Le Bienfait de Jésus-Christ crucifié envers les chrétiens

IV
Des effets d’une foi vivante et de l’union de l’âme avec Christ.

Cette foi sainte et vive de celui qui croit que Christ s’est chargé de tous ses péchés, est tellement efficace, qu’elle rend le croyant semblable à Christ ; et que par elle il peut remporter comme Lui la victoire sur le péché, sur la mort, sur le diable et l’enfer. Et c’est par cette raison que l’Église, ainsi que chaque âme fidèle, est appelée l’épouse de Christ, et Christ, son Époux. Voyez l’union du mariage : deux deviennent un en étant une même chair ; les biens de l’un et de l’autre deviennent un bien commun entre eux. Ainsi, l’époux considère la dot de son épouse comme étant à lui, et celle-ci de même regarde la maison et toutes les richesses de son époux comme étant les siennes : et elles le sont en effet, car autrement ils ne seraient pas une même chair selon ce que dit l’Écriture sainte. Or, c’est ainsi que le Fils bien-aimé de Dieu a épousé l’âme fidèle ; et celle-ci n’ayant aucune chose qui fût à elle, sinon le péché, le Fils de Dieu n’a pas dédaigné de la prendre pour son épouse bien-aimée avec sa dot qui est le péché. Et comme par cette très sainte union, ce qui est à l’un devient propriété de l’autre ; Christ a dit : La dot de l’âme, mon épouse chérie, c’est-à-dire ses péchés et ses transgressions de la loi, la colère de Dieu, l’audace du diable, le danger de l’enfer et tous ses autres maux, sont devenus ma propriété ; je les ai en mon pouvoir, et c’est à moi d’en faire ce qu’il me plaira. C’est pourquoi je veux les jeter dans le feu ardent de ma Croix et les anéantir. Lorsque Dieu vit son Fils tout chargé des péchés de son épouse, il le frappa, le mit à mort sur le bois de la croix. Mais parce qu’il était son Fils bien-aimé, obéissant jusqu’à la mort, il le ressuscita, le faisant passer de la mort à la vie ; il lui donna tout pouvoir dans le ciel et sur la terre et le fit asseoir à sa droite (Matthieu 27.18). L’épouse, de son côté, se dit avec une grande allégresse : Les royaumes et les empires de mon Époux bien-aimé sont à moi, je suis reine et impératrice du ciel et de la terre (Philippiens 2.9) ; les richesses de mon Époux, c’est-à-dire sa sainteté, son innocence, sa justice, sa divinité, ainsi que toutes ses vertus et son pouvoir sont devenus ma propriété, et par Lui je suis sainte, innocente, juste et divine. Il n’y a plus aucune tache en moi, je suis belle et pure, parce que mon divin Époux est sans tache, beau et pur.

Dès sa nativité parfaitement sainte, il a sanctifié la naissance souillée de son épouse, conçue dans le péché. Son enfance, sa vie sainte, ont de même justifié la vie et les œuvres imparfaites de son épouse bien-aimée. Car tel est l’efficace de l’amour et de la communion qui existent entre l’âme du vrai chrétien et son Époux, Jésus-Christ, que les œuvres même de l’un deviennent communes à l’autre. Aussi, quand il nous est dit : Christ a jeûné, Christ a prié et a été exaucé de son Père, il a ressuscité les morts, il a délivré les hommes des démons, il a guéri les malades, il est mort, il est ressuscité et monté au ciel, — on peut affirmer, de toutes ces choses, que le chrétien les a faites parce que les œuvres de Christ sont les œuvres du chrétien, qui les a accomplies en Lui. Ainsi, l’on peut dire en toute vérité que le chrétien a été attaché à la croix et mis au sépulcre, qu’il est ressuscité et monté au ciel, qu’il a été fait enfant de Dieu et participant de la nature divine. En revanche, aussi, toutes les œuvres du chrétien sont les œuvres de Christ ; il les regarde comme siennes ; mais ces œuvres sont souillées, et Lui, étant saint et ne pouvant rien supporter d’imparfait, il les rend parfaites au moyen de sa vertu ; car il veut que son épouse soit toujours joyeuse et sans aucune crainte, sachant que, quelque défectueuses que soient ses œuvres, elles sont cependant agréables à Dieu, à cause de son Fils, auquel il a continuellement égard.

Oh ! immense bonté de Dieu ! Combien sont grandes les obligations du chrétien envers Lui ! Il n’y a pas d’amour humain, quelque profond qu’il soit, qui se puisse comparer à l’amour de Christ, l’Époux bien-aimé de toute âme chrétienne ; amour que saint Paul décrit en disant (Éphésiens 5.25 et suiv.) que Christ a aimé l’Église, c’est-à-dire chaque âme devenue son épouse, et qu’il l’a sanctifiée, l’ayant purifiée par le baptême d’eau dans la Parole, afin qu’il la présentât glorieuse, cette Église, n’ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable, mais qu’elle fût au contraire sainte et irrépréhensible, c’est-à-dire semblable à Lui en sainteté et en innocence, vraie enfant de Dieu : « Car Dieu a tant aimé le monde, dit Christ, qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ; car Dieu n’a point envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par Lui. Qui croit en Lui n’est point jugé. » (Jean 3.16)

Quelqu’un pourrait me demander : Comment se fait cette union de l’âme, l’épouse, avec Christ son Époux ? Quelle certitude puis-je obtenir que mon âme soit unie avec Christ et devienne son épouse ? Comment puis-je me glorifier dans la possession de ses richesses, ainsi que le fait l’épouse dont vous parlez ? Il me serait plus facile de croire que d’autres reçoivent cet honneur et cette gloire ; mais que je sois moi-même un de ceux auxquels Dieu accorde tant de grâces, c’est ce dont je ne puis me persuader ; je connais trop bien ma misère et mes imperfections.

Bien-aimé frère, je te répondrai que cette certitude n’est autre chose qu’une vraie et vive foi, par laquelle, comme dit saint Pierre (Actes 15.9), Dieu purifie le cœur. Et cette foi consiste à croire à l’Évangile (Marc 16.16), qui a été publié de la part de Dieu par tout le monde, pour proclamer que Dieu a épuisé sur Christ les rigueurs de sa justice, punissant en Lui tous nos péchés. Quiconque accepte cette bonne nouvelle et la croit, celui-là possède la vraie foi ; il a part à la rémission des péchés, il est réconcilié avec Dieu, et d’enfant de colère, il est devenu enfant de grâce ; il recouvre l’image de Dieu et il entre dans son règne (2 Corinthiens 3.18) ; il devient le temple de Dieu, et Dieu lui-même unit son âme à son Fils unique par le lien de la foi, qui est une œuvre et un don de Dieu. Ce don, Dieu le fait à tous ceux qu’il a appelés à Lui pour les justifier, les glorifier et leur donner la vie éternelle, comme Christ en rend témoignage par ces paroles : « C’est ici la volonté de Celui qui m’a envoyé, que quiconque contemple le Fils et croit en Lui a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. » (Jean 6.40) Et encore (Jean 3.14) : « Comme Moïse éleva le serpent au désert, de même il faut que le Fils de l’Homme soit élevé, afin que quiconque croit en Lui ait la vie éternelle. » Il dit aussi à Marthe (Jean 11.25) : « Celui qui croit en moi, fût-il mort, il vivra, et celui qui vit et croit en moi ne mourra jamais. » Et aux troupes juives : « Moi, la lumière, je suis venu dans ce monde afin qu’aucun homme, croyant en moi, ne demeure dans les ténèbres. » (Jean 12.16) « En ceci a été manifesté l’amour de Dieu pour nous, dit saint Jean (1 Jean 4.9), que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par Lui. C’est en ceci qu’est l’amour : non que nous ayons aimé Dieu, mais que Lui nous a aimés et qu’il a envoyé son Fils en propitiation pour nos péchés. »

De plus, il l’a envoyé pour détruire nos ennemis, et à cette fin il l’a fait participer à la chair et au sang de notre nature, afin que, comme dit saint Paul (Hébreux 2.14) : « Par le moyen de la mort il détruisit celui qui a le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et qu’il délivrât ceux qui par la crainte de la mort étaient toute leur vie assujettis à l’esclavage. »

Ayant donc le témoignage de la Parole de Dieu dans ces promesses dont nous avons parlé et dans beaucoup d’autres passages des saintes Écritures, nous ne pouvons plus douter que ces promesses ne soient vraies. Et lorsque la Bible parle dans un sens général, personne ne doit douter que ce qu’elle dit ne s’adresse à lui. Pour rendre plus claire la vérité qui nous occupe (car c’est en elle que consiste tout le mystère de la foi), supposons qu’un roi juste et bon ait fait publier un édit portant que tous les rebelles peuvent revenir avec sûreté dans son royaume, et les assurant qu’à cause des mérites d’un de leurs proches parents, il leur a pardonné à tous. Certainement aucun de ces rebelles ne pourrait douter qu’il ait obtenu le pardon de sa révolte, mais tous retourneraient dans leurs maisons pour vivre sous la protection de ce saint roi ; et si quelqu’un d’eux ne le faisait pas, il porterait la peine de son incrédulité, en mourant dans l’exil et dans la disgrâce de son roi. Ce roi saint, c’est le Seigneur du ciel et de la terre, qui par les mérites de Christ, notre allié par le sang, nous a pardonné toutes nos rébellions et, comme nous l’avons dit, a fait publier un édit dans le monde entier, afin que tous reviennent en sûreté dans son royaume. Tous ceux donc qui croient à cet édit, retournent au royaume de Dieu (dont ils ont été chassés par le péché de nos premiers parents), pour se laisser gouverner dans la félicité par l’Esprit de Dieu. Ceux, au contraire, qui n’ajoutent pas foi à cet édit, ne jouissent pas de ce pardon général ; ils demeurent dans l’exil sous la tyrannie du diable, à cause de leur incrédulité, ils vivent et meurent dans une extrême misère, et sous la disgrâce du Roi du ciel et de la terre. Et ils l’ont mérité ; car nous ne pouvons pas offenser Dieu plus grièvement qu’en le faisant menteur et trompeur, et c’est ce qui nous arrive lorsque nous n’ajoutons pas foi à ses promesses.

Oh ! qu’il est grave ce péché de l’incrédulité qui dérobe à Dieu sa gloire et sa perfection, sans parler du malheur irréparable de la propre damnation et du tourment continuel d’esprit qu’éprouve en cette vie la conscience misérable ! Celui, au contraire, qui s’approche de Dieu avec un cœur sincère et une pleine certitude de foi (Hébreux 10.22), croyant ses promesses sans la moindre défiance, tenant pour certain que tout ce que Dieu promet aura son accomplissement, — celui-là donne gloire à Dieu ; il vit dans une paix continuelle, dans une joie que rien ne trouble, et bénissant toujours le Dieu qui l’a élu pour la gloire de la vie éternelle, ce dont il a pour garant très certain le Fils de Dieu même, son Époux bien-aimé, par l’aspersion de son sang. (1 Pierre 1.1 ; Hébreux 10.22)

Et cette très sainte foi opère en nous une vive espérance, une confiance inaltérable en la miséricorde de Dieu qui vit et agit dans notre cœur. Ainsi, nous nous reposons entièrement en Dieu, nous lui abandonnons le soin de notre vie, et sûrs de sa bienveillance, nous ne craignons plus ni Satan, ni ses serviteurs, ni la mort.

Cette confiance ferme et courageuse en la miséricorde de Dieu dilate le cœur, l’attire vers Dieu, le remplit des plus douces affections et de la plus ardente charité. C’est ainsi que saint Paul nous exhorte à aller avec assurance au trône de la grâce (Hébreux 4.16), et à ne pas rejeter notre assurance qui a une grande rémunération. (Hébreux 10.35)

Cette sainte confiance est opérée dans le cœur par l’Esprit de Dieu que la foi nous communique, et elle n’est jamais vide de l’amour divin. De là vient que cette force d’en haut nous pousse aux bonnes œuvres avec une telle puissance et une telle inclination, que nous sommes prêts à faire avec joie et à supporter toutes choses, même les plus terribles, pour l’amour et pour la gloire de notre bon Dieu et Père, qui nous a enrichis par Christ de cette grâce si abondante, de cette faveur inespérée, ayant fait de nous, qui étions ses ennemis, ses enfants bien-aimés.

Dès que Dieu donne à une âme cette vraie foi, elle se sent embrasée d’un ardent amour qui produit de bonnes œuvres, qui rend les plus doux fruits et pour Dieu et pour le prochain, comme le fait un arbre excellent. Il est tout aussi impossible de mettre le feu à une fascine de bois sans qu’il en sorte de la chaleur et de la lumière. C’est là cette sainte foi, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu (Hébreux 11.6), et par laquelle tous les saints de l’ancienne et de la nouvelle Alliance ont été sauvés, selon le témoignage de saint Paul et de l’Écriture, qui dit d’Abraham qu’il crut à Dieu et que sa foi lui fut imputée à justice. (Romains 4.3 ; Genèse 15.6) Le même apôtre avait dit un peu auparavant (Romains 3.28) : Nous croyons donc que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi. Et ailleurs (Romains 11.5) : Il y a donc à présent un résidu de sauvé selon l’élection de la grâce ; or, si c’est par la grâce, ce n’est plus par les œuvres, autrement la grâce n’est plus la grâce. Et aux Galates (Galates 3.11 et suiv.), il dit : « Il est manifeste que personne n’est justifié devant Dieu par la loi, puisqu’il est écrit : le juste vivra par la foi. Or la loi n’est pas de la foi, mais l’homme qui aura fait ces choses vivra par elles. » Il venait de dire encore (Galates 2.16) : « Sachant que l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la loi, mais seulement par la foi en Jésus-Christ. » C’est pourquoi il ajoute bientôt après que si la justice est par la loi, Christ est donc mort en vain. Dans l’Épître aux Romains (Romains 10.9 et suiv.), comparant la justice de la loi avec la justice de l’Évangile, il enseigne que celle-là consiste dans les œuvres, et celle-ci dans la foi ; c’est pourquoi « si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus-Christ, et que tu croies en ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé ; car du cœur on croit à la justice, et de la bouche on fait confession à salut. »

Voilà comment saint Paul démontre clairement que la foi, sans aucun secours des œuvres, rend l’homme juste. Et non seulement cet apôtre, mais les saints docteurs venus après lui ont confirmé et approuvé cette importante vérité de la justification, par la foi. A leur tête se présente saint Augustin, défendant cette doctrine dans son livre de la Foi et des Œuvres, dans celui de l’Esprit et de la Lettre, dans les quatre-vingt-trois questions, dans son écrit au pape Boniface, dans son Exposition du Psaume 31 et en plusieurs autres endroits, dans lesquels il démontre que nous sommes justifiés par la foi, sans les œuvres de la loi. Il enseigne en effet que ces œuvres ne sont jamais la cause, mais l’effet de la justification, et il prouve que les paroles de saint Jacques, sainement comprises, ne sont point en opposition avec cette doctrine.

Origène aussi défend la même doctrine dans son quatrième livre sur l’Épître aux Romains, affirmant que l’enseignement de saint Paul établit que la foi est suffisante pour la justification, de sorte que l’homme pécheur, par cela seul qu’il croit, devient juste devant Dieu, bien qu’il n’eût fait encore aucune bonne œuvre. C’est ainsi, ajoute-t-il, que le brigand crucifié fut justifié sans les œuvres de la loi, parce que le Seigneur n’a point recherché ce qu’il avait fait auparavant, ni attendu jusqu’à ce qu’il eût opéré aucune œuvre après avoir cru ; mais l’ayant justifié sur sa seule confession, il l’accepta pour compagnon de son entrée dans le paradis. De même, cette femme célébrée dans l’Évangile de saint Luc (Luc 7.37 et suiv.) entendit aux pieds de Jésus-Christ ces paroles : « Tes péchés te sont pardonnés. » Et bientôt après : « Ta foi t’a sauvée, va en paix. » — Origène ajoute ensuite : « Dans plusieurs passages de l’Évangile, on voit par les paroles du Seigneur, qu’il enseignait que la foi est la cause du salut du croyant. Ainsi l’homme est justifié par la foi à laquelle n’ajoutent rien les œuvres de la loi. Là au contraire où n’est pas cette foi qui justifie le croyant, quelles que soient les œuvres d’un homme commandées par la loi, quelque bonnes que ces œuvres puissent paraître, elles ne peuvent le justifier, parce qu’elles ne sont pas le fruit de la foi, ce signe de ceux que Dieu justifie. Et quel est l’homme qui puisse se glorifier de sa justice, quand il entend le prophète dire à Dieu (Ésaïe 64.6) : « Toutes nos justices sont comme le linge le plus souillé. » Ainsi, nulle gloire n’est légitime, sinon celle de la foi en la croix de Christ.

Saint Basile, dans son Homélie sur l’humilité, demande expressément que le chrétien ne s’estime juste que par la foi seule en Christ. Voici ses paroles : L’apôtre dit : « Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur, car c’est Lui qui nous a été fait de la part de Dieu sagesse, justice, sanctification et rédemption, afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur. » (1 Corinthiens 1.30) Voilà le parfait sujet de gloire en Dieu, quand l’homme, au lieu de s’enfler de sa propre justice, reconnaît qu’il n’a aucune vraie justice, et que par la foi seule en Christ il est justifié. C’est ainsi que Paul se glorifie de mépriser sa justice et de chercher en Christ par la foi la justice qui vient de Dieu. »

Saint Hilaire, dans son exposition de saint Matthieu, au chapitre 9, s’exprime ainsi : « Les scribes se scandalisaient de ce que le péché était remis par un homme, car ils considéraient Jésus-Christ comme un simple homme, et cependant il pardonnait les péchés que la loi ne pouvait remettre, parce que la foi seule justifie. »

Saint Ambroise, exposant ces paroles de l’apôtre Paul (Romains 4.5 et suiv.) : « A celui qui croit en Celui qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à justice, selon le dessein de la grâce de Dieu, ainsi que David déclare le bonheur de l’homme à qui Dieu impute la justice sans les œuvres ; — saint Ambroise, dis-je, écrit ce qui suit sur ces paroles : « Saint Paul dit qu’à celui qui croit en Christ, c’est-à-dire à un païen, sa foi lui est imputée à justice aussi bien qu’à Abraham. Comment donc les Juifs pouvaient-ils penser qu’ils obtiendraient par les œuvres de la loi la justice d’Abraham, puisqu’ils voyaient que ce patriarche avait été justifié, non par les œuvres de la loi, mais par la foi seule ? Il suit de là que la loi n’est pas nécessaire, puisque l’impie est justifié devant Dieu par la foi seule, selon le dessein de la grâce de Dieu. Ainsi il dit qu’il a été déterminé de Dieu que la loi doit cesser et que l’injuste ne demandera plus son salut que par la foi seule en la grâce de Dieu, selon les paroles de David. L’apôtre confirme ce qu’il a dit par l’exemple du prophète : En déclarant le bonheur de l’homme à qui Dieu impute la justice sans les œuvres, David entend que ceux-là sont bienheureux qui, selon le dessein arrêté de Dieu, sans aucune peine et sans aucune observation de la loi, sont par la foi seule justifiés devant Dieu. Ainsi il proclame le bonheur du temps où Christ est né, comme le Seigneur dit lui-même : Plusieurs justes et plusieurs prophètes désirèrent de voir ce que vous voyez et d’entendre ce que vous entendez, et ne l’ont point vu et point entendu. » — Le même Ambroise, en expliquant le premier chapitre de la première Épître aux Corinthiens, dit de la manière la plus claire : « Quiconque croit en Christ est justifié sans les œuvres et sans aucun mérite, recevant par la foi seule la rémission de ses péchés. » Le même Père, dans une lettre à Irénée, s’exprime ainsi : « Que nul ne se glorifie de ses œuvres, car nul n’est justifié par ses œuvres ; mais quiconque est juste, a la justice comme un don, parce qu’il est justifié par Christ. Ainsi c’est la foi qui nous sauve par le sang de Christ ; celui donc est bienheureux, à qui le péché est remis par le pardon. »

Saint Bernard enseigne la même doctrine dans son 77e discours sur le Cantique, affirmant que nos mérites n’ont aucune part dans notre justification, laquelle doit être tout entière attribuée à la grâce, qui nous justifie gratuitement, et ainsi nous affranchit de la servitude du péché. Il ajoute que Christ épouse l’âme et l’unit à lui par la foi, sans l’intervention d’aucun mérite de nos œuvres.

Mais pour ne pas prolonger ces citations, je les terminerai par une très belle parole d’Ambroise. Dans le livre intitulé : De Jacob et de la vie bienheureuse, ce saint homme dit que de même que Jacob, qui n’avait pas mérité par lui-même le droit d’aînesse, se cacha dans l’habit de son frère, s’orna de son vêtement, d’où s’exhalait la plus suave odeur, et se présenta ainsi devant son père pour recevoir à son avantage la bénédiction au nom d’un autre (Genèse 27.1 et suiv.), — de même il faut que nous nous revêtions de la justice de Christ par la foi, et que nous nous cachions sous la précieuse pureté de notre frère aîné, si nous voulons être reçus comme justes en la présence de Dieu. — Et certainement cela est vrai. Si nous comparaissons devant Dieu non revêtus de la justice de Christ, sans aucun doute nous serons tous jugés comme injustes et dignes de toute condamnation. Au contraire, Dieu nous acceptera comme justes, saints et dignes de la vie éternelle, s’il nous voit ornés de la justice de Christ. Et certes elle est grande la témérité de ceux qui prétendent parvenir à la justification par l’observation des commandements de Dieu, qui tous sont compris en ce que nous aimions Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes nos forces, et notre prochain comme nous-mêmes. (Matthieu 22.37 et suiv.) Qui sera donc assez arrogant, assez insensé pour oser croire qu’il ait accompli parfaitement ces deux préceptes ? et qui ne voit que la loi de Dieu, requérant de l’homme un amour parfait, condamne toute imperfection ?

Que chacun donc considère celles de ses actions qui lui paraissent bonnes en partie, et il trouvera qu’elles doivent plutôt s’appeler des transgressions de la loi sainte, parce qu’elles sont imparfaites et impures. C’est ainsi que David s’écrie (Psaumes 143.2) : « N’entre point en jugement avec ton serviteur, car aucun homme vivant ne sera justifié devant toi. » Et Salomon (Proverbes 20.9) : Qui peut dire : « J’ai purifié mon cœur, je suis net de mon péché ? » — Job aussi s’écrie (Job 15.14 et suiv.) : « Qu’est-ce que l’homme, qu’il soit pur, et celui qui est né de femme, qu’il soit juste ? Voici, même parmi ses saints il n’y en a point qui ne chancelle, et les cieux ne sont point purs en sa présence. Combien plus est abominable et inutile l’homme qui boit l’iniquité comme l’eau ? » Et saint Jean dit (1 Jean 1.8) : « Si nous disons que nous n’avons point de péché, nous nous séduisons nous-mêmes. » Le Seigneur enfin nous enseigne à dire, chaque fois que nous prions : « Pardonne-nous nos péchés. »

De là on peut mesurer la folie de ceux qui font trafic de leurs œuvres, présumant de pouvoir par elles, non seulement se sauver eux-mêmes, mais encore leur prochain, comme si le Seigneur n’avait pas dit (Luc 16.10) : « Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs, car nous avons fait ce que nous étions obligés de faire. » Voici donc qu’alors même que nous aurions observé parfaitement la loi de Dieu, nous devrions nous juger et nous appeler serviteurs inutiles. Or, tous les hommes étant si extrêmement loin de cette parfaite observation, quelqu’un osera-t-il se glorifier d’avoir ajouté à la juste mesure un tel trésor de mérites, qu’il en ait à donner à d’autres ?

Mais pour revenir à notre sujet : Que le pécheur orgueilleux qui, parce qu’il a fait quelques œuvres bonnes et louables aux yeux du monde, prétend se justifier devant Dieu, considère que toutes ces œuvres, provenant d’un cœur impur, sont elles-mêmes impures et souillées, et n’ont, par conséquent, aucune valeur ni aucune efficace devant Dieu pour le justifier. Nous devons donc, avant tout, purifier notre cœur, si nous voulons que nos œuvres plaisent à Dieu ; et cette purification consiste dans la foi, comme l’affirme le Saint-Esprit par la bouche d’un apôtre.

Il ne faut donc pas dire que l’homme injuste et pécheur devient par ses œuvres juste, bon et agréable à Dieu ; mais il faut dire que la foi purifie notre cœur de tous péchés et nous rend justes, bons et agréables à Dieu. Elle fait ainsi que nos œuvres, quelque imparfaites et défectueuses qu’elles soient, plaisent à la majesté de Dieu. En effet, étant, par la foi, devenus les enfants de Dieu, il considère nos œuvres comme un père miséricordieux et non comme un juge sévère, ayant compassion de nos infirmités et nous regardant comme les membres de son Fils premier-né, dont la justice et la perfection ont suppléé à nos imperfections et à nos souillures. Couverts de la pureté et de l’innocence de Christ, nos péchés ne nous sont plus imputés et ne paraîtront point en jugement devant Dieu. De là vient que nos œuvres, procédant d’une vraie foi, quelqu’impures et imparfaites qu’elles soient en elles-mêmes, seront toutefois approuvées et louées par Christ au jour du jugement universel, en tant qu’elles sont le fruit et le témoignage de la foi véritable par laquelle nous sommes sauvés. En effet, ayant aimé les frères de Christ, nous aurons prouvé clairement que nous sommes aussi nous-mêmes les fidèles frères de Christ. (Matthieu 25.35) Et par la foi nous serons introduits dans la parfaite possession du royaume éternel que notre Dieu nous a préparé dès avant la création du monde (Matthieu 25.34), non par nos mérites, mais par sa miséricorde, par laquelle il nous a élus et appelés à la grâce de l’Évangile, et nous a justifiés et glorifiés pour l’éternité avec lui et son Fils unique Jésus-Christ notre Seigneur, notre sanctification et notre justice. Mais cette justice ne saurait appartenir à ceux qui ne veulent pas confesser qu’elle est suffisante par elle-même pour rendre l’homme juste et agréable à Dieu, dont la paternelle bienveillance nous offre et nous donne Christ avec sa justice, sans aucun mérite de nos œuvres.

Eh ! que peut donc faire l’homme pour mériter un si grand don, un trésor tel qu’est Christ ? Ce trésor ne se donne que par la grâce, la faveur, la miséricorde de Dieu. Et la foi seule le reçoit et nous fait jouir de la rémission de nos péchés. C’est pourquoi, quand saint Paul et les Pères disent que la foi seule justifie sans les œuvres, ils entendent qu’elle seule nous met en possession du pardon, parce qu’elle seule nous fait recevoir Christ, qui, comme le dit saint Paul, habite dans nos cœurs par la foi après avoir vaincu les terreurs de la conscience, satisfait à la justice divine pour nos péchés, éteint la colère de Dieu et le feu de l’enfer, dans lequel nous aurait précipités notre corruption, et détruit les démons avec toute leur puissance et leur tyrannie. Voilà ce que toutes les œuvres réunies de l’humanité entière n’auraient pu ni faire, ni accomplir. Une telle gloire, une telle victoire est réservée au Fils de Dieu seul, à ce Christ béni qui est puissant au-dessus de toutes les puissances du ciel, de la terre et de l’enfer, et qui se donne avec tous ses mérites à ceux qui, désespérant d’eux-mêmes, mettent toute leur espérance de salut en lui et en sa justice.

Cependant, que nul en entendant soutenir que la foi seule justifie ne se trompe lui-même, s’imaginant, comme le font les faux chrétiens qui abusent de tout pour vivre selon la chair, que la vraie foi consiste à croire à l’histoire de Jésus-Christ, comme l’on croit à l’histoire de César ou d’Alexandre. Cette croyance historique, fondée sur la simple relation des hommes ou des Écritures, et légèrement imprimée dans l’âme par l’habitude, est semblable à la foi des Turcs, qui croient de la même manière toutes les fables du Coran. Une telle foi est une imagination humaine qui ne renouvelle rien dans le cœur de l’homme, qui ne le réchauffe point de l’amour divin et qui n’est suivie d’aucune bonne œuvre de la foi et de la vie spirituelle.

C’est donc une erreur contraire aux Écritures et à la doctrine de la sainte Église chrétienne, que de dire que la foi seule ne justifie pas, mais qu’il faut y ajouter les œuvres pour le salut. Je réponds à ceux qui parlent ainsi, que cette foi historique, parfaitement vaine, avec toutes les œuvres qu’on pourrait y joindre, non seulement ne justifie pas, mais précipite au fond de l’enfer tous ceux qui, comme les vierges folles, n’ont point d’huile dans leur lampe, c’est-à-dire point de foi vivante dans leur cœur.

La foi qui justifie est une œuvre de Dieu en nous, par laquelle notre vieil homme est crucifié (Romains 6.6), et nous, entièrement transformés en Christ, devenons une nouvelle créature et les enfants bien-aimés de Dieu. Cette foi divine nous rend un avec Christ dans sa mort et dans sa résurrection (Romains 6.5), et par conséquent elle crucifie la chair avec ses affections et ses convoitises. Nous confessons donc que par l’efficace de la foi nous sommes morts avec Christ, nous renonçons à nous-mêmes et au monde, et nous demandons que tous ceux qui font cette profession mortifient leurs membres terrestres, c’est-à-dire les affections vicieuses de l’esprit et les appétits de la chair. Nous confessons aussi que nous sommes ressuscités avec Christ, par où nous entendons vivre d’une vie spirituelle et sainte, de même nature que celle dont nous vivrons dans le ciel après la dernière résurrection. Cette très sainte foi, en nous mettant en possession du pardon que publie l’Évangile, nous introduit dans le règne de Dieu, elle pacifie la conscience et nous fait goûter une joie spirituelle et sainte. Elle nous unit à Dieu, en sorte qu’il habite dans notre cœur et revêt notre âme de lui-même. Par là, son Esprit produit en nous les mêmes dispositions qu’il produisait en Christ pendant qu’il conversait au milieu des hommes, je veux dire l’humilité, la douceur, l’obéissance à Dieu, la charité et les autres perfections par lesquelles nous recouvrons l’image de Dieu.

C’est donc avec raison que Christ attribue le salut à la foi que Dieu opère par son Esprit, et ce salut a toujours pour fruit les bonnes œuvres et la sainteté. Comment, en effet, serait-il possible que le chrétien ne devînt pas saint si, par la foi, Christ est sa sanctification ? Oui, par la foi nous sommes justes et saints. C’est pour cela que Paul appelle toujours saints ceux que nous nommons chrétiens. Il déclare que s’ils n’ont pas l’Esprit de Christ, ils ne sont pas à Lui, par conséquent ils ne sont pas chrétiens. Mais s’ils ont l’Esprit de Christ qui les anime, qui les gouverne, nous ne devons pas craindre qu’ils deviennent paresseux pour les bonnes œuvres, pourvu qu’ils se reconnaissent justifiés par la foi seule ; car l’Esprit de Christ est un Esprit de charité, et la charité ne peut pas être oisive, ni se lasser de faire du bien. Voici même le vrai sur cette question : c’est que l’homme ne peut jamais faire de bonnes œuvres si d’abord il n’a la conscience d’être justifié par la foi. Auparavant il fait des œuvres plus pour se justifier que par amour pour Dieu et pour sa gloire, et ainsi il les souille par son égoïsme et par son propre intérêt ; tandis que celui qui se reconnaît justifié par les mérites et par la justice de Christ, qu’il s’approprie par la foi, n’agit plus que pour l’amour et pour la gloire de Dieu et de Christ, et non pour lui-même et pour sa propre justification. Il suit de là que le vrai chrétien, celui qui ne se reconnaît d’autre justice que la justice de Christ, ne se demande point si les bonnes œuvres sont commandées ou non, mais animé et poussé par la violence de l’amour divin, il s’offre joyeusement en sacrifice à toutes les œuvres bonnes et chrétiennes, sans jamais se lasser de les accomplir.

Quiconque ne trouve pas en lui ces admirables effets que produit ainsi dans le chrétien la foi vivante, doit reconnaître qu’il n’a point encore la foi chrétienne et supplier Dieu dans ses prières de la lui donner, disant : Seigneur, subviens à mon incrédulité. (Marc 9.24) Et s’il entend affirmer que la foi seule justifie, qu’il ne se séduise point lui-même en disant : Pourquoi me fatiguer dans ces bonnes œuvres ? la foi suffit pour m’introduire au ciel. A quoi je réponds que sans doute la foi suffit pour introduire une âme dans le ciel, mais qu’il n’oublie pas que les démons aussi croient et qu’ils tremblent, pour parler avec saint Jacques. Oh ! voudrais-tu aller avec eux dans le ciel ? Par cette fausse conclusion, tu peux reconnaître, mon frère, dans quelle grande erreur tu te trouves. Tu penses avoir la foi qui justifie, et tu ne l’as pas. Tu dis : je suis riche, je me suis enrichi, je n’ai besoin de rien, et tu ne sais pas que tu es malheureux et misérable, et pauvre, et aveugle, et nu. Je te conseille d’acheter de Dieu de l’or passé par le feu, afin que tu deviennes riche, et des vêtements blancs, afin que tu sois vêtu, vêtu de l’innocence de Christ, et que la honte de ta nudité ne soit pas manifestée, c’est-à-dire la souillure de tes péchés. (Apocalypse 3.17 et suiv.)

La foi qui justifie est donc comme une flamme qui ne peut pas ne pas resplendir. Mais comme la flamme seule consume le bois sans le secours de la lumière qu’elle projette, et pourtant ne peut pas exister sans produire la lumière, ainsi en est-il de la foi : seule elle consume le péché, sans le secours des œuvres, mais elle n’existe jamais sans les bonnes œuvres. En voyant une flamme qui ne répand point de lumière, nous disons que c’est une flamme peinte et vaine. De même, si nous ne voyons pas dans un homme la lumière de ses bonnes œuvres, nous pouvons conclure qu’il n’a pas la vraie foi, la foi que Dieu opère par son Esprit, la foi qu’il donne à ses élus pour les justifier et les glorifier. Je crois fermement que c’est là ce qu’entend saint Jacques quand il dit (Jacques 2.18) : Montre-moi ta foi par tes œuvres, et moi je te montrerai ma foi par mes œuvres. Il entend par là que celui qui est encore adonné à l’ambition et aux plaisirs du monde a beau prétendre qu’il croit, il ne croit pas, car il ne montre pas en lui les effets de la foi.

Nous pourrions encore comparer cette très sainte foi qui justifie à la divinité qui était en Jésus-Christ. Vrai homme, mais sans péché, il opérait ces étonnants miracles, guérissant les malades, rendant la vue aux aveugles, marchant sur les eaux, ressuscitant les morts. Mais ces œuvres miraculeuses n’étaient pas la cause que Christ fût Dieu. Avant qu’il fit aucune de ces œuvres, il était le Fils unique de Dieu, et il ne lui était pas nécessaire, pour être Dieu, d’opérer ces miracles ; mais parce qu’il était Dieu, il les opérait. Ces œuvres de sa puissance ne faisaient pas qu’il fût Dieu, mais elles démontraient qu’il était Dieu. Ainsi la vraie foi, la foi vivante est une divinité dans l’âme du chrétien, qui agit pour ainsi dire miraculeusement, et ne se lasse jamais de faire de bonnes œuvres. Mais ces œuvres ne sont pas la cause qui a fait que le chrétien est chrétien, c’est-à-dire juste, bon, saint, très agréable à Dieu. Il ne lui était pas non plus nécessaire pour devenir tel d’opérer toutes ces œuvres ; mais parce qu’il est chrétien par la foi, comme Christ homme était Dieu par la divinité, il fait toutes ces actions. Donc ces bonnes actions ne font pas que le chrétien soit juste et bon, mais elles démontrent qu’il est tel. Ainsi, de même que la divinité de Christ était la cause de ses miracles, ainsi la foi, opérante par l’amour, est la cause des bonnes œuvres du chrétien. Les miracles de Christ, outre qu’ils glorifiaient Dieu, faisaient le plus grand honneur à Jésus-Christ, homme ; obéissant jusqu’à la mort, il fut élevé par sa résurrection jusqu’à la toute-puissance que Dieu lui donna au ciel et sur la terre, puissance qu’il n’avait pas auparavant comme homme, mais qu’il mérita par l’union du Verbe divin avec l’humanité en Christ. Il en est de même de la foi dans le chrétien : par l’intime union où elle est avec l’âme, tout ce qui est propre à l’une est attribué à l’autre. L’Écriture sainte promet quelquefois au fidèle la vie éternelle pour ses bonnes œuvres, parce que les bonnes œuvres sont le fruit et le témoignage de la foi vivante et qu’elles en procèdent comme la lumière procède de la flamme, ainsi que nous le disions tout à l’heure. Cette très sainte foi embrasse Christ, l’unit à l’âme, de sorte que ces trois : la foi, l’âme et Christ, ne sont plus qu’un, et que tout ce que Christ mérite, l’âme le mérite aussi de même. Voilà pourquoi saint Augustin dit que Dieu couronne en nous ses propres dons.

C’est à cette union de l’âme avec Christ, par le moyen de la foi, que le Seigneur lui-même rend un si beau témoignage, lorsque, dans sa prière à Dieu son Père, pour ses disciples et pour ceux qui croiraient en Lui par leur parole, il dit : Or, je ne prie pas seulement pour eux, mais pour tous ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un, comme toi, Père, es en moi et moi en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous, et que le monde croie que tu m’as envoyé. Et je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, afin qu’ils soient un, comme nous sommes un. (Jean 17.22 et suiv.) — Ainsi, en croyant à la parole des apôtres qui ont prêché Christ, mort pour nos offenses et ressuscité pour notre justification (Romains 4.25), nous devenons un avec Christ, qui, étant un avec Dieu, nous consomme aussi dans la même unité. (2 Corinthiens 6.16) Oh ! gloire merveilleuse du chrétien, à qui par la foi il est donné de posséder ces choses ineffables, dans lesquelles les anges désirent de regarder ! (1 Pierre 1.12)

De ces considérations ressort clairement la différence qu’il y a entre nous et ceux qui défendent la justification provenant en partie de la foi, en partie des œuvres. Nous sommes d’accord en ce point, que nous établissons les œuvres lorsque nous affirmons que la foi qui justifie ne peut pas exister sans les bonnes œuvres, et que ceux qui sont justifiés par la foi sont les seuls qui fassent des œuvres vraiment dignes de ce nom de bonnes œuvres. Mais voici en quoi nous différons : Nous disons que la foi, sans le secours des œuvres, justifie ; et la raison en est évidente : c’est que par la foi nous nous revêtons de Christ ; de sa justice, de sa sainteté. S’il est vrai que par la foi nous est donnée la justice de Christ, nous ne pouvons pas être assez ingrats, assez aveugles, assez impies, pour croire que cette justice ne suffise pas, sans nos œuvres, à nous rendre agréables et justes en la présence de Dieu. Et nous disons avec l’Apôtre (Hébreux 9.13 et suiv.) : « Si le sang des taureaux et des boucs et la cendre de la génisse, dont on fait aspersion sur ceux qui sont souillés, sanctifie, quant à la pureté de la chair, combien plus le sang du Christ, qui, par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu sans défaut, purifiera-t-il votre conscience des œuvres mortes, pour servir le Dieu vivant ! »

Maintenant juge, chrétien pieux, laquelle de ces deux opinions est la plus vraie, la plus sainte, la plus digne d’être proclamée : la nôtre, qui glorifie le bienfait de Christ et abaisse l’orgueil humain élevant ses œuvres contre la gloire du Sauveur ; ou l’autre qui, en niant que la foi justifie par elle-même, obscurcit la gloire et le bienfait de Christ, et exalte la superbe humaine qui ne peut souffrir d’être justifiée gratuitement par Jésus-Christ notre Seigneur !

Oh ! me dira-t-on, c’est pourtant un puissant motif à faire de bonnes œuvres que d’admettre que par là l’homme se rend juste devant Dieu. — Je réponds que, tout en confessant que les bonnes œuvres sont agréables à Dieu, et que, par sa libéralité, il daigne les récompenser dans le ciel, nous n’en sommes pas moins fondés à affirmer avec saint Augustin que les seules œuvres vraiment bonnes sont celles que font les chrétiens justifiés par la foi. Si l’arbre n’est pas bon, peut-il produire de bons fruits ? (Matthieu 12.33) Outre cela, ceux qui reconnaissent qu’ils n’ont d’autre justice que celle de Christ, ne font pas trafic de leurs bonnes œuvres avec Dieu, prétendant acheter par elles leur justification ; mais, embrasés de l’amour de Dieu, du désir de glorifier Christ qui les a justifiés en leur donnant tous ses mérites et toutes ses richesses, ils s’appliquent de toutes leurs forces à faire la volonté de Dieu, et ils combattent virilement contre leur égoïsme, contre le monde, contre le diable. Et s’ils tombent par l’infirmité de la chair, ils se relèvent, d’autant plus désireux de faire le bien, d’autant plus pénétrés de l’amour de leur Dieu, qui, à cause de leur union avec Christ, ne leur impute pas leurs péchés. Ils savent que Jésus a satisfait pour tous ses membres sur le bois de la croix, que toujours il intercède en leur faveur auprès du Père éternel, qui, pour l’amour de son Fils unique, les regarde d’un œil plein de miséricorde, les dirige, les défend comme ses enfants bien-aimés, et enfin leur donne l’héritage éternel, les rendant conformes à la glorieuse image de Christ. (Romains 8.29) — Voilà les puissants mobiles de l’amour, qui poussent les vrais chrétiens aux bonnes œuvres. Devenus par la foi enfants de Dieu, participants de la nature divine (2 Pierre 1.4), ils sont invités par le Saint-Esprit qui habite en eux à vivre comme il convient aux enfants d’un tel Seigneur ; ils auraient honte de ne pas préserver pur l’honneur de leur noblesse céleste ; c’est pourquoi ils mettent tous leurs soins à vivre dans l’imitation de leur Frère aîné, Jésus-Christ, marchant dans son humilité, dans sa douceur, cherchant en toutes choses la gloire de Dieu, mettant leur vie pour leurs frères, faisant du bien à leurs ennemis, se glorifiant dans les opprobres et dans les croix de notre Seigneur Jésus-Christ. (Galates 6.14) Ils disent avec Zacharie : « Nous avons été délivrés de la main de nos ennemis, afin que nous servions Dieu sans crainte, dans la justice, en sa présence, tous les jours de notre vie. » (Luc 1.74) — Ils disent avec saint Paul : « La grâce de Dieu a été manifestée afin que, renonçant à toute impiété et aux convoitises mondaines, nous vivions dans ce présent siècle selon la tempérance, la justice et la piété, attendant la bienheureuse espérance et l’apparition de la gloire du grand Dieu et Sauveur. » (Tite 2.14, suiv.)

Tels sont les pensées, les désirs, les affections que produit dans les justifiés la foi, œuvre de l’Esprit de Dieu. Quiconque ne sent pas dans son cœur, en tout ou en partie, ces affections divines, ces effets divins, mais s’adonne à la chair et au monde, doit tenir pour certain qu’il n’a point encore la foi qui justifie et qu’il n’est pas membre du corps de Christ. Il n’a pas l’Esprit de Christ, il n’est pas à lui. (Romains 8.9) — Et s’il n’est pas à Christ, il n’est pas chrétien. Que la sagesse humaine cesse donc désormais de combattre la justice de la très sainte foi ! Pour nous, nous donnons toute la gloire de notre justification aux mérites de Christ, dont nous nous revêtons par la foi. (Galates 3.27)

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