Mon ami le pasteur Jeff Gannon travaillait dans son bureau un après-midi, lorsque le téléphone sonna. La jeune femme au bout du fil lui dit :
« Bonjour. Je voudrais juste savoir si je peux venir dans votre église. »
Cette demande stupéfia Jeff.
« Si vous pouvez venir dans notre église ? Mais oui, bien entendu. Pourquoi me posez-vous une question pareille ?
– Laissez-moi d'abord vous raconter mon histoire, vous me répondrez ensuite » dit la jeune femme.
Elle lui expliqua alors que lorsqu'elle était en première année de faculté, elle était tombée enceinte d'un jeune homme qui n'éprouvait pas le moindre intérêt, ni pour elle, ni pour l'enfant qu'elle portait. Elle décida de ne pas se faire avorter et, après avoir examiné sa vie, éprouva le besoin d'y mettre de l'ordre. Elle retourna à l'église qu'elle avait fréquentée étant petite et se rapprocha de Dieu.
Au bout de quelques mois, elle songea que ses erreurs pourraient être utiles à d'autres. Elle proposa donc à son pasteur de parler des questions liées aux fréquentations et à la sexualité avec les jeunes filles de l'église. Le pasteur lui opposa un refus catégorique : « Non, il n'en est pas question ! J'ai peur que votre type de personne ne déteigne sur elles. » Elle éprouva un cruel sentiment de rejet, mais comme elle se sentait bien dans cette église, elle continua néanmoins à la fréquenter. Quelques mois après la naissance de son bébé, elle téléphona à nouveau à ce même pasteur pour convenir d'un dimanche pour le baptême. Il lui répondit : « Pas dans mon église ! Je ne baptiserai jamais un bébé illégitime ! »
« Voilà, vous connaissez mon histoire à présent, conclut-elle. Puis-je toujours venir dans votre église ? »
Certains trouveront la réaction de ce pasteur choquante et dure, ce qui est effectivement le cas. Elle reflète cependant un récit dominant parmi de nombreux chrétiens (et non chrétiens). Ce récit affirme que Dieu ne nous aime que lorsque nous nous conduisons bien.
Beaucoup vivent dans l'idée que l'amour de Dieu est conditionnel et que notre comportement détermine ses sentiments à notre égard. Son amour fluctuerait donc constamment. C'est comme si Dieu était assis sur une sorte de fauteuil pivotant, nous regardant avec un sourire quand nos pensées, nos mains et nos cœurs sont purs et se détournant de nous dès que nous péchons. Pour qu'il se tourne de nouveau vers nous, nous n'avons qu'une solution : redevenir bons et gentils. Je connais bien ce récit. Le Dieu que j'avais créé autrefois dans mon esprit pivotait tellement que j'en avais le vertige !
Nous sommes à peine nés que déjà nous découvrons que le monde sur lequel nous vivons est basé sur la performance. Nos parents entreprennent de nous façonner dès notre plus jeune âge. Bien et mal font partie des premiers mots que nous apprenons. Nous entendons des appréciations comme : « Oh, tu as mangé tous tes petits pois ! Tu es une gentille fille ! », ou : « N'écris pas sur le mur avec ton crayon, vilain garçon ! » Avant même de savoir parler, nous prenons conscience que l'acceptation des autres dépend de notre comportement, ce qui nous place dans un environnement résolument instable d'amour conditionnel.
Quand on est parent, il est très facile de propager ce récit. Quand mes enfants agissent bien, je m'empresse de les féliciter. Inversement, quand ils se comportent mal, ils sont certains d'en entendre parler. J'essaie de toutes mes forces de m'en empêcher, mais c'est souvent plus fort que moi. Il est certes nécessaire de reprendre ses enfants, car le rôle d'un parent est de leur apprendre ce qui est bien et ce qui est mal. Mais ce qui est difficile, c'est de leur montrer que ce sont leurs actes que nous jugeons, et non leur personne.
S'il est vrai que ce récit commence à la maison, il sévit également hors de nos foyers. Notre société renforce la notion de l'acceptation basée sur la performance. Si nous travaillons bien à l'école, le maître nous félicite ; si nous marquons le point de la victoire lors d'un match de basket-ball, on nous admire ; si nous sommes beaux ou si nous avons du charme, nous sommes valorisés. Nous comprenons vite que notre valeur ainsi que l'acceptation des autres dépendent de facteurs extérieurs comme nos talents, nos compétences et notre performance.
Cette perception du monde est tellement enracinée en nous que nous projetons automatiquement cette même attitude sur Dieu. Dieu est encore plus grand, plus intelligent et plus puissant que nos parents, notre entraîneur ou notre patron. Dieu voit tout ! Que pouvons-nous faire pour qu'il nous approuve, nous accepte et nous aime ? La réponse, comme vous le devinez, est en rapport avec notre performance religieuse. Si nous demandons à l'homme de la rue : « Que devez-vous faire pour que Dieu vous aime et vous bénisse ? », il vous répondra sans hésiter : « Eh bien, je pense que je devrais aller à l'église, lire la Bible, donner de mon argent et m'occuper des nécessiteux. Oh ! et aussi arrêter de pécher… du moins essayer ! »
Nous pensons pouvoir contrôler l'attitude de Dieu à notre égard en observant ces quelques règles et en évitant de pécher. Cet effort pour mériter l'amour de Dieu par nos actes, pour gagner sa faveur et éviter sa réprobation grâce à des activités pieuses s'appelle le légalisme. Celui-ci n'est ni plus ni moins que de la superstition, guère différent de la peur de croiser un chat noir ou de passer sous une échelle. Nous adoptons des comportements superstitieux ou légalistes parce qu'ils nous confèrent un sentiment de maîtrise dans un monde par ailleurs chaotique. Mais nos actes sont tout aussi inutiles pour nous gagner la faveur de Dieu que ne l'est la patte d'un lapin pour nous porter bonheur !
L'acceptation basée sur la performance (le légalisme) est un récit dominant pour beaucoup d'entre nous, même si elle nous laisse dans un état d'incertitude et d'anxiété permanentes. La bonne nouvelle est que ce récit n'est pas celui de Jésus. C'est même tout le contraire.
J'ai eu beau sonder les Écritures, je n'ai trouvé aucun passage où Jésus nous dit que Dieu nous aime uniquement quand nous sommes bons ou quand nous pratiquons des activités pieuses. Il nous parle plutôt d'un Dieu qui offre une acceptation inconditionnelle à tous les hommes. Mais avant de voir les paroles de Jésus, considérons ses actes.
Un Dieu qui accueille les pécheurs. Jésus non seulement révèle le Père dans ses histoires, il le reflète également par son caractère et ses actes. Ce texte de l'évangile de Matthieu nous apprend beaucoup sur le Dieu que Jésus connaît.
« En passant plus loin, Jésus vit un homme appelé Matthieu assis au bureau des péages. Il lui dit : Suis-moi. Matthieu se leva et le suivit. Jésus était à table dans la maison ; or, beaucoup de péagers et de pécheurs avaient pris place avec lui et avec ses disciples. À cette vue, les Pharisiens dirent à ses disciples : Pourquoi votre maître mange-t-il avec les péagers et les pécheurs ? Jésus qui avait entendu, dit : Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde et non le sacrifice ; car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » (Matthieu 9.9-13) |
Matthieu était collecteur d'impôt, un métier méprisé par les Juifs. Les collecteurs d'impôts, appelés aussi péagers, étaient installés dans des maisonnettes au bord de la route – semblables à des postes de douane – et prélevaient les impôts des Juifs pour le compte du gouvernement romain. Ils travaillaient pour l'occupant, c'est-à-dire pour les « méchants ». Pis encore, ils étaient réputés pour exiger plus d'argent que nécessaire et empocher la différence. On les considérait donc à la fois comme des traîtres et des voleurs – un bien triste mélange.
Dans ce texte, Jésus invite Matthieu, un collecteur d'impôt, à devenir son disciple. Voilà qui est très surprenant, les rabbins étant extrêmement difficiles à cette époque dans le choix de leurs disciples. Être choisi par un rabbin était un privilège rare et remarquable, réservé aux hommes que l'on considérait d'une grande probité. Le choix de Jésus est donc à la fois ridicule et choquant.
À l'issue de cette conversation, Matthieu convie Jésus à dîner avec lui dans sa maison. On peut voir dans cette invitation un signe de son allégeance à Jésus, son nouveau maître. Naturellement, Matthieu a pour amis des collecteurs d'impôts et d'autres « pécheurs ». Jésus mange avec ces pécheurs, leur manifestant ainsi son amour et son acceptation. Or, cela fait quelque temps déjà que les Pharisiens, des hommes particulièrement religieux, l'observent du coin de l'œil. Lorsqu'ils le surprennent en train de manger avec des pécheurs, ils sont certains de tenir la preuve que c'est un faux prophète, un imposteur, un hypocrite.
Jésus leur répond qu'il n'est pas venu pour les bien-portants mais pour les malades, il n'est pas venu pour les justes mais pour les pécheurs. L'ironie de la situation est que les Pharisiens sont tout aussi malades et pécheurs que les collecteurs d'impôts ; seulement, ils refusent de le reconnaître. Les collecteurs d'impôts, en revanche, n'ont aucune prétention et ont l'habitude d'être traités de pécheurs. Ils se demandent seulement pourquoi ils sont invités à la fête.
Si Jésus est venu pour les vauriens reconnus, nous avons une chance, nous aussi. Comme l'écrit Brennan Manning à propos de ce texte :
« Ici la révélation est limpide comme du cristal : Jésus vient pour les pécheurs, pour les exclus de la société comme les collecteurs d'impôts et pour tous ceux qui sont prisonniers de choix sordides ou de rêves avortés. Il vient pour les dirigeants d'entreprises, les gens de la rue, les superstars, les paysans, les prostituées, les toxicomanes, les inspecteurs des impôts, les malades du Sida, et même les vendeurs de voitures d'occasion… Ce passage mérite d'être lu, relu et mémorisé. Chaque génération de chrétiens a tenté d'en tenir la beauté aveuglante, parce que l'Évangile semble trop beau pour être vrai. » |
Pourquoi cherchons-nous, comme l'écrit Manning, à « ternir » ce message ? Pourquoi semble-t-il « trop beau pour être vrai » ? Parce que le récit de Jésus de l'acceptation inconditionnelle va à l'encontre de celui de l'amour basé sur la performance qui est si profondément enraciné dans nos vies. Comment Dieu peut-il aimer des pécheurs ? Il peut à la rigueur leur pardonner et même les accepter s'ils promettent de mieux faire ! Mais ce n'est pas ce qu'a enseigné Jésus. Il a proclamé, en actes et en paroles, que Dieu aime les pécheurs – tels qu'ils sont et non tels qu'ils devraient être.
Dieu aime les pécheurs. Dans ce qui est probablement le passage le plus connu de toute la Bible, Jésus nous dit :
« Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jean 3.16-17) |
Ce passage a été un réconfort pour un nombre incalculable de personnes, et beaucoup y voient un résumé de la Bible dans son ensemble. Jésus y explique la raison de sa mission : Dieu aime le monde et veut le sauver. Beaucoup s'imaginent que Dieu est fâché contre eux mais que, pour une raison ou une autre, il ne leur a pas encore fait subir la totalité de la punition. De telles personnes auraient été plus à l'aise si Jésus avait dit : « Car Dieu était tellement fâché contre le monde qu'il a envoyé son Fils dans le monde pour dire aux hommes de s'améliorer, afin que quiconque s'améliore ait la vie éternelle. Dieu, en effet, a envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, pour que le monde soit sauvé par ses bonnes œuvres. »
Jésus ne dit pas que Dieu a aimé « plusieurs » ou « certains » ou même « beaucoup ». Il déclare au contraire que Dieu a aimé le monde. Et le monde, comme nous le savons, est rempli de pécheurs. C'est pourquoi Dieu doit aimer les pécheurs. Jésus n'a pas dit : « Car Dieu a tellement aimé les bons, les justes, les religieux, qu'il a donné son Fils unique. » Il a dit que Dieu a aimé le monde – un monde de pécheurs. L'apôtre Paul reprend cette même pensée lorsqu'il écrit : « Mais en ceci, Dieu prouve son amour envers nous : lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous. » (Romains 5.8)
Dieu aime les hommes en dépit de leur condition déchue et pécheresse, ce qui est la seule preuve d'un amour véritable. La plus connue des paraboles de Jésus, l'histoire d'un père et de ses deux fils, répond à notre aspiration profonde à être aimés de Dieu sans condition.
La parabole du fils prodigue devrait plutôt s'appeler la parabole de l'amour du père. Prodigue signifie : « qui dépense de façon inconsidérée ». Nous attachons ce qualificatif au fils cadet, celui qui dilapide tout son héritage pour mener la grande vie. Mais c'est le père, qui remet une part de sa fortune à un fils ingrat et qui le couvre de cadeaux à son retour, qui est le plus inconsidéré dans sa façon de dépenser. La plupart des chrétiens connaissent bien cette histoire. J'aimerais cependant en souligner quelques points importants qui appuient l'enseignement de Jésus sur son Père (voir Luc 15.11-32).
Nous avons entendu cette parabole si souvent que nous ne sommes plus sensibles à ses aspects choquants. Le plus jeune des deux fils, désireux d'aller vivre sa vie, demande à son père de lui remettre sa part d'héritage. C'est une demande aussi étonnante qu'insolente… et pourtant, le père accepte. Le fils gaspille toute sa fortune en vivant dans la débauche et finit par toucher le fond. Le seul travail qu'il trouve est celui de gardien de cochons et il en arrive à leur envier leur nourriture. Dans un moment de lucidité, il se rend compte que les employés de la ferme familiale sont mieux lotis que lui ; aussi, il prépare mentalement la confession qu'il fera à son père, lui demandant de l'accepter comme l'un de ses employés.
L'histoire prend alors un nouveau tournant surprenant. Dans ce que je considère comme l'un des plus beaux versets de la Bible, nous lisons : « Comme il était encore loin, son père le vit et fut touché de compassion » (Luc 15.20). Ce texte laisse entendre que le père a guetté le retour de son fils, peut-être chaque jour. Et quand enfin il l'aperçoit au loin, il est « touché de compassion ». Ce n'est pas un détail anodin ; il nous révèle le cœur et le caractère de Dieu. Dieu jette sur nous un regard de compassion, même si nous nous sommes rendus coupables du pire des péchés.
Dans la société de l'époque, ce père était en droit de conduire son fils devant les anciens du peuple et de le faire lapider. Tout le monde aurait trouvé cela parfaitement normal. La justice aurait été rendue : un récit logique. Mais le père se jette à son cou et l'embrasse, ce qui est un signe de pardon. Il l'invite à entrer dans sa maison et organise une fête en son honneur. Il demande à ses serviteurs d'apporter une robe, une bague et des sandales pour son fils – trois signes de la filialité restaurée. Le cadet a tous les droits d'un fils ; il a retrouvé sa position initiale ; il n'a rien perdu. Et il ne mérite rien de tout cela.
Dieu aime les pécheurs. Non pas leur péché. À l'évidence, le père a souffert des décisions de son fils ; il n'a ni approuvé ni excusé sa vie de débauche. Tout père digne de ce nom serait attristé à juste titre par un tel comportement. Mais Jésus veut nous faire comprendre que même le pire de nos péchés n'empêchera pas Dieu de nous aimer ou d'attendre impatiemment notre retour. Cette parabole n'est pas tant l'histoire d'un pécheur sauvé que celle d'un Dieu qui aime même ceux qui pèchent contre lui.
Rappelez-vous que Jésus a raconté cette parabole pour répondre à ceux qui l'accusaient de manger avec des pécheurs. Luc plante le décor : « Tous les péagers et les pécheurs s'approchaient de Jésus pour l'entendre. Les pharisiens et les scribes murmuraient et disaient : Celui-ci accueille des pécheurs et mange avec eux » (Luc 15.1-2). Comme nous l'avons fait remarquer plus haut, les actes de Jésus étaient révolutionnaires. Aucun rabbin n'aurait mangé avec des pécheurs notoires, et les Pharisiens le critiquaient ouvertement pour cela.
Nous avons tendance à nous arrêter sur le fils prodigue et le père, mais la deuxième partie de la parabole (Luc 15.25-32) révèle l'objectif premier de Jésus. Cette parabole ne visait pas tant ceux qui étaient méprisés ou marginalisés que les justes et les pieux qui étaient incapables d'accepter le message radical de l'amour inconditionnel de Dieu. Le frère aîné est l'image de tous ceux d'entre nous qui trouvent inacceptable l'idée que Dieu aime les pécheurs. Ce fils représente la partie de nous-mêmes qui n'est pas à l'aise avec l'amour inconditionnel de Dieu pour les autres, voire pour nous-mêmes.
Le fils aîné travaille dans les champs, quand il entend de la musique et des chants. Arrivé à la maison, il constate qu'une fête bat son plein en l'honneur de son frère cadet. Il s'en plaint aussitôt à son père : « Ce n'est pas juste ! Je travaille dur pour toi jour après jour, et pas une seule fois tu m'as récompensé ! Ton ‘fameux fils’ – je refuse de l'appeler ‘frère’ – a dilapidé notre fortune auprès des prostituées, et tu organises une fête pour lui ?! » Ce fils aîné a toutes les raisons d'être en colère. Il n'a jamais manqué de respect à son père. Il n'a jamais mis en danger les biens de la famille. Il ne s'est jamais conduit égoïstement. Et voilà que le cadet, qui a fait tout cela et bien pire encore, est accueilli comme un héros !
Le père lui rappelle qu'il n'y a aucune injustice dans ses actes et lui dit simplement : « Tout ce que j'ai est à toi. » En d'autres termes : « Tu as les mêmes choses que ton frère. » Nous avons déjà vu cette même idée dans la parabole des ouvriers dans la vigne qui ont reçu le même salaire pour des temps de travail différents. Jésus touche au cœur même du problème que nous pose la grâce : elle nous dérange. Elle semble injuste, alors qu'en réalité elle est parfaitement juste. Dieu fait grâce à tous les hommes. Et cette notion va à l'encontre de notre récit de l'acceptation sur la base de la performance.
Le fait qu'il n'y a qu'une seule chose qui nous sépare de Dieu, et ce n'est pas notre péché ; c'est notre propre justice. Celle-ci n'éloigne pas Dieu de nous, elle nous éloigne de Dieu. Ce n'est pas mon péché qui me sépare de Dieu : c'est mon refus de la grâce, à la fois pour moi-même et pour les autres. Le père explique au fils aîné que le retour du cadet est une bonne raison de faire la fête et de se réjouir. Jésus dit en substance aux Pharisiens : « Quand vous voyez les collecteurs d'impôts, les prostituées et les autres pécheurs notoires venir à moi, vous devriez vous réjouir, car ils étaient morts et les voici vivants ! Mais au lieu de cela, vous murmurez. »
L'occasion était donnée aux Pharisiens d'accepter que Dieu accueille des pécheurs et de partager leur joie. Malheureusement, ils n'ont pas sur la saisir. Je ressemble davantage au frère aîné (les Pharisiens), qu'au fils prodigue. Mais ce n'est pas la grâce de Dieu envers les pécheurs qui me trouble ; c'est la grâce pour moi que j'ai parfois du mal à recevoir. Mon récit du mérite est tellement profondément ancré dans mon modèle théologique que l'amour de Dieu me pose problème. C'est ce qui explique la profonde émotion qu'a suscitée en moi un poème découvert dans un vieux livre poussiéreux sur le rayonnage d'une bibliothèque.
J'ai lu il y a quelques années une biographie de Simone Weil, un auteur que je venais de découvrir et que j'apprécie énormément. Ses ouvrages révèlent une pensée profonde et une foi sincère. Elle avait été élevée dans une famille juive, mais s'était convertie au christianisme par la suite. Son biographe précisait que c'était la lecture d'un poème d'un pasteur du dix-septième siècle nommé George Herbert qui l'avait amenée à la foi.
Je me rendis aussitôt à la bibliothèque pour emprunter un recueil des poèmes de George Herbert. Les fameux poème me bouleversa tellement que je fus incapable de parler pendant plusieurs minutes. Plus je le lisais et le méditais, et plus je prenais conscience de sa profondeur.
AMOUR
Amour me dis d'entrer, mon âme a reculé, Pleine de poussière et de péché. Mais Amour aux yeux vifs, en me voyant faiblir De plus en plus, le seuil passé, Se rapprocha de moi et doucement s'enquit Si quelque chose me manquait. Un hôte, répondis-je, digne d'être ici. – Or, dit Amour, ce sera toi. – Moi, le sans-cœur, le très ingrat ? Oh, mon aimé, Je ne puis pas te regarder. Amour en souriant prit ma main et me dit : Qui donc fit les yeux, sinon moi ? Oui, mais j'ai souillé les miens, Seigneur. Que ma honte s'en aille où elle a mérité. – Ne sais-tu pas, dit Amour, qui a porté la faute ? – Lors, mon aimé, je veux servir. – Assieds-toi, dit Amour, goûte ma nourriture. Ainsi j'ai pris place et mangé. Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et bienveillance parmi les hommes ! |
Du fait que ce poème a été composé il y a plusieurs siècles, dans une langue qui présente quelques difficultés pour le lecteur moderne, je vais essayer d'en expliquer le sens (du moins pour moi) pour en dégager toute la richesse.
Arrêtons-nous quelques instants ici. On présente parfois l'amour de Dieu comme un sentiment cosmique, une bonne disposition envers tous les hommes sans considération de justice, comme si le péché n'était pas si grave. C'est la raison pour laquelle beaucoup ne se voient pas comme des pécheurs. Mais si vous n'êtes pas pécheur, pourquoi éprouvez-vous de la culpabilité ? Et si vous admettez que vous êtes pécheur, vous devez résoudre la question du pardon. Or, Dieu déclare : « Ton péché est bien réel. Il mérite la mort. Mais mon Fils, Jésus, a pris le châtiment. Il a cloué tes péchés sur la croix. Il est ‘le juge jugé à notre place’. »
À votre avis, qu'est-ce que Dieu désire le plus de vous ?
George Herbert était un brillant politicien qui a tout quitté pour devenir pasteur d'une petite église. Il écrivit de nombreux poèmes, sans toutefois jamais penser qu'ils pourraient être lus, et encore moins édités. Sur son lit de mort, il révéla leur existence à un ami proche : « Lis-les, et si tu penses qu'ils pourraient avoir une quelconque utilité, fais-en ce qui te semblera bon. »
Ses poèmes furent publiés à titre posthume. J'ai été stupéfait devant la modestie de cet homme : « Si tu penses qu'ils pourraient avoir une quelconque utilité », a-t-il dit à son ami. Je remercie Dieu de ce que son ami ait eu la sagesse et le discernement nécessaires.
Et je sais que Simone Weil partage mon avis.
J'ai commencé ce chapitre avec l'histoire d'une jeune femme qui avait été enceinte hors mariage et dont le pasteur avait refusé la proposition d'aider les jeunes filles de l'église. Il s'était également opposé au baptême de son bébé. Elle finit par choisir une autre église et son enfant fut baptisé peu de temps après. Elle travailla auprès des jeunes, tout en terminant ses études, avant de rejoindre le champ de mission. Aujourd'hui, sa fille et elle sont missionnaires en Afrique.
L'exercice spirituel pour cette semaine s'appelle lectio divina, d'une expression latine qui signifie littéralement : « lecture divine ». Elle désigne une façon de lire la Bible qui implique une écoute du cœur. C'est une pratique ancienne qui remonte à la tradition hébraïque du shema, qui consistait notamment à lire des passages choisis de la Bible hébraïque, en s'arrêtant à des endroits précis et en se concentrant sur certains mots. La lectio divina était pratiquée de manière communautaire dans l'Église primitive. Par la suite, elle fut enseignée par les Pères du désert qui favorisèrent l'aspect individuel.
Dans la lectio divina, nous prenons un passage de la Bible – généralement pas plus de quelques versets – que nous lisons plusieurs fois de suite, très lentement, en méditant chaque mot et en étant attentifs à leur impact sur notre cœur. C'est une façon de « prier les Écritures ». Cette pratique est très différente de l'étude, où nous nous penchons sur un texte biblique pour tenter d'en comprendre la signification. Dans la lectio divina, c'est plutôt le texte biblique qui « nous étudie ».
« L'amour est patient, l'amour est serviable, il n'est pas envieux ; l'amour ne se vante pas, il ne s'enfle pas d'orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il ne médite pas le mal, il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L'amour ne succombe jamais. » |
lectio divina est une activité très personnelle, aussi je ne peux pas – et ne dois pas – prédire exactement ce que vous vivrez. Je suis convaincu que Dieu a une parole précise rien que pour vous. 1 Corinthiens 13.4-8 est un texte bien connu que l'on lit souvent lors des cérémonies de mariage. Mais il ne traite pas spécifiquement de l'amour entre un mari et une femme – bien qu'il soit parfaitement approprié ! Paul y explique de façon plus générale comment vivre ensemble dans une communauté chrétienne, en affirmant que l'amour est le pivot de notre vie. Nous lisons deux autres passages de la Bible que nous devons aimer comme Dieu nous a aimés (1 Jean 4.11).
L'apôtre Jean nous dit aussi que « Dieu est amour » (1 Jean 4.8). Comme dans le poème d'Herbert, il est donc possible de remplacer le mot « amour » par « Dieu » dans le texte de 1 Corinthiens.
« Dieu est patient, Dieu est serviable, Dieu n'est pas envieux ; Dieu ne se vante pas, Dieu ne s'enfle pas d'orgueil, Dieu ne fait rien de malhonnête, Dieu ne cherche pas son intérêt, Dieu ne s'irrite pas, Dieu ne médite pas le mal, Dieu ne se réjouit pas de l'injustice, mais Dieu se réjouit de la vérité ; Dieu pardonne tout, Dieu croit tout, Dieu espère tout, Dieu supporte tout. Dieu ne succombe jamais. » |
Je vous conseille de lire ce texte plusieurs fois dans la semaine. L'idée centrale de ce chapitre est que Dieu est amour, mais nous ignorons ce que cela signifie. Ce passage explique ce qu'est le véritable amour.
Si la notion de l'amour inconditionnel de Dieu vous pose problème, vous pouvez également reprendre le poème de Herbert et le méditer plus longuement. Relisez-le lentement, en réfléchissant aux images que le poète emploie (par exemple : « Amour aux yeux vifs ») et en essayant de les visualiser dans votre esprit.