Introduction au livre du prophète Habakuk

II.
le livre d’habakuk

1. Âge du livre

1.1 Opinions anciennes.

Si la tradition, que nous venons de rapporter en quelques lignes, n’a pour nous aucune valeur historique, à cause même du peu de confiance que l’on peut accorder aux écrits qui en furent l’origine, et des contradictions qu’on rencontre à chaque pas dans cette portion de l’histoire, nous ne pouvons cependant lui refuser une certaine valeur au point de vue critique, en ce sens qu’elle nous donnera la clef des opinions anciennes sur l’époque d’Habakuk. Elle rapporte, en effet, que notre prophète n’est mort que deux ans avant le retour de la captivité (l’an 538 avant J.-C.). D’où il résulte que, dans les premiers siècles de l’Église, on était naturellement porté, à moins de lui assigner un âge aussi avancé que celui des patriarches, à le faire prophétiser peu avant la captivité. C’est en effet l’opinion que nous rencontrons chez les principaux Pères de l’Église. — Ainsi Clément d’Alexandrie nous dit (Strom. Lib. 1) : « προφητεύουσι τε καὶ ἐπὶ Σεδεκὶου ἐτὶ Ἰρεμίας καὶ Ἀμβακοὺμ » — Jérôme (Prolog. ad Comment. in Abac.) placerait la prophétie d’Habakuk déjà dans les premiers temps de la captivité. « Illud quoque disce, dit-il, prophetiam esse contra Babylonem, et Nabuchodonosor regem Chaldaeorum, ut quomodo prior propheta Naum, quem Abacuc sequitur, vaticinium habuit contra Niniven et Assyrios, qui vastaverunt decem tribus, quæ vocabantur Israel, ita Abacuc prophetiam habeat adversus Babylonem et Nabuchodonosor, a quibus Juda et Jerusalem templumque subversa sunt. Et ut scias, eo tempore fuisse Abacuc, quo jam duæ tribus, quæ vocabantur Judas, ductæ erant in captivitatem » — Quant à Augustin (De Civitate, 18.31), il ne veut rien préciser, et il s’exprime de la manière la plus modérée sur l’époque d’Habakuk : « Tres prophetæ de minoribus, Abdias, Nahum et Abacuc, nec sua terapora dicunt ipsi, nec in Chronicis Eusebii et Hieronymi, quando prophetaverint invenitur. »

Si de l’Église chrétienne nous passons aux docteurs juifs, nous voyons dominer une opinion toute opposée. Le Seder Olam Zuta (סדר עולם זוט), ouvrage rabbinique qui, au dire de Delitzsch, ne peut pas remonter plus haut que le viiie siècle, affirme que Joël, Nahum et Habakuk ont prophétisé sous le règne de Manassé, et que, si le nom de ce roi n’est pas mentionné dans leurs prophéties, c’est à cause de son idolâtrie et de sa corruption.

Cette opinion rencontra de l’écho chez plusieurs docteurs juifs du moyen âge, entre autres chez Jarchi et chez Isaac Abarbanel. D’après ce derniera, en effet, Nahum et Habakuk ont prophétisé tous deux au temps de Manassé, et sont l’un et l’autre disciples de Michée qui les aurait précédés immédiatement. Il nous semble que la cause de cette opposition avec l’opinion des Pères de l’Église réside en ceci, que le Baba Bathra (f. 14, Pesachim 38) place Habakuk dans le même temps qu’Esaïe, Michée et Amos.

a – Préface aux 12 petits proph. Cahen. Bibl T. 12, p. 6.

Telles sont, en quelques mots, les deux opinions principales, admises depuis les premiers siècles de l’Église, sur l’époque d’Habakuk. Il aurait été intéressant peut-être de faire, à cet égard, des recherches approfondies, soit parmi les premiers docteurs chrétiens, soit parmi les docteurs juifs. A plus forte raison, aurions-nous dû, pour avoir un travail complet, consulter à ce propos les nombreux travaux qui virent le jour dans le monde chrétien à partir du xive siècle et nous introduire tour à tour dans les nouvelles écoles qui se formèrent dès lors, dans l’école rabbinique, dans les écoles philologiques indépendantes, dans les écoles systématiques, dans l’école hollandaise. Ce genre d’étude aurait eu certainement son intérêt, en nous faisant suivre pas à pas les progrès de la science exégétique et critique. Mais ce travail, long et difficile, n’aurait pas eu pour nous une utilité directe. Nous avons donc hâte d’arriver à des temps plus riches en ressources et où les études sont plus complètes, à cette école moderne dont la première pierre fut posée par l’école de Halle, et dont la lumière, de plus en plus intense, se propagea aux quatre coins de l’Allemagne. Nous déplorons seulement, et tout d’abord pour nous, que cette lumière se soit confinée, pour ainsi dire, en entier, dans ce pays, et qu’elle n’ait pas encore envahi également les contrées de langue française.

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