Explication de l’Épître aux Éphésiens

2. Cette puissance de Dieu a été déployée premièrement en Christ.

1.20-23

20 Laquelle il a déployée en Christ en le ressuscitant des morts, et il l’a fait asseoir à sa droite, dans les lieux célestes, 21 au-dessus de toute principauté, et autorité, et puissance, et domination, et au-dessus de tout nom qui se nomme, non seulement dans ce siècle, mais aussi dans celui qui est à venir ; et il a assujetti toutes choses sous ses pieds, 22 et il l’a établi pour tête, au-dessus de toutes choses, pour l’Église, 23 qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit toutes choses en tous.

Il a déployée. Le terme grec, qui signifie littéralement a mis en œuvre (le même que nous avons traduit opérer au verset 11), correspond au substantif du verset 19 que nous avons rendu par efficace (littéralement la mise en œuvre). La puissance divine, jusque-là cachée en Dieu, s’est rendue visible, a passé de l’état de principe à celui d’action, d’abord dans la résurrection de Christ, ensuite dans la résurrection (spirituelle) de ses membres, de telle sorte que la vue et l’expérience viennent en aide à la foi pour nous persuader la puissance de Dieu envers nous.

En Christ, mais pour nous, qui croyons en lui. La tête répond pour les membres. Le but de l’Apôtre n’est pas tant d’exalter la résurrection de Christ en soi, que de montrer par ce que Dieu a fait en Christ ce qu’il peut faire en nous. C’est pour cela que, dans les derniers versets de notre chapitre, il revient de la tête au corps, de Christ à l’Église, et s’étend ensuite, dans le chapitre 2, sur la puissance de Dieu déployée dans les croyants.

En le ressuscitant des morts. Notez bien ce mot morts. C’est là qu’est la principale force du raisonnement de l’Apôtre. Christ était mort, et Dieu l’a ressuscité. Vous étiez morts (2.1, 5), et Dieu vous a ressuscités avec lui. Une puissance qui a triomphé de la mort, de quoi ne serait-elle pas capable ? La mort, cette malédiction inévitable du péché, est, pour l’Écriture, non seulement une grande force, mais le type même de la force (Cantique des cantiques 8.6) ; et « les cordeaux du sépulcre, » « les lacs de la mort » (Psaumes 18.5-6 ; Psaumes 116.3 ; Actes 2.24) sont de tous les liens le plus difficile à détacher. Ce qui rend le diable tout-puissant, dans la nature, c’est qu’il « a le pouvoir de la mort » (Hébreux 2.14) ; ce qui rend Christ tout-puissant, dans la grâce, c’est qu’il « a les clefs des enfers et de la mort » (Apocalypse 1.18). « L’ennemi qui sera détruit le dernier, c’est la mort » (1 Corinthiens 15.26). Dieu seul est plus fort que la mort ; il est, selon Osée, « une peste pour la mort, et une destruction pour le sépulcre » (13.14). Voilà la puissance que l’Apôtre nous fait admirer dans la résurrection de Jésus-Christ. Elle serait déjà admirable dans la résurrection d’un homme ordinaire. Qu’auriez-vous éprouvé si vous eussiez été présent quand Jésus-Christ prononça ces paroles : « Lazare, sors dehors ! » et que vous eussiez vu Lazare, mort depuis quatre jours, se lever, en secouant ces bandes qui lui liaient les mains et les pieds » (Jean 11.43-44), faibles emblèmes du plus fort de tous les liens. Les langues humaines, qui ont un mot propre pour l’idée de créer, n’en ont pas pour celle de ressusciter. Les termes du Nouveau Testament que nous rendons de la sorte signifient ou réveiller, comme on réveille un homme endormi, ou relever, comme on relève un homme couché ; ce dernier sens est celui du mot latin ressuscitare, qui a passé dans notre langue. Ressusciter est, en effet, un acte de puissance plus merveilleux, s’il est possible, que créer ; parce qu’il y a dans le premier un obstacle vaincu, qui n’est pas dans l’autre. Triompher de la mort, c’est plus que de se substituer au néant. La création est une émanation ; la résurrection est une victoire. Par l’une, la vie est communiquée ; par l’autre, la vie est communiquée et tout ensemble la mort vaincue. Mais il y a quelque chose de plus dans la résurrection de Christ que dans celle de Lazare ou d’un autre homme. La mort a dû avoir un caractère particulier quand elle s’est attaquée au « Prince de la vie ; » et son empire devait être d’autant plus souverain que sa victoire avait été plus incroyable. Jésus-Christ, qui a été « le méprisé, » et non pas seulement un méprisé, a été aussi le mort, et non pas seulement un mort. Tout ce qui se passe dans sa personne, s’y passe, s’il est permis d’ainsi parler, à la plus haute puissance. Sans doute les puissances de l’enfer n’ont jamais mieux gardé aucune de leurs proies que celle-ci, qui leur répondait de toutes les autres ; et l’on peut voir une image de leur vigilance dans les précautions infinies des meurtriers de Jésus-Christ pour empêcher l’accomplissement de la prophétie qui annonçait sa résurrection. Mais tout l’effort réuni de l’enfer et de la terre ne sert qu’à faire éclater avec plus de splendeur la puissance de Dieu, lorsqu’il « le ressuscite, ayant délié les liens de la mort, parce qu’il n’était pas possible qu’il fût retenu par elle » (Actes 11.24) ; et qu’il lui donne sujet de tenir ce magnifique langage : « Je vis, et j’ai été mort, et voici, je suis vivant au siècle des siècles » (Apocalypse 1.18). Pour entrer dans la pensée de notre apôtre, il faut savoir s’élever au-dessus de la foi de catéchisme. Croire que Dieu a ressuscité Jésus-Christ, voir dans cette résurrection une preuve de sa mission divine, un gage de notre résurrection future, un type de notre résurrection spirituelle, ce n’est pas là ce que l’Apôtre veut de nous. Il veut que nous contemplions avec surprise, avec adoration, Dieu ressuscitant Jésus-Christ d’entre les morts, et que, sentant toute notre incrédulité confondue par ce spectacle, nous apprenions à nous écrier : Quelle merveille ! quelle puissance ! Que n’a pas fait Dieu en Jésus-Christ ? que ne peut-il pas faire en nous qui croyons ?

Et il l’a fait asseoir. Tous les commentateurs s’accordent à dire que le changement de temps qu’on remarque dans l’original, et que nous avons cru devoir conserver dans la traduction, ne doit s’expliquer que par la liberté de la construction grecque, et que le sens est le même que si l’Apôtre eût dit : « Qu’il a déployée en Christ en le ressuscitant des morts et en le faisant asseoir, etc. » Mais nous pensons que ce changement tient à une nuance délicate qui a échappé à leur attention. D’abord, c’est essentiellement sur la résurrection de Jésus-Christ que saint Paul veut fixer les regards de ses lecteurs. Le réveiller (c’est le sens propre du terme grec) quand il était mort, c’est la grande marque de puissance que Dieu a donnée ; et auprès de cela, c’était peu de chose que de l’élever, une fois ressuscité, et de le faire asseoir à sa droite. Aussi, dans l’endroit correspondant du second chapitre, en parlant de la puissance de Dieu déployée dans les croyants, l’Apôtre commence par dire qu’ils étaient morts, et que Dieu « les a fait revivre avec Christ » (2.5) ; ce n’est que plus tard, et sous forme de développement, qu’il ajoute qu’il les a « fait asseoir ensemble dans les lieux célestes en Christ. » Ensuite, et surtout, il y a cette différence entre Jésus-Christ ressuscité des morts et Jésus-Christ transporté à la droite de Dieu, que le premier est un fait d’expérience, qui a été vu, tandis que le second est un objet de foi, qui est invisible. Or, l’Apôtre, voulant appeler ici l’expérience et la vue au secours de la foi, pouvait bien dire : Cette puissance de Dieu, que je le prie de vous faire connaître, il l’a déjà déployée, devant les yeux des hommes, en ressuscitant Christ d’entre les morts ; mais il ne pouvait pas dire dans, le même sens : Il l’a déployée en le faisant asseoir à sa droite. Il rappelle l’un de ces faits, et révèle l’autre ; de là l’emploi du participe pour le premier, et du prétérit pour le second. Peut-être une étude approfondie du texte sacré ferait-elle découvrir quelque nuance semblable dans plusieurs endroits où l’ordre des pensées fléchit sans cause apparente, ce qui arrive assez souvent dans les écrits de saint Paul.

A sa droite. En faisant asseoir quelqu’un à sa main droite, et surtout sur son trône, un monarque l’élevait au plus haut degré de gloire, et partageait avec lui l’honneur de la puissance souveraine. Voyez la place donnée à Bathschéba (1 Rois 2.19) ; la prière de la mère des fils de Zébédée (Matthieu 20.21) ; et surtout la prophétie relative au Messie (Psaumes 110.1), et son accomplissement (Apocalypse 3.21). Ce langage employé pour décrire l’élévation de Jésus-Christ a quelque chose de figuré, sans doute ; mais où commence la figure ? où s’arrête la réalité ? Nous ne saurions faire ce discernement, et aussi n’est-il pas nécessaire.

Au-dessus de tout nom, etc. Au-dessus de tout autre nom servant à marquer la majesté ou l’empire. L’Apôtre en a cité quatre ; mais ce qu’il a dit de ces quatre serait également vrai de tous les autres titres qu’on pourrait citer encore, qu’on les emprunte au présent ordre de choses, ou à cet ordre futur que Jésus-Christ est venu fonder dans le monde, mais qui n’y existe encore que dans son germe spirituel, et que le même Apôtre appelle « la terre à venir » (Hébreux 2.5), et saint Pierre « les nouveaux cieux et la nouvelle terre, où la justice habite » (2 Pierre 3.13). Toute puissance, présente ou future, terrestre ou céleste (Romains 8.37), amie ou ennemie (1 Corinthiens 15.24-25), est ou sera soumise à Jésus-Christ. « Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné un nom (ou plus exactement, le nom) qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou se ploie, de ceux qui sont dans le ciel et sur la terre et sous la terre, et que toute langue (de la terre, du ciel ou de l’enfer) confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Philippiens 2.9-11).

C’est ici le second acte de la puissance de Dieu déployée en Christ ; mais il n’est pas visible comme le premier. Ce mort, Dieu a commencé par le ressusciter sur la terre ; et puis, ce ressuscité, il le transporte de la terre au ciel, le fait asseoir à sa droite, et met toutes les puissances de l’univers sous ses pieds, sans en excepter la mort elle-même, qui l’avait tenu un moment lié par ses cordeaux (1 Corinthiens 15.25), et « celui qui a le pouvoir de la mort, » le Diable (Hébreux 2.14). Sous la terre, sur la terre, dans le. ciel : Dieu fait parcourir au Fils de l’homme en quelques jours ces trois degrés qui épuisent tout l’ordre des choses existantes, « afin qu’il tienne le premier rang en toutes choses » (Colossiens 1.18), « et qu’au nom de Jésus tout genou se ploie, de ceux qui sont au ciel, et sur la terre, et sous la terre, et que toute langue (des anges, des hommes ou des démons) confesse que Jésus est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Philippiens 2.10-11). Celui que vous avez vu couché dans le sépulcre, voyez-le régnant à la droite du Père. Il a franchi la plus grande distance qui soit dans l’univers ; étant « descendu dans l’abîme, » et puis « monté au ciel » (Romains 10.6-7). « Celui qui est descendu est aussi celui qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin qu’il remplît toutes choses » (Éphésiens 4.10). Bien plus, c’est par l’endroit où ses ennemis pensaient l’avoir vaincu qu’il a été « plus que vainqueur. » C’est parce qu’il s’est tant abaissé que Dieu l’a tant élevé (Philippiens 2.9) ; c’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ; et c’est « par la souffrance de la mort, qu’il a été couronné de gloire et d’honneur » (Hébreux 2.9).

Comment douter, après cela, de la puissance de Dieu envers nous qui croyons ? Quel que puisse être et le degré de misère où vous gémissez, et le degré de gloire où vous aspirez, le Dieu de Jésus-Christ peut toujours vous tirer de l’un et vous conduire à l’autre. Ce degré de misère est-il plus bas que la mort ? Eh bien ! c’est de la mort que Dieu a tiré Jésus-Christ. Ce degré de gloire est-il plus haut que le trône du Père ? Eh bien ! c’est sur ce trône que Dieu a fait asseoir Jésus-Christ. « Toutes choses sont à vous, et vous à Christ, et Christ à Dieu » (1 Corinthiens 3.22-23).

Et il a assujetti toutes choses sous ses pieds. Citation du Psaumes 8.7. Comment saint Paul applique-t-il à Jésus-Christ un psaume qui ne paraît avoir pour objet que de célébrer la gloire de Dieu dans l’homme tel qu’il est sorti des mains de son Créateur, et un verset de ce psaume que le psalmiste a pris soin de rattacher clairement par le développement qu’il en fait lui-même au récit de la Genèse, comme on peut s’en convaincre en rapprochant Psaumes 8.8-9 de Genèse 1.26 ? Il ne faut pas répondre que l’Apôtre n’a entendu qu’accommoder à son sujet un endroit de l’Ancien Testament qui y est réellement étranger, comme nous ornons nos écrits ou nos discours de citations d’auteurs anciens ou modernes qui pensaient à tout autre chose. Car, outre qu’une telle accommodation convient peu, en général, au Saint-Esprit, citant le Saint-Esprit, elle est tout à fait inadmissible pour le Psaume 8, que le Seigneur lui-même s’est appliqué dans une circonstance solennelle (Matthieu 21.16), et spécialement pour le verset 7, que saint Paul a cité deux autres fois, en l’appliquant toujours à Jésus-Christ, et en raisonnant d’après cette application (1 Corinthiens 15.27, et Hébreux 2.6-9). Nous ne pensons pas cependant que l’Apôtre, ni le Seigneur, aient vu dans le Psaume 8 une prophétie proprement dite, dont ils aient entendu marquer l’accomplissement ; le Psaume 8 se rapporte trop clairement à la création de l’homme, et vraisemblablement les contemporains de David, peut-être David lui-même, n’y ont pas vu autre chose. Mais entre la simple accommodation et la prophétie positive, il y a des nuances intermédiaires, fort importantes à remarquer pour l’intelligence de l’Ancien Testament, et qui tiennent au caractère préparatoire et préfiguratif de l’économie lévitique. Du commencement à la fin de l’Ancien Testament, Jésus-Christ est partout présent à la pensée du Saint-Esprit, alors même qu’il ne l’est peut-être pas à la pensée du prophète qu’il inspire ; car ce qu’il nous importe de connaître, c’est moins ce que le prophète a pensé dire que ce que le Saint-Esprit a voulu dire par lui. Cet Esprit voit plus loin que ceux dont il emprunte l’organe ; et les prophètes, qu’un apôtre nous représente faisant effort pour comprendre ce que révélait par eux « l’Esprit de Christ qui était en eux » (1 Pierre 1.11), seraient probablement, s’ils revenaient à la vie, des commentateurs très imparfaits de leurs propres écrits. De là, dans l’Ancien Testament, bien des traits qui, sans se rapporter directement ou exclusivement à Jésus-Christ, se rapportent à lui indirectement, et dans ce qu’on pourrait appeler leur sens le plus lointain et tout ensemble le plus profond. Mais ces traits, esquissés d’une main plus légère que la prophétie proprement dite, ne se dessinent nettement aux yeux que dans la vive lumière de la Nouvelle Alliance et du Saint-Esprit, à peu près comme ces caractères faiblement indiqués sur le papier, et qui ne deviennent visibles que lorsque nous le plaçons entre le jour et nous. Ainsi s’explique Osée 11.1, cité par Matthieu 2.15 ; Jérémie 31.15, par Matthieu 2.17 ; et bien d’autres citations de l’Ancien Testament dans le Nouveau, parmi lesquelles le Psaumes 8, cité trois fois par saint Paul et une fois par Jésus-Christ, tient une place intéressante. Le Psalmiste n’y a vu peut-être que la gloire destinée à l’homme dans la création ; mais, le Saint-Esprit, et l’Apôtre qu’il éclaire, y a vu cette gloire, perdue en Adam, et reconquise en Jésus-Christ, qui a réalisé la promesse de Genèse 1 et de Psaumes 8, dans un sens plus éloigné et plus essentiel, au nom de l’humanité qu’il représente. Empruntons les paroles de Harless : « Théodoret s’est servi d’une expression peu exacte en appelant le Psaumes 8 prophétique, car on ne saurait y voir une prophétie proprement dite de Christ ; cependant la pensée de ce psaume se rattache à Christ d’une manière à la fois très simple et très profonde pour qui a bien compris le rapport de l’Ancien Testament au Nouveau ; celui-ci était comme esquissé d’avance dans celui-là par certains traits qui devaient demeurer obscurs jusqu’au temps de l’accomplissement, mais qui, vus dans une pleine lumière, devaient nous apprendre à reconnaître dans les soins de Dieu pour l’éducation de l’humanité un plan uniforme, dont les divers degrés se répondent et se pénètrent mutuellement. » L’explication de ces textes et d’autres semblables nous est donnée par saint Paul lui-même dans ces paroles : « Adam qui était la figure de celui qui devait venir » (Romains 5.14). Qu’était-il devenu, cet homme créé à l’image de Dieu et dont la puissance faisait concevoir au psalmiste l’espérance d’une élévation future ? L’Apôtre dit : « Par le péché d’un seul plusieurs sont morts » (Romains 5.15) ; « par la désobéissance d’un seul homme, plusieurs ont été rendus pécheurs » (verset 19) ; « la mort a régné par un seul » (verset 17 comparé avec 1 Corinthiens 15.47-49).

L’homme fut donc soumis aussi à la mort, mais l’ordre établi par Dieu n’était pourtant pas détruit ; l’homme qui possède une puissance souveraine et qui est mort en Adam revit en Christ pour l’éternité ; l’espérance du psalmiste n’a pas été déçue, elle a au contraire été ratifiée en Christ, « le dernier Adam » (1 Corinthiens 15.45).

Il l’a établi pour tête, au-dessus de toutes choses, pour l’Église. De Christ, l’Apôtre revient aux croyants ; car c’est eux qu’il avait en vue, et soit qu’il montre, comme il va le faire dans les versets suivants, la puissance de Dieu déjà déployée dans le chrétien, ou, comme il vient de le faire, cette puissance déjà déployée dans le Christ lui-même, c’est toujours pour faire connaître aux Éphésiens « quelle est la surabondante grandeur de sa force envers nous qui croyons. » Ainsi, les derniers mots du chapitre 1 (« et il l’a établi, » etc.) servent de transition entre la première manifestation de la puissance de Dieu et la seconde ; ou, pour parler plus exactement, ils montrent que les deux n’en font qu’une pour notre Apôtre ; tant il unit étroitement le croyant au Seigneur ; les membres à la tête. Aussi décrit-il en cet endroit la grandeur de Jésus-Christ, par le côté de la nature humaine, dans cette exaltation contingente qui a été le prix de son abaissement, tandis que, dans l’endroit correspondant de l’épître aux Colossiens, il décrit la grandeur de Jésus-Christ, par le côté de la nature divine, et dans cette gloire innée qui a précédé l’incarnation et la création elle-même8.

8 – Nous empruntons cette réflexion à une note d’Olshausen que nous croyons devoir reproduire en entier : « Cet endroit (20-23) tient une place capitale dans la christologie de saint Paul. Réuni à deux autres passages non moins importants (Colossiens 14-19 ; Philippiens 2.8, 11), il donne à connaître la doctrine de saint Paul touchant le Christ, sur laquelle l’Apôtre s’arrête peu ailleurs, parce qu’il la suppose le plus souvent connue. Mais tandis que, dans l’épître aux Colossiens, Christ est considéré essentiellement dans son existence éternelle, vue en dehors du temps, comme la parole qui était au commencement, selon l’expression de saint Jean, nous voyons prédominer dans l’épître aux Éphésiens la nature humaine du Rédempteur, et cette nature glorifiée en Jésus-Christ montant au ciel et s’asseyant à la droite de Dieu pour régner sur le monde. Sous ce point de vue, notre passage se complète par celui de l’épître aux Philippiens, qui décrit également l’exaltation de Christ (2.9-11), mais après avoir, dans ce qui précède immédiatement (6-8), caractérisé son état d’abaissement dans ses divers degrés. »

Bien que Christ pût à la rigueur être appelé la tête de toutes les puissances de l’univers, comme il l’a été dans Colossiens 2.10, il paraît assez clairement par le verset 23 qu’ici, comme partout ailleurs excepté dans ce seul passage de l’épître aux Colossiens, il est représenté comme la tête de l’Église, non de l’univers, et même comme servant de tête à l’Église à l’exclusion du reste de l’univers. Mais, au contraire, les mots, au-dessus de toutes choses nous paraissent se rapporter aux choses de tout l’univers, non à celles de l’Église, et marquer la domination de Christ sur l’univers à la différence de son union avec l’Église9. Dieu l’a donné pour tête – par-dessus l’univers tout entier – à la seule Église, et l’a fait du même coup roi de l’un et tête de l’autre. Vous trouvez peut-être que la phrase de saint Paul mêle assez étrangement ces deux situations de Jésus-Christ. Mais il faut bien que les mots se mêlent quand les choses sont mêlées ; et cette confusion même sert à nous faire mieux comprendre la pensée de l’Apôtre. S’il nous montre la relation de Christ avec l’univers et sa relation avec l’Église se pénétrant et tout ensemble se séparant, c’est qu’elles sont à la foi dépendantes l’une de l’autre et pourtant distinctes. Dépendantes, parce que c’est en tant que Rédempteur de l’Église, c’est pour prix de son sacrifice, qu’il a reçu la souveraineté de l’univers (Philippiens 2.9 ; voyez notre note sur le verset 10 de notre chapitre) ; distinctes, parce que autres sont les rapports qu’il soutient avec l’univers, autres ceux qu’il soutient avec l’Église. Il est au-dessus de l’univers, comme un roi est au-dessus de son peuple ; mais il est sur l’Église comme une tête est sur son corps. L’univers est sous ses pieds et en dehors de lui ; mais l’Église est un avec lui ; elle est son corps, ses membres, et ces pieds même sous lesquels le reste est placé. C’est là que l’Apôtre en voulait venir. Il n’élève Christ si haut, que pour nous y élever avec lui et en lui. Ainsi s’explique, dans notre épître, le croyant assis dans les lieux célestes (2.6), et béni dans les lieux célestes (1.3), en Christ (1.20) ; ainsi bien d’autres choses ailleurs : le croyant assis avec Jésus-Christ sur son trône (Apocalypse 3.21), régnant avec lui sur la terre (Apocalypse 5.10 ; 2 Timothée 2.10), jugeant les anges (1 Corinthiens 6.3) etc. Quelle gloire, quelle grâce cette doctrine nous fait entrevoir ! Véritablement, nous avons plus reconquis en Jésus-Christ que nous n’avions perdu en Adam. Merveilleux accomplissement de la promesse : « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » (Romains 8.27), et merveilleux encouragement pour quiconque succombe sous le poids de son infériorité.

9 – Malgré l’autorité de Harless, Olshausen, etc., qui ne veulent voir dans le toutes choses de notre verset que les choses qui sont dans l’Église. Mais, indépendamment de l’ordre des idées de l’Apôtre expliqué ci-dessus, comment ne pas voir que les mots au-dessus de toutes choses (grec : sur toutes choses) répondent aux mots sous ses pieds du même verset, et que les choses qui sont mises au-dessous des pieds de Jésus-Christ, sont les mêmes choses au-dessus desquelles Jésus-Christ est mis ? Gerlach, et plusieurs autres encore, l’ont entendu comme nous.

« Crois seulement : » il n’y a si grand mal dont Dieu ne puisse tirer un plus grand bien, pour celui qui croit.

Qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit toutes choses en tous. Cette traduction, adoptée par Lausanne 1839, est plus exacte que celle de nos versions reçues. « Celui qui remplit toutes choses en tous », c’est Jésus-Christ ; et c’est l’Église qui est « la plénitude » de Jésus-Christ. Cette explication est naturellement indiquée par l’ordre des mots, et surtout dans le texte grec, qui dit le corps de lui pour son corps. Il est évident que les deux moitiés du premier membre de la période répondent aux deux moitiés du second membre : le corps à la plénitude, et de lui à de celui qui remplit, etc. Toutes les autres explications qu’on a proposées de la fin de notre verset sont forcées, et n’ont été imaginées que pour échapper à l’obscurité que l’on trouve dans la nôtre. Cette obscurité est réelle ; mais n’est pas impossible à éclaircir.

Remarquons d’abord que tout ce qui est décrit dans ce verset se passe entre Jésus-Christ et son Église, et qu’il s’y agit seulement de son union avec elle, non de ses rapports avec le reste du monde. « En tous, » c’est-à-dire dans tous les siens, dans tous ses membres. Outre que ce sens est indiqué par le développement qui commence le chapitre 2 et auquel ceci sert de transition, il est réclamé par la forme sous laquelle se présente le verbe que nous traduisons remplit ; cette forme, qui est particulière à la langue grecque, n’est ni la forme active, ni la forme passive, mais une troisième forme, tenant de l’une et de l’autre, et que les grammairiens ont nommée par cette raison moyenne ou intermédiaire. Elle marque que celui qui fait l’action la fait en vue de soi-même. Ainsi, pour exprimer qu’un homme pleure les malheurs d’un autre, on emploie l’actif, et qu’il pleure ses propres malheurs, le moyen ; qu’un amiral garnit (on dit en grec remplit) ses vaisseaux de soldats, l’actif, et qu’il en garnit le vaisseau qu’il monte lui-même, le moyen ; etc. Or, saint Paul s’est servi du moyen dans notre texte, tandis qu’au chapitre 4, verset 10, « afin qu’il remplît toutes choses, » il s’est servi de l’actif. C’est qu’il s’agit là de Christ remplissant ce qui est hors de lui, dans le sens où il remplit tout l’univers ; en ayant parcouru successivement toutes les parties, l’enfer, la terre et le ciel, et qu’il s’agit ici de Christ remplissant ce qui est un avec lui, dans ce sens où il remplit la seule Église10.

10 – Je m’étonne que cette : distinction ait échappé à Harless et à Olshausen qui voient simplement le moyen employé pour l’actif, par une faute de langage (per solacismum). Gerlach a reconnu une intention dans le choix du moyen ; mais il n’en a pas vu, ce me semble, toute la portée. Il traduit : « qui remplit toutes choses en tous, pour soi-même, c’est-à-dire en vue de sa propre gloire ; » et par tous il entend « toutes, les créatures, tous les êtres. » Mais si le moyen n’exprimait pas plus que cela, on ne voit pas pourquoi saint Paul ne l’aurait pas employé également au chapitre 4, verset 10, puisque, là aussi, c’est bien en vue de sa propre gloire qu’il remplit toutes choses. Le moyen, selon nous, exprime d’abord et essentiellement, que c’est dans les siens que Jésus-Christ remplit toutes choses, ensuite et subsidiairement, qu’il les y remplit de lui et pour lui.

Christ remplit toutes choses dans les siens. Cela signifie que, comme la tête fournit à tous les membres du corps, les sucs, et les esprits qui y entretiennent la vie et les rendent capables de fonctionner chacun en sa place, ainsi Christ communique à tous ses disciples, en se donnant lui-même à eux, et dans une mesure suffisante pour tous leurs besoins, ces grâces spirituelles dont Dieu a déposé en lui le trésor inépuisable. Il comble en chacun d’eux tous les vides, ceux du cœur, ceux de la conscience et ceux de l’entendement, ceux qui regardent vers le temps et ceux qui regardent vers l’éternité, ceux qui tiennent à l’état normal et ceux qui tiennent à l’état de chute, et tout autre vide qui se peut nommer dans ce siècle ou dans celui qui est à venir ; et il les comble, en les remplissant de lui-même, ainsi qu’il est lui-même rempli de Dieu. C’est la pensée que l’Apôtre développe dans le chapitre 4 de notre épître, versets 14 et 15. Cela étant, l’Église, qui est la réunion vivante de tous les membres de Jésus-Christ, est la plénitude de Christ, c’est-à-dire l’ensemble harmonique et complet de toutes les grâces et de tous les dons que Jésus-Christ répartit entre tous ses membres. Il semblerait plus naturel de dire que l’Église possède la plénitude de Jésus-Christ ; mais l’expression de notre texte, est la plénitude de Jésus-Christ, dit la même chose avec plus d’énergie, et en termes qui rappellent plus vivement que l’Église est une avec Jésus-Christ. Cette union semble si étroite à l’Apôtre qu’il va jusqu’à appeler l’Église Christ dans la première épître aux Corinthiens (12.12) ; car les mots : « Il en est de même de Christ, » ne peuvent avoir d’autre sens que celui-ci : Il en est de même du corps de Christ, qui est l’Église. Lisez tout ce chapitre ; il est comme le commentaire de notre verset.

Deux mots sur les autres passages du Nouveau Testament où se trouve le mot plénitude dans le même sens qu’il a dans notre texte, ou dans un sens analogue. Ce mot s’applique premièrement à Dieu. « La plénitude de la divinité » (Colossiens 2.9), appelée aussi, sans complément, « la plénitude » (Colossiens 1.19), c’est ce fond ineffable de gloire et de grâce qui réside en Dieu et remplit en quelque sorte tout son être, et qui se communique11 d’abord de Dieu à Christ, et puis de Christ à nous. « Toute la plénitude a voulu « habiter en lui » (dans le Fils), écrit saint Paul aux Colossiens (1.19) ; et encore : « Toute la plénitude de la divinité habite en lui (en Christ) corporellement » (Colossiens 2.9). Voilà la plénitude de Dieu se communiquant à Christ. Et voici, aussitôt après la plénitude de Christ se communiquant aux croyants ; (verset 10) : « Et en lui, vous êtes remplis. » Ces deux passages de l’épître aux Colossiens ont, pour le fond de la pensée, beaucoup de rapport avec Éphésiens 1.23 ; d’autant plus que Christ y apparaît dans le contexte, aussi bien que dans la fin de notre chapitre, comme la tête (dans le sens général de ce mot) de toutes les puissances de l’univers, et, comme la tête (dans le sens spécial du mot) de l’Église qui est son corps (Colossiens 2.10 ; 1.16, 18).

11 – Selon Harless, cette idée de communication est essentielle à la définition de la plénitude de Dieu. La plénitude de Dieu, à peu près synonyme de la richesse de Dieu (Philippiens 4.19 ; Éphésiens 3.8), est le Scheschinah des Juifs, c’est-à-dire la présence réelle de la majesté divine. Elle diffère de la gloire en ce que la gloire est la majesté divine en soi, tandis que la plénitude est la majesté divine dans sa manifestation.

Même doctrine en saint Jean (Jean 1.14-16) : « La parole a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité : » voilà la plénitude du Père habitant dans le Fils ; et voici la plénitude du Fils se communiquant à nous : « Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce. »

Nous retrouverons le mot plénitude dans deux endroits de notre épître qui nous paraissent suffisamment éclaircis par ce que nous venons de dire, et que nous nous bornons à indiquer ici, puisque nous aurons à y revenir (3.19) : « Afin que vous soyez remplis jusqu’en toute la plénitude de Dieu. » C’est-à-dire afin que vous soyez tellement remplis de Christ (verset 19), ou de Dieu en Christ, que toute la plénitude de Dieu réside en vous (4.13) : « Jusqu’à ce que nous parvenions…à l’homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude de Christ ; » c’est-à-dire jusqu’à ce que nous atteignions l’état d’homme fait et cet âge spirituel où l’on possède la plénitude de Christ.

Dans les deux endroits que je viens de citer, il est question d’une plénitude de Christ, ou de Dieu, pour chaque fidèle, tandis que dans Éphésiens 1.23, il n’en est question que pour l’Église. C’est que le point de vue de l’Apôtre a varié. Dans un cas, il s’occupe de tout le corps, et par conséquent d’une plénitude collective ; dans l’autre, il s’occupe de chaque membre pour soi, et par conséquent d’une plénitude individuelle. Il suffit à la plénitude d’un membre qu’il soit plein de Christ, quant à lui ; mais il faut pour la plénitude du corps que tous les membres le soient également. Ainsi la plénitude du corps est le résultat de la plénitude de tous les membres.

Je disais que ces passages sont suffisamment éclaircis. Mais je m’exprimais mal. Qui ne sent que ce mot plénitude, comme tant d’autres mots des Écritures divines, ne sont pas, ne peuvent jamais être épuisés par aucune explication humaine ? Il y reste toujours un fond ou l’analyse ne pénètre pas, et qui se sent par le cœur mieux qu’il ne se définit par l’intelligence. Nous avons beau faire : notre langage, trop étroit, joue toujours dans les choses de Dieu. Grâces à Dieu, l’esprit de l’homme va plus loin que son langage ; mais de combien les réalités de Dieu dépassent-elles encore et notre esprit et notre imagination même !

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