Et Salomon aima l’Eternel, marchant selon les ordonnances de David, son père, seulement il sacrifiait dans les hauts lieux, et y faisait des parfums. Le roi donc s’en alla à Gabaon pour y sacrifier, car c’était le plus grand des hauts lieux ; et Salomon sacrifia mille holocaustes sur l’autel qui était là. Et l’Eternel apparut de nuit à Salomon, à Gabaon dans un songe, et Dieu lui dit : Demande ce que tu veux que je te donne. Et Salomon répondit : Tu as usé d’une grande gratuité envers ton serviteur, David, mon père, selon qu’il a marché devant toi en vérité, en justice et en droiture de cœur envers toi ; et tu lui as gardé cette grande gratuité de lui avoir donné un fils, qui est assis sur son trône, comme il paraît aujourd’hui. Or maintenant, ô Eternel, mon Dieu ! tu as fait régner ton serviteur en la place de David, mon père, et je ne suis qu’un jeune homme qui ne sais point comment il faut se conduire. Et ton serviteur est parmi ton peuple que tu as choisi, et qui est un grand peuple, qui ne se peut compter ni nombrer tant il est en grand nombre. Donne donc à ton serviteur un cœur intelligent pour juger ton peuple, et pour discerner entre le bien et le mal ; car qui pourrait juger ton peuple, qui est d’une si grande conséquence ?
Et ce discours plut à l’Eternel, en ce que Salomon lui avait fait une telle demande. Et Dieu lui dit : Parce que tu m’as fait cette demande, et que tu n’as point demandé une longue vie, et que tu n’a point demandé des richesses, et que tu n’as point demandé la mort de tes ennemis, mais que tu as demandé l’intelligence pour rendre la justice ; voici, j’ai fait selon ta parole ; voici, je t’ai donné un cœur sage et intelligent, de sorte qu’il n’y en a point eu de semblable avant toi, et qu’il n’y en aura point après toi qui te soit semblable. Et même, je t’ai donné ce que tu n’as point demandé ; savoir les richesses et la gloire, de sorte qu’il n’y aura point eu de roi semblable a toi entre les rois, tant que tu vivras. Et si tu marches dans mes voies pour garder mes ordonnances et mes commandements, comme David ton père y a marché, je prolongerai aussi tes jours.
Alors Salomon se réveilla et voilà le songe.
Malheur à toi, terre, lorsque ton roi est encore jeune. Cette parole est de Salomon. Elle exprime le péril que peut faire courir à un état l’avènement d’un prince sans expérience, et elle est fondée sur ce que la jeunesse est ordinairement l’âge des passions, de la légèreté et de la présomption. Nul n’y a moins donné lieu que Salomon lui-même. Hélas ! c’est sa vieillesse, qui a été un malheur pour le royaume, et le plus beau moment de son règne en a été précisément le début. C’est en montant sur le trône, qu’il a le mieux vérifié la parole du psalmiste : J’ai surpassé en prudence tous ceux qui m’avaient enseigné. Je suis devenu plus intelligent que les anciens. Et le plus beau moment de ce beau début est sans contredit celui qui nous est raconté dans mon texte. Arrêtons-nous donc à le méditer. C’est la médaille ; Dimanche prochain, si Dieu nous prête vie, nous en verrons le revers.
David venait de mourir rassasié de jours, de richesses et de gloire. Appelé à lui succéder, à ce que l’on croit très jeune encore, Salomon s’affermit d’abord par quelques actes de justice et d’autorité. Il réprima les complots de ceux qui, profitant de sa jeunesse et de son inexpérience, avaient cherché à le supplanter. Et une fois solidement assis sur son trône, il fit bientôt connaître dans quelle direction il se proposait de marcher. Il aima l’Eternel, est-il écrit, marchant selon les ordonnances de David son père.
Comme David, c’est dans le culte de l’Eternel qu’il prenait tout son plaisir. Le temple n’était pas encore construit ; on adorait sur les hauts lieux, particulièrement à Gabaon, où étaient encore le tabernacle du désert et l’autel des holocaustes. C’est là qu’il se rendit pour y célébrer une fête solennelle. Il parla, est-il dit, à tout Israël, savoir aux chefs de milliers et de centaines, aux juges et à tous les principaux de tout Israël, chefs des pères, et avec toute l’assemblée qui était avec lui, il alla au haut lieu qui était à Gabaon. Et Salomon offrit là devant l’Eternel un sacrifice de mille holocaustes sur l’autel d’airain qui était devant le tabernacle.
Sur la fin de cette grande journée, sachant déjà que son culte avait été agréé par l’Eternel, le jeune roi s’endormit, l’âme toute remplie encore des saintes émotions dont elle s’était rassasiée. Il s’était approché de Dieu, Dieu s’approcha de lui.
Il lui apparut en songe pendant les visions de la nuit et lui fit entendre cette parole : Demande-moi ce que tu veux que je te donne !
Demande-moi ce que tu veux que je te donne ! Que va répondre le jeune prince ? — Il a devant les yeux tous les trésors de la terre, tous les royaumes, toutes leurs gloires, la puissance absolue, toutes les splendeurs, toutes les jouissances que peut rêver l’imagination. Qu’il parle, et Celui à qui toutes choses appartiennent, à qui toutes les créatures obéissent, élèvera son trône jusqu’aux cieux, abaissera ses ennemis jusqu’en enfer, prolongera ses jours, étendra les limites de son royaume, fera affluer les richesses du monde dans ses palais, couronnera sa tête de gloire et comblera sa vie de délices. — Demande-moi ce que tu veux que je te donne ! Et c’est l’Eternel des armés, le monarque des cieux et de la terre qui lui adresse cette offre inouïe, la plus éblouissante que jamais mortel ait entendue !… On tremble, n’est-ce pas ? On se rappelle involontairement une autre scène de tentation. On se demande presque comment Dieu a pu… Soyez tranquilles ! Dieu lit dans les cœurs.
Ecoutez maintenant la réponse : — O Eternel, tu as usé d’une grande gratuité envers ton serviteur David, mon père, selon qu’il a marché devant toi en vérité, en justice et en droiture de cœur envers toi, et tu lui as gardé cette grande gratuité, de lui avoir donné un fils qui est assis sur son trône, comme il paraît aujourd’hui. — Or maintenant, ô Eternel mon Dieu, tu as fait régner ton serviteur en la place de David mon père, et je ne suis qu’un jeune homme qui ne sait point comment il faut se conduire. Et ton serviteur est parmi ton peuple que tu as choisi, et qui est un grand peuple, qui ne se peut compter ni nombrer, tant il est en grand nombre. — Donne donc à ton serviteur un cœur intelligent pour juger ton peuple, et pour discerner entre le bien et le mal, car qui pourrait juger ton peuple qui est d’une si grande conséquence ?
Il est dit que ce discours plut à l’Eternel en ce que Salomon lui avait fait une telle demande. Vous savez comment il y fut répondu et comment l’Eternel fut avec Salomon et l’éleva extraordinairement.
Quand on a admiré la prière si remarquable du jeune roi en cette occasion, la première réflexion qu’elle vous suggère, c’est que c’est peut-être moins à Salomon lui-même, qu’à David son père, qu’il faut rapporter la gloire de cette sagesse précoce. Il ne comprend ce qu’il comprend, il ne sent ce qu’il sent, il ne désire ce qu’il désire, il n’est ce qu’il est, enfin, que par le privilège inappréciable de succéder à un père tel que le roi David.
La pensée qui le domine et d’où jaillit spontanément sa prière, c’est celle de l’immensité de sa tâche et de sa faiblesse pour la remplir. Aurait-il eu cette impression au même degré ? Aurait-il si bien compris dès le principe l’étendue de ces devoirs que tant de princes éblouis sont tentés d’oublier ? Aurait-il senti peser si directement sur sa conscience la responsabilité de gouverner un grand peuple, de lui rendre la justice, de veiller à ses intérêts, de s’oublier pour lui ? Se serait-il formé de la royauté, en un mot, une idée aussi saine, aussi élevée, aussi noble, aussi désintéressée, et aurait-il pris aussi chaudement à cœur de s’y conformer, s’il n’avait eu encore devant les yeux le sage gouvernement de David son père, de ce prince accompli, le modèle des rois, le roi selon le cœur de Dieu ?
Il sent le besoin profond qu’il a du secours de Dieu. Il apprend à y compter. Il y recourt avec confiance. Ne voyez-vous pas là comme un héritage de l’exemple et des expériences de David son père ?– Le fils de celui qui a célébré en tant de magnifiques psaumes sa confiance en l’Eternel, sait que si l’Eternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain ; que si l’Eternel ne garde la ville, ceux qui la gardent font le guet en vain ; que c’est en vain qu’on se couche tard et se lève matin ; que l’Eternel seul donne du repos à ceux qui l’aiment. Il a encore dans les oreilles et dans son âme, comme une musique qui accompagnera longtemps ses pas, les chants de délivrance de David son père : Béni soit l’Eternel de ce qu’il a rendu admirable sa gratuité envers moi ; comme si j’eusse été en une place forte ! Eternel, oh ! que tes biens sont grands, lesquels tu as réservés à ceux qui te craignent ! Il ne fait pour ainsi dire qu’obéir à une impulsion donnée, en s’écriant à son tour : Souviens-toi de David ton serviteur ! Souviens-toi de moi à cause de David ton serviteur !
Il est beau, sans doute, de voir un jeune homme reconnaître ainsi le grand exemple que lui a légué son père, et se placer pour ainsi dire humblement, à l’ombre de sa mémoire. Quand on en voit tant d’autres si impatients de rompre avec le passé pour commencer un nouvel avenir, si pressés de mettre derrière eux le souvenir et les expériences d’un père auquel ils doivent tout quelquefois, on aime à voir Salomon jeune encore se rattacher au sien, voir en lui son modèle et n’avoir d’autre ambition que celle de marcher sur ses traces et d’hériter de ses bénédictions. On trouve là, n’est-ce pas, tout d’abord la marque d’un noble cœur.
Mais aussi quel privilège, quand on est appelé à régner, d’avoir eu un père tel que David, d’avoir été formé par lui, mis par lui sur la voie, recommandé par lui au Seigneur ! Quel privilège d’avoir eu un tel exemple tous les jours sous les yeux et d’en avoir le souvenir ineffaçablement gravé dans la meilleure place du cœur ! Heureux le fils, quelle que soit la carrière à laquelle Dieu l’appelle, qui, comme Salomon, dans son père, trouve le modèle de sa conduite, et n’estime pas avoir une plus grande bénédiction à demander au ciel que celle dont il a vu couronner sa vieillesse ! C’est souvent une bien sotte vanité que celle qui s’attache au nom qu’on a reçu de la naissance. Mais quand ce nom est celui d’un homme justement vénéré, quand il rappelle à tous ceux qui l’entendent, un souvenir de respect, quand il est comme un passeport qui partout vous fait bien venir, comme un commencement de bonne réputation qui vous met forcément sur la voie, vous y engage, vous y porte naturellement, qui vous compromet enfin dans le bien ;… oh ! alors un tel nom est quelque chose, c’est une des plus rares bénédictions sous lesquelles on puisse commencer la vie. — Puis quel secours, de pouvoir trouver dans le souvenir de son père comme une seconde conscience qui vous accompagne dans la vie ! — comme ce roi de Pologne, Boleslas, qui portait toujours avec lui dans un médaillon le portrait de son père, et à qui il suffisait dans les circonstances difficiles ou périlleuses de jeter les yeux sur l’image vénérée en se disant : Boleslas, ton père te regarde ! pour retrouver son courage ou sa sagesse, prêts à lui manquer.
Ce n’est point par une vaine formule de langage, c’est bien plutôt par une des applications les plus évidentes de la loi de solidarité qui unit les hommes entr’eux, que la Bible nous parle de promesses faites à nous et à nos enfants, et de bénédictions descendant des pères sur les fils. Il y a comme une sorte de prescription de la faveur et de la bonté de Dieu dans les familles fidèles. Combien souvent les saints n’ont-ils pas fait valoir un semblable motif pour fléchir l’Eternel envers son peuple ! Combien souvent dans leurs requêtes ne se sont-ils pas écriés : O Dieu, souviens-toi d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, tes serviteurs ! Et combien souvent n’est-il pas dit que pour l’amour des patriarches, pour l’amour de David, il exauça les prières qui lui étaient faites en faveur de ce peuple !
Tout cela ne dit-il rien à nos consciences ? Prenons-nous soin de laisser après nous à nos fils ce précieux héritage d’un souvenir sans tache ? Et faisons-nous ce qu’il dépend de nous pour les garder un jour par notre nom, après les avoir gardés pendant notre vie par notre exemple ?
Je suppose que la mort vienne vous enlever aujourd’hui à votre famille : cet enfant que vous laissez à l’entrée de sa voie, aurez-vous pris soin du moins de lui laisser après vous une sauvegarde dans votre seul souvenir ? — Aurez-vous fait ce qu’il dépend de vous pour que votre souvenir s’attache à ses pas comme un témoin intérieur de toutes ses pensées et de toutes ses actions ?
Sur le bord de la tentation, est-ce votre pensée qui le gardera, qui réveillera sa conscience ? Ce seul mot : Mon père ! ma mère ! prononcé par une voix intérieure, suffira-t-il pour évoquer en lui mille souvenirs sacrés qu’il n’osera profaner ? — Après une chute est-ce votre souvenir qui le fera rentrer en lui-même ? — Votre image venant à traverser son esprit, y sera-t-elle comme ce regard que le Seigneur jeta sur son disciple Simon Pierre, et qui le fit fondre en larmes ? — S’il se relève, est-ce votre pensée qui le soutiendra dans ses résolutions, qui l’encouragera dans la bonne voie, qui lui sera comme un aiguillon intérieur toujours sensible ? — Trouvera-t-il dans le souvenir de votre fidélité un encouragement à se présenter devant le Seigneur et à le presser de ses prières, en lui disant avec confiance : O Eternel, souviens-toi de ton serviteur, mon père ! Délivre le fils de ta servante !
Quand vous n’aurez songé qu’à vous-même pendant toute votre vie, que restera-t-il de vous à votre enfant ? — Quelle sauvegarde laisserez-vous à votre enfant, vous qu’il voit livré à l’esprit du siècle, ne songeant qu’à augmenter votre fortune et à accroître votre bien-être ? — Quelle sauvegarde, vous qu’il voit sans réserve vous abandonner ou à vos passions sensuelles ou à votre emportement ? — Le moins que vous puissiez en attendre, c’est qu’il ne se fasse aucun scrupule de vous imiter.
Encore une fois, tout cela ne parle-t-il pas à vos consciences ? Nous vous pressons le plus souvent de vous convertir par des motifs tirés de votre propre intérêt. Cette fois, n’est-ce pas un motif plus pressant encore que je fais valoir devant vous ? Hélas ! Je sais qu’un fils peut ici tromper l’attente du meilleur des pères. La Bible elle-même nous en fournirait maint exemple. Mais si ceux-là se détournent, la responsabilité en est à eux, non plus à vous.
Le second trait qui me frappe dans la prière de Salomon pour notre instruction à tous, c’est une juste défiance de lui-même, bien rare à son âge et dans ces circonstances : Maintenant, ô Eternel, tu as fait régner ton serviteur. Or voici, je ne suis qu’un jeune homme qui ne sait comment il faut se conduire. Donne donc à ton serviteur un cœur intelligent pour juger ton peuple et pour discerner entre le bien et le mal.
Ce sentiment était, il faut en convenir, particulièrement justifié pour Salomon par l’immensité de la tâche qui lui incombait tout à coup. Ce n’était pas peu de chose que d’avoir à gouverner un peuple aussi considérable et d’un caractère aussi difficile que le peuple juif, à lui rendre la justice, à l’administrer intérieurement, à régler ses alliances avec l’étranger. On a vu de grands monarques, des princes fameux par leurs capacités, par leur génie, par leur expérience consommée, fatigués des soins et des travaux du gouvernement, en déposer volontairement le fardeau, et on se dit qu’il n’est pas étonnant de voir un jeune homme, à peine entré dans la vie, frémir devant la grandeur d’une pareille tâche.
Cependant, vous le savez, avant de voir le fardeau du pouvoir, l’homme n’en voit guère d’ordinaire que les douceurs et les privilèges.
Une position élevée, la première position dans un pays, est toujours un objet d’envie, un but d’ambition. Et quelque périlleuse que soit la charge des rois et de ceux qui gouvernent les peuples, il n’a encore jamais manqué et ne manquera jamais de prétendants pour la convoiter. Chacun y trouve la plus haute satisfaction de sa propre convoitise. — Les uns en aiment le pouvoir, les autres en aiment la gloire, les autres en aiment la pompe, les richesses, les palais, l’éclat, les facilités de toute espèce. Et l’expression : heureux comme un roi, n’aura jamais été assez contredite par les faits, pour cesser d’être populaire et de répondre à cet instinct secret du cœur de l’homme qui lui dit qu’être très puissant, très riche, très glorieux, c’est être trois fois très heureux.
Remarquez de plus que si le bonheur des rois a pu devenir plus que jamais problématique dans les jours de civilisation démocratique et orageuse que nous traversons, il n’en était point de même au temps de Salomon. Bien au contraire ! jamais prince ne monta sur le trône sous des auspices plus favorables à la convoitise royale. — David en mourant laissait l’empire dans l’état le plus prospère et le plus florissant. Toutes les difficultés avaient été pour ainsi dire aplanies d’avance à son successeur. Les ennemis d’Israël étaient anéantis. Les frontières étaient indéfiniment reculées. La paix régnait partout au dehors. A part quelques tentatives insensées dont Salomon avait eu raison dès les premiers jours de son règne, les révoltes étaient étouffées et la paix n’avait plus de chances d’être troublée au dedans. D’immenses richesses avaient été amassées. Tous les princes voisins recherchaient comme une faveur l’alliance du jeune roi. Rarement, en un mot, le pouvoir suprême se présenta entouré de garanties et de ressources semblables à celles qu’y rencontra Salomon, quand il le prit en mains.
Ajoutez, enfin, à cela l’âge du jeune prince. — Un vieillard accoutumé à réfléchir sur les vicissitudes des choses humaines, et à considérer toutes choses avec les yeux de l’expérience et de la sagesse, aurait pu, sans doute, discerner, sous ces premières apparences, les symptômes des difficultés et des déceptions que Salomon pourrait rencontrer dans la suite. Mais, dans l’âge de la force et des illusions, dans l’âge où tout brille, où tout paraît aisé, dans l’âge où l’on jette sur la vie ce long regard de confiance et d’espérance, qui en aplanit d’avance toutes les difficultés, pour n’en montrer que les côtés radieux et faciles ; dans cet âge, où d’ordinaire on croit à tout et on espère tout, à combien d’autres la tête aurait tourné d’orgueil et de confiance en eux-mêmes ? Combien se seraient dit : Je suis riche, je suis dans l’abondance, je n’ai besoin de rien,ldots surtout pas de sagesse ni de conseils !
Malgré tout cela, une seule pensée le domine : celle de son impuissance et de sa faiblesse, celle de son inexpérience devant la tâche qui lui est imposée, celle du besoin qu’il a de la sagesse d’En-Haut : Je ne suis qu’un jeune homme qui ne sait comment il faut se conduire : ô Dieu donne-moi la sagesse et la connaissance ! Donne-moi un cœur intelligent !
Nous n’avons ni les difficultés que rencontrait Salomon, ni les séductions dont la vie était pour lui remplie. Nous n’avons pas, comme lui, un royaume à gouverner, et nous n’avons pas, non plus, les pièges dont son pouvoir était entouré, pour flatter notre orgueil. Néanmoins, l’inexpérience seule peut nous faire aller en avant avec confiance en nous-mêmes, et sans éprouver le besoin de cette grâce de sagesse que Salomon réclamait avant toutes les autres.
La vie, même dans les circonstances les moins aventureuses et les moins exceptionnelles, se présente tous les jours à nous comme un voyage de longue haleine à accomplir dans un pays inconnu, hérissé d’obstacles et peuplé d’ennemis.
Mille chemins divers s’ouvrent devant nous, se croisant en tout sens, formant un véritable labyrinthe ; et, de tous ces chemins, un seul est bon, tous les autres, quelque facile et fleuri que soit leur abord, tous les autres conduisent infailliblement à des dangers ou à des complications ; quelques-uns à des précipices et à des abîmes… Qui nous montrera le seul bon chemin à prendre ? qui nous éclairera pour nous faire éviter tant de sentiers périlleux ?
Nous ne sommes pas seuls ; notre voyage s’accomplit avec des compagnons de route, dont les intérêts s’entrecroisent avec les nôtres, qui prennent sur nous de l’influence, qui agissent sur nous, malgré nous, en bien ou en mal, par leur exemple ou par leurs conseils… Qui nous dira comment nous devons nous conduire dans mille circonstances compliquées, où notre vie vient s’entremêler avec la leur ?
Appelés à poursuivre un but indéfiniment éloigné, il nous est impossible de prévoir les événements les plus rapprochés ; nous ignorons d’avance les conséquences de nos moindres démarches, des plus insignifiantes de nos actions. Nous ne savons pas même ce que nous devons désirer ou redouter, ce qui nous convient ou nous menace… Qui nous prendra par la main, qui nous conduira par son conseil ?
Et la même ignorance, la même impuissance se retrouvent dans chaque détail de la conduite d’une vie, comme dans l’ensemble. — Vous avez une vocation à suivre, vous voulez la remplir dignement. Cette vocation, quelle qu’elle soit, présente des difficultés spéciales : Qui est-ce qui, après les avoir d’avance mesurées, n’éprouverait pas un sentiment analogue à celui qui faisait dire à Salomon, montant sur le trône : — Hélas ! Seigneur, je ne suis qu’un jeune homme, qui, ne sait pas comment il faut se conduire. Donne-moi un cœur intelligent !
Vous avez des enfants à élever : En réfléchissant à toutes les conditions de cette œuvre si grande et si compliquée, qui suppose tant de tact, tant d’application, tant de discernement, où tout a des conséquences si graves, où les prévisions les plus vraisemblables sont si fréquemment démenties, qui ne se sentirait encore cent fois, mille fois au-dessous de la tâche ? Qui ne devrait dire : Seigneur, je ne suis qu’un homme qui ne sait pas se conduire. Donne-moi un cœur intelligent !
Vous avez une âme à sauver surtout : Et qui, au moment où il a compris que c’était là, pour lui, la seule chose nécessaire, quand il a commencé à se rendre compte d’avance des périls qu’il avait à éviter, des ennemis à conjurer, des combats à livrer, des conquêtes à faire, des victoires à remporter ; qui, devant ces paroles si conformes à l’expérience de tous les jours : Travaillez avec crainte et tremblement. Le royaume des cieux veut être forcé, ce sont les violents qui l’emportent. Le juste même n’est sauvé qu’à grand’peine ! qui n’a senti son cœur frémir, et qui ne s’est dit en lui-même : Hélas ! Seigneur, donne-moi un cœur intelligent. Je ne suis qu’un jeune homme, qui ne sait pas comment il faut se conduire !
Ah ! si nous ne sentons pas le besoin que nous avons d’un secours d’En-Haut, d’une lumière qui nous éclaire dans nos ténèbres, c’est que nous vivons, la plupart du temps, au jour le jour, comme à l’aventure, sans réflexion, sans prévision, sans attention. Apprenons de Salomon à jeter un regard sérieux dans l’avenir, non pour nous décourager d’avance, non précisément pour nous mettre en souci du lendemain, mais pour comprendre notre profonde inexpérience, et apprendre à dire au Seigneur, comme le jeune roi : O Dieu, donne-moi un cœur intelligent ! Il vous l’accordera, car, Lui qui sait mieux que nous le besoin que nous en avons, il nous l’a promis dans les déclarations les plus encourageantes : — Si quelqu’un a besoin de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui la donne à tous libéralement et sans rien reprocher, et elle lui sera donnée ! — Mais que Dieu nous donne d’abord la sagesse de sentir le besoin que nous en avons !
Le troisième trait qui me frappe dans la prière de Salomon, c’est une sage appréciation des biens de cette terre.
A cette offre du Tout-Puissant : Demande-moi ce que tu veux que je te donne ! qui ne s’attendrait à entendre un jeune homme, à peine monté sur le trône, répondre par ce que les hommes ambitionnent le plus ici-bas : une vie longue et heureuse, une puissance étendue et incontestée, un règne glorieux et d’abondantes richesses ? — Il n’en fait rien. Et celui qui, à la fin de ses jours, avec l’autorité d’une expérience unique peut-être dans l’histoire de l’humanité, blasé sur tous les biens et toutes les jouissances de la terre, devait en proclamer si éloquemment le néant dans cette parole fameuse : Vanité des vanités, tout est vanité ! commence sa vie en les mettant sagement à leur vraie place. Il ne les méprise pas, sans doute, mais il ne les convoite pas non plus, il n’en fait l’objet d’aucun désir passionné. L’Eternel lui en a donné sa part abondante ou restreinte ; il n’ambitionne rien au delà de ce qu’il a reçu. Ce qui le préoccupe, ce n’est ni la crainte de les perdre ni le désir de les augmenter, mais la crainte de ne pas savoir en faire un sage emploi, et le désir de posséder, sans mesure, une richesse supérieure à tous les trésors de la terre. Donne maintenant à ton serviteur de la sagesse et de la connaissance !
Que cette parole est digne de notre attention et de nos méditations ! Nous vivons dans un siècle qui semble avoir pris pour dernière expression de ses désirs la prière de Jabetz : Eternel, si tu me bénissais très abondamment, et que tu étendisses mes limites, et que ta main fût avec moi, et que tu me garantisses tellement du mal, que je fusse sans douleur ! On ne comprend la bénédiction que dans un sens tout matériel et tout temporel. On veut bien de la sagesse pour les autres, on déclame contre le luxe des classes riches, contre l’envie des classes pauvres, on se lamente sur le vice d’une civilisation adonnée au culte de l’argent et de la jouissance ; on fait profession de christianisme, on veut éclairer les masses et avancer le règne de celui qui a dit : Mon règne n’est pas de ce monde ! Vendez vos biens et amassez-vous des trésors dans le ciel… En attendant, que recherche-t-on en premier lieu, pour soi-même et pour ses enfants ?
Si Dieu nous faisait, je ne dis pas en public, (la honte nous retiendrait sans doute), mais s’il nous faisait en secret, dans le tête à tête de la nuit, l’offre de Salomon, quelle serait notre réponse, notre vraie et intime réponse ? — Là ! devant nous, le succès, la richesse, la source ouverte de toutes les félicités terrestres, un choix à faire entre tous les prix que le monde offre à ses élus pour les tenter !… Qui dirait, après s’être bien sondé lui-même : Seigneur donne-moi la sagesse. accorde-moi la grâce nécessaire pour accomplir fidèlement mon œuvre, ton œuvre, ici-bas ? A cela se bornent tous mes désirs. A cela j’aimerais te voir borner tes dons.
Je ne vous connais pas. Il ne m’est guère possible de lire sur vos visages ; cependant, me trompai-je en croyant entendre ces quelques échantillons de prières secrètes, qui voudraient bien oser s’échapper du silence de vos cœurs : — Seigneur, élève-moi au-dessus de mes semblables, donne-moi, pour la profession que j’ai embrassée, des facultés qui m’assurent un succès incontesté ; fais-moi parvenir promptement à cette renommée qui m’apparaît de loin comme la plus suave de toutes les jouissances, et s’il se rencontre des rivaux sur mon chemin, fussent-ils mes meilleurs amis, veuilles les abattre et les écarter à tout prix !…
C’est un jeune homme, sans doute, qui a parlé. — Seigneur, donne-moi tous les avantages extérieurs de la beauté, de la grâce, de l’esprit ; donne-moi tout ce qui flatte la vanité ; donne-moi tout ce qui permet de vivre dans la paresse et dans les délices, en sorte que je puisse briller et faire envie !… C’est une femme qui ne se croit peut-être pas mondaine, qui parle ainsi. — Seigneur, daigne augmenter par des entreprises heureuses, le patrimoine que j’ai reçu de mes pères, assure-moi une haute et large et riche position ; fais que je puisse assurer, à mon tour, à mes enfants des établissements qui les maintiennent dans les plus hautes régions de la société !… C’est peut-être le vœu inférieur d’un homme très arrêté dans ses convictions et très connu dans le champ de l’activité chrétienne… Je n’ose continuer ! Ah ! qu’un peu de connaissance du cœur humain nous découvrirait, encore ici, de tristes et honteux mystères ! Et que Dieu est sage, sans doute, de ne pas nous induire en tentation, en nous permettant, comme à Salomon, de prier si nous le voulions nos convoitises ! Qu’il est sage de nous tenir en tutelle et de nous dispenser ses dons, non selon nos secrets désirs, mais selon cette volonté bonne, agréable et parfaite, dont les pensées ne sont, heureusement, pas nos pensées !
Qui se connaît un peu soi-même et n’admirerait ici profondément la sagesse de celui qui, mis à une pareille épreuve, ne laissa voir dans le fond de son âme, quand elle s’ouvrit devant l’Eternel, que le désir exprimé dans ces termes : O Dieu, donne la sagesse à ton serviteur. — Mais, admirez davantage encore la bonté de l’Eternel dans la réponse qu’il fait au jeune roi : Parce que tu m’as fait cette demande et que tu n’as point demandé une longue vie, et que tu n’as point demandé des richesses, et que tu n’as point demandé la mort de tes ennemis, mais que tu as demandé l’intelligence pour rendre la justice ; voici, j’ai fait selon ta parole ; voici, je t’ai donné un cœur sage et intelligent, de sorte qu’il n’y en a point eu de semblable avant toi, et il n’y en aura point de semblable après toi. Et même je t’ai donné ce que tu n’as point demandé, savoir les richesses et la gloire, de sorte qu’il n’y aura point eu de roi semblable à toi entre les rois, tant que tu vivras. Et si tu marches dans mes voies, pour garder mes ordonnances et mes commandements, comme David ton père y a marché, je prolongerai aussi tes jours. Alors Salomon se réveilla, et voilà le songe !
Vous savez comment cette promesse fut magnifiquement accomplie, comment, dès la rentrée du roi à Jérusalem, il donna la preuve de sa sagesse dans un jugement fameux ; comment il fut versé dans toutes les connaissances de son temps ; comment il composa un nombre immense d’écrits dont quelques-uns, conservés dans les pages de la Bible, éclairent encore aujourd’hui la sagesse des nations ; comment sa renommée s’étendit par le monde entier, tellement qu’on venait de tout côté du peuple pour le consulter et l’entendre ; comment la reine Scéba lui rendit ce témoignage : Oh ! que bienheureux sont tes gens ! que bienheureux sont tes serviteurs qui se tiennent continuellement devant toi et qui écoutent ta sagesse ! — Vous savez, enfin, ce que fut la magnificence de Salomon, et comment se vérifia en lui ce que dit le Seigneur : Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par-dessus.
Vous savez tout cela… mais une pensée s’élève déjà, comme un nuage dans votre esprit. :– Comment cet homme si sage put-il se laisser entraîner à des fautes si énormes ? Comment put-il en venir aux désordres et aux crimes qui souillèrent la fin de sa vie ? Comment tomba-t-il dans l’oubli de Dieu, de l’oubli de Dieu dans l’impureté, de l’impureté dans l’idolâtrie ?… Grande question que j’ai voulu seulement introduire aujourd’hui, et qui nous occupera dans une prochaine instruction. Avant de parler de la folie de Salomon, il fallait bien commencer par rappeler ce qu’avait été sa sagesse.
Pour le moment, je me borne à deux réflexions générales sur lesquelles je désire vous laisser. La première est relative à notre situation temporelle, quelle qu’elle soit. Apprenons à être satisfaits de la part que Dieu nous a accordée en ce monde. Il est hors de doute que l’exceptionnelle prospérité du roi d’Israël lui fut un piège. Le bonheur terrestre continu flatte l’orgueil, endort la vigilance, multiplie les périls pour notre âme, lui fait oublier la mort et lui donne le vertige au bord des précipices du péché. La facilité à satisfaire les mauvais désirs du cœur et de la chair finit par leur donner sur nous une puissance terrible et presque irrésistible… Insensés ! Nous voyons chez le mauvais riche l’orgueil, la dureté, la sensualité, et nous nous permettons de dire sans cesse en nous-mêmes avec une grande légèreté : — Si j’étais riche !…. Si vous étiez riche, mon frère, qui vous garantit que vous ne seriez pas le mauvais riche ? — Il ne faut jamais dire d’une tentation, quelle qu’elle soit, qu’on n’a pas connue : Moi, je n’y aurais pas succombé ! Il y a en chacun de nous l’étoffe de toutes les chutes. Bénissons Dieu quand il nous en épargne l’occasion.
Ma seconde remarque est relative à notre situation spirituelle, dont nous sommes peut-être moins mécontents que de la temporelle. Je n’ai pas besoin de la développer, car elle s’impose d’elle-même et prend ici les proportions colossales d’une expérience qui domine depuis bientôt trente siècles l’histoire du peuple de Dieu sur la terre. — Aux pieds de la statue d’or du roi Salomon, il faudra toujours lire cette parole de notre Seigneur Jésus-Christ : Que celui qui est debout prenne garde qu’il ne tombe ! — Et celle-ci encore : Veillez et priez, de peur que vous ne tombiez en tentation !