Avant de définir, de démontrer et de diviser, ayez soin d’établir de combien de manières peut se prendre la question à débattre : il faut traiter des homonymes, distinguer les synonymes, et les classer exactement d’après leurs significations. Il s’agira d’examiner ensuite si la chose proposée appartient à la classe des objets considérés relativement aux autres, ou si elle est prise en elle-même et dans son essence. Puis viendront ces demandes : Existe-t-elle ? Qui est-elle ? Quelles sont ses modifications ? Ou bien encore : Existe-t-elle ? Qui est-elle ? Pourquoi existe-t-elle ? Mais la connaissance de ce qui est particulier, de ce qui est général, de ce qui est antérieur, de ce qui diffère, et des divisions, contribue singulièrement à éclairer la controverse. L’induction amène l’universalité et la définition. Les divisions conduisent à l’espèce, à l’individualité. La discussion, qui traite de combien de manières se prend la chose litigieuse, nous conduit à sa signification propre ; le doute produit les différences relatives d’objets à objets, et les démonstrations ; il fortifie d’ailleurs la discussion et ses conséquences : la science et la vérité sont le résultat combiné de ces divers éléments.
Le résumé général de la division s’appelle définition ; car la définition se place soit avant, soit après la division ; avant, quand elle a été accordée ou seulement proposée ; après, quand elle a été démontrée, et que de ces éléments partiels se tire, par les sensations, une conclusion générale. La sensation est le principe de l’induction, de même que l’universalité en est la fin. L’induction ne montre point ce qu’est une chose : son existence ou sa non-existence, voilà son domaine. La division, au contraire, montre ce qu’est l’objet. La définition, comme la division, enseigne quelle en est l’essence et la nature : elles ne s’occupent point de son existence. La démonstration remplit trois offices ; existence, nature, raison de la chose mise en question. Quelques définitions renferment aussi la cause. Comme la science n’est produite qu’au moment où nous connaissons la cause, et qu’il y a quatre causes, la matière, le moteur, la forme, le but, il y aura quatre espèces de définitions. Il faut donc prendre en premier lieu le genre qui renferme tous les êtres de la généralité la plus élevée, puis les différences qui s’en rapprochent le plus. L’accumulation des différences, en divisant et subdivisant graduellement, sert à compléter l’essence ou la définition de l’objet. Toutefois il n’est pas nécessaire d’exprimer toutes les différences de chaque objet : on peut se borner à celles qui constituent les espèces. L’analyse et la synthèse géométriques ressemblent à la division et à la définition de la dialectique. De la division nous remontons aux êtres qui sont plus simples et plus élevés. Nous divisons le genre de l’être litigieux en ses espèces principales. Prenons pour exemple l’homme. Animal est le genre. Nous le décomposons en ses deux espèces, c’est-à-dire en mortel et immortel. Et ainsi, subdivisant toujours en espèces plus simples les genres qui paraissent composés, nous approchons du point que nous cherchons, et qui n’est plus susceptible de se diviser. En effet, après avoir divisé le genre animal en mortel et immortel, puis le mortel en terrestre et aquatique, puis le terrestre en volant avec des ailes ou marchant avec des pieds, et ainsi de suite, jusqu’à l’espèce la plus voisine de l’objet cherché, et qui même le comprend, nous arriverons par ces décompositions successives à l’espèce la plus simple qui ne renferme plus rien autre chose que l’objet lui-même sur lequel porte la discussion. Nous divisons encore ce qui marche avec des pieds en raisonnable et irraisonnable. Puis, de toutes ces espèces différentes qui résultent de la division, nous choisissons les qualités qui conviennent plus immédiatement à l’homme, nous les rassemblons en corps de raisonnement, et nous définissons l’homme un animal mortel, terrestre, qui marche sur deux pieds, et doué d’intelligence. De là vient que la division joue le rôle de la matière, en préparant pour la définition la simplicité du nom ; la définition, au contraire, qui compose, édifie, et manifeste la connaissance de ce qui est, représente l’artisan et le Créateur. Ce ne sont pas là les définitions des choses ni des idées, mais des substances dont notre esprit a la notion universelle. Nous appelons discours interprétatif la manifestation de ces notions. Parmi les différentes divisions, l’une partage en espèces la substance divisée, tel que le genre ; l’autre la décompose en ses parties, tel que le tout ; la troisième, en ses accidents ou modifications. La division du tout en ses parties est envisagée le plus souvent dans les rapports de grandeur. Celle qui interroge les accidents ne peut jamais être expliquée tout entière, puisqu’il faut nécessairement que chaque être possède la même essence. Voilà pourquoi ces deux divisions n’ont aucune autorité. La seule qui soit légitime, c’est celle qui partage le genre en espèces, celle qui donne son caractère à l’identité renfermée dans le genre et à la diversité dans ses différences particulières. L’espèce est toujours envisagée dans quelqu’une de ses parties, mais sans que la partie de quelque chose puisse à son tour devenir l’espèce. Ainsi, par exemple, la main est une partie de l’homme, mais n’est pas une espèce. Le genre, au contraire, réside au fond de l’espèce. La qualité d’animal est commune à l’homme et au bœuf tout à la fois. Le tout, au contraire, ne réside pas dans ses parties. L’homme n’est pas tout entier dans ses pieds. L’espèce vaut donc mieux que la partie. Tout ce que l’on dit du genre, on le dira aussi de l’espèce. Il sera bon d’envisager le genre en deux espèces, sinon en trois. Les espèces divisées, à partir du genre, reçoivent leur caractère de l’identité et de la différence. Celles qui continuent de se diviser se caractérisent par les significations générales. En effet, ou bien chaque espèce est une substance, comme lorsque nous disons : Parmi les êtres, les uns sont corporels, les autres incorporels ; ou bien, il s’agit de quantité, de relation, de lieu, de temps, d’action, et de manière d’être affecté.
Tout ce que l’on connaît à fond et clairement, on pourra en donner la définition ; de même, quiconque est impuissant à comprendre ou à définir quoique ce soit par le langage, n’aura jamais la connaissance de cet objet. De l’ignorance de la définition arrivent beaucoup de raisonnements embarrassés et captieux. En effet, si celui qui connaît une chose en a l’idée et la connaissance au fond de son entendement ; s’il peut produire au-dehors, par le langage, ce qu’il renferme en lui-même ; si l’explication de sa pensée est la définition, il est donc nécessaire que l’homme, qui a la connaissance d’un objet, puisse en donner la définition. La différence qui joue le rôle du signe s’emploie aussi dans la définition. Par conséquent, cette circonstance, qui a la faculté de rire, ajoutée à la définition de l’homme, complète la définition : animal intelligent, mortel, terrestre, marchant sur deux pieds, doué de la faculté de rire. Les attributs qui s’ajoutent par différence sont les signes des choses particulières, mais n’indiquent pas la nature des choses elles-mêmes. La différence, on s’accorde à le reconnaître, rendant à l’individu sa qualité propre, celle qui le distingue spécialement des autres êtres, et sur laquelle les avis sont unanimes, il est nécessaire que dans les définitions on prenne le genre comme quelque chose de principal et de subsistant. Dans les longues définitions, la série des espèces est de dix ; dans les courtes, les espèces principales choisies parmi les espèces voisines, indiquent l’essence et la nature de l’objet. La plus courte de toutes doit toujours se composer de trois parties, le genre et les deux espèces les plus indispensables. On ne réduit la définition que pour abréger. Nous disons donc : L’homme est un animal qui a la faculté de rire. Puis, il faut prendre l’accident principal de l’objet défini, ou son attribut particulier, ou sa fonction spéciale, ou quelque chose de cette nature. Conséquemment, la définition ne devant pas exposer l’essence de la chose, ne peut en saisir exactement la nature. Mais que fait-elle ? Elle en manifeste l’existence par ses espèces principales, et arrive pour ainsi dire à l’essence par la qualité.