On donne le nom de Pères apostoliques à un certain nombre d’écrivains ou d’écrits (dont plusieurs sont anonymes) qui datent de la fin du ier ou de la première moitié du iie siècle. Ce nom vient de ce que ces auteurs sont censés avoir connu les apôtres, et représentent un enseignement immédiatement ou presque immédiatement dérivé du leur. Leurs ouvrages continuent la littérature des évangiles et des écrits apostoliques.
D’autre part, ces ouvrages n’offrent ni l’intensité de sentiment des œuvres canoniques, ni la plénitude de pensée théologique de la littérature postérieure. Si l’on excepte saint Ignace, leurs auteurs y montrent peu de puissance et d’élan intellectuels, preuve que le christianisme s’est recruté d’abord dans un milieu peu lettré. Ils n’en ont pas moins pour nous une très grande valeur, soit à cause de leur ancienneté, soit parce qu’ils témoignent de la façon dont les chrétiens de la seconde et de la troisième génération avaient compris l’œuvre de Jésus-Christ et des apôtres.
On compte une dizaine environ de Pères apostoliques. La moitié de leurs écrits se compose d’épîtres (Clément, Ignace, Polycarpe, Pseudo-Barnabé) ; l’autre moitié de traités doctrinaux, parénétiques ou disciplinaires (la Didachè, la Secunda, Clementis, Hermas, Papias, le Symbole des apôtres).
[L’édition des Pères apostoliques de Migne (P. G., i, ii, v) est absolument insuffisante. Il faut pratiquement se servir de celle de F. X. Funk, Patres apostolici, Tubingae, 1901, en 2 vol. avec traduct. latine et notes (le deuxième volume a été revu et réédité par F. Diekamp en 1913), ou des éditions séparées de la collection Hemmer et Lejay. On a encore les édit. mineures (sans traduction ni notes) de Funk et de Harnack, Gerhardt et Zahn. Voir Freppel, Les Pères apostoliques et leur époque, Paris, 4e éd., 1885.]
D’après la tradition la plus sûre, saint Clément fut le troisième successeur de saint Pierre, le quatrième évêque de Rome (Pierre, Lin, Anaclet, Clément). Rien n’établit qu’il faille l’identifier, avec le Clément dont parle saint Paul (Philipp.4.3), encore moins avec le consul Flavius Clemens, cousin de Domitien, décapité en 95 ou 96. Mais il a dû connaître les apôtres, et c’était peut-être un affranchi ou un fils d’affranchi de la gens Flavia d’où il aura tiré son nom. Quoi qu’on en décide, Clément fut certainement un pontife remarquable par quelque endroit, car il a laissé dans l’Église un souvenir profond. Outre une deuxième épître qui n’est pas de lui, on lui a attribué deux épîtres aux vierges, deux épîtres à Jacques, le frère du Seigneur, la collection des homélies dites clémentines, et on lui a fait jouer dans le roman des Récognitions un des rôles principaux. A la fin du ive siècle, Rome l’honorait comme un martyr ; mais les actes que l’on donne comme ceux de son martyre ne lui appartiennent pas ; ce sont les actes d’un autre Clément, martyr grec inhumé à Cherson, avec qui on l’a confondu.
On possède du pape Clément un seul écrit authentique : c’est une épître aux Corinthiens, contenue dans deux manuscrits grecs, l’Alexandrinus, probablement du ve siècle (actuellement au British Museum), et le Constantinopolitanus ou mieux le Hierosolymitanus, daté de 1056, actuellement à Jérusalem. Le premier est incomplet de la portion 57.6 à 63.4 ; le second est complet. Il en existe de plus une version latine très littérale, qui paraît remonter au iie siècle, une version syriaque et deux versions coptes incomplètes.
Cette épître ne porte pas de nom d’auteur. Elle se présente, dès le début, comme une lettre de « l’Église de Dieu qui séjourne à Rome à l’Église de Dieu qui séjourne à Corinthe ». Mais bien qu’écrivant au nom d’une collectivité, il est certain que son auteur est un personnage unique et que cet auteur est Clément. La preuve décisive en est fournie par le témoignage de Denys de Corinthe (vers 170-175) on ne peut mieux placé pour être bien renseigné (Eusèbe, H. E., 4.23.11). On y peut joindre les témoignages d’Hégésippe, de Clément d’Alexandrie et même de saint Irénée (Adv. haer., 3.3.3). Saint Polycarpe a connu certainement notre écrit, puisqu’il s’est efforcé de l’imiter dans son épître aux Philippiens, et cette circonstance seule prouve qu’il remontait à peu près au temps de saint Clément.
Or le pontificat de Clément se place entre les années 92 et 101. D’autre part, sa lettre a été rédigée au sortir d’une persécution qui paraît être celle de Domitien. Celle-ci s’est terminée en 95 ou 96. C’est donc entre les années 95-98 que Clément a écrit aux Corinthiens.
L’occasion qui l’y invita fut un schisme qui se produisit dans l’Église de Corinthe. Un ou deux meneurs (47.5-6) y avaient soulevé la masse des fidèles contre les presbytres, dont plusieurs, de vie irréprochable, avaient été destitués de leurs fonctions. Nous ignorons ce dont on les accusait. L’Église de Rome eut connaissance de ces troubles par la rumeur publique, car il ne semble pas, malgré ce qui est dit 1.1, qu’elle ait été avisée par l’Église de Corinthe elle-même, ni sollicitée d’intervenir. Mais Clément était papeb et il intervint. Il intervint pour ramener la paix dans les esprits et indiquer les remèdes à la situation.
b – Anachronisme et abus évident de langage de la part de l’auteur, qui est catholique romain ; la papauté n’existait pas au deuxième siècle telle que nous l’entendons aujourd’hui. (ThéoTEX)
Son épître se divise en deux grandes parties. Une partie générale (ch. 4 à 38) comprend une série d’exhortations à pratiquer les vertus de charité, de pénitence, d’obéissance, d’humilité, de foi etc., propres à maintenir la bonne harmonie entre les fidèles. Elle est coupée (ch. 23 à 30) par un développement sur la certitude et la gloire de la résurrection future. La seconde partie (ch. 39 à 59) vise particulièrement les faits signalés à Corinthe. C’est Dieu qui a établi l’ordre de la hiérarchie ecclésiastique. Dieu a envoyé Jésus-Christ ; Jésus-Christ a établi les apôtres ; les apôtres ont, à leur tour, établi des évêques et des diacres, lesquels se sont, quand il l’a fallu, choisi des successeurs. A ces hommes on doit la soumission et l’obéissance. Ç’a donc été une faute de destituer les presbytres de leurs fonctions. Les coupables doivent faire pénitence et s’éloigner, pour un temps, de Corinthe, afin que la paix y revienne. — L’écrit se continue par une longue prière (59.3 à ch. 61) où alternent les louanges de Dieu et les supplications pour les chrétiens et aussi pour les princes ; et il s’achève sur de nouvelles exhortations à la concorde et des souhaits spirituels (ch. 62 à 65).
L’épître de saint Clément a joui dans l’antiquité de la plus haute estime, au point d’être mise par quelques auteurs au nombre des écrits inspirés. Saint Irénée l’appelle une lettre « très forte » ; Eusèbe une lettre « grande et admirable », et ce dernier témoigne qu’en beaucoup d’Églises elle était lue publiquement dans les réunions des fidèles (H.E., 3.16). Elle mérite cette estime par l’heureux mélange d’énergie et de douceur qui s’y rencontre ; par la finesse d’observation, la délicatesse de touche et l’élévation des sentiments dont l’auteur y fait preuve partout. La grande prière de la fin est d’une inspiration très haute. Il est fâcheux que l’abus des citations de l’Ancien Testament, dans la première partie surtout, brise parfois le développement et l’élan de la pensée.
Au point de vue théologique, l’épître de saint Clément a une importance considérable. Elle est « l’épiphanie de la primauté romaine », la première manifestation du sentiment qu’on en avait à Rome. Elle contient aussi la première affirmation patristique du droit divin de la hiérarchie (42.1,2,4 ; 44.2).