Je regarde toutes choses comme une perte à cause de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Sauveur, pour lequel j'ai renoncé à tout. Saint Paul.
– Un jour vous serez un Sadhou, lui avait dit sa mère, à maintes reprises. Il n'avait jamais perdu de vue le désir prophétique de celle qui lui avait appris à donner à Dieu la première place dans sa vie.
Après sa conversion il avait clairement entendu l'ordre divin : « Tu me serviras de témoin ». Le moment était venu d'obéir à cet appel. Ne trouvera-t-il pas une porte ouverte s'il vient prêcher l'Évangile du Christ dans une robe de Sadhou tenue pour sacrée aux Indes depuis un temps immémorial ? Cette robe, symbole d'une vie ascétique de renoncement au monde et de pauvreté lui ouvrira sans doute l'entrée de toutes les castes et même les portes des zénanas.
Sa décision fut prise ; trente-trois jours après son baptême, le 3 octobre 1905, ce jeune chrétien de seize ans revêtit le vêtement jaune safran des saints Sadhous. Il allait faire de lui un homme voué à une existence errante de religieux, sans un lieu où reposer sa tête. – J'ai fait le voeu de, consacrer ma vie entière à Christ mon Sauveur, et, par sa grâce, je ne le romprai jamais ; le jour où je devins un Sadhou, j'ai revêtu cette robe pour la vie, et aussi longtemps que cela dépendra de moi, je ne m'en séparerai pas.
Sundar Singh voulait apporter l'histoire de Jésus à son peuple de la manière qui lui serait le plus accessible, d'une façon toute hindoue. Car une difficulté résidait pour les Hindous dans le comportement des chrétiens. En effet, leur costume, leur nourriture, leurs habitudes de vie, tout était différent et contraire à la mentalité hindoue. Sundar lui-même avait considéré autrefois les chrétiens comme des étrangers, introduisant des coutumes étrangères. Même après sa conversion il trouva parfois difficile de dominer ses sentiments vis-à-vis de ceux qu'il avait si longtemps méprisés ; son sang sikh semblait protester, mais sa vivante communion avec Christ lui donna la victoire. La discipline intérieure qu'il sut pratiquer triompha de cet orgueil de race, si marqué chez les Sikhs, et produisit en lui cette extraordinaire humilité envers tous les hommes.
– L'eau de la vie, disait-il, a été offerte aux âmes assoiffées de l'Inde dans des coupes européennes et non dans des vases hindous. – Il illustrait ce fait par le récit suivant : – J'ai rencontré, lorsque je voyageais dans le Radjpoutana, un brahmane d'une caste élevée. Il se hâtait pour atteindre la station ; éprouvé par la chaleur il tomba épuisé sur le quai. Le chef de gare, désireux de lui venir en aide, lui apporta de l'eau dans une coupe occidentale, en porcelaine ; le brahmane ne voulut pas y toucher, bien qu'il eût une soif intense. – Je ne puis boire cette eau, dit-il, je préfère périr de soif ; je ne veux pas perdre ma caste et suis prêt à mourir. – Mais lorsque l'eau lui fut offerte dans sa propre coupe de bronze, il ne fit plus aucune objection et la but avidement. C'était la même eau, mais versée dans un vase hindou.
Pieds nus, sans argent, se conformant à la lettre aux instructions données par Jésus-Christ à ses disciples, Sundar Singh ne prit avec lui qu'une couverture et son Nouveau Testament en ourdou. Il partit de Sabathou pour aller de village en village, et de ville en ville, annoncer à son peuple l'amour de Jésus-Christ. N'était-il pas un témoin vivant de sa grâce ?
Il ne mendiait jamais. Lui, le fils d'un riche et fier Sikh, dépendait pour sa subsistance de l'aumône qui lui était librement accordée. S'il avait été un Sadhou prêchant l'hindouisme, on l'eût traité avec les plus grands honneurs, rien ne lui eût manqué ; mais lorsqu'on découvrait qu'il était chrétien et qu'il annonçait Jésus, les portes se fermaient devant lui ; on lui refusait logement et nourriture. Il devait se contenter, pour vivre, de quelques fruits sauvages, de racines ou de feuilles, et trouver un abri dans de sordides caravansérails, dans des grottes ou encore sous un arbre. Parfois maudit, injurié, il était chassé et devait chercher un refuge dans la jungle, malgré le danger des cobras et des léopards.
Pendant les premiers temps il trouva peu de réponses à son persévérant effort ; il répandait la bonne semence dans des terrains durs et pierreux, au milieu de grandes difficultés et d'épreuves de tous genres, mais il savait que Christ était avec lui, et il ne se décourageait jamais.
Il choisit comme premier champ de travail son propre village. Il parcourut les rues familières de Rampour, rendant témoignage à la puissance du Sauveur et parlant à tous du bonheur qu'il avait trouvé en lui. Les uns l'écoutaient, d'autres se détournaient avec mépris. Il put cependant pénétrer dans les zénanas et, dans un village voisin, une dame hindoue réunit chez elle 60 à 70 femmes des meilleures familles. Celles-ci, après l'avoir entendu, dirent entre elles : – Ce qu'il annonce est vrai, nous croyons chacune de ses paroles, Jésus est vraiment le Sauveur.
Quittant Rampour, Sundar alla d'un lieu à l'autre, traversant ainsi une grande partie du Béloutchistan, de l'Afghanistan, et des merveilleuses montagnes du Cachemire. Il eut beaucoup à endurer dans ce premier voyage missionnaire ; il affronta le froid, les pluies torrentielles, la faim, la soif, la fatigue.
Dans la vallée de Jalalabad, en Afghanistan, il fut informé par un homme un peu moins méchant que ses compagnons, d'un complot ourdi contre lui pour l'assassiner. Il écouta l'avertissement et se réfugia pour la nuit dans le seul endroit possible, un caravansérail plein de moustiques et de vermine.
Vers le matin, il alluma un feu pour sécher ses vêtements trempés par la pluie. A ce moment arriva une troupe de Pathans, tribu musulmane fanatique et cruelle. Au grand étonnement de Sundar, le chef de la bande tomba à ses pieds ; il lui expliqua que lui et ses compagnons avaient eu en effet l'intention de le tuer, mais ils furent si remplis d'étonnement et de crainte en voyant que le froid intense de la nuit ne lui avait fait aucun mal, qu'ils pensèrent qu'Allah l'avait protégé. Ils lui demandèrent de venir les instruire. Sundar passa une semaine au milieu de ces hommes farouches, leur parlant de Jésus-Christ, son protecteur et son ami.
Il quitta Jalalabad, certain que Dieu lui-même lui avait permis de répandre la bonne semence dans ces coeurs sauvages, et qu'il saurait la faire germer en son temps.
Sundar revint à Kotgarh, petite localité près de Simla dans l'Himalaya, à six mille pieds d'altitude, qui devint son port d'attache au retour de ses voyages.
C'est là qu'à la fin de 1906, il rencontra M. Stokes. C'était un riche Américain, ayant abandonné fortune et bien-être pour apporter l'Évangile aux Indes en prenant le chemin du renoncement et de la pauvreté, cherchant à suivre l'exemple de saint François d'Assise dont il était un fervent disciple.
Revêtant à son tour la robe de Sadhou, il se joignit à Sundar, et ils unirent leurs forces pour entreprendre un périlleux voyage à travers les montagnes et dans des contrées malsaines. Ils supportèrent de grandes souffrances. Sundar, épuisé par de fréquents accès de fièvre et de violents maux d'estomac, tomba un jour presque inconscient au bord du chemin. – J'étais anxieux à son sujet, écrit M. Stokes, car nous étions seuls et le temps était très froid ; la douleur se lisait sur les traits de Sundar, je savais qu'il ne se plaignait jamais, et me penchant à son oreille, je lui demandai comment il se sentait. – Je suis très heureux ! Comme il est doux de souffrir pour l'amour de Christ ! murmura-t-il d'une voix presque imperceptible, avec un léger sourire sur son visage émacié. – Cette joie dans la souffrance s'est manifestée à maintes reprises au travers de ses épreuves ; elle a été un trait distinctif de son expérience chrétienne et un des secrets de son influence.
M. Stokes parvint à conduire Sundar, non sans peine, jusqu'à la demeure d'un Européen qui les reçut avec la plus grande bonté. Cet homme qui n'avait jamais beaucoup pensé à Dieu et au salut de son âme, fut si frappé par la sérénité, la foi, l'amour, la patience de Sundar, qu'il se mit à réfléchir et, peu après, se tourna vers le Sauveur de son hôte.
En 1907, les deux amis travaillèrent ensemble dans l'asile des lépreux à Sabathou, puis à Lahore dans un camp de pestiférés où, sans crainte de la contagion, ils se consacrèrent jour et nuit aux soins des malades et des mourants. Ils rassemblèrent aussi, selon les instructions de l'Évangile, les enfants infirmes, boiteux, estropiés, aveugles, ou ceux de parents lépreux, et organisèrent pour eux des camps dans l'air salubre des montagnes. Ils voyaient Christ au travers d'eux. « ... J'étais étranger et vous m'avez recueilli... J'étais malade et vous m'avez visité. » On peut s'imaginer la joie de ces enfants déshérités d'être au bénéfice de tant de soins et d'amour.
Lorsqu'en 1908, M. Stokes partit en vacances en Amérique, le Sadhou se retrouva seul ; il décida alors de donner suite à un projet qu'il avait depuis longtemps dans l'esprit : un voyage à travers le Népal et le Tibet dont les portes étaient entièrement fermées à tout travail missionnaire.*
De 1909 à 1910, cédant aux sollicitations de ses amis chrétiens, le Sadhou consentit à faire des études de théologie. Il semblait utile qu'il acquît des connaissances plus vastes en vue d'élargir le cercle de son influence, limitée à l'évangélisation des païens, et de l'étendre aux communautés chrétiennes. Il subit l'examen de première année et entra d'emblée en seconde année au collège théologique de Lahore. Pendant les vacances il continuait ses campagnes d'évangélisation.
Les études apportèrent peu de chose à sa piété simple et directe. Il semble au contraire qu'elles éveillèrent en lui une certaine aversion pour l'intellectualisme théologique dont il parlera si souvent dans ses discours.
Là, comme à Loudhiana, il se sentit étranger parmi les étudiants qui se préparaient au saint ministère. Comme Sadhou, le niveau de sa vie spirituelle était bien supérieur à la leur et ses habitudes religieuses d'une autre essence que celle de la vie du séminaire ; aussi passait-il seul dans sa chambre la plus grande partie de son temps, à part les repas, les cours et les heures fixées pour la prière. Les étudiants se sentaient silencieusement condamnés par sa présence, bien que Sundar fit son possible pour éviter tout ce qui pouvait être considéré comme un blâme de sa part ; il attendait humblement de gagner leur confiance et leur affection, mais il ne semblait point y parvenir.
Un jour, un des étudiants, particulièrement hostile au Sadhou, le vit assis seul sous son arbre ; il s'approcha de lui sans être aperçu. A sa grande surprise il trouva Sundar en larmes, répandant à haute voix son coeur devant Dieu dans une ardente supplication en faveur de cet étudiant venu là sans qu'il s'en doutât. Il priait que, s'il y avait eu un tort de sa part, Dieu veuille le lui pardonner, et qu'un véritable amour puisse s'établir entre eux. En entendant cette fervente prière, le jeune homme fut repris dans sa conscience ; il demanda aussitôt pardon à Sundar et, dès ce jour, ils devinrent d'intimes amis. C'est cet étudiant lui-même qui donne ce récit.
Le Sadhou fut profondément malheureux dans cette école de théologie. Il semblait être comme un oiseau de la forêt battant des ailes aux barreaux de sa cage. Il soupirait après la liberté de Kotgarh, sous le ciel bleu et dans la solitude des montagnes.
En 1910 il reçut sa licence de prédicateur dans l'Église anglicane ; mais lorsqu'il comprit que, ministre consacré, il ne pourrait pas prêcher dans d'autres églises, ni annoncer librement l'Évangile partout où Dieu le conduirait, il considéra que ces restrictions ne s'accordaient pas avec sa mission de Sadhou. Aussi après beaucoup de prières, vit-il clairement qu'il ne devait se rattacher à aucune organisation extérieure. Il pria respectueusement l'évêque, qui avait été spécialement bon pour lui au cours de ses études, de bien vouloir lui reprendre sa licence de bachelier en théologie. L'évêque, comprenant la vocation du Sadhou, accepta sa démission, mais elle ne l'excluait pas de l'Église anglicane, à laquelle il appartenait par le baptême. Ses relations avec ses amis anglicans restèrent aussi cordiales qu'auparavant.
Dès lors, le Sadhou ne se joignit jamais à aucune association humaine, si ce n'est l'Église chrétienne universelle.
Il disait : – Les rivières prennent leur source dans les hautes montagnes de l'Himalaya, et se fraient leur propre chemin en descendant vers la plaine apporter l'eau fraîche et pure des sommets. C'est l'image d'une vie chrétienne qui dépend directement du Christ lui-même, source des eaux vives. Lorsque cette eau atteint la plaine, elle se divise en canaux et, par des moyens artificiels, irrigue les terres desséchées, entraînant avec elle beaucoup de boue qui en ternit la pureté. Ces canaux ont leur utilité, mais pour être constamment alimentés, ils ont besoin de l'eau pure qui jaillit des hauts sommets.
Sundar reconnaissait qu'une organisation pouvait être utile pour répandre l'Évangile parmi les masses, mais pensait que sa consécration à son Maître le conduisait dans un chemin dépendant uniquement de Dieu, individuel et solitaire. Il avait besoin d'une entière liberté. Il était un jour ici et les jours suivants ailleurs. Très tôt le matin, avant le lever du soleil, il partait sans aviser personne, pour un nouveau voyage, laissant un simple mot disant qu'il avait entendu l'appel de Dieu, puis il réapparaissait soudainement, on ne savait d'où.
Libéré de tout lien ecclésiastique, il continua à rendre son témoignage comme Sadhou, annonçant l'Évangile partout où il allait ; nul ne le rencontrait sans apprendre que Jésus était venu dans le monde pour sauver les pécheurs.
Le Sadhou redoutait par-dessus tout une vie absorbée par une trop grande activité, ne laissant point de temps pour la prière. Il aimait la solitude de toute son âme, mais contrairement à l'idéal hindou qui, pour trouver Dieu, prêchait le détachement de toute société humaine, il avait compris que le service des hommes était un facteur primordial dans le service de Dieu. Son ardent désir d'être entièrement à la disposition de Christ le faisait sortir de ses plus profondes méditations par amour pour ceux qui souffraient et avaient besoin de lui. Une vie livrée à Dieu est toujours une vie consacrée aux autres.
Le Révérend Redman qui revit Sundar deux ans après son baptême, fut profondément impressionné par la maturité de son caractère chrétien ; il n'était plus le garçon d'alors, mais un jeune homme affermi dans la foi, bien qu'il eût à peine 19 ans.
L'influence silencieuse de sa vie faisait une grande impression. Chrétiens et non-chrétiens venaient à lui pour trouver aide et conseil, et sa réputation s'étendait de plus en plus loin. Il fut appelé à participer à des conventions chrétiennes à travers tout le nord de l'Inde.
A la fin de 1912, après un travail assidu, il résolut de réaliser enfin le projet qu'il caressait depuis longtemps de jeûner pendant quarante jours en un endroit solitaire. Il pensait par là devenir plus conforme à Jésus-Christ dans sa vie intérieure. Peut-être était-il influencé, sans s'en rendre compte, par l'ascétisme des Hindous.
Malgré l'avis négatif d'un médecin franciscain qui travaillait avec lui et auquel il avait confié son intention, Sundar mit son plan à exécution et, le 25 janvier 1913, il se retira dans la jungle pour se livrer à la méditation et à la prière. Afin de garder quelque notion du temps écoulé, il avait placé près de lui un tas de quarante pierres. Chaque jour il en jetait une de côté, mais ses forces déclinèrent rapidement, et il devint si faible qu'il fut incapable de continuer ce geste. Sa vie spirituelle, au contraire, grandit en clarté et en liberté. Il vivait dans une sorte d'extase dans le monde surnaturel ; tandis que sa vie physique s'affaiblissait, au point de ne pouvoir plus distinguer les objets qui l'entouraient, par sa vision spirituelle il contemplait le Christ crucifié, ses mains et ses pieds percés et son visage empreint d'un ineffable amour. Alors que son corps était inerte et insensible, son âme goûtait la plus profonde paix et la plus merveilleuse joie.
Avant qu'il eût atteint les quarante jours, des bûcherons, coupeurs de bambous, le trouvèrent par hasard dans la jungle et le portèrent à Dehra-Dun. Là, quelques paysans chrétiens l'identifièrent grâce à son nom inscrit dans son Nouveau Testament. Ils le transportèrent en char dans le village chrétien de Annfield où il fut soigné avec amour et se rétablit rapidement.
(Le bruit de sa mort s'était répandu partout, sans doute par l'entremise du médecin catholique à qui Sundar avait donné l'adresse de ses amis. Par télégramme il leur avait annoncé son décès qui sembla confirmé par sa longue absence. Un service funèbre fut organisé par le Révérend Redman à Simla, et sa mort fut publiée dans les journaux missionnaires, accompagnée d'une notice nécrologique.)
Sundar revint à Simla, où son ami le Révérend Redman, le rendit attentif au danger d'une pareille expérience. Mais le Sadhou resta convaincu des heureux résultats de ce jeûne. Avant, il lui était arrivé de se plaindre intérieurement de ce que le Seigneur n'intervenait pas lorsqu'il souffrait de la faim et de la soif, puisqu'il lui avait donné l'ordre de ne pas prendre d'argent avec lui. Après son jeûne il pensait : C'est la volonté de mon Père, peut-être ai-je fait quelque chose qui lui déplaît.
– J'étais parfois tenté d'abandonner la vie de Sadhou et de retourner dans la maison de mon père, de me marier, et de vivre dans l'aisance. Ne pouvais-je pas être un bon chrétien et mener, là aussi, une vie de communion avec Dieu ? Mais, bien qu'il n'y ait pas de péché pour d'autres à vivre dans le confort, à avoir de l'argent et une famille, je compris que Dieu m'appelait à suivre une autre voie. Mon réel mariage était avec Christ.
Toutes ces tentations momentanées, et certains doutes qui l'avaient parfois troublé, disparurent à tout jamais : il savait qu'il avait été renouvelé et fortifié dans sa vie intérieure. Il arrivait à la certitude que l'âme est indépendante du corps, question qui l'avait souvent rendu perplexe. Par-dessus tout, il était maintenant persuadé que la paix dont il jouissait n'était pas une expérience subjective de quelque force secrète, mais le résultat objectif de la présence de Dieu en lui.
Sundar Singh entra en contact avec les membres de la mission secrète des Sannyasis, chrétiens qui se considéraient comme les disciples du Christ asiatique. Dispersés dans l'Inde entière, au nombre de plusieurs centaines de mille, les Sannyasis appartiennent en général à la classe cultivée ; ils ont l'habitude de se rencontrer très tôt le matin dans des maisons de prière qui ressemblent aux temples hindous. Bien souvent, en temps de danger, le Sadhou avait été secouru par eux ; à maintes reprises il les enjoignit de sortir de leur christianisme secret et de proclamer Christ ouvertement, mais ils répondaient : – Christ nous a appelés à être pêcheurs d'hommes ; un pêcheur ne doit point faire de bruit, sinon les poissons s'échappent de son filet. C'est pourquoi nous travaillons dans le silence, et quand notre filet sera plein, le monde verra ce que nous avons fait.
Dans les années suivantes, Sundar fit la connaissance du directeur de l'Université chrétienne de St-Stephen Collège à Delhi, le Principal Susil Rudra. Ils se lièrent par une même consécration au service du Christ, et Sundar l'aima comme son père. Ce fut une grande joie pour Susil Rudra, dont le coeur était souvent attristé par la vie de beaucoup de chrétiens hindous, de trouver ce disciple du Christ si entièrement consacré à son Maître. Si seulement le témoignage chrétien aux Indes pouvait suivre la voie tracée par ce jeune Sadhou, tout irait bien !
De nombreux problèmes se posaient dans l'Église chrétienne du Punjab, et certaines difficultés avaient surgi parmi les jeunes étudiants venus de toutes parts à St-Stephen Collège pour leur éducation universitaire. Certains d'entre eux étaient destinés à devenir des « leaders » dans l'État ou dans l'Église.
Alors que les Européens cherchaient à faciliter la vie matérielle des jeunes Hindous et vivaient eux-mêmes assez confortablement, le message de la Croix était voilé à leurs yeux et n'avait guère de prise dans une telle atmosphère. – Nous faisions notre travail, dit le principal Rudra, entourés de trop de confort extérieur, et il ne semblait pas possible de sortir de ce cercle vicieux et de changer notre genre de vie. C'est alors que le Sadhou vint inconsciemment à notre aide en apportant son témoignage aux étudiants qui se réunissaient autour de lui pendant de longues heures et l'écoutaient jusque tard dans la nuit. Le simple récit de ses voyages et de ses souffrances au Tibet, fait par lui-même, enflamma leur coeur. Ils furent saisis par l'esprit d'abnégation du Sadhou et désirèrent monter à Kotgarh pour y vivre, à son contact, une vie de sacrifice et de renoncement. Ce que nul autre n'avait pu faire au collège, Sundar, un jeune comme eux, l'accomplit plus encore par son exemple que par beaucoup de paroles.
Le changement qui se produisit chez de nombreux étudiants fut remarquable, et plusieurs entrèrent dans une vie entièrement consacrée au service de Dieu et de leurs frères. Comment expliquer ce miracle ? Sundar avait perdu sa propre vie. Ainsi la Croix fut non seulement prêchée, mais vécue, et là réside toute la différence.
* Nous relaterons plus loin, aux ch. 5 et 6, divers épisodes de ce voyage.