Ce fut probablement au commencement de l'année 1519 que Faber et Guillaume Farel furent amenés à la connaissance de l'Évangile.. Ce changement produisit une vive agitation dans l'Université de Paris. « Lorsque Jacques Faber se mit à prêcher Jésus-Christ, dit un contemporain, il y eut grand émoi parmi les étudiants. Ils commencèrent à s'occuper presque autant des doctrines de l'Évangile que de leurs études et de leurs pièces de théâtre. »
Quelques-uns d'entre eux prirent contre Faber la défense du salut par les œuvres. Ces jeunes gens sentaient que l'Évangile condamnait leur mauvaise vie, c'est pourquoi ils parlaient beaucoup de bonnes œuvres. St-Jacques, disaient-ils, ne s'accordait pas avec St-Paul, mais il enseignait que les hommes sont sauvés par leurs œuvres. « St-Jacques, répliquait maître Faber, dit dans son chapitre Ier que tout don parfait vient d'en-haut Pouvez-vous nier que la justice et le salut soient des dons parfaits ? Il est vrai que les œuvres sont un signe nécessaire de la foi, tout comme la respiration est le signe de la vie. Mais l'homme respire parce qu'il est vivant, et lorsqu'il cesse de respirer vous savez qu'il est mort. L'homme est justifié par la foi, les bonnes œuvres suivent cette justification nécessairement. » Faber ne s'arrêtait pas là ; il continuait en expliquant comment Dieu peut traiter ainsi des pécheurs coupables sans faire tort à sa justice, comment Il peut en même temps déployer Son amour et Sa miséricorde en les sauvant et infliger au péché le jugement qui lui est dû.
« Il peut punir le péché et faire grâce au pécheur ; s'écriait Faber. Merveilleuse substitution. L'innocent est condamné et le coupable est acquitté ! Le béni est maudit et celui qui était maudit est béni ! Celui qui est la vie meurt, et celui qui était mort vit ! La gloire est couverte de honte et celui qui était dans la honte est couvert de gloire. Tout cela vient de l'amour souverain de Dieu ! Ceux qui sont sauvés le sont par grâce, parce que Dieu le veut et non par leur propre volonté. Notre volonté, nos œuvres sont inutiles, c'est la volonté de Dieu seule qui nous donne le salut. Ce n'est pas notre conversion qui fait de nous les élus de Dieu, mais c'est l'appel, la grâce et la volonté de Dieu, qui font des convertis, et plus que des convertis, des membres du corps de son Fils, de sorte que nous soyons remplis de Lui-même. Car en Christ habite corporellement la plénitude de la divinité. Si les hommes pouvaient comprendre ce privilège, comme ils vivraient purement et saintement ! Ils ne feraient aucun cas de la gloire de ce monde, ils feraient leurs délices de la gloire qui est cachée aux yeux de la chair. »
Telles sont les choses que Faber proclamait, et, à partir de ce moment, il y eut deux partis dans l'Université de Paris, ceux auxquels la prédication de. la croix était folie, et ceux pour lesquels c'était la puissance de Dieu. Farel écoutait avec bonheur les paroles de son cher vieux maître qui lui était maintenant plus précieux que jamais.
« Après cela, dit Farel, il me sembla être d'une nouvelle création ; les Ecritures me devinrent compréhensibles, la lumière se fit dans mon âme. Une voix jusqu'alors inconnue, celle de Christ, mon Berger, mon Maître, mon Docteur, me parlait avec puissance. Dieu, ayant pitié de nos erreurs, nous enseigna que c'est Lui seul qui efface nos transgressions, pour l'amour de Lui-même, par Christ, fait propitiation pour nos péchés, par Christ notre seul Médiateur, notre Avocat qui lave nos offenses dans son sang. C'est à lui seul que je me suis attaché ; après avoir été ballotté ça et là par divers troubles, j'ai enfin atteint le port.
On ne peut s'approcher du Père que par le Fils, Jésus ; celui qui met toute sa confiance en Lui a la vie éternelle. La religion extérieure et artificielle qui laisse le cœur non purifié, devint un objet de dégoût pour moi ; ces observances de jours, ce choix des viandes, la défense de se marier, tout cela me déplut. Je ne trouvais dans ces choses aucune trace de la vraie piété, mais seulement un formalisme emprunté aux Juifs et même aux païens, et je vis que les cérémonies prenaient la place de la piété et du vrai culte de Dieu. Je lus les Ecritures afin de trouver la cause de tout cela ; je compris que les pensées des hommes, leurs efforts et leurs inventions ne peuvent en aucune façon exister de concert avec le culte de Dieu. C'est pourquoi la piété, I'Évangile, la loi de Dieu qui est amour, ont disparu ; il n'est resté que le levain humain qui est l'hypocrisie. Tout ce que Christ avait prédit concernant la terrible apostasie qui se produirait, est arrivé. Nous voyons maintenant ceux qui portent le nom de chrétiens, n'aimer qu'eux-mêmes, cherchant leurs propres intérêts et mettant de côté tout ce qui appartient à la piété. Il y a beaucoup de chants innombrables, des paroles prononcées sans intelligence et des hommes qui servent, non le Seigneur, mais leur propre ventre. »
Ainsi parlait Farel. Oui, c'était Christ qui l'enseignait maintenant ; Faber n'était qu'un des messagers qui lui avaient apporté la bonne nouvelle. « Il n'y a qu'un fondement, qu'un but, disait le vieillard, qu'un Chef, Jésus-Christ béni à toujours. Ne nous réclamons pas de Pierre, de Paul ou d'Apollos. Nous avons un seul Maître, Jésus-Christ. »
Neuf mois environ s'étaient écoulés depuis que Faber avait abandonné les saints et leurs légendes. Pendant ce temps il avait prêché la vérité partout où il en avait trouvé l'occasion. C'était en vain que les prêtres et les docteurs le contredisaient, le haïssaient, le méprisaient. L'orage semblait ne pas pouvoir l'atteindre, le Seigneur avait mis devant lui une porte ouverte et personne ne pouvait la fermer. Les événements furent dirigés de Dieu de manière à ce que Faber ne fut jamais réduit au silence, et il eut même lieu d'espérer que la vérité serait acceptée par beaucoup de ceux qui l'entendaient.
Quelques années auparavant, un moine ayant publié un livre dans lequel il attribuait toute autorité au pape dans l'Église le roi Louis XII en appela à l'Université. Depuis des siècles les rois de France maintenaient le droit qu'avait l'Église gallicane de choisir elle-même ses évêques, et Louis XII n'était nullement disposé à reconnaître le pouvoir absolu que s'arrogeait le siège pontifical. Il n'était souvent pas facile de discerner si les hommes combattaient le pape à cause de leurs intérêts personnels, ou parce qu'ils avaient compris que la Bible condamne la papauté.
Faber se fit peut-être des illusions et crut que la lumière triomphait, tandis qu'il ne s'agissait, hélas ! que d'orgueil froissé et d'intérêts rivaux. Cependant il est certain que plusieurs étudiants écoutaient la Parole avec joie. À la fin parut un auditeur dont Faber et Guillaume purent espérer de grandes choses, c'était Briçonnet, évêque de Meaux. Il avait connu Faber précédemment et il appréciait son grand savoir ; depuis 1507 il avait procuré au vieux professeur une tranquille retraite dans son abbaye de St-Germain, où Faber pouvait étudier bien plus paisiblement qu'au milieu des étudiants de Paris. Depuis lors Briçonnet avait été envoyé deux fois à Rome comme ambassadeur du roi de France auprès du pape. Louis XII était mort le 1er janvier 1515 et François Ier lui avait succédé ; il y avait aussi un autre pape, Jules II étant mort deux ans avant Louis XII. On ne pouvait dire du nouveau pontife que ce fût un « monstre féroce » ; c'était un homme élégant, affable dans ses manières, amateur des arts, de la science et surtout du luxe et des plaisirs. Il ne cherchait qu'à se plaire à lui-même par tous les moyens possibles, bons ou mauvais, dit un historien catholique qui le connaissait et qui en parle en ces termes : « Nous nous souvenons d'avoir eu et adoré un pontife qui était arrivé au comble de l'incrédulité. Il le montrait en pratiquant toute sorte de méchanceté et déclarait même devant ses serviteurs, que ni avant ni après son avènement pontifical, il ne croyait à l'existence de Dieu. Un jour que le cardinal Bembo s'efforçait de lui prouver par les Ecritures l'immortalité de l'âme, il répondit avec colère : Quoi donc ! Prétendez-vous me convaincre par un livre de fables ! Ce pape qui s'appelait Léon X, suscitait des guerres dans toute l'Europe pour soutenir les intérêts de sa famille. »
Il n'est guère surprenant que les deux missions dont l'évêque de Meaux fut chargé auprès de lui, n'aient pas contribué à augmenter son respect pour celui qui s'appelait Dieu sur la terre. Lorsqu'il revint, dégoûté par les festins et les orgies du palais des papes, il se rendit chez son ami Faber. Là il eut du plaisir à faire la connaissance de Farel ; plusieurs autres jeunes gens, parmi lesquels Gérard Roussel, paraissaient aussi avoir accepté l'Évangile. C'est au milieu de ce petit cercle que l'évêque étudiait la Parole de Dieu, écoutant avec humilité des enseignements qu'il entendait pour la première fois. Il ne pouvait assez exprimer sa joie et sa reconnaissance d'être parvenu à la lumière de l'Évangile. Faber supplia l'évêque d'étudier la Bible par lui-même et de se rendre ainsi compte de ce qu'était le christianisme avant que l'homme y eût rien ajouté ni rien retranché. L'évêque suivit ce conseil ; il ne pouvait se rassasier de cette nourriture céleste, il s'étonnait que tout le monde ne sentît pas comme lui l'origine divine du nouvel enseignement. Briçonnet parlait de l'Évangile à tous ses amis dont quelques-uns étaient aussi les amis du roi et fréquentaient la cour. Le médecin du roi, et même son confesseur, semblaient écouter avec joie et désirer en apprendre davantage. Tout cela encourageait les espérances de Faber et ce fut peut-être une des raisons pour lesquelles Farel ne vit pas tout de suite que son devoir était de sortir de l'Église de Rome. Il allait encore avec Faber dans les églises et les cathédrales.
Comme Guillaume le dit, ce n'est que petit à petit que son cœur se détachait du papisme. Mais si le travail était lent, il était sûr et durable. Les cérémonies, les rites et le chant des litanies lui semblaient toujours plus intolérables, profanes et coupables. Quand la foule s'agenouillait devant un autel, Farel se tenait debout plein de tristesse. O Dieu ! disait-il, Toi seul Tu es sage ! Toi seul Tu es bon ! Rien ne doit être retranché de ta loi, rien ne doit y être ajouté. Car Tu es seul Seigneur et Tu dois seul commander. Les pompes religieuses qui faisaient autrefois ses délices, lui paraissaient maintenant détestables. Les prêtres et les docteurs qu'il avait révérés n'étaient plus à ses yeux que des ennemis de l'Évangile. Il avait entrevu la gloire de Christ et, après une aussi éclatante lumière, tout le reste était sombre pour lui.
Maître Faber commença à craindre que Farel n'allât trop loin ; j'ignore s'ils discutèrent déjà à cette époque la nécessité de quitter l'Église romaine, mais en tout cas, leurs avis différaient sur ce point. Il y a beaucoup de serviteurs de Dieu qui sont finalement obligés de s'écrier : « Nous avons voulu guérir Babylone, mais nous ne l'avons pas pu. » Faber était de ce nombre ; il se cramponnait à l'espoir que I'Eglise qu'il aimait et révérait encore, pourrait être faite nouvelle, que les prêtres et le peuple finiraient par se détourner de leurs idoles pour servir le Dieu vivant et vrai.
La sœur du roi, Marguerite, duchesse d'Alençon, était déjà célèbre par ses talents, son affabilité et l'influence extraordinaire qu'elle exerçait sur François Ier Marguerite était l'amie de Briçonnet ; elle causait fa familièrement avec lui et avec d'autres personnes de la cour, qui commençaient à professer les nouvelles opinions. Ses dames d'honneur lui présentèrent des traités que Briçonnet leur avait donnés. La princesse les lut avec avidité, car son cœur souffrait au milieu de la cour dissolue et frivole de son frère. Elle demanda à voir Faber et Farel, puis à lire la Parole de Dieu avec eux et avec l'évêque. C'est ainsi que Marguerite semble s'être réellement convertie à Dieu ; elle n'abandonna jamais le papisme et ne suivit pas complètement le Seigneur, car elle ne parvint jamais à la pleine connaissance de la vérité. Mais on ne peut pas douter qu'elle ne soit, malgré ses erreurs et ses faiblesses, parmi ceux qui dorment en Jésus. Il est certain qu'elle employa toujours son influence sur son frère en faveur de la vérité. Elle encourageait ceux qui la prêchaient et, autant qu'elle en avait le pouvoir, elle les protégeait contre la persécution.
Le roi montrait alors des dispositions de nature à encourager Faber, qui espérait l'avoir presque persuadé d'être chrétien, comme Paul, le roi Agrippa. En effet, François Ier semblait disposé à laisser prêcher Faber et Farel, mais c'était seulement par aversion pour la tyrannie des prêtres. « Je veux montrer, disait-il, qu'un roi de France ne se laisse pas tenir en lisières. » D'ailleurs, il méprisait les prêtres à cause de leur ignorance et de leur hostilité à la science. Le clergé s'élevait même contre l'imprimerie qu'il appelait une invention du diable, accusant les imprimeurs d'être des sorciers. Le roi, en homme intelligent, s'intéressait fort aux découvertes nouvelles, il crut d'abord que l'Évangile était une invention moderne destinée à réformer le monde. Quand il comprit que cet évangile condamnait ses vices et ses mauvaises actions, pour lesquelles il pouvait acheter du pape des pardons en abondance, il fallut toutes les supplications de sa sœur pour l'empêcher de se joindre aux prêtres afin d'écraser la vérité. Mais à l'époque dont nous parlons, le roi favorisait encore Faber et ses amis qui étaient pleins d'espérance.
Il vint aussi de bonnes nouvelles d'au-delà du Rhin un moine allemand avait osé enseigner et prêcher déjà en 1517 que le pardon des péchés ne s'achète pas avec de l'argent, mais que Dieu le donne aux pécheurs, sans argent et sans aucun prix, par la foi au Seigneur Jésus. Ce moine avait poussé la hardiesse jusqu'à afficher aux portes de l'église de Wittemberg, un placard avertissant le peuple de ne pas acheter les pardons du marchand d'indulgences. Il s'élevait courageusement contre ce trafic impie sans avoir les lumières et les connaissances de Farel. Martin Luther était courageux et honnête ; il proclamait ce que Dieu lui avait enseigné, écrivant des articles et des livres qui se répandaient rapidement partout. Vers l'an 1519 ses ouvrages arrivèrent jusqu'à Paris, et le petit troupeau de chrétiens de cette ville les lut avidement et avec actions de grâces. Tandis que beaucoup de personnes acceptaient sans examen sérieux les paroles de Luther, Farel se recueillait par la prière Il sondait les Ecritures et les comparait avec les écrits du moine allemand ; il protesta contre certaines erreurs conservées par Luther, tout en recevant avec joie une grande partie de ses doctrines, il redoutait l'influence de ses ouvrages sur ceux qui ne savaient pas encore distinguer la vérité de l'erreur. « L'Évangile est entravé en France, écrivait-il trois ou quatre ans plus tard, par la circulation des ouvrages de Luther, qui admettent jusqu'à un certain point l'adoration des saints et l'existence du purgatoire. Ces erreurs ont été condamnées parmi nous il y a plusieurs année. »
Les croyants de Paris se réunissaient pour la prière, pour la lecture et la prédication de la Parole de Dieu. Farel était alors leur principal prédicateur. « Personne n'a prêché depuis votre départ, lui écrivait un de ces chrétiens en 1524. Que les choses ont changé depuis que vous nous avez quittés ! Les anciennes traditions reparaissent, la Parole de Dieu est négligée, les fidèles ne l'expliquent plus qu'avec crainte et tremblement. Gérard Roussel ne nous a fait qu'une ou deux visites, et cela sans prêcher ! Si vous pouviez venir à notre aide ! » Tels sont les rares détails que nous possédons sur le peu de temps que Farel passa à Paris comme témoin du Seigneur contre tout ce qui était de l'homme, que ce fût enseigné par un docteur papiste, par le célèbre Luther, ou par son cher maître Faber. Car Faber croyait encore au purgatoire et n'avait que des idées vagues sur diverses vérités importantes. Guillaume Farel devait apprendre combien cette parole est vraie : « Vous n'avez qu'un seul Maître qui est Christ. »