64 Parcourons, si vous le voulez, les opinions que les philosophes débitent sur le compte des dieux. Voyons s’il ne nous arrivera pas de reconnaître que la philosophie elle-même, par une vaine confiance en ses forces, a déifié la matière ; et si nous ne pourrons pas établir, en passant, que lorsqu’elle a rendu des honneurs divins aux démons, elle avait entrevu la vérité comme on peut voir les objets dans un songe. Ces philosophes nous ont laissé leurs systèmes sur les principes générateurs des choses ; l’un admet l’eau, c’est Thalès de Milet ; l’autre admet l’air, c’est Anaximène de la même ville. Il fut suivi par Diogène d’Apollonie. Parménide d’Élée inscrivit le feu et la terre parmi les dieux. Hyppase de Métaponte et Héraclite d’Éphèse exclurent la terre et ne reconnurent que le feu. Empédocle d’Agrigente introduisit une multitude de dieux, et outre les quatre éléments il compta la Haine et l’Amitié. Tous ces philosophes sont des athées dont la folle sagesse portait ses adorations à la matière. Ils n’ont peut-être pas révéré la pierre et le bois, mais ils ont révéré la terre d’où vient le bois et la pierre ; ils n’ont peut-être pas fait d’image de Neptune, mais ils ont adoré l’eau ; et qu’est-ce que Neptune, sinon une substance liquide que l’on boit ? C’est de là que vient le nom de Neptune, comme celui de Mars dérive d’un mot grec qui signifie l’action de s’élever contre un ennemi et de le tuer. Peut-être est-ce de là qu’est venue la coutume qu’ont certains peuples de représenter Mars sous l’emblème d’une épée qu’ils enfoncent dans la terre, et à laquelle ils offrent des sacrifices. On trouve cette coutume établie chez les Scythes, selon le témoignage d’Eudoxe, dans le second livre du Tour de la terre. Des Scythes, elle passa chez les Sarmates, qui adorèrent une épée, comme Icésius le rapporte dans son livre des Mystères. Héraclite et ses sectateurs adorèrent le feu comme le principe générateur de toutes choses. Quelques-uns l’appelèrent Vulcain ;
65 les Mages des Perses et plusieurs autres habitants de l’Asie en firent l’objet de leur culte. Les Macédoniens l’adorèrent aussi, comme Diogène l’assure dans le premier livre de l’Histoire des Perses.
À quoi bon parler des Sarmates qui, au rapport de Symphodore dans le livre des Mœurs étrangères, rendent au feu des honneurs divins ? Est-il nécessaire de rappeler les Perses, les Mèdes, les Mages ? Dinon assure qu’ils sacrifient dans un lieu découvert, parce qu’ils ne reconnaissent point d’autres figures ni d’autres images des dieux que le feu et l’eau. Je ne tairai point leur ignorance qui, en pensant éviter une erreur, tombe dans une autre. Ils ne croient point, comme les Grecs, à la divinité de la pierre ou du bois ; ils ne croient pas non plus, comme les Égyptiens, à celle des rats et des Ibis ; mais ils pensent avec les philosophes que l’eau et le feu sont les images de la Divinité. Bérose fait voir néanmoins très-clairement dans le second livre de l’Histoire des Chaldéens, qu’après une longue suite d’années ils finirent par adorer des simulacres humains, et que ce fut Artaxerxès, fils de Darius et petit-fils d’Ochus, qui introduisit cet usage ; après avoir élevé dans Babylone une image de Vénus Tanaïde, il l’exposa aux adorations des habitants de Suse, d’Ecbatane, de Damase, de Sardes, de la Perse et de la Bactriane. Que les philosophes avouent donc qu’ils sont les disciples des Perses, des Sarmates, des Mages ; que c’est à leur école qu’ils ont puisé leur impiété avec le culte de leurs principes générateurs. Ignorant le véritable auteur de toutes choses et de ces principes eux-mêmes, ils ont, dans leur ignorance, porté leurs hommages à ces éléments faibles et indignes, comme les appelle l’apôtre, et créés uniquement pour servir à l’usage des hommes.
66 Parmi les philosophes qui ont négligé ces éléments pour s’élever à de plus hautes contemplations, il en est qui ont admis l’infini comme principe. De ce nombre était Anaximène de Milet, Anaxagore de Clazomène et Archélaüs d’Athènes. Mais ils ont cru qu’il y avait une intelligence au-dessus de l’infini. Leucippe de Milet et Métrodore de Chio semblent avoir reconnu deux principes, le plein et le vide. Démocrite l’Abdéritain adopte ces deux principes et en ajoute un troisième, les images des choses. Alcmæon de Crotone a cru que les astres étaient animés et qu’ils étaient des dieux. Je dévoilerai leur extravagance, et particulièrement celle de Xénocrate de Chalcédoine qui fit entendre que les sept planètes étaient des dieux, et que le monde, composé de tout cela, était un huitième dieu. Passerai-je sous silence les Stoïciens, qui ont déshonoré leur philosophie en prétendant que la Divinité se mêle à toute la matière, si abjecte qu’elle puisse être ? Puisque nous avons abordé la question, il sera peut-être utile de dire un mot des Péripatéticiens. Le père de cette école, ignorant quel est le Père de toutes choses, appelle âme de l’univers celui que l’on nomme le Dieu suprême. Il ne s’aperçoit pas qu’en attribuant à l’univers la divinité, il s’établit en contradiction flagrante avec ses principes. En effet, borner d’une part les soins de la Providence au globe lunaire, et de l’autre ériger le monde en Dieu, par conséquent regarder comme dieux des éléments où la Divinité n’est pas, quel témoignage plus manifeste d’erreur et de mensonge ! Un disciple d’Aristote, Théophraste d’Érésus, nomme Dieu tantôt le ciel, tantôt l’Esprit. Je laisse avec plaisir Épicure de côté, puisque ce philosophe, ne reconnaissant qu’un Dieu sans intervention dans les choses humaines, se montre impie sur tous les points. Pourquoi rappeler ici Héraclide le pontique ? Il est emporté constamment dans les images de Démocrite.