Je vis alors, dans mon rêve, que le chemin élevé où Chrétien marchait était bordé, de chaque côté, par un mur nommé le Salut (Esaïe 26.1).
Le Pèlerin se mit à courir aussi vite que le fardeau dont il était chargé le lui permettait.
Il avança ainsi jusqu'à une place plus élevée, où se trouvait une croix, et un peu plus bas, un tombeau. Au moment où Chrétien arriva près de la croix, son fardeau tomba de ses épaules, et se mit à rouler jusqu'à ce qu'il arrivât à l'entrée du sépulcre, où il s'engouffra. On ne le revit jamais.
Au moment où Chrétien arriva près de la croix, son fardeau tomba de ses épaules.
Alors Chrétien s'écria, plein de joie : « Il m'a donné le repos par ses souffrances, et la vie par sa mort ! » Il resta un instant immobile, étonné de ce que la seule vue de la croix l'eût ainsi déchargé de son fardeau. Il la regarda, la contempla jusqu'à ce que les larmes coulassent sur son visage. (Zacharie 12.10 ; Jérémie 8.23)
Tandis qu'il pleurait, ainsi arrêté, trois personnages resplendissants s'approchèrent de lui et le saluèrent en disant : « La paix soit avec toi ! » Le premier lui dit : Tes péchés te sont pardonnés; (Marc 2.5) le second le dépouilla de ses haillons, (Zacharie 3.4) et le revêtit d'habits magnifiques ; le troisième mit une marque sur son front, et lui donna un rouleau scellé. (Ephésiens 1.13)
Il lui recommanda de bien en prendre soin pendant son voyage, afin qu'il put le remettre à la porte céleste, ajoutant qu'il ne serait pas reçu sans cela. Puis ces trois messagers étant disparus, Chrétien continua sa route en chantant :
Chargé du faix insupportable
Du péché, je n'avais ni trêve, ni repos ;
Mais enfin, dans ce lieu, ô bonheur ineffable !
Je trouve un terme à tous mes maux.
Quelle vertu, quelle efficace
Se déploie en ce lieu sur les pauvres pécheurs,
Qu'ils sentent, sur le champ, ô l'indicible grâce,
D'un tel poids soulagés leurs cœurs.
Ici, je sens finir les peines
Que ce pesant fardeau m'a fait longtemps souffrir
Ici, dans un instant, je vois tomber mes chaînes !
Dois-je encor craindre de mourir ?
Béni soit ce bois salutaire,
Bénie soit cette mort qui nous rend le repos !
Mais béni soit surtout le Sauveur débonnaire,
Qui, pour nous, souffrit tant de maux !
En continuant sa course, Chrétien arriva dans une vallée où il vit, un peu en dehors du chemin, trois hommes dormant profondément ; ils avaient les jambes liées de chaînes. L'un se nommait Stupide, le second Paresseux, et le troisième Présomptueux.
Les voyant dans cet état, Chrétien s'approcha d'eux et chercha à les réveiller en leur criant : « Vous êtes comme ceux qui dorment au sommet d'un mât, tandis que les flots grondent au-dessous d'eux et que la mer va les engloutir ! » (Proverbes 23.24) Réveillez-vous, levez-vous, et je vous aiderai à vous débarrasser de vos chaînes ! Il leur dit encore : « Si celui qui rôde, comme un lion rugissant, (1 Pierre 5.8) cherchant qui il pourra dévorer, s'approche de vous, vous deviendrez certainement sa proie !
Ils se contentèrent de le regarder et de lui répondre ainsi Stupide dit : « Je ne vois aucun danger » ; Paresseux : « Encore un peu de sommeil ! » et Présomptueux : « Chacun doit se tirer d'affaire lui-même. » Puis ils se rendormirent, et Chrétien continua son chemin.
Il était triste à la pensée que ces hommes couraient un réel danger, et qu'ils n'avaient pas su apprécier l'effort qu'il avait fait pour les sauver en les réveillant, les exhortant et en leur offrant de les débarrasser de leurs chaînes.
Pendant qu'il déplorait leur aveuglement, il aperçut deux hommes qui enjambaient la muraille, du côté gauche du chemin, et qui se mirent à marcher avec lui. L'un se nommait Formaliste et l'autre Hypocrite.
— D'où venez-vous, Messieurs, et où allez-vous ? leur demanda Chrétien.
— Nous sommes nés dans le pays de la Vaine-Gloire, et nous allons à la montagne de Sion pour y recevoir des louanges.
— Pourquoi n'êtes-vous pas entrés par la porte qui se trouve au commencement de ce chemin ? Ne savez-vous pas qu'il est écrit de celui qui n'entre pas par la porte, mais s'introduit d'une autre façon, qu'il est un voleur et un brigand ? (Jean 10.1)
Ils répondirent que tous leurs compatriotes, estimant qu'il avait un trop grand détour à faire pour entrer par la porte, avaient l'habitude de couper court, et d'enjamber, comme eux, la muraille.
— Mais ne considérez-vous pas que c'est une offense contre le Seigneur du lieu, de violer ainsi ses ordres ?
Ils lui répondirent qu'il ne devait pas se casser la tête à ce sujet, parce que cette coutume était établie depuis près de deux mille ans, comme ils pouvaient le prouver.
— Mais, objecta Chrétien, pensez-vous que votre manière d'agir puisse se soutenir devant la Loi ?
— Une coutume si ancienne serait sans doute admise comme légale, répliquèrent-ils, et pourvu que nous soyons dans le chemin, peu importe comment nous y sommes entrés. Toi qui as passé par la porte, qu'as-tu de plus que nous qui sommes arrivés dans le chemin d'une autre manière ?
— J'obéis à l'ordre du Maître, répondit Chrétien, tandis que vous obéissez à votre fantaisie. Le Seigneur vous a déjà désignés comme larrons ; je doute beaucoup que vous soyez trouvés justes au bout du chemin. Vous êtes venus ici sans être guidés par lui, vous serez peut-être chassés, plus tard, sans miséricorde.
Ils ne surent trop que lui répondre, aussi se bornèrent-ils à le prier de s'occuper de ses propres affaires ; puis ils poursuivirent leur route sans beaucoup parler.
Ils lui dirent encore, cependant, qu'ils observaient, aussi bien que lui, les ordonnances de la Loi.
— C'est pourquoi, ajoutèrent-ils, nous ne voyons pas en quoi tu diffères de nous, si ce n'est par les vêtements que tu portes, et qui t'ont sans doute été donnés, par quelque ami, pour cacher la honte de ta nudité.
— Vous ne pouvez être sauvés par l'observation de la Loi, répondit Chrétien. Et quant à l'habit que je porte, il m'a été donné par le Seigneur du lieu où je me rends, et comme vous le dites, pour couvrir la honte de ma nudité. C'est une preuve de sa bienveillance à mon égard, car auparavant, je ne possédais que des haillons, et je me dis que lorsque j'arriverai à la porte de la ville, le Seigneur me recevra quand il verra, sur ma personne, l'habit qu'il m'a donné. J'ai aussi une marque sur mon front ; vous ne l'avez peut-être pas remarquée ; elle m'a été faite par un des fidèles associés du Maître, le jour où mon fardeau est tombé de mes épaules. Je vous dirai encore, qu'il m'a donné un rouleau scellé de son sceau, pour me consoler pendant mon voyage. Je dois remettre ce rouleau à la porte céleste pour pouvoir entrer. Vous ne pouvez posséder aucune de ces choses, puisque vous n'êtes pas entrés par la porte étroite.
Les deux hommes ne répondirent rien, ils se contentèrent de se regarder et de sourire.
Je les vis, ensuite, continuer tous trois leur chemin, mais Chrétien marchait toujours le premier, ne s'entretenant qu'avec lui-même ; par moments il soupirait, d'autres fois, il tressaillait de joie. Il lisait souvent dans le rouleau qu'un des trois messagers lui avait donné, et cela le réconfortait.