Belles dans leur forme, les paraboles le sont encore plus dans le fond. « Pommes d’or dans des paniers d’argent », elles brillent à la fois par le contenant et le contenuv. En recueillir tout le fruit sans en rien perdre est donc de la plus haute importance. Mais, tout d’abord on se demande : que faut-il envisager dans les paraboles comme ayant une signification utile ? Sur ce point, les opinions les plus diverses se sont produites. Quelques interprètes y cherchent uniquement un rapport général entre le signe et la chose signifiée. D’autres veulent trouver une application aux détails les plus minutieux. D’autres enfin prennent une position intermédiaire. On a prétendu que tel détail n’était qu’un ornement et non l’enveloppe d’une vérité, que tel autre ne servait qu’à donner de la vie, ou un air de vraisemblance au récit, en en reliant les diverses parties. On les a comparées à une harpe, qui ne consiste pas seulement dans un assemblage de cordes ; aux plumes, qui implantées dans la flèche, semblent lui être inutiles et lui sont toutefois indispensables pour atteindre le but. « C’est avec le soc de la charrue, dit saint Augustin, que le sillon est tracé, mais, à cet effet, il faut que les autres parties de l’instrument concourent. Les cordes de la lyre rendent des sons, mais pour cela il faut qu’elles soient montées sur le bois. »
v – Saint Bernard : « Vue de l’extérieur (la parabole) est en elle-même très belle ; celui qui en brise la coquille trouve une amande encore plus agréable et délicieuse au goûter. »
Chrysostome met en garde ses lecteurs contre le danger de trop presser les détails d’une parabole. C’est pourquoi il termine quelquefois l’interprétation qu’il en donne par ces mots : « Ne soyez pas curieux de connaître le reste. » Théophylacte et plusieurs autres interprètes demeurent fidèles au principe qui vient d’être posé. Pareillement Origène, qui exprime ainsi son opinion : « On sait que les ressemblances données par les portraits et les statues ne sont jamais parfaites. L’image peinte sur une surface plane représente bien l’extérieur et le teint d’une personne ou d’un objet, mais n’en donne pas le moule. De son côté, la statue indique les proéminences et les cavités, elle moule mais ne donne pas le coloris ; de même les paraboles, quand elles comparent le royaume des cieux à un objet quelconque, ne font pas porter la comparaison sur toutes les parties de l’image, mais seulement sur certains points que le sujet indiquew. » Tillotson, parmi les modernes, a dit avec raison que les paraboles et leur application ne sont pas deux plans qui se rencontrent sur tous les points, mais plutôt une surface plane et un globe qui, mis en contact, ne se touchent que sur un point.
w – Commentaire sur Mat.13.47.
Saint Augustin, d’autre part, qui adopte souvent le même principe, étend néanmoins l’interprétation des paraboles jusqu’à leurs moindres détailsx. Origène aussi, malgré ce qu’il a dit plus haut, tombe dans le même défaut. Dans les temps postérieurs, Cocceius et ses disciples ont voulu prouver que toutes les parties d’une parabole avaient un sens spécialy. Edouard Irving décrit dans un de ses ouvrages le soin laborieux qu’il a pris de se rendre maître du sens littéral de chaque mot dans les paraboles, afin d’en épuiser toutes les richesses de vérité qu’il contient ; il ajoute : « J’ai été comme un voyageur qui, après avoir franchi les colonnes d’Hercule, entrerait à pleines voiles dans la Méditerranée. Il a vogué entre des rochers hérissés d’écueils, dans des courants impétueux qui exigeaient beaucoup de prudence et d’habileté dans la manœuvre, maintenant l’accès lui est ouvert dans un océan entouré des plus riches et des plus fertiles contrées, où apparaissent des colonies populeuses et des cités splendides. Aussi, le plaisir dont il jouit en face d’un tel spectacle est-il inexprimable et lui fait-il oublier toutes les peines passées. » Ce même auteur proteste, avec d’autres commentateurs, contre la tendance à dépouiller les Écritures de leur sens profond et à répéter : ceci ne sert à rien, cela ne doit pas être pressé, etc., tendance qui empêche de retirer des paraboles les trésors qu’elles contiennent ou de reconnaître cette admirable sagesse avec laquelle les réalités correspondent aux images. Cette classe d’interprètes a observé que, parmi les commentateurs affirmant qu’il faut négliger les détails, il s’en trouve à peine deux qui soient d’accord entre eux ; ce que l’un rejette, l’autre le conserve. « Bien plus, disent-ils, il est évident que plus on pousse loin cette prétention, plus les beautés de la parabole disparaissent. » Par exemple, lorsque Calvin n’admet pas que l’huile des vierges (Mat.25) ait une signification particulière, ni même les vases, ni les lampesz, ou que Storr (qui, pour le dire en passant, ne veut laisser aux paraboles qu’un tronc dépouillé de branchages et de verdure) refuse d’admettre que l’enfant prodigue puisse représenter l’homme qui s’éloigne de son Dieu, l’un et l’autre nous privent à la fois de rapports intéressants et d’analogies instructives. Pour justifier leurs assertions, ils s’appuient sur le fait que notre Seigneur, en interprétant les deux paraboles du semeur et de l’ivraie, nous a donné la règle de l’interprétation de toutes ses paraboles. Or, l’application y descend jusques aux détails minutieux du récit. Les oiseaux qui enlèvent la semence représentent Satan qui ravit du cœur la parole (Mat.13.19), les épines correspondent aux soucis et aux convoitises (Mat.13.22), etc.
x – Voyez son commentaire sur l’enfant prodigue.
y – Teelman soutient la même opinion fort au long et avec beaucoup d’habileté. Comm. sur Luc.16
z – Quelques-uns se tourment pour savoir ce que signifient les lampes, les vases et l’huile ; mais la leçon importante est simple et naturelle, à savoir qu’un grand enthousiasme passager est insuffisant si la persévérance n’y es pas ajoutée.
En réfléchissant à cette controverse, on s’aperçoit bientôt que des deux parts il y a exagération. Les avocats de l’interprétation sommaire s’attachent trop à leur adage favori : omne simile claudicat (toute comparaison est boiteuse). Leur assertion que si la correspondance entre la parabole et son objet était parfaite, il n’y aurait plus comparaison, mais identité, est sans valeur : deux lignes n’en forment pas une seule, lors même qu’elles se prolongent parallèlement. Dans le système opposé, on court le risque d’introduire dans l’explication des Écritures des jeux d’esprit, des recherches subtiles, plus ingénieuses que solides, qui fassent oublier qu’en définitive la sanctification du cœur par la vérité est le but des écrivains sacrés. A cela on ajoute que presque tous les sectaires pressent le sens des paraboles pour leur faire dire ce qui leur plaît.
Peut-on donner ici une règle absolue ? Cela est difficile. Il faut laisser une certaine latitude au bon sens de l’interprète et à son respect pour la Parole de Dieu. Ils l’empêcheront de se livrer à des recherches curieuses et feront trouver la vraie application spirituelle. La règle qui nous paraît la plus juste a été posée par Tholuck, en ces termes : « Il faut reconnaître que plus une parabole est riche en applications, plus elle est parfaite. Le commentateur doit donc partir de l’hypothèse que chaque point est important. Il ne cessera de s’efforcer d’en faire sortir des enseignements que lorsqu’il ne pourra plus en obtenir qu’en forçant le sens naturel et évident, ou lorsqu’il s’apercevra que tel ou tel détail a été ajouté pour donner du relief au récit et le coordonner. Nous ne devons jamais présumer qu’un trait soit indifférent, à moins qu’en lui accordant de l’importance on ne dérange l’harmonie ou l’unité de la parabole. » Une statue approche le plus de la perfection dans la mesure où l’idée du sculpteur ressort de la disposition et du fini de chaque membre. De même, plus la parabole laisse voir dans toutes ses parties la vérité divine qu’elle recouvre, plus elle ressemble aux vêtements du Christ glorifié, plus aussi elle est belle et profonde, et il faut prendre garde de la dénaturer. « J’aime, dit Vitringa, les auteurs qui retirent des paraboles évangéliques plus que quelques préceptes moraux illustrés. Non que je m’enhardisse à soutenir que, s’il a plu au Seigneur d’employer ce mode d’instruction morale, cela ne s’accorde avec sa parfaite sagesse. Je prétends seulement qu’il me paraît en harmonie avec cette même sagesse d’expliquer ses paraboles de telle sorte que chaque partie reçoive, sans en torturer le sens, une application facile pour l’édification de l’Église. Plus nous extrairons de la divine Parole de solides vérités, lorsque rien dans le texte ne s’y oppose, et plus aussi nous glorifierons la parfaite sagesse. »
Profitant de toutes ces remarques, on posera comme première condition d’une saine interprétation des paraboles, celle d’en saisir fortement la vérité centrale avant d’entreprendre l’explication des détails. Il faudra même savoir la distinguer des vérités sœurs ou secondaires. « On peut comparer la parabole, écrit un auteur modernea, à un cercle dont le centre est une vérité d’ordre spirituel et les rayons sont les circonstances du récit. Aussi longtemps qu’on ne se place pas au centre, on ne peut embrasser le cercle dans toute son étendue, ni la belle unité qui relie tous les rayons convergeant vers un seul but. C’est ainsi qu’après avoir reconnu avec certitude, dans une parabole, l’enseignement spécial qu’elle donne, la vraie signification de tous les détails et leur degré d’importance se manifesteront. Alors nous n’insisterons sur ces points secondaires que dans la mesure où ils font ressortir la vérité centrale. »
a – Lisco, Die Parabeln Jesu.
Deuxième condition. Expliquer les paraboles en tenant compte du contexte. Comme dans l’interprétation de la fable, l’introduction (προμύθιον) et l’application (ἐπιμύθιον) doivent être étudiées avec soin ; ici ce qu’on a appelé pro-parabola et épi-parabola fournit le plus souvent la clef de l’intelligence du sujet. Combien d’explications de la parabole des ouvriers et de la vigne n’auraient jamais été proposées si on l’avait interprétée dans son harmonie avec ce qui précède et ce qui suit. Ce secours, qui manque rarement à l’interprète, n’est pas toujours donné d’une manière identique et formelle. Tantôt c’est le Seigneur lui-même qui le fournit (Mat.22.14 ; 25.13), tantôt c’est l’évangéliste (Luc.15.1-2 ; 18.1), par quelques mots, avant ou après le récit. Quelquefois cette clé donnée avant et après, comme dans la parabole du débiteur insolvable (Mat.18.23. Voyez Mat.20.1-15, et Luc.12.16-20).
Troisième condition. Faire concorder l’explication avec le texte, facilement et sans violenter celui-ci. Il en est ici de même que pour les lois de la nature. C’est le génie qui les découvre ; mais une fois posées, elles s’éclairent elles-mêmes et se recommandent à tous les esprits. De plus, la preuve qu’on a réellement découvert une loi de la nature se trouve dans le fait qu’elle explique tous les phénomènes qui s’y rapportent et que tôt ou tard elle les range tous sous son obéissance. C’est aussi une preuve de la vraie interprétation d’une parabole lorsqu’elle ne laisse sans explication aucun détail, quelque peu important qu’il soit. « Que l’explication (dit Teelman) ne soit pas incomplète, ni difficile, ni ridicule. Qu’elle soit respectueuse pour le texte et pénétrant agréablement à la fois dans les oreilles et dans l’esprit du lecteur, comme une onde qui s’épanche doucement et s’insinue sans bruit » Si nous possédons la bonne clef, non seulement elle ouvrira, mais encore elle tournera sans grincement, sans effort. Cette interprétation-là n’aura pas besoin de s’appuyer sur un grand savoir ou sur des allusions à la littérature rabbinique ou profane.
Une quatrième et dernière condition : ne pas donner les paraboles comme sources ou bases des dogmes chrétiens. Qu’on s’en serve pour illustrer ou confirmer une doctrine déjà établie, à la bonne heure. Elles peuvent être la frange du vêtement, son ornement, mais non le tissu. Autrement, on en faussera le sens et l’application. Cette règle est exprimée par l’axiome reconnu : « Theologica parabolica non est argumentativa », en théologie les paraboles n’ont pas valeur d’argument ; et dans cet autre : « Ex solo sensu litterali peti possunt argumenta efficacia. », seulement du sens littéral peuvent être déduits des arguments de poids. b Les contreversistes, en cherche d’arguments qu’ils ne trouvaient pas dans la Bible, ont trop souvent appuyé sur des paraboles leurs thèses favorites. Bellarmin presse le sens de la parabole du Samaritain au point d’y trouver des doctrines de l’église romaine sur la chute de l’homme, dans le dépouillement du voyageur précédant les coups des brigands, il voit la perte des dons célestes, de la robe de justice, suivis de la blessure qui atteint l’âme. En suivant les mêmes spéculations, Faust Socin, s’étayant de la parabole du débiteur insolvable, dit que la maître ayant pardonné à son serviteur uniquement sur sa demande et non à cause d’une satisfaction à lui rendue ou d’aucune médiation, Dieu n’exige de notre part ni sacrifice, ni intercesseur. Il pardonne aux débiteurs de sa justice uniquement à cause de leurs prièresc.
b – Voyez aussi un passage intéressant dans Anselme, Cur Deus Homo, liv. I, 44.
c – Socin oublie tous les passages qui parlent de la nécessité d’une satisfaction.
Les gnostiques et les manichéens se sont tout particulièrement écartés de cette règle. Toute la doctrine des premiers, rattachée en apparence aux saints Livres, en était indépendante en réalité. Leur théologie avait son origine propre et n’allait aux Saintes Écritures que pour y trouver un vernis et un coloris chrétiens. Ces docteurs s’approchèrent de la Bible non pour parler son langage, mais pour lui faire parler le leur. Les paraboles, mieux qu’aucune autre portion des Écritures, favorisaient leurs desseins. Ils s’appuient continuellement sur elles pour les tordre autant qu’ils le peuvent. Irénée doit fréquemment venger les paraboles du tort qu’ils leur font. Il leur reproche de ne pas se borner à les détourner de leur véritable sens, mais encore de leur faire dire le contraire de ce qu’elles signifient. « C’est comme le portrait d’un roi en mosaïque qui, ayant été brisé intentionnellement, fournirait des matériaux pour représenter un monstre !d »
d – Adv. Hær. I, 8.
Tertullien a eu la même lutte à soutenir. « Tout l’enseignement des gnostiques, dit-il, n’est qu’un palais flottant dans les nuages ; c’est le produit de leur cerveau sans base aucune dans le monde des vérités spirituelles. Ils le moulaient et façonnaient à leur guise et forçaient les paraboles à leur prêter appui. » « Nous sommes, ajoutait-il, retenu dans de certaines limites en expliquant les Écritures parce que nous recevons tous leurs enseignements comme règle de la vérité et de l’interprétation. Il en est tout autrement chez eux. Leur doctrine ne procédant que d’eux-mêmes, ils l’adaptent adroitement aux paraboles, puis se servent de cet ajustement comme d’un témoignage en faveur de leurs opinions. »
S’il en fut ainsi des gnostiques de l’Église primitive, il en a été de même chez leurs successeurs spirituels, tels que les cathares et les bogomilles. Eux aussi ne voyait dans les Livres saints aucun enseignement relatif au péché, à la grâce et au royaume de Dieu. Ils y découvraient plutôt des spéculations sur la création, l’origine du mal, la chute des anges, conceptions nuageuses qui flottaient déjà dans leurs esprits. Exemple : le serviteur insolvable, c’est Satan ou le Démiurge. La femme et les enfants qui doivent être vendus sont : la première, la sagesse et l’intelligence, et les seconds, les anges qui leur sont assujettis. Mais Dieu a eu pitié de lui, et ne l’a pas dépouillé de sa haute intelligence, ni de ses sujets, ni de ses biens. De son côté il a promis que, si Dieu l’épargnait, il créerait une multitude d’hommes qui occuperaient la place des anges déchus.
Dans les temps plus rapprochés de nous, Cocceius et ses disciples ont créé ce qu’ils nomment l’école historico-prophétique. « C’est au moyen des paraboles, disent-ils (et en cela ils n’ont pas tort), que sont proclamés les mystères du royaume de Dieu. » Mais, interprétant ensuite ce royaume dans un sens beaucoup trop restreint, ils en sont arrivés à découvrir, dans chaque parabole, une portion de l’histoire du développement progressif du christianisme jusqu’à la fin des temps. Ils n’accordent pas qu’aucune d’elles ait un sens directement moral. Ils les ramènent toutes dans le cercle historico-prophétique. Krummacher (le père de l’auteur d’Élie le Thisbite), l’un des plus distingués de cette école, dit : « Les paraboles de Jésus n’ont point en premier lieu un but moral, mais plutôt un but politico-religieux ou théocratique. Elles appartiennent essentiellement à l’Évangile du royaume, contenant, outre sa doctrine, l’histoire de son développement progressif. Elles se rattachent à certaines périodes déterminées, et à mesure que ces périodes prennent fin, leur emploi est achevé. »
Boyle appuie cette opinion, mais modérément : « Quelques paraboles, dit-il, sinon la plupart, ressemblent à ces coquillages qui, outre l’élément nutritif, contiennent des perles. Ainsi, elles renferment d’excellents préceptes de morale, et d’importantes prophéties. » Pour Vitringa, le débiteur insolvable c’est le pape revêtu de la plus haute dignité dans l’église. Le pontife a oublié que cette puissance lui était seulement confiée, il en a mésusé. Averti plus tard par l’invasion des Goths et les Lombards, il n’a pas vu que le Juge était à la porte, etc. Pour lui encore, la perle de grand prix c’est l’église de Genève et la doctrine de Calvin.
Deyling prononce sur cette classe d’interprètes un jugement sévère. Assurément les paraboles peuvent être prophétiques, en ce qu’elles nous révèlent ce nouvel élément de vie que le Seigneur a introduit dans le cœur de l’homme et dans le monde. Mais elles révèlent moins les faits que les lois du royaume de Dieu, et quand elles proclament des faits, c’est pour autant que ceux-ci font pénétrer dans l’intelligence des lois du royaume. Des paraboles historico-prophétiques proprement dites, il y en a fort peu ; mais on peut accorder ce titre, positivement, à la parabole des méchants vignerons, où se lit une prédiction évidente de la mort de Jésus, et à celle des noces du fils du roi, où la destruction de Jérusalem et le transfert aux gentils des privilèges du royaume de Dieu sont très clairement prophétisés. Mais nous reviendrons sur ce sujet, à propos de l’étude des sept paraboles du treizième chapitre de saint Matthieu.