’il fut notoire qu’il n’avait point tant été élu par les voix des hommes, que créé par un jugement de Dieu même. Car les apôtres différaient en ceci des autres Pasteurs, que les Pasteurs étaient simplement élus de l’Eglise ; et quant aux apôtres, il fallait qu’ils fussent expressément et spécialement appelés de Dieu. Pour cette raison saint Paul en la préface des Galatiens, Galates 1.1, proteste qu’il a été fait apôtre, non point par les hommes, ni par homme. Par quoi tout ainsi que cet office avait une particulière dignité ; aussi en l’élection de Matthias il était raisonnable que le souverain jugement fut laissé à Dieu, combien que les hommes fissent leur office. Christ avait élu les autres, et ordonnés par sa propre voix. Si Matthias eût été mis en leur rang et ordre seulement par l’élection des hommes, il n’eut point eu si grande autorité. Cette modération a été mise entre-deux, que les disciples offrissent à Dieu ceux qu’ils avaient entre eux les plus excellents ; et Dieu de son côté choisirait pour soi celui qu’il saurait être le plus propre. En cette sorte Dieu prononce par l’événement du sort qu’il tient pour agréable, et ratifie l’Apostolat de Matthias.
Mais il semble bien que les apôtres font follement et tout au rebours, de commettre une chose de si grande importance, à un sort hasardeux. Car quelle certitude pouvait-on recueillir de cela ? Je réponds qu’ils n’ont point en leur recours au sort que par l’instinct ou mouvement du Saint Esprit. Car combien que S. Luc n’exprime ouvertement ceci, toutefois pour ce qu’il ne veut pas condamner les disciples de folle témérité, ainsi plutôt explique une élection légitime, approuvée et ratifiée de Dieu, je conclus par cela que le Saint Esprit les a guidés pour suivre ce chemin-là ; comme aussi il est hors de toute doute, que tout ce qu’ils ont ici fait, ils l’ont fait par le conseil du Saint Esprit. Car pourquoi ne prient-ils que Dieu élise celui qu’il voudra de toute cette multitude ? Pourquoi restreignent-ils le jugement de Dieu à deux hommes ? N’est-ce pas ôter à Dieu sa liberté quand ils l’attachent à leurs voix et (par manière de dire) l’assujettissent ? Mais quiconque voudra considérer le fait paisiblement et sans affection de débattre, connaîtra clairement par l’intention de S. Luc, que les apôtres n’ont rien entrepris qu’ils ne sachent bien être de leur office, et leur être enjoint de par le Seigneur. Quant aux contentieux, laissons-les là.
Et priant, ils dirent : Toi, Seigneur, qui connais les cœurs de tous, montre lequel de ces deux, tu as choisi,
Il y a de mot à mot : Et après avoir prié, dirent. Mais il n’y a nulle obscurité au sens ; car il a voulu seulement dire, qu’ils ont prié à la manière qui s’ensuit. Toutefois il ne mentionne pas tous les mots de leur oraison ; il s’est contenté de montrer le résumé en peu de paroles. Comme ainsi soit donc que tous deux fussent de bonne et sainte vie, et fussent excellents en d’autres vertus ; toutefois pour ce que la pureté du cœur obtient le premier lieu, et que Dieu la connaît, et en est juge ; les apôtres prient qu’il produise en lumière ce qui était caché aux hommes. voilà quelle prière nous devons faire aussi aujourd’hui quand on veut élire des Pasteurs et Ministres. Car combien qu’il n’en faille point ordonner deux pour un, néanmoins pour ce que nous pouvons être facilement trompés, et que cela procède de Dieu, de pouvoir discerner les esprits ; nous devons toujours prier Dieu qu’il nous montre lesquels il veut avoir pour ministres, afin qu’il gouverne nos conseils. Aussi on peut recueillir de ceci, combien d’égard on doit avoir à l’intégrité des personnes, quand il est question d’élire des ministres, sans laquelle, et le savoir, et l’éloquence, et toute l’excellence qu’on pourrait imaginer, s’en vont en fumée.
pour prendre la place de ce ministère et de cet apostolat dont Judas s’est retiré pour aller en son propre lieu.
Pour ce que ce mot Ministère était susceptible de mépris, il a ajouté, Apostolat, auquel il y a plus de dignité. Toutefois le sens sera plus clair si nous l’exposons ministère d’Apostolat : car ces façons de parler, suivant la figure nommée Hypallage, se trouvent souvent dans les saintes Ecritures. Tant y a qu’il est certain que saint Luc a voulu conjoindre avec la charge l’excellence de l’office, pour lui acquérir tant plus de révérence et autorité, et toutefois en même temps exhorter que les apôtres étaient appelés à une charge pénible.
Et ils jetèrent le sort sur eux ; et le sort tomba sur Matthias, qui fut compté avec les onze apôtres.
Il n’est pas besoin de faire ici longue dispute des sorts. Ceux qui pensent qu’il ne soit nullement licite de jeter le sort, en partie errent par ignorance, en partie aussi ils n’entendent pas que signifie ce mot de Sort. Il n’y a rien que les hommes ne corrompent par leur vanité et audace. Par cela est advenu qu’ils ont converti les sorts en abus et superstition. Car la divination qui se fait par les sorts est complètement diabolique. Mais quand les Magistrats divisent entre eux les gouvernements et administrations par sorts, et les frères leurs héritages, c’est une chose licite. Comme Salomon en rend témoignage ouvertement, quand il dit que Dieu gouverne les événements des sorts, Proverves 16.33. On jette le sort au giron, dit-il, mais tout son jugement est de par le Seigneur. Or si en ceci les hommes y mêlent des abus, il ne s’ensuit pas pourtant que la manière de faire en soit vicieuse, non plus que la vraie Astrologie n’est pas à condamner pour la vanité et folle curiosité des Chaldéens. Les Chaldéens voulant couvrir leur perverse curiosité de ce nom d’Astrologie, diffament une science qui est grandement utile, et digne de grande louange. Les devins et sorciers en font autant ; mais c’est à nous de discerner entre l’usage légitime et la corruption. Au reste, saint Luc dit qu’ils baillèrent les sorts, c’est à savoir pour les jeter au giron, ou dedans quelque vaisseau, et les tirer puis après. Il nous faut aussi noter que ce mot de Sort, est pris ici en diverses sortes. Car quand il disent en premier lieu, que Judas avait obtenu son sort de ce ministère, il entendait selon l’usage commun de l’Écriture, que le Seigneur lui avait donné part en ce ministère. Puis après, il parle du sort proprement et sans figure. Toutefois il est vraisemblable que saint Pierre, d’autant que ce mot Goral, selon les Hébreux, est commun à toutes les deux choses, a voulu faire allusion à ce qu’ils devaient faire ; et que saint Luc aussi a regardé à cela même.
Et le sort tomba sur Matthias, etc. Ainsi il est advenu contre l’espérance de tous. Car on peut recueillir de ce qui a été dit ci-dessus, que Joseph était préféré à Matthias. Car avec ce que saint Luc lui avait donné le premier lieu, les deux surnoms desquels il était appelé, montrent qu’il était en bien grande réputation. Il a été nommé Barsabas, c’est-à-dire fils de jurement ou de repos, à cause de ce qu’on voyait par expérience en sa personne, comme s’il eût été un miroir ou de loyauté et innocence, ou d’un Esprit paisible et modeste. L’autre surnom dé-notait une prudhommie excellente. Il était donc le premier selon le jugement des hommes ; mais Dieu a préféré Matthias. Dont nous sommes exhortés que nous ne nous devons glorifier si l’opinion et estimation des hommes nous porte jusques au ciel, et si nous sommes réputés fort excellents par leurs voix ; mais plutôt il nous faut donner ordre que Dieu nous estime et approuve ; lequel est seul juge compétent, et par la sentence duquel nous demeurons debout ou trébuchons. Au reste, on peut aussi apercevoir souvent, que Dieu laisse ceux qui sont plus haut éminents devant le regard des hommes, afin d’abattre tout l’orgueil de la chair. En ajoutant que d’un commun accord il a été mis au nombre des onze apôtres, c’est pour ôter tout mauvais soupçon de témérité au sujet du jet du sort ; car l’Eglise a reçu de bon cœur comme étant élu de Dieu, celui sur lequel le sort était tombé.