Nous en venons à l’étude spéciale de certaines prophéties de Daniel qui présentent pour nous un intérêt particulier et dont l’interprétation est d’une importance capitale pour résoudre la question de l’authenticité du livre. Ces prophéties sont celles que contiennent les chapitres 2 et 7 et celle du chapitre 9. Nous commencerons par cette dernière, dont l’accomplissement a depuis longtemps eu lieu, tandis que l’autre a pour objet une époque encore à venir et, par là, se rattache de très près à l’Apocalypse de saint Jean.
Le chapitre 9 nous transporte à la première année de Darius le Mède. On s’accorde à reconnaître que ce Darius n’est autre que Cyaxare II, au nom duquel Cyrus, son neveu, son gendre et plus tard son successeur, prit Babylone à la tête de l’armée médo-perse. Cet événement eut lieu l’an 538 avant notre ère. Par conséquent le fait rapporté dans ce chapitre doit avoir eu lieu en 537, c’est-à-dire un an avant l’édit par lequel Cyrus autorisait les Juifs à rentrer dans leur patrie et 69 ans après le commencement de la captivité.
Il n’est pas étonnant que, dans un moment comme celui-là, un Israélite sincèrement attaché à Jéhova et à son peuple se sentît pressé de méditer sur cet oracle de Jérémie à teneur duquel Jérusalem devait demeurer en ruines pendant soixante-dix ans. Mais Daniel ne sondait l’Écriture qu’avec prière. Il répand son cœur devant Dieu et le supplie ardemment de faire grâce au peuple sur lequel son nom est invoqué, de rétablir le sanctuaire et la cité sainte. C’est une de ces prières, comme il y en a dans la Bible, qui ôtent toute envie de commenter et dont nous sentons bien que nous ne pouvons comprendre la portée, si notre cœur ne nous les explique en se les appropriant. Dans cette prière vraiment sacerdotale, le juste Daniel, ce fidèle serviteur de Jéhova, s’associe entièrement à la coulpe et au péché de son peuple, il fait pénitence au nom de tout Israël, il s’identifie tellement à lui que nous pressentons en lisant ces pages la substitution expiatoire et que nous oublions Daniel pour songer aux prières de Gethsémané et au sacrifice de Golgotha. Ainsi, nous voyons dans ce cas particulier ce que nous avons déjà pu remarquer d’une manière générale, c’est que la vie de Daniel est comme un type de sa prophétie : ici, l’annonce de la propitiation parfaite est immédiatement précédée d’un fait qui la préfigure. Daniel, dans cette confession des péchés, est bien le type de ce souverain sacrificateur qui, en étant retranché (verset 26), fit cesser les sacrifices et les oblations de l’ancienne alliance (verset 27), parce qu’il avait fait propitiation pour l’iniquité et amené la justice éternelle. (verset 24.) À ce moment où il venait de faire lui-même acte de sacrificature, Daniel ne devait-il pas être tout particulièrement en état de recevoir cette révélation sur l’œuvre sacerdotale du Messie ? Et cette prière, qu’on ne peut lire sans en être pénétré jusqu’à la moelle des os, pourrons-nous réellement croire qu’elle a été fabriquée à loisir, par une supercherie littéraire ? La légèreté avec laquelle la critique de notre temps tranche des questions pareilles ne fait pas honneur à son sérieux et à son discernement en fait de vérité et de véracité religieuses.
En nous hasardant maintenant à aborder la révélation communiquée au prophète en réponse à sa prière (versets 24 à 27), nous devons avant tout rappeler que c’est un ange qui parle dans ces quatre versets d’un style si concis et pour ainsi dire lapidaire. L’intelligence en est difficile pour nous autres, « hommes souillés de lèvres » (Ésaïe 6.5), et il n’y a pas d’interprétation qui en ait dissipé entièrement les obscurités. Mais ici, comme partout, la méthode à suivre pour pénétrer autant que possible dans le sens de ces paroles, c’est de les rapprocher de leur contexte et de se représenter vivement ce qu’était Israël au moment où elles furent prononcées.
Daniel prie pour qu’Israël soit délivré de la captivité et pour que la ville et le sanctuaire soient rebâtis. S’il le demande, c’est évidemment parce qu’il songe aux grandes promesses qui se rattachent à ces événements. Toutes les prophéties, en effet, et en particulier celles de Jérémie, qui le préoccupaient alors (Jérémie 29.10 ; 32.36 et suivants), établissaient une liaison intime entre ces faits et l’accomplissement des espérances messianiques. À la vérité, les révélations qu’avait déjà reçues Daniel (chapitres 2 et 7) pouvaient lui apprendre que le règne du Messie, du moins son règne de gloire, n’était pas aussi prochain qu’il le supposait peut-être, puisque des quatre monarchies une seule encore avait achevé son rôle. Mais ce n’était pour lui qu’une difficulté de plus et il lui était d’autant plus nécessaire d’obtenir une explication relativement à ces oracles des anciens prophètes qui rattachaient le salut apporté par le Messie à la délivrance de la captivité. La révélation qu’il obtient maintenant sert à lui faire distinguer deux faits que les prophètes antérieurs avaient vus réunis, d’après cette loi de perspective que nous avons souvent rappelée, la délivrance de la captivité et la pleine délivrance opérée par le Messie. Plus d’une fois déjà, dans l’Ancien Testament, on avait vu se réaliser en petit des prophéties qui devaient avoir encore une autre réalisation, supérieure et définitive. C’est ainsi que les anciennes promesses avaient trouvé déjà en David un accomplissement en quelque sorte provisoire : mais, comme le prophète Nathan fut chargé de le lui annoncer, ce n’était pas David qui devait édifier une maison à Jéhova, c’était Jéhova qui voulait en édifier une à David et c’était précisément à ce fils promis qu’il était réservé de préparer au Seigneur une habitation au milieu de son peuple. (2Samuel 7.) De même, dans la prophétie qui nous occupe, au moment où la délivrance promise va trouver son accomplissement partiel à la fin des soixante-dix ans annoncés par Jérémie, un nouveau terme plus éloigné est fixé à Daniel, une période de sept fois soixante-dix ans doit s’écouler encore entre cet accomplissement prochain de la prophétie et son plein accomplissement, entre l’ordre de rebâtir Jérusalem et l’époque du Messie attendu. Quand Pierre demande s’il doit pardonner à son frère jusqu’à sept fois, le Seigneur lui répond : « Non pas sept fois, mais sept fois soixante-dix fois. » (Matthieu 18.21 et suivants) Ici de même, l’ange répond à Daniel : « Non pas soixante-dix ans, mais soixante-dix fois sept ans, voilà le temps déterminé sur ton peuple et sur ta ville sainte. » Voici le passage dans son entier :
« Sois attentif à la parole et comprends la vision ! Septante semaines ont été fixées sur ton peuple et sur ta ville sainte, pour faire cesser les transgressions, mettre fin aux péchés, expier l’iniquité et rétablir la justice éternelle, pour sceller la vision et le prophète et pour oindre le Saint des saints. Sache-le donc et comprends ! Depuis le moment où la parole aura ordonné que Jérusalem soit restaurée et rebâtie, jusqu’à l’Oint, le Prince, il y a sept semaines et soixante-deux semaines ; elle sera restaurée et rebâtie (mais seulement) avec places et fossés et dans des temps fâcheux. Après les soixante-deux semaines, l’Oint sera retranché, et il n’aura personne avec lui, et le peuple d’un prince qui viendra détruira la ville et le sanctuaire, et sa fin (la fin du sanctuaire) arrivera avec débordement (de maux) ; et jusqu’à cette fin il y aura guerre et dévastations déterminées (de Dieu). Et une semaine confirmera l’alliance à plusieurs, mais le milieu de la semaine fera cesser immolation et oblation. Et à cause du comble d’abominations qui amène la dévastation et jusqu’à la consommation du jugement qui a été déterminée, (le malheur) fondra sur le dévasté. » (Daniel 9.24-27.)
Le verset 24 est au nombre des passages les plus admirables, les plus riches, les plus profonds qu’il y ait dans tout l’Ancien Testament, et s’il y a jamais eu de prophétie messianique, c’est celle-ci plus que toute autre. L’ange veut avant tout faire comprendre à Daniel que le terme est encore long jusqu’à la réalisation de ses espérances et à l’exaucement de ses prières ; il veut lui faire comprendre que les soixante-dix ans de la captivité, tout en étant, comme il l’a confessé dans sa prière, un châtiment pour les péchés du peuple, n’en sont point pourtant l’expiation parfaite devant Dieu ; qu’enfin, bien que Dieu aille faire grâce à Israël déjà maintenant, ce ne sera pourtant qu’au bout de soixante-dix semaines d’années qu’aura lieu la propitiation parfaite, le pardon complet des péchés, le rétablissement des rapports entre Dieu et les pécheurs (צֶדֶק, δικαιοσυνη, justice). Par quel sacrifice s’opérera cette propitiation ? Le Le verset 26 l’indique en disant : « le Messie sera retranché ; » ce mot יִכָּרֵת rappelle l’immolation des victimes lorsqu’on contracte une alliance (כָּרַת בְּרִית). Et à ceci se rattachent au Le verset 27 les mots וְהִגְבִּיר בְּרִית (« et il confirmera l’alliance ») et l’annonce de l’abolition des sacrifices de l’Ancien Testament, tant sanglants que non sanglants (זֶבַח וּמִנְחָה, « sacrifice et oblation »). Ainsi, il y a dans ces paroles de l’ange au prophète une série d’expressions qui s’enchaînent, qui se supposent et s’expliquent les unes les autres, et qui dans leur ensemble représentent le Messie comme étant la parfaite victime expiatoire et le vrai sacrifice par lequel l’alliance est confirmée ; et Daniel pouvait arriver à une idée encore plus précise de ce fait, en comparant la révélation qu’il recevait au chapitre 53 d’Ésaïe.
Dans ce temps de salut, continue l’ange, on verra s’accomplir, non seulement l’oracle de Jérémie, mais la vision et la prophétie en général (voyez Luc 16.16 ; 2 Corinthiens 1.20) ; on verra consacrer (oindre) à l’Éternel, non pas seulement un nouveau lieu saint, comme Daniel l’a demandé (versets 17, 20), mais un nouveau lieu très saint, dans lequel Dieu habitera au milieu de son peuple d’une manière nouvelle. Toutes les promesses sont résumées dans celle de l’habitation de Dieu au milieu de son peuple. (« Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. ») C’est pourquoi ce trait est amené le dernier, comme la conclusion de tout le reste ; il se rattache spécialement à ces mots : « mettre le sceau à la vision et à la prophétie » (c’est-à-dire en confirmer la vérité en les accomplissant), parce qu’il exprime ce qui en fait l’objet essentiel.
Il y a dans cette phrase six membres parallèles, formant, comme le montrent les accents, deux groupes distincts, dont l’un contient quatre propositions, et l’autre deux. De ces quatre premières propositions trois sont presque synonymes et expriment en termes divers une seule et même idée, l’expiation du péché. Pour annoncer cette grâce, l’ange accumule les expressions ; c’est une consolante réponse à cette confession des péchés (versets 4-19) dans laquelle Daniel, pénétré d’un vif sentiment de repentance, avait, lui aussi, accumulé les expressions pour peindre la culpabilité de son peuple. (versets 5 et 15.) Les trois premières propositions sont suivies d’une quatrième, qui dit encore la même chose, mais sous une forme affirmative : rétablir la justice éternelle, et qui est motivée également par certaines paroles de la confession de Daniel : non point sur nos justices (verset 18), selon toutes tes justices. (verset 16.) Ce passage, on le voit, insiste fortement sur l’expiation et la présente comme le fondement de tout le salut messianique. Une fois cette parfaite réconciliation opérée, les oracles des prophètes trouvent leur accomplissement et Dieu habite de nouveau au milieu de son peuple. Car ce qui avant tout empêchait l’accomplissement de la prophétie, c’était l’interdit causé par le péché : le Dieu de sainteté ne peut être présent où le péché n’a pas été entièrement banni. C’est pour cela que le couvercle de l’arche de l’alliance, sur lequel l’Éternel trônait dans le saint des saints, était en même temps le propitiatoire par excellence (ἱλαστηριον, Romains 3.24-25) : il y avait dans ce fait un type qui devait trouver sa réalisation dans les temps messianiques.
La mention qui est faite du Saint des saints à la fin du verset qui nous occupe s’explique aussi, d’une part, par la prière de Daniel qu’il désigne lui-même verset 20) comme « une supplication en faveur de la montagne du sanctuaire, » d’autre part par ce qui est dit plus loin. (verset 26.) On voit, en effet, au verset 26 que le sanctuaire, dont le verset 25 a annoncé le rétablissement, doit être détruit de nouveau dans les temps messianiques. Pour consoler d’avance de cette terrible perspective, l’ange promet qu’on verra consacrer alors à la place du sanctuaire détruit un sanctuaire des sanctuaires, un sanctuaire infiniment plus glorieux, qui sera réellement le saint des saints, la demeure de Jéhova, dans toute la force du terme. L’onction du Saint des saints est à la destruction du sanctuaire ce que la parfaite expiation est à l’abolition des sacrifices. (verset 27.) Quant à ce qu’il faut entendre par ce Saint des saints, le texte ne le dit pas expressément. Mais tout le contexte nous engage à le rapporter au Messie et il y a certainement dans le mot מְשׁחַ une allusion au מָשִׁיחַ des versets 25 et 26. (Le mot קֹדֶשׁ קָדָשִׁים n’a pas ici l’article qu’il prend ordinairement. Est-ce peut-être pour indiquer qu’il s’agit d’un nouveau saint des saints, supérieur à l’ancien et qui, bien que lui correspondant, n’est point pareil ? C’est ainsi que, comme nous le verrons, dans Apocalypse 18.3, les mots θηριον, ἐρημον, γυναικα ne sont pas non plus accompagnés de l’article. Quoi qu’il en soit, l’omission de l’article est si fréquente dans le morceau qui nous occupe et en général dans Daniel qu’elle ne doit point nous engager ici à détourner קֹדֶשׁ de son sens habituel, comme l’ont fait par exemple Hitzig et Hengstenberg. Ce dernier a d’ailleurs dit lui-même : « Il faut être fort prudent en argumentant de l’absence ou de la présence de l’article. ») Le premier sanctuaire avait été oint d’huile, et c’est par cette onction qu’il avait été consacré pour servir de demeure à Jéhova, pour devenir le lieu de sa présence au milieu de son peuple élu (Exode 30.22 ;40.9 et suivants ; Lévitique 8.40 et suivants) ; ce nouveau sanctuaire doit être oint aussi, non plus symboliquement, mais en réalité, non plus d’huile, mais de l’esprit. Car ce que nous avons ici, c’est précisément l’accomplissement des visions et des prophéties, et il n’est pas possible qu’il ne soit encore que symbolique comme ce qui le préfigurait. Cet accomplissement est en même temps ce qui met le sceau à la prophétie, ce qui la conclut et l’achève. Aussi, de même que l’expiation dont il s’agit ici est une expiation réelle, un rétablissement effectif de la justice éternelle, de même l’onction doit être une onction réelle et non pas seulement figurative. Or, dès qu’il en est ainsi, le Saint des saints dont il est question ne saurait être construit de pierres mortes, mais d’âmes vivantes, car il n’y a que celles-ci qui soient susceptibles d’être ointes de l’esprit de Dieu. Et, sur ce point, le livre de Jérémie, que Daniel avait justement alors sous les yeux, pouvait le mettre sur la voie. Il pouvait y voir (Jérémie 3.16 et 17) que dans les temps du Messie on n’aurait plus l’arche de l’alliance, mais que Jérusalem (la sainte cité envisagée en ses habitants) s’appellerait alors le trône de l’Éternel, c’est-à-dire que l’Éternel habiterait alors dans le peuple messianique lui-même, de même qu’il avait eu jusqu’alors son trône sur l’arche de l’alliance. (Comparez Jérémie 31.31-34.) Ésaïe (Ésaïe 33.20) avait dit déjà d’une manière analogue que Jérusalem deviendrait le tabernacle, et il avait aussi (verset 24), comme Daniel et comme Jérémie (Jérémie 31.34), rattaché ce fait au pardon des péchés. Le passage de Daniel qui nous occupe est un chaînon intermédiaire entre ceux des deux prophètes précédents : Jérémie parle de l’arche de l’alliance, Daniel du Saint des saints, Ésaïe du tabernacle. Ce Saint des saints dont l’onction a lieu quand le sanctuaire extérieur s’écroule, n’est donc autre que l’Oint lui-même, le Messie avec son peuple. La prophétie trouve son accomplissement dans la résurrection de Jésus-Christ et dans son ascension, qui ont fait habiter et resplendir en lui dans tout son éclat la majesté divine, – et dans l’effusion du Saint-Esprit, fait par lequel le Chef a commencé à se créer un corps, qui est l’Église, la demeure spirituelle de Dieu. (Jean 2.19-22 ; Colossiens 1.18 ; Ephésiens 2.20-22 ; 1 Corinthiens 3.16 ; 2 Corinthiens 6.16 ; 1 Jean 2.20.) Ces faits se rattachent à la mort de Christ de la même manière que, dans le verset qui nous occupe, l’onction du Saint des saints se rattache à l’expiation. Et ce sont aussi ces faits qui mettent principalement le sceau à la vision et à la prophétie, c’est avec ces faits que commence l’accomplissement de toutes les promesses qui ont été données depuis Abraham. Le passage Galates 3.13-14 correspond parfaitement à celui de Daniel que nous avons sous les yeux : l’accomplissement en Jésus-Christ de la bénédiction d’Abraham y consiste en ce que nous recevons l’esprit qui a été promis.
La prophétie des LXX semaines d’années est tout à fait au même niveau que celles de Jérémie et d’Ezéchiel, les prédécesseurs immédiats de Daniel ; elle oppose la nouvelle alliance, dans sa spiritualité et sa réalité, à ce que l’ancienne avait d’extérieur et de purement figuratif. C’est ce que prouve, éloquemment ce merveilleux verset 24, qui est le fondement et le centre de toute cette prophétie. Nous aurons souvent encore à y renvoyer. Pour le moment nous n’ajouterons plus qu’une observation, relative au remarquable enchaînement de ces prophéties. Daniel avait cherché l’explication des LXX années de Jérémie, cette explication lui est donnée par la prophétie des LXX semaines d’années. Il avait imploré pour son peuple le pardon des péchés ; en LXX semaines, lui est-il dit, l’expiation parfaite aura lieu. Il avait prié pour l’accomplissement de la promesse de Jérémie : dans LXX semaines d’années commencera l’accomplissement de toutes les promesses. Il avait prié pour le relèvement du sanctuaire : dans LXX semaines d’années sera oint le Sanctuaire des sanctuaires. Ainsi, tout ce qu’il a demandé sera surabondamment accompli. Ce qui va avoir lieu à l’expiration des LXX ans, à la fin de la captivité, n’en est encore qu’une faible image. Les trois versets qui suivent, ayant pour but d’en donner une idée plus exacte, indiquent la manière dont se répartissent les LXX semaines et précisent la prophétie messianique du verset 24.
verset 25. La première explication ajoutée à cette prophétie tout à fait générale que contient le verset 24, c’est que l’apparition du Messie (qui cette fois-ci est expressément désigné) n’aura point lieu, comme Daniel l’espérait sans doute, immédiatement après la captivité et ne coïncidera point avec la restauration du peuple et la reconstruction de la ville, mais qu’au contraire il doit y avoir entre ces divers événements et l’apparition du Messie un intervalle de 7 et de 62 (en tout de 69) semaines d’années. Dans les sept premières, Jérusalem sera, à la vérité, relevée, mais non point encore dans cette gloire messianique et divine promise par Jérémie (Jérémie 31.38-40) ou Ésaïe (Ésaïe 54.41 et suivants ; chapitres 60 à 62). Non, elle ne sera rebâtie que d’une manière tout extérieure et misérable, avec places et fossés ; ce sera un temps de misère, préférable sans doute à la captivité, mais qui ne pourra point se comparer aux temps de salut et de grâce où le Messie sera venu.
Ainsi l’ange détourne le regard de Daniel de la fin de la captivité et le dirige sur la fin de la soixante-neuvième semaine, époque où le Messie doit paraître. Car le destin du peuple et de la cité sainte, qui préoccupe le prophète, ne dépend que de la position qu’ils prendront à l’égard du Messie. Aussi, dans les deux versets suivants, nous voyons figurer au premier plan ce qui concerne le Messie, tandis que (comme déjà du reste au verset 25) le destin de Jérusalem et du sanctuaire ne figure plus qu’en seconde ligne. Mais cette prophétie relative au Messie présente deux faces différentes, car « il est mis pour être une occasion de chute et de relèvement à plusieurs en Israël et pour être un signe auquel on contredira. » (Luc 2.34.) Chez tous les prophètes, de Joël (Joël 3.1-5) jusqu’à Malachie (Malachie 3.1-6, 19-21) et même jusqu’au vieux Siméon et à Jean-Baptiste (Luc 2.29-35 ; 3.7-18), la prophétie messianique présente cette double face et annonce à la fois salut et jugement. Il en est de même ici, mais d’une manière plus restreinte, puisque le regard est borné d’une part à la carrière terrestre du Messie, de l’autre à ce qui s’y rattache pour le peuple et pour la ville, la destruction de Jérusalem par les Romains. Le verset 26 nous montre le côté pour ainsi dire négatif de l’œuvre du Messie, le verset 27 nous en montre le côté positif.
verset 26. Le Messie est rejeté par Israël, il est mis à mort et son peuple refuse de le reconnaître. En punition de ce crime, la ville et le sanctuaire sont détruits par un peuple étranger. Jésus lui-même, en allant à la croix, et auparavant déjà dans la semaine de la passion, a signalé la connexion de ces deux événements. (Luc 23.28-31 ; Matthieu 21.37-41 ; 23.37-38.) La dernière partie du verset détermine le caractère de cette destruction : « la fin (de la ville et du sanctuaire) est avec débordement (de guerre), et jusqu’à cette fin il y aura guerre (comparez Matthieu 24.6, guerres et bruits de guerre) et dévastations déterminées (de Dieu). » En effet, depuis le moment où le peuple eut rejeté le Christ, la détresse, les dévastations, les maux de la guerre, allèrent toujours croissant, jusqu’à ce qu’ils aboutirent à la fameuse guerre contre les Romains et à la ruine de Jérusalem. Josèphe nous a laissé un tableau frappant de la misère inouïe de ce temps-là.
Le rejet du Messie et, comme conséquence, la ruine de Jérusalem et du temple, tels sont pour le peuple pris dans son ensemble les événements capitaux de cette époque messianique qui commence à la fin de la soixante-neuvième semaine. Aussi ces événements sont-ils les premiers signalés, et cela sans autre détermination chronologique que celle-ci : après les soixante-deux semaines, c’est-à-dire, en y joignant les sept semaines mentionnées au verset précédent, après la soixante-neuvième semaine. L’idée essentielle du verset 26 est donc la mention de ces deux événements et de la connexion qu’il y a entre eux. En effet, Daniel et les Israélites qui lisaient sa prophétie devaient s’attendre à ce que le Messie, lorsqu’il paraîtrait après les soixante-deux semaines (verset 26), fondât ce règne glorieux, vers lequel Israël tournait ses regards et que le prophète lui-même avait contemplé d’avance. (chapitres 2 et 7.) Or, pour couper court dès l’abord à cette attente qui ne doit pas être réalisée, Gabriel abandonne pour un instant l’ordre chronologique (qu’il reprendra au verset 27) et rapproche de cette détermination générale : « après les soixante-deux semaines, » les événements destinés à dissiper cette espérance illusoire, à savoir le rejet du Messie et la destruction de Jérusalem. Il n’entend point dire par là que ces faits auront lieu immédiatement après la fin de la soixante-deuxième semaine. Au contraire, car, d’après le verset 25, c’est alors seulement que paraît le Messie, et il est suffisamment évident que ce n’est pas par sa mort que commencera son œuvre ; sa mort, nous le verrons au verset 27, n’aura lieu qu’une demi-semaine plus tard et la destruction de Jérusalem arrivera bien plus tard encore. Si ce dernier fait est rattaché ici à l’œuvre messianique, c’est qu’il en est une face ; il en est la face négative, la conséquence pour ainsi dire légale, et Jésus lui-même l’a représenté comme « la venue du Fils de l’homme en son règne. » (Matthieu 26.28.) L’ange veut donc dire : Tu dois renoncer non seulement à l’espérance de voir le Messie paraître tout de suite après la captivité, mais encore à celle de le voir établir son règne glorieux aussitôt qu’il sera venu. C’est l’inverse qui doit avoir lieu ; il sera livré à la mort par le peuple infidèle, et ce peuple à son tour n’obtiendra point la puissance et la gloire qu’il attend, mais sera livré aux mains des gentils, avec sa ville et son temple. Tel sera le sort d’Israël comme peuple dans l’avenir messianique le plus prochain.
On comprendra par ce que nous venons de dire pourquoi le Messie est ici désigné successivement par deux expressions différentes. Il est appelé d’abord, au verset 25, Mashiakh Naghid, c’est-à-dire le Messie (l’Oint) le Prince ; au verset 26 au contraire, ces deux titres ne sont plus réunis sur une même personne : le Messie n’est plus que le Messie (Mashiakh) et le titre de Naghid est transféré au prince romain qui détruit Jérusalem, à Titus. Tout cela est caractéristique et très significatif. Hofmann en donne une explication satisfaisante. Le titre de Mashiakh Naghid désignait les deux faces de la royauté du Messie. Mashiakh, c’est le roi d’Israël, le roi spirituel, oint de l’esprit. (Psaume 2.2.) Naghid, c’est le roi des nations, le monarque qui gouverne le monde. (Ésaïe 55.4.) Le Messie avait pour Daniel ce double caractère : dans les visions du chapitre 7, il avait contemplé le Fils de l’homme, qui à la tête du peuple saint régnait sur le monde entier. Mais la mort du Messie (verset 26) a fait voir qu’il n’était pas encore en fait le dominateur du monde ; loin de là, le monde appartenait alors à la quatrième monarchie dont, pour cette raison, le représentant est appelé ici Naghid. La cause de la condamnation de Jésus, c’est le témoignage qu’il a rendu de lui-même en se déclarant le Mashiakh (Matthieu 26.63 et suivants ; Jean 18.33-37), et l’écriteau placé sur la croix a été un accomplissement littéral de la prophétie que nous avons sous les yeux : Jésus de Nazareth, roi des Juifs. (Matthieu 27.37-42.)
L’explication proposée par Ebrard est à bien des égards préférable encore à celle de Hofmann. D’après lui, le Naghid du verset 26 n’est pas Titus, mais Christ lui-même qui, comme nous l’avons déjà rappelé, désigne la destruction de Jérusalem comme sa venue en son règne, « Le Sauveur, dit Ebrard, est appelé l’Oint, quand il est question de ses souffrances et de son rejet ; il est appelé le Prince, quand il est question du jugement qu’il exerce sur ceux qui l’ont rejeté. Le mot Mashiakh désigne sa dignité, Naghid sa force et sa puissance. Un peuple, envoyé par ce Prince, détruira la ville et le temple. Ceci fait un contraste magnifique avec les mots אֵין לוֹ. Il est retranché, personne n’est pour lui, et il est le Prince qui doit venir et à qui obéiront les peuples de la terre. »
verset 27. Toutefois ces deux tristes événements, la mort violente du Messie et la destruction de la ville et du temple, ne sont pas tout ce que l’ange a à annoncer au prophète : il y ajoute une promesse réjouissante. Le Messie en effet apporte avec lui une semaine de révélation et de salut dont parle le verset 27. Sans doute le peuple dans son ensemble ne profite point de cette grâce, – et c’est ici que s’applique le וְאֵן לוֹ du verset 26, – mais il y a cependant un grand nombre d’hommes qui en profitent ; tandis que les uns attirent sur eux la condamnation et la ruine, le Messie confirme aux autres l’alliance, il les fait entrer dans une relation encore plus intime et plus constante, avec Dieu, il fonde une nouvelle économie où le sacrifice et l’oblation ne trouvent plus de place : c’est ce que donnaient déjà à entendre les promesses du verset 24 et l’annonce de la destruction du sanctuaire au verset 26. Nous avons déjà montré comment il avait été possible à Daniel de voir dans cette mort du Messie prédite au verset 26 le sacrifice de la nouvelle alliance, mettant fin à ceux de l’ancienne. Mais, – c’est le sens de ce qui suit, – à cause du crime abominable commis contre le Saint de Dieu par le peuple rebelle, la malédiction continuera à reposer sur la ville désolée et sur le temple détruit, jusqu’au moment que Dieu a fixé d’avance et dans lequel le jugement sera consommé. Ces derniers mots devaient faire luire aux yeux de Daniel encore un rayon d’espérance, en lui montrant en perspective le salut final de Jérusalem et d’Israël. C’est ainsi que se termine la prophétie.
Nous ajoutons quelques remarques explicatives sur ce difficile verset.
« Confirmera l’alliance. » Ce passage n’est point le seul où l’œuvre du Messie soit désignée de cette manière. Dans Ésaïe (Ésaïe 42.6 ; 49.8), le Messie est appelé l’alliance du peuple, c’est-à-dire celui qui réalise en sa personne l’alliance d’Israël avec Dieu. (Comparez Luc 22.20 : « la nouvelle alliance en mon sang, » moi dont le sang est répandu pour vous.) Dans Malachie 3.1, il est appelé l’ange de l’alliance. Jérémie 31.31 (et suivants) parle avec détail de la nouvelle alliance que l’Éternel contractera avec son peuple au temps du Messie. Dans Ezéchiel 16.60, comme dans le passage de Daniel qui nous occupe, la nouvelle alliance est présentée comme une confirmation et une continuation de l’ancienne : « Je me souviens de l’alliance que j’ai faite avec toi aux jours de ta jeunesse et j’établis avec toi une alliance éternelle. » (Comparez encore Jérémie 32.40 ; Ezéchiel 34.25 ; 37.26 ; Ésaïe 55.3.)
Le mot לָרַבִּים (à plusieurs, ou plutôt à un grand nombre) paraît être une allusion directe à Ésaïe 53.11. C’est aussi celui dont se sert ailleurs Daniel (Daniel 11.33) en parlant des membres fidèles du peuple de Dieu, ceux que saint Paul appelle, d’après Ésaïe et d’autres prophètes, un reste, un résidu, λειμμα κατ’ ἐκλογην χαριτος. (Romains 9.27 ; 11.5 et suivants ; Ésaïe 1.9 ; 10.22-23.) Dans l’Ancien Testament, ces élus sont appelés un grand nombre, dans le Nouveau un petit.
« Et une semaine confirme l’alliance à un grand nombre. » Ceci est en rapport étroit avec ce qui le suit immédiatement. « Mais le milieu de la semaine fera cesser immolation et oblation. » Il n’y a pas d’alliance sans sacrifice. L’expression כָּרַּת בְּרִית suffirait pour le prouver. (Comparez Psaume 50.5.) Les alliances que Dieu a contractées avec Noé, avec Abraham, avec le peuple d’Israël, ont été confirmées par des sacrifices. (Genèse 8.20 à 9.17 ; 15.9 et suivants ; Exode 24.3-8 ; comparez Hébreux 9.15 et suivants et le passage déjà cité de saint Luc : « la nouvelle alliance en mon sang. ») Et voilà que l’ange promet un temps où l’alliance sera confirmée, mais au milieu duquel toute espèce de sacrifice doit cesser ! Il y avait là de quoi étonner le prophète et l’ange se le proposait en effet. Que veut-il donc lui donner à entendre en rapprochant ces deux expressions qui devaient lui paraître contradictoires ? Évidemment, il veut lui apprendre par là que cette nouvelle alliance sera d’un tout autre genre que l’ancienne et que toutes les alliances précédentes entre Dieu et les hommes. Le commencement du verset avait représenté cette nouvelle alliance comme une continuation de l’ancienne ; ceci au contraire montre le contraste qu’il y a entre elles. Dans sa prière (versets 16 et 17), Daniel avait rappelé, avec soupirs, la montagne sainte, le temple où s’étaient célébrés ces sacrifices et ce culte qu’il regrettait sur là terre étrangère. Maintenant Gabriel lui promet, il est vrai, que la ville et le temple seront rebâtis, mais nous savons qu’il s’attache en même temps à détourner le regard du prophète de ces institutions qui ne sont qu’imparfaites et provisoires, pour le diriger vers le temps du salut parfait. Ainsi Daniel et les vrais Israélites ne doivent plus s’arrêter à ce culte figuratif réintroduit après la captivité, ils doivent vivre dans l’attente (προδεχομενοι, Luc 2.25, 38) du temps qui leur est promis, du temps où les péchés seront expiés parfaitement, où l’alliance sera rendue plus ferme que jamais et où néanmoins les anciens sacrifices n’auront plus lieu. On sait que, dans les psaumes et dans les prophètes, il y a déjà des passages très catégoriques sur l’insuffisance des sacrifices de l’ancienne loi. Qu’on se rappelle surtout les versets 7-11 du Psaume 40. Ce passage commence par dire : « Tu ne demandes point d’immolation ni d’oblation, » et parle ensuite de la prédication de la justice. (צֶדֶק) C’est la même chose que dans Daniel, seulement l’ordre est précisément inverse. Daniel parle d’abord (verset 24) du rétablissement de la justice éternelle, et ensuite (verset 27) de l’abolition du sacrifice et de l’oblation. Quand le culte lévitique approchait de sa fin et lorsque la captivité l’eut supprimé, la tâche de Jérémie, d’Ezéchiel et de Daniel fut d’opposer toujours plus énergiquement au sanctuaire terrestre de l’Ancien Testament la réalité spirituelle et éternelle de la nouvelle alliance. Nous ferons remarquer encore le mot יַשֵׁבִּית qui désigne, non pas seulement une suppression temporaire, mais une cessation absolue, et les mots זֶבַח וּמִנְחָה qui sont l’expression usitée et officielle pour résumer tous les divers genres de sacrifices sanglants et non sanglants.
Cependant cette mention indirecte du sacrifice de Christ – qui met fin aux sacrifices de l’Ancien Testament – a rappelé à l’ange le יִכָּרֵת du verset 26 et le crime abominable du peuple livrant à la mort le Messie. Il y revient donc dans la seconde partie du verset. Au reste le parallélisme des versets eût suffi pour l’y ramener. En effet, déjà, dans chacun des deux versets précédents, il était question d’abord du Messie, puis de la ville et du temple. Nous traduisons ainsi la seconde partie du verset 27 : « Et à cause du comble d’abominations qui cause la dévastation et jusqu’à la consommation du jugement qui a été déterminée, (le malheur) fondra sur le dévasté. »
Les mots וְעַל כְּנַף שִׁקֻצִים מְשׁוֹמֵם sont entendus différemment par Hengstenberg. Selon lui ils signifient : « Sur le comble des abominations vient le dévastateur. » Mais les raisons suivantes nous obligent à préférer l’explication d’Ewald qui voit dans מְשׁוֹמֵם un adjectif se rapportant à כְּנַף :
Le comble des abominations commises par Israël entraîne à sa suite la dévastation. C’est une application du principe énoncé par Jésus (qui le rapporte précisément au même cas) : « Où est le corps mort s’assembleront les aigles. » (Matthieu 24.28.) D’autres passages offrent des rapprochements encore plus frappants. Il est dit par exemple, dans une prophétie d’Ezéchiel (Ezéchiel 7.22 ; comparez Daniel 9.7) relative à la destruction de Jérusalem par Nébucadnetzar : « Je détournerai ma face d’eux (des Israélites), parce qu’ils ont profané mon sanctuaire, et il y entrera des saccageurs (païens) qui le profaneront. » Le culte d’un peuple qui a rejeté et fait mourir l’Oint du Seigneur n’est plus qu’un culte idolâtre et abominable. Ce sont les mêmes abominations qu’Apocalypse 17.4-5 nous montre dans la chrétienté déchue. Ésaïe déjà avait été chargé de dire à Israël : « Ne m’apportez plus d’oblation de mensonge ; l’encensement m’est une abomination. » (Ésaïe 1.13 ; comparez Jérémie 6.15-21 ; Amos 5.21 et suivants ; Michée 6.6-7 ; Psaume 51.18 et suivants) Jérémie aussi a dit à deux reprises : « Les fils de Juda ont fait ce qui est mal à mes yeux, ils ont mis leurs abominations dans la maison qui est appelée de mon nom, pour la souiller » (Jérémie 7.30 ; 32.34), et Ezéchiel à son tour a parlé des « infamies et des abominations » (שִכּוּצִים וּתוֹעֲבוֹת) commises par le peuple parjure et qui ont amené la première destruction de Jérusalem. (Ezéchiel 5.5-11 ; 11.18-21.) Si de là nous passons à l’époque même où la prophétie de Daniel a eu son accomplissement, nous trouvons des paroles tout à fait analogues. Il suffira de rappeler celles de Jésus (Matthieu 24.15) qui cite expressément ce passage de Daniel ; puis celles d’Etienne (Actes 7.51-53) et de Paul. (Romains 2.22-25 ; 1 Thessaloniciens 2.15-16.) Mais le passage le plus frappant est celui-ci : « Vous avez fait de la maison de Dieu une caverne de voleurs. » (Marc 11.17.) En effet, après la mort du Christ, les abominations allèrent toujours croissant, jusqu’à ce qu’enfin, peu avant la ruine de Jérusalem, elles arrivèrent à leur comble, alors que le temple fut profané par les zélotes. C’est à eux peut-être que Jésus appliquait d’avance les passages de Daniel (Matthieu 24.15) ; c’est d’eux aussi que parle Josèphe dans les lignes suivantes qui contiennent une allusion irrévocable à ce même passage : « Un ancien oracle disait qu’alors la ville serait prise et le temple brûlé par la guerre, quand la sédition éclaterait et que le temple de Dieu serait profané par les propres mains des Juifs ; les zélotes y croyaient, mais se firent eux-mêmes les instruments de l’accomplissement de ces paroles. »
Le mot כְּנַף (proprement ailé) a été expliqué de bien des manières. Il nous paraît qu’il a pu se dire, comme πτερυγιον (dont le sens étymologique est le même), de la partie la plus élevée d’un bâtiment, les créneaux, le comble, le faîte. (Matthieu 4.5 ; Luc 4.9.) Dans tous les cas, il est souvent employé pour désigner l’extrémité d’un vêtement, par exemple (Zacharie 8.23 ; Aggée 2.12), de la terre (Job 37.3 ; 38.13), etc. La traduction la plus légitime est donc celle que nous avons adoptée : à cause du comble (ou de l’extrémité) des abominations. שִׁכּוּצִים se dit toujours d’abominations au sens propre du mot, c’est-à-dire d’abominations qui déshonorent un lieu saint (Matthieu 24.5), qui sont où elles ne doivent pas être. (Marc 13.14.)
Il y a dans … וְעַל et … וְעַד un parallélisme qui n’a pas été assez remarqué : l’un indique la cause, et par conséquent le point de départ, du jugement qui fondra sur Israël ; l’autre en indique le terme final.
L’expression כָּלָה וְנֶחֱרָצָה (comparez Daniel 11.36) se trouve pour la première fois dans Ésaïe 10.23 ; 28.22 et signifie proprement : extermination et détermination. On a conjecturé que c’était peut-être un terme de jurisprudence usité dans les tribunaux pour exprimer, par exemple, une condamnation à mort irrévocable. Dans les deux passages d’Ésaïe où cette expression est employée, elle désigne le jugement complet et définitif que Dieu a irrévocablement déterminé de faire subir à son peuple et même au monde tout entier. Jusqu’à ce jugement la malédiction se répandra sur la cité et sur le temple, sur le pays et sur le peuple, elle ne sera pas levée avant ce moment-là, et même c’est alors seulement qu’elle arrivera à son comble. Ces paroles ont dans le livre même de Daniel un analogue qui les explique : כְּכַלוֹת נַפֵּץ יַד–עַמ–כֹדֶשׁ « lorsque la force du peuple saint aura achevé d’être dispersée. » (Daniel 12.7 ; comparez Daniel 7.25.) Mais enfin, ce sera là le terme de cette malédiction. Elle a donc son temps déterminé, et ceci même suppose le salut qui doit un jour avoir lieu et que Daniel a entrevu lorsqu’il lui a été révélé (Daniel 7.25 et suivants) qu’après une dernière humiliation plus terrible que les autres le peuple saint régnera un jour sur le monde. Il est conforme en effet à l’idée de cette prophétie et à son but de se terminer par une lueur d’espérance pour Israël et non par une perspective d’épouvante.
Quant au mot תִּתַּדְ, il est employé comme impersonnel. Cette forme, dit Hævernick, a une énergie particulière ; l’absence d’un sujet déterminé donne champ libre à l’imagination et fait supposer au lecteur des choses que l’auteur n’aurait, pour ainsi dire, pas de mots pour exprimer. Quoi qu’il en soit, il faut remarquer aussi qu’en employant cette expression l’ange fait une dernière allusion à la prière de Daniel qui avait dit (verset 14) : « Elle s’est répandue sur nous (וַתִּתַּדְ עַלֵינוּ) la malédiction et l’exécration écrite dans la loi de Moïse. »
Cette interprétation est la seule qui permette de ne pas voir dans la seconde moitié du verset 27 une simple répétition de la seconde moitié du verset 26, mais une gradation de l’une à l’autre. Au verset 26, l’ange prophétise la destruction de la ville et du sanctuaire ; le verset 27 annonce qu’ils resteront détruits jusqu’au terme que Dieu a déterminé. De la sorte, on conçoit d’une manière parfaitement claire et simple le rapport du verset 27 au verset 26 et de tous deux au verset 25. Dans chacun de ces trois versets, la première partie parle du Messie ; la seconde, de la ville et du temple. Le verset 25 indique d’une manière générale l’apparition du Messie, et montre que Jérusalem tout en étant rebâtie longtemps auparavant ne le sera pourtant qu’au milieu de bien des difficultés. Le verset 26 représente de plus près encore le côté sombre de l’apparition du Messie : on y voit le Messie mis à mort par le peuple incrédule, et comme conséquence de ce crime, Jérusalem détruite par une puissance étrangère. Le verset 27 nous montre le côté lumineux de cette apparition du Messie : l’établissement d’une alliance nouvelle. On serait tenté d’attendre immédiatement après, pour compléter l’antithèse de ces deux versets, une annonce de l’avenir brillant de Jérusalem. Mais non, la malédiction continue (il, c’est-à-dire le malheur, fondra sur le désolé). Et pour en rappeler le motif, Gabriel oppose encore une fois à l’œuvre bienfaisante du Messie les péchés de la masse du peuple (à cause du comble des abominations). Mais du moins il laisse entrevoir que ce jugement aura un terme (jusqu’à la consommation du jugement qui a été déterminée) et qu’il sera suivi d’une nouvelle aurore pour le peuple de Dieu.
Ainsi, pour résumer l’ensemble de cette prophétie, nous voyons que Daniel, dont l’intercession avait avant tout en vue l’avenir le plus prochain, n’a obtenu sur ce point-là que de médiocres espérances. Sans doute Jérusalem sera reconstruite et la captivité prendra fin, mais cette restauration d’Israël ne sera que provisoire et plusieurs siècles se passeront encore dans l’attente. Quant à un avenir plus éloigné, Daniel reçoit une double réponse : d’une part, l’ange lui annonce l’avènement du Messie qui apportera à plusieurs le salut parfait de la nouvelle alliance ; d’autre part, il lui prédit la ruine de Jérusalem et du temple, terrible conséquence du rejet du Messie par Israël. La restauration du peuple ne doit donc pas être de longue durée, l’exil recommencera pour lui. Toutefois l’ange ne laisse pas Daniel sans faire briller à ses yeux un rayon de lumière sur un avenir plus lointain encore. Le prophète trouve donc en définitive la consolation qu’il implorait par sa prière. Les paroles de Gabriel commencent par de magnifiques promesses (verset 24) et finissent par un pressentiment d’espérance.