Suivant les disciples de Valentin, il existe dans ces hauteurs que l’œil ne peut voir, ni la langue nommer, un Æon parfait, préexistant à tout : il s’appelle Proarche, Propator, Bythus. Depuis une infinité de siècles, cet Æon éternel et incréé s’était complu dans un repos profond, plongé dans son incompréhensibilité et son invisibilité : avec lui coexistait Ennoia, autrement appelée Charis et Sigé. Or, Bythus conçut un jour l’idée de produire toutes choses, et cette idée qu’il avait conçue dans son esprit, il la déposa dans ce même Sigé qui coexistait avec lui. Sigé aurait conçu par la vertu de ce germe reçu en lui, et aurait donné le jour à Nus, semblable à son auteur, égal à lui et seul capable d’en comprendre la grandeur. Ce Nus reçoit des valentiniens le nom d’Unigenitus, de père, de principe : la vérité serait encore née avec lui. Ces quatre Æons forment ensemble la principale et première quaternité pythagoricienne de qui tout émane ; Bythus et Sigé d’abord, puis Nus et la vérité. Mais voici qu’Unigenitus, comprenant le motif de sa naissance, produisit Logos et Zoé, tiges des quaternations subséquentes, principe et formation de tout le Plerum. De l’union de Logos et de Zoé ne tardèrent pas à naître Anthropos et Ecclesia : ainsi fut complétée la première ogdoade, racine, substance, tige de toutes choses, renfermées dans les quatre noms de Bythus, de Nus, de Logos et d’Anthropos. Chacun de ces Æons a deux sexes : c’est d’abord Propator qui produit en s’alliant à Ennoia, ou sa propre pensée, autrement appelée encore Charis et Sigé ; c’est ensuite Unigenitus, autrement appelé Nus, uni à Aletheia ou la vérité ; Logos uni à Zoé ou la vie, et, enfin, Anthropos qui se marie à Ecclesia.
Ces Æons, produits pour glorifier leur auteur, voulant l’honorer par les fruits de leur propre fécondité, s’unirent entre eux et engendrèrent. Logos et Zoé, d’abord immédiatement après la naissance de leurs fils Anthropos et Ecclesia, produisirent dix autres Æons dont les noms suivent : Bythius et Mixis, Ageratus et Henosis, Authophyes et Hædon, Affinetus et Syncrasis, Monogène ; et Macaria : Voilà les dix Æons, nés de Logos et de Zoé. Voici maintenant ceux qui naquirent d’Anthropos et d’Ecclesia, au nombre de douze : Paracletus et Pistis, Patricus et Elpis, Metricus et Agapé, Énos et Sinésis, Ecclesiasticus et Macariathès, Théletos et Sophia.
Tels sont les trente Æons, produit erroné du système des valentiniens, qu’ils n’osent avouer, mais qu’ils reconnaissent en secret ; ils forment, suivant eux, le Plerum invisible et spirituel, divisé en trois ordres : L’ogdoade, la décade et duodécade, symbolisés par les trente ans que le Sauveur (il ne leur plaît pas de l’appeler Seigneur), a passé sur la terre sans se révéler par aucune manifestation publique ; ces trente années figurent, suivant eux, le mystère des trente Æons. Il y a plus, la parabole des ouvriers envoyés à la vigne serait encore une explication claire et symbolique des trente Æons : ne voyez-vous pas, en effet, les ouvriers envoyés vers la première heure ; les seconds, vers la troisième ; puis d’autres vers la sixième ; puis d’autres encore vers la neuvième ; puis d’autres enfin vers la onzième ? Additionnez ces hommes, vous aurez le nombre trente, nombre qui est celui même des Æons ; ce sont là les mystères admirables, les mystères sublimes, les mystères cachés qu’ils ont compris eux, mais que le peuple doit ignorer : c’est ainsi qu’ils interprètent certains passages de l’Écriture, lorsqu’ils croient pouvoir les adapter et les lier à leurs fictions.