Échec à la dépression

UN MALADE INCOMPRIS

Les automobilistes savent qu’il y a des pannes faciles à détecter. Une roue « à plat », un câble cassé, des bougies à bout de course … Une fois la pièce remplacée, la voiture repart comme avant. Pas de problèmes ! Et pourtant, un véhicule peut avoir tous ses organes en bon état et ne pas – ou mal – fonctionner. Il suffit par exemple, que le « delco » – ce système qui distribue le courant aux bougies – soit déréglé pour que le véhicule ait un comportement bizarre : démarrage difficile, consommation excessive de carburant, manque de nervosité …

Il en va un peu de même pour les dépressifs. Chez eux, rien d’atteint, apparemment du moins : pas de fièvre, pas de membre cassé, pas de plaie. L’organisme paraît en bon état. C’est pourquoi, les médecins tiennent tous à peu près ce langage : « Chez vous, tout fonctionne parfaitement. C’est votre sympathique qui bat la campagne ».

Comme vous le savez, le système nerveux joue un rôle de premier plan chez l’individu. Il est, a dit quelqu’un, « le général en chef de notre organisme », lui qui règle notre respiration ou la circulation sanguine … Et dans ce système très complexe, le « sympathique » s’occupe des activités viscérales et de la vie végétative, inconsciente et involontaire. Qu’il soit perturbé et des troubles de toute espèce, souvent incompréhensibles, apparaîtront, entraînant un vrai remue-ménage intérieur.

C’est pourquoi, les malades des nerfs sont généralement incompris, même par l’entourage qui se révèle maladroit, soit par des excès de prévenances qui font du patient un despote ou un être exigeant, soit par des conseils exaspérants ou des remontrances injustes qui le blessent et l’irritent bien inutilement.


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Le malade redoute les visites au moins pour trois raisons :

D’abord, parce qu’il appartient à une catégorie de patients qui ont besoin, par-dessus tout, de calme et de tranquillité. Or, épuisantes sont ces conversations invariables où l’on ressasse les mêmes choses tristes, les mêmes conseils inefficaces et les mêmes encouragements gratuits.

Et puis – deuxième raison – le dépressif se sait rarement compris. Derrière sa santé florissante étalée sans pudeur, le visiteur ne songe guère à se mettre à la place de celui qui souffre. Il se donne l’air de compatir mais le « visité » n’en est pas dupe. Passé la porte, il sera oublié.

Enfin – troisième raison – certains amis se font, sans le savoir, accusateur. Ils blessent au lieu de consoler. C’est pourquoi il nous semble utile de passer en revue quelques visites types qu’il faut se garder d’imiter.

1. Il y a les visiteurs qui estiment que le malade joue la comédie. Pas sérieux cette dépression !

– Allons, allons disent-ils, tu te fais des idées. D’ailleurs, ton médecin ne trouve rien d’atteint si j’en crois ta femme (la gaffe !). Va donc t’aérer, n’y pense plus et tu reprendras goût à la vie. Veux-tu que je te dise : Tout est dans la tête. C’est ton imagination qui travaille trop …

Il est vrai que l’imagination peut agir sur notre comportement et nous ébranler même physiquement. Elle nous fait déguster des drames … Pensez à tel candidat la veille de l’examen. Il « imagine » qu’il va « sécher » sur la question la plus ardue du programme, justement celle qu’il a trop peu révisée. Résultat : Il n’en dort pas de la nuit et le lendemain, lorsqu’il se penche sur sa copie, il a la tête vide, la barre au front et des crampes à l’estomac. Alors cette fois, ce ne sont plus des idées.

Cependant, l’imagination n’explique pas tout. Et vous ne convaincrez jamais un malade que « tout est dans sa tête » lorsqu’il éprouve une réelle fatigue, connaît des insomnies, ressent des fourmillements ou des douleurs dans le dos.

2. Il y a les visiteurs qui dramatisent et rendraient malades les bien portants. Ils ont le chic de s’exclamer :

– Que je te trouve mauvaise mine aujourd’hui ! Tu as encore maigri, au moins de cinq kilos. Regarde-toi dans la glace. Tu es pâle à faire peur. Tu te voûtes comme un octogénaire. Vraiment, tu m’impressionnes … et autres paroles réconfortantes.

Dame ! Il ne s’agit pas d’inventer une bonne mine et un teint frais. Personne ne le croirait. Mais plutôt de se garder des allusions qui découragent.

3. Il y a les visiteurs « avertis » qui multiplient les conseils comme s’il suffisait de dire, pour faire. Écoutez plutôt :

– Sois donc optimiste comme moi. Ne pense plus à ton mal. Aie la volonté de prendre la vie du bon côté. Mange de bon appétit … Il te faut beaucoup dormir. Couche-toi de bonne heure sans penser à rien …

Langage exaspérant ! Si le patient « pouvait », il y a belle lurette que la dépression l’aurait quitté. Évidemment.

4. Il y a les visiteurs « bavards » qui se croient obligés de parler maladie, je veux dire : remède, docteur, posologie ou cure de repos. Sans doute pensent-ils qu’il est tonique et réconfortant de passer en revue tous les cas de dépression connus dans la région, depuis une décennie. De même qu’ils se croient obligés d’insister sur l’inefficacité des médicaments et l’inévitable longueur de la maladie.

– Mon ami, je te plains. Tu en as au moins pour un ou deux ans.

Est-il signe d’affection que de serrer avec effusion la main d’un frère qui souffre de rhumatisme aux doigts ? L’amour n’assombrit pas inutilement l’atmosphère du prochain.

5. Il y a les visiteurs qui « accusent ». Ce sont les pires. Bible en main, ils tranchent :

– Un chrétien ne doit pas être déprimé (notez en passant qu’il ne doit pas davantage se mettre en colère, dire du mal des autres, nourrir de mauvaises pensées …). Si tu en es là, c’est qu’il y a « quelque chose » qui ne va pas chez toi. Certainement, un interdit caché. Cherche. Tu n’en sortiras pas aussi longtemps que tu ne mettras pas ta vie en règle devant Dieu.

Langage odieux d’un orgueilleux sans cœur. À moins de connaître avec certitude « la chose », c’est dire la vraie cause de la débâcle nerveuse – dans ce cas il a le devoir de la dénoncer avec amour en l’appelant par son nom – il ne faut jamais, d’emblée, soupçonner le mal ou le pire, ni parler d’interdit d’une manière évasive. Qui sommes-nous pour juger ?

6. Enfin, il y a les visiteurs qui voient le diable partout. Le terme de « dépression » leur suggère immédiatement l’idée de possession démoniaque. Ils oublient que de grands serviteurs de Dieu et même des prophètes ont eu leurs heures sombres sans avoir pactisé avec l’Adversaire. De tels visiteurs se permettent de diagnostiquer :

– Mon ami, tu es lié. Satan t’enchaîne et tu ne pourras t’en sortir comme ça. Est-ce que par hasard tu n’aurais pas trempé dans l’occultisme ? Consulté une tireuse de cartes ? Ou fait tourner des tables ? Cherche bien dans ta mémoire. C’est parce que les démons t’assiègent que tu ne peux trouver le repos.

Je sais qu’il y a parmi de tels malades – comme parmi tous les malades – des possédés qui s’ignorent et que le Malin tient assujettis, domine et fait souffrir. Ils sont incapables, tout seuls, de déloger « l’homme fort ». C’est vrai ! Mais l’expérience démontre que beaucoup de dépressions ont pour point de départ le surmenage ou un choc produit par quelque grande épreuve. C’est pourquoi, soyons débarrassés de tout à-priori qui nous empêcherait d’être objectif, donc de diagnostiquer sainement.

Ouvrons le livre de Job et méditons-le pour devenir sages et plus humbles. C’est aimer que d’agir avec bon sens et discernement, préoccupé avant tout d’apporter la joie, ou plutôt l’Auteur de la joie, à celui qui souffre.

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