Où l’on fait voir que si Jésus-Christ n’est pas d’une même essence avec son Père, Mahomet est un grand prophète, le plus grand des prophètes, et même préférable en toutes manières à Jésus-Christ.
Mais allons plus loin, et disons que, selon cette supposition, Mahomet peut être regardé non seulement comme un prophète, mais comme plus grand que tous les prophètes de l’Ancien Testament. Les prophètes anciens ne parlaient qu’au seul peuple d’Israël ; mais Mahomet a parlé à la plus belle et plus considérable partie de l’univers. Les prophètes se succédaient les uns aux autres, parce qu’un seul ne vivait pas assez longtemps pour instruire les hommes de différents siècles. Mahomet n’a point besoin de compagnon ni de successeurs pour bannir pour toujours l’idolâtrie des pays où sa doctrine a été reçue. Les anciens prophètes ont été suscités extraordinairement pour détruire la superstition et l’idolâtrie, en faisant divers miracles. Mahomet a ruiné sans miracles une idolâtrie répandue dans tout l’univers. Enfin, si Moïse a été honoré du titre glorieux d’ami de Dieu, parce que Dieu lui révélait sa volonté sans obscurité et sans énigme, il faut estimer encore davantage le privilège de Mahomet, qui n’aura pas seulement connu la volonté de Dieu, mais qui l’aura très distinctement fait connaître. Moïse n’a point connu Dieu tel qu’il était ; Jésus-Christ seul l’a connu, et l’a fait connaître. Mais si les principes de nos adversaires sont vrais, Mahomet l’a encore mieux fait connaître que n’a fait Jésus-Christ. Et ceci nous conduit insensiblement à montrer que dans leurs hypothèses, Mahomet doit être regardé comme un plus grand prophète que Jésus-Christ.
C’est de quoi il faudra demeurer d’accord, soit que vous considériez sa doctrine, soit que vous regardiez le succès de son ministère. Si vous considérez le succès de sa doctrine, la chose parle. Jésus-Christ a fait recevoir son Évangile dans tout l’univers ; mais à peine a-t-il détruit une espèce de superstition, que les hommes retombent dans une autre qui n’est pas moins dangereuse ; et ils ne sont pas plus tôt délivrés de l’idolâtrie païenne, qu’ils tombent dans l’idolâtrie chrétienne. Mahomet a établi sa religion sur des fondements plus fermes, et il a pris des mesures plus justes pour empêcher que l’idolâtrie ne renaquît après avoir été détruite, puisque nous voyons que, depuis que sa religion subsiste, ses disciples n’ont aucun penchant à cette espèce de superstition.
Il ne faut pas s’en étonner. Le désavantage que Jésus-Christ a dans cette comparaison, vient, si le principe de nos adversaires est véritable, de ce que la doctrine de Mahomet a un caractère naturel qui est plus opposé à l’idolâtrie que n’est celle de Jésus-Christ. Que l’on considère bien le langage de Jésus-Christ, soit lorsqu’il parle par lui-même, soit lorsqu’il parle par le ministère de ses disciples, et qu’on le compare avec le langage de Mahomet, et l’on en sera persuadé.
Jésus-Christ, parlant par lui-même, ou par ses serviteurs, vous diraa : Qu’il a été fait avant Jean Baptiste ; qu’il était avant qu’Abraham fût ; qu’il a eu sa gloire par devers son Père avant la naissance du monde ; qu’il est l’Apha et l’Oméga, le commencement et la fin, le premier et le dernier ; qu’il était au commencement ; qu’il était avec Dieu ; qu’il était Dieu ; que toutes choses ont été faites par lui ; que sans lui rien de ce qui a été fait n’a été fait ; que les siècles ont été faits par lui ; que toutes choses ont été créées par lui, tant celles qui sont au ciel que celles qui sont en la terre, les choses visibles et les choses invisibles, soit les trônes, soit les dominations, soit les principautés, soit les puissances ; que toutes choses ont été faites par lui et pour lui ; qu’il est avant toutes choses, et que toutes choses subsistent par lui. Il vous dira qu’il y a un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par lequel sont toutes choses, et nous par lui ; que c’est lui qui a fondé la terre, et que les cieux sont les œuvres de ses mains.
a – Jean ch. 1 ; Hébreux ch. 1 et 8 ; Apocalypse ch. 17 ; 1 Corinthiens ch. 8.
Il se nomme le Fils de Dieu, le Fils unique de Dieu, le propre Fils de Dieu, l’unique issu du Père, Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous, Dieu manifesté en chair, et justifié en esprit, le Seigneur et le Dieu ; quelquefois, le Sauveur et grand Dieu, le Dieu et le Sauveur de toute la terre, l’Éternel notre justice.
Mais afin que nous ne doutions point du sens dans lequel toutes ces expressions conviennent à Jésus-Christ, il est infiniment remarquable que, parlant par lui-même ou par ses serviteurs qu’il a instruits et remplis de son Esprit, il s’applique à lui-même les oracles des prophètes qui font mention du Dieu souverain, et qui contiennent les caractères de sa gloire la plus propre et la plus incommunicable. Il avait été dit au livre des Chroniques, que Dieu seul connaît les cœurs des fils des hommes. Jésus-Christ s’attribue ce titre glorieux comme un titre qui doit lui attirer la crainte et l’admiration des hommes. Et toutes les Églises sauront, dit-il dans l’Apocalypse, que je suis le scrutateur des reins et des cœurs, et je rendrai à chacun selon ses œuvres. Il a été dit dans la loi : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu serviras lui seul, suivant l’expression qu’en donne Jésus-Christ. Et l’auteur de l’épître aux Hébreux nous apprend que Dieu dit en introduisant son Fils premier-né au monde : Que tous les anges l’adorent. Il a été dit du Messie par un prophète : L’esprit du Seigneur est sur moi, car le Seigneur m’a oint ; il m’a envoyé pour porter de bonnes nouvelles aux affligés, pour guérir les désolés de cœur, et pour publier aux prisonniers leur délivrance, l’ouverture de leur prison, etc. Je suis le Seigneur, l’Éternel, aimant jugement, et haïssant l’injustice pour l’holocauste ; j’établirai leur œuvre en vérité, et je traiterai avec eux une alliance éternelle. Jésus-Christ s’applique cet oracle en Luc 4.18, lorsqu’il dit aux Juifs : Aujourd’hui cette Écriture est accomplie, etc. Les prophètes avaient parlé d’une voix qui crierait au désert : Préparez le chemin du Seigneur ; faites droits ses sentiers. Et Esaïe, prévoyant ce temps-là, exhorte Sion à annoncer bonnes nouvelles, à élever sa voix avec force, et à dire aux villes de Juda : Voici ton Dieu ; ajoutant immédiatement après : Voici le Seigneur viendra avec force, et son bras aura domination, etc. Il paîtra son troupeau comme le berger. Il assemblera de ses bras les agneaux, et les portera en son sein, etc. Et puis : Qui est celui qui a mesuré les eaux avec le creux de sa main, et qui a compassé les cieux avec sa paume ; qui a pris la poudre de la terre avec trois doigts ; qui a pesé au crochet les coteaux, et les montagnes à la balance ? Qui est celui qui a adressé l’esprit du Seigneur, ou qui a été son conseiller ? etc. Voici les nations sont comme une goutte d’eau, et sont estimées comme un grain en la balance ; il jette au loin les îles comme de la poudre menue, etc. Ce sont là, sans difficulté, les caractères de l’Être souverain, et cependant l’Évangile en fait l’application à Jésus-Christ, puisque Jean-Baptiste est cette voix qui crie au désert, ou que c’est devant Jésus-Christ que Jean-Baptiste a préparé le chemin, et que peu après on a entendu les messagers de paix dire aux villes de Juda : Voici ton Sauveur qui vient ; voici votre Dieu. Dieu avait dit par la bouche du prophète Esaïe : Dites aux troublés de cœur : Soyez consolés, et ne craignez plus ; voici votre Dieu viendra prenant vengeance ; Dieu viendra donnant rétribution, et il vous sauvera ; alors les yeux des aveugles seront ouverts, et les oreilles des sourds seront débouchées ; alors sautera le boiteux comme le cerf, et la langue des muets chantera, etc. Lisez le chap. 11 de saint Matthieu, et vous verrez que Jésus-Christ se fait visiblement l’application de cet oracle dans la réponse qu’il fait aux disciples de Jean. Il se déclare donc pour le Dieu des Israélites, le Dieu qui doit les consoler, et aussi le Dieu de rétribution et de vengeance, le Dieu de leur salut, qui sont tous des titres que le Dieu souverain a accoutumé de prendre dans les anciens oracles. Il avait été dit à Dieu par la bouche du Psalmiste (Psaumes 102) : Tu as au commencement fondé la terre, et les eaux sont l’ouvrage de tes mains ; ils périront, mais tu seras permanent : ils vieilliront tous comme un vêtement ; tu les changeras comme le vêtement, et ils seront changés ; mais toi, tu es toujours le même, et tes ans ne prendront jamais de fin. On ne peut nier que toutes ces choses ne soient dites au Dieu souverain et du Dieu souverain, aussi bien que le commencement du cantique qui commence ainsi : Seigneur, entends mon oraison, et que mon cri parvienne jusqu’à toi. Et ces expressions qui en sont la suite : Tu te lèveras, et auras compassion de Sion, etc. Alors les nations redouteront le nom du Seigneur, et tous les rois de la terre ta gloire, quand le Seigneur aura réédifié Sion, et sera apparu en sa gloire, d’autant qu’il a regardé de son saint lieu qui est là-haut, et que le Seigneur a contemplé du ciel en la terre. Il est très évident qu’il s’agit là du Dieu souverain, et plus évident encore que cet oracle est appliqué à Jésus-Christ au chap. 1 de l’épître aux Hébreux. C’est au Dieu souverain que le Psalmiste s’adresse lorsque après avoir dit : La chevalerie de Dieu est de vingt mille, et de milliers d’anges (Psaumes 68). Le Seigneur est entre eux au sanctuaire, comme en Sina. Tu es monté en lieu haut ; Tu as pris des dons entre les hommes, etc. Dieu soit béni, lequel tous les jours nous charge de ses biens ; et c’est ici le Dieu de notre salut, Selah. C’est ici le Dieu souverain, le père de Notre-Seigneur Jésus-Christ,-qui a des légions d’anges en sa disposition, comme Jésus-Christ le dit lui-même ; c’est le Dieu béni, le Dieu qui était monté en un lieu élevé dans l’arche qu’il remplissait d’une manière particulière, le Dieu qui distribue ses dons aux hommes ; mais c’est aussi Jésus-Christ, selon l’application que lui en fait l’apôtre en ces termes qui lèvent toute difficulté à cet égard : Mais la grâce est donnée à chacun de nous selon la mesure du nom de Christ ; pour laquelle chose il dit : Etant monté en haut, il a mené captive une grande multitude de captifs, et a donné des dons aux hommes. Or, ce qu’il est monté, qu’est-ce, sinon qu’il était premièrement descendu dans les parties les plus basses de la terre ? Ces dernières paroles montrent que-c’est à Jésus-Christ que cet ancien oracle est appliqué ; et il ne faut que considérer l’oracle même, pour voir qu’il regarde manifestement le Dieu souverain. Il avait été dit par les prophètes (Zacharie ch. 10), que Dieu répandrait sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem, l’esprit de grâce et de miséricorde, qu’ils regarderaient vers lui qu’ils auraient percé, qu’ils le plaindront comme l’on plaint un fils unique, et qu’ils mèneraient deuil sur lui, comme l’on mène deuil sur la mort d’un premier-né. On ne peut douter que ce ne soit le Dieu souverain qui parle dans cette prophétie. Il n’y a qu’à écouter le prophète qui nous l’apprend dès l’entrée du chapitre, en ces termes : Le Seigneur qui étend le ciel et qui fonde la terre, et qui forme l’esprit de l’homme en lui, a dit : Voici je mettrai Jérusalem, etc. Et quelque temps après, sans changer de personne : Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem l’esprit de grâce et de miséricorde ; et ils regarderont vers moi qu’ils ont percé, etc. Saint Jean, dans son Apocalypse, fait l’application de cet oracle à Jésus-Christ. Voici, dit-il, il vient avec les nuées, et tout œil le verra, même ceux qui l’ont percé. Mais si l’on se défie de ce témoignage, et qu’on ne le trouve pas assez évident, il faut du moins acquiescer à celui que nous lisons au chap. 19 de l’Évangile de cet apôtre, en ces mots : Et derechef une autre Écriture dit : Ils verront celui qu’ils auront percé. Ainsi l’oracle s’entend très certainement du Dieu souverain, et très certainement encore, c’est en Jésus-Christ que l’évangéliste en cherche l’accomplissement. C’est le Dieu souverain que le prophète Esaïe introduit parlant ainsi : J’ai juré par moi-même, et la parole est sortie en justice hors de ma bouche, et ne retournera point à moi ; c’est que tout genou se ploiera devant moi, et toute langue jurera à moi. Je dis que celui qui parle dans cette prophétie est le Dieu souverain. Le prophète le dit expressément dans les versets qui précèdent : Car voici ce que dit le Seigneur qui a créé les cieux. Je suis l’Éternel qui a formé la terre, etc. Je suis le Seigneur, l’Éternel, et il n’y en a point d’autre, etc. Et peu après : N’est-ce pas moi l’Éternel votre Dieu, sans qu’il y ait autre Dieu que moi ? etc. Vous tous, les limites de la terre, regardez vers moi, et vous serez sauvés ; car il n’y en a point d’autre. J’ai juré par moi-même, etc., c’est que tout genou se ploiera devant moi, et toute langue me donnera gloire. Cependant il est certain que saint Paul en fait l’application à Jésus-Christ ; car après avoir dit, Rom. ch. 10, que nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Christ, il ajoute : Car il est écrit : Je suis vivant, dit le Seigneur, que tout genou se ploiera devant moi, et toute langue donnera louange à Dieu.