L’œuvre se poursuivra, Delord en est convaincu.
Mais en esprit, son champ d’activité s’élargissait sans cesse. Quand s’allumait le phare de Planier, que ses rayons se profilaient sur la haute mer, une secrète envie lui venait parfois de ressembler à cette lumière qui, d’un port assuré, s’en allait vers l’inconnu.
Si le pasteur Delord pensait aux Missions, le Comité des Missions de Paris pensait à Delord.
« C’était au printemps 1896, a écrit M. Daniel Couve, à l’Union chrétienne de jeunes gens de Marseille, que j’eus l’occasion de rencontrer pour la première fois Delord. On parlait de l’appel qui venait des terres lointaines. Et lui, dont le ministère avait déjà été fécond à Bâle, à Florac et à Marseille, lui qui pouvait rêver d’une carrière brillante, qui avait déjà une jeune famille à élever, n’était pas sans l’entendre. »
L’année suivante, Alfred Boegner, directeur de la Société des Missions, lui adressa vocation. Les ondes sympathiques s’étaient rencontrées.
Fallait-il abandonner sa paroisse de Marseille (unie à nouveau), quitter ses chers marins, ou écarter le rêve missionnaire à l’heure inattendue où il pouvait devenir une réalité ?
Il voulut voir les choses en face :
« J’ai vingt-sept ans, répondit-il au Comité de Paris, ma femme vingt-trois. Nous avons deux petits garçons, l’un de trois ans, l’autre de treize mois. Pour le moment, nous ne croyons pas que nous sommes appelés à nous séparer d’eux. J’ai aussi à ma charge mon père âgé et ma sœur infirme. Il est à cet égard bien des difficultés qui semblent s’opposer à notre départ.
« Et, pourtant, Dieu ne peut pas nous appeler et nous retenir en même temps. Qu’Il daigne nous éclairer ! »
Un second appel projeta la lumière. Delord se mit à la disposition de Paris et lui écrivit :
« Si je m’engage, ce n’est pas sans avoir beaucoup réfléchi ; je réponds à un appel répété. Je sais que Dieu a tous les droits sur moi et je n’ai qu’un devoir : obéir. Toutefois, je le répète, si le Comité avait quelque hésitation à mon égard, qu’il veuille bien ne plus penser à moi et me rende à mon œuvre actuelle. »
Trois champs de travail lui furent proposés : Madagascar, la Nouvelle-Calédonie, le Sénégal.
« Le Sénégal avec ses terribles responsabilités, ses blessures saignantes, son climat meurtrier, voilà ce qui nous épouvante, voilà ce qui nous appelle ! »
Que faire ?
Paris va le dire :
– Mettez sur votre feuille la Nouvelle-Calédonie avec Maré.
Cette fois plus d’indécision :
« Il semble indiqué que notre devoir est d’aller là-bas. Serai-je à la hauteur de la tâche ? N’ai-je pas d’ambition ? Veuillez me l’écrire tout simplement. »
Cette réponse à la même allure que déclaration d’un François Coillard :
« Je suis un soldat, ma feuille de route est signée. J’obéis et je pars. Si je tombe. d’autres prendront ma place. »