Le Jour du Seigneur, étude sur le Sabbat

1.2.2 — Documents païens.

Introduction

Y a-t-il dans les documents païens des traces de l’institution du sabbat primitif, en dehors de la ligne centrale des Révélations, c’est-à-dire, en dehors des Juifs et des chrétiens ou de l’influence des uns et des autres ? Telle est la question que nous avons à examiner le plus sommairement possible et dont l’examen approfondi, qui rentrerait spécialement dans le domaine de l’histoire des religions, des arts et des sciences, serait susceptible de provoquer des études vastes, difficiles et des développements considérables. Ce qui serait déjà bien propre à le faire sentir, c’est l’opposition souvent tranchée des opinions qui se sont fait jour à cet égard depuis les temps anciens jusqu’à notre époque. Citons-en quelques exemples, en parlant en même temps soit de la semaine, soit de la célébration du 7e jour.

D’un côté, les juifs alexandrins Aristobule et Philon sont portés à retrouver beaucoup trop dans l’antiquité païenne le respect du 7e jour. On connaît le mot de Philon, qui désigne le sabbat comme « une fête de l’univers, méritant véritablement d’être appelée et la seule fête générale et la fête commémorative de la naissance du mondea. » De l’autre, des autorités juives anciennes et respectées ne feraient remonter l’institution du sabbat qu’au séjour des Israélites dans le désert de Mara. (Exode 15.25)

aDe Opificio mundi, l, 21.

Parmi les Pères, les uns, tels que Clément d’Alexandrie et Eusèbe de Césarée, suivent l’exemple d’Aristobule et de PhiIon, tandis que d’autres, comme Cyrille d’Alexandrie et Théodoret, ne voient dans le sabbat qu’une institution de l’Ancienne Alliance.

Au xviiie siècle, Grotius, dans son De veritate religionis christianæi, insiste sur l’universalité de la célébration du 7e jour, et Selden le réfute dans son De jure naturali et gentili juxta disciplinant Hebræorum, Londres, 1640.

En 1704, Jurieu dit au sujet de l’antiquité antémosaïque du sabbat : « Cette question a été extrêmement agitée dans notre siècle, et il n’y a point d’auteurs qui ayant écrit sur le décalogue ou sur le second chapitre de la Genèse, n’aient amplement traité cette matière. Presque tous nos théologiens sont dans le sentiment que l’institution et l’observation du sabbat sont de tout temps. Les docteurs qui sont dans l’opinion contraire se font remarquer par leur singularité et se sont mis une grande foule de contradicteurs sur les bras. Gomarus, célèbre théologien de l’académie de Leydeb, est un de ceux qui ont osé se séparer de la foule. Mais Rivet, dans sa dissertation de l’origine du sabbat, lui met en tête une foule de témoins.

b – C’est le fougueux calviniste, adversaire des arminiens.

[Ce doit être André Rivet, théologien français, collègue de Gomar à l’université de Leyde. Il semble du reste qu’il y ait dans ces dernières lignes de Jurieu une étrange méprise : Gomar apparaît comme l’adversaire du sabbat primitif et Rivet, comme son partisan. Or, comme on pouvait s’y attendre, c’est précisément, l’inverse qui est vrai, ainsi que cela ressort des détails que Henke a donnés récemment sur cette controverse. (Theologische Studien und Kritiken, 1886, p. 645).]

Le partage est un peu moins inégal entre les docteurs de l’Église romaine. Cependant je crois qu’il y en a pour le moins autant qui tiennent pour l’antiquité du sabbat que d’autres qui la combattent. Je crois aussi qu’entre les Juifs modernes, le plus grand nombre est pour cette antiquité du sabbat. » (Histoire critique, p. 104).

Jurieu avoue ensuite que lui-même, après s’être « laissé emporter à la multitude, » a « été contraint d’en revenir après avoir bien étudié la matière. » Cependant l’opinion qu’il a développée est réellement intermédiaire, car s’il n’admet pas l’antiquité antémosaïque du sabbat, il admet celle de la semaine, double opinion qui est également celle de Œhler et celle de l’évêque de Carlisle. Il justifie le parti qu’il a pris à l’égard de la semaine, en disant que la tradition concernant les sept jours de la création avait dû se conserver et se transmettre par les patriarches.

L’illustre astronome Laplace, dans son Exposition du système du monde, ouvrage dont la première édition parut en 1796, n’hésite pas à dire : « La semaine, depuis la plus haute antiquité, dans laquelle se perd son origine, circule sans interruption à travers les siècles, en se mêlant successivement aux calendriers successifs des différents peuples. Il est remarquable qu’elle se trouve identiquement la même sur toute la terre… C’est peut-être le monument le plus ancien et le plus incontestable des connaissances humaines ; il paraît indiquer une source commune, d’où elles se sont répandues… »

De son côté, Fr. Arago s’exprime ainsi : « Goguet, adoptant sans réserve les opinions de Philon, de Josèphe, de saint Clément d’Alexandrie, a prétendu qu’une période de sept jours fut en usage chez tous les peuples de l’antiquité. D’autres, Costard, par exemple, ont soutenu que seuls les Juifs employèrent la semaine dans ces temps reculésc. Il en est enfin, parmi lesquels je citerai Daunou, qui repoussent l’une et l’autre de ces opinions extrêmes. Suivant eux, la semaine figure, comme division du temps, chez les anciens Chinois, chez les Juifs, les Egyptiens, les Chaldéens et les Arabes. D’autre part, l’institution leur paraît avoir été inconnue en Perse, en Grèce, à Rome, à Carthage, etc. Telle est aujourd’hui l’opinion qui a le plus d’adhérents ; mais nous ne pouvons pas, sans sortir de notre cadre, nous livrer à la discussion minutieuse des passages qui ont semblé l’appuyer sur des bases solides. »

c – « On peut voir cette opinion développée par Alf. Maury, dans une note d’une dissertation de Biot sur la « Chronologie astronomique, » insérée au tome XXII des Mémoires de l’Académie des sciences. »

Parmi les théologiens de notre époque, Hengstenberg et Œhler eux-mêmes ont pensé que le premier commandement du sabbat se trouvait dans Exode 16, bien qu’Œhler admette d’ailleurs pour les patriarches l’existence de la semaine qui, selon lui, s’est formée vraisemblablement comme division du mois lunaire synodique, et la large diffusion, dans l’antiquité, du respect pour le nombre 7. Fréd. Godet, tout en reconnaissant hautement l’institution paradisiaque du sabbat, a dit que chez les nations païennes on ne trouve « nul vestige d’une forme sabbatique quelconqued. » Par contre, nous pouvons citer comme étant d’un autre sentiment Oschwald, d’Orelli et bien d’autres.

dConférences de Genève, I, 35. Godet est moins péremptoire dans son Dimanche, p. 9. La Bible annotée l’est moins encore à propos, de Genèse 2.3.

Quelques mots encore concernant les différentes opinions émises plus ou moins récemment sur les nations païennes où se trouvait l’institution de la semaine, et nous arriverons à ce qui nous semble le mieux établi, dans l’état actuel de la science, sur le sujet général des traces du sabbat primitif parmi ces nations.

Nous avons vu déjà que Laplace et Goguete admettaient l’universalité de l’institution de la semaine. Alex, de Humboldt reconnaissait l’institution de la semaine chez les Hindous, les Chinois, les Assyriens, les Egyptiens et en général chez la plupart des peuples de l’ancien monde, mais non chez les Péruviens, malgré Bailly et Lalande, ni chez aucun autre peuple de l’Amérique, ni chez les habitants du Latium et de l’Etrurie, ni chez les Persans et les Japonais. Nous avons dit que Fr. Arago parle de l’opinion de Daunou comme ayant recruté le plus grand nombre d’adhérents et comme admettant la semaine chez les anciens Chinois, les Juifs, les Egyptiens, les Chaldéens et les Arabes, mais non chez les Perses, en Grèce, à Rome, etc. Oschwald parle de l’institution de la semaine chez toutes les nations historiques de l’antiquité, en particulier chez les peuples sémitiques autres que les Hébreux, chez les Grecs, les Egyptiens, les tribus Indo-germaniques, les Chinois, et d’une célébration du 7e jour chez les Egyptiens, les Arabes, les Grecs, les Romains et les noirs de la Côte-d’Or. G. Godet, dans une des notes fort intéressantes dont il a fait suivre sa traduction des Origines de l’histoire sainte d’après la Genèse, par Thiersch (1882, p. 404), insiste sur l’institution de la semaine et sur la célébration du 7e jour chez les Babyloniens, sur l’institution de la semaine chez les Chinois et les Péruviens. Riehm, dans l’article Woche du Handwörterbuch, admet l’institution primitive de la semaine, « par exemple, chez les Chinois, les Péruviens et les Babyloniens. » D’Orelli, dans l’article Sabbath du Biblisches Handwörterbuch, dit que d’autres peuples que les Israélites, en particulier les Assyriens et les Babyloniens, avaient non seulement la semaine, mais encore un certain repos le 7e jour.

eDe l’origine des lois, des arts et des sciences et de leurs progrès chez les différents peuples Paris, 1758, 3 vol.

Comme nous allons essayer de le montrer, il nous semble que dans l’état actuel de nos connaissances, on peut constater des traces directes ou indirectes de l’institution primitive du sabbat, tout au moins chez des peuples aussi divers que les Egyptiens, les Chaldéens, les anciens Arabes, les anciens Perses, les Grecs et les Romains, les Chinois, les Péruviens et les noirs de l’Afrique occidentale.

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