[Sources : Avant tout le symbole, les canons et le décret synodal du concile. Puis Saint Athanase, surtout De decretis Nicaenae synodi (v. 351) et Epistula ad Afros (v. 389) ; Eusèbe, Vita Constantini; Socrate, Sozomène, Théodoret, Rufin dans leurs Histoires ecclésiastiques, et Gélase de Cyzique dans son Histoire du concile de Nicée. — Travaux : les mêmes que sur l’arianisme en général, et Hefele, Histoire des conciles, 2e édit., traduct. franc., tom. I, 1.]
Le concile dont il a été question plus haut fut convoqué par Constantin à Nicée, en Bithynie. Trois cent dix-huit évêques environ s’y réunirent, presque tous orientaux. Les occidentaux se réduisaient à Hosius de Cordoue, aux deux prêtres Vitus et Vincent, représentants du pape Sylvestre, à Cécilien de Carthage, Marc de Calabre et Domnus de Stridon. Après les deux patriarches, Alexandre d’Alexandrie et Eustathe d’Antioche, les évêques les plus en vue étaient le métropolitain de Césarée en Cappadoce, Leontius, et les deux Eusèbe de Nicomédie et de Césarée. Le diacre Athanase avait accompagné son évêque Alexandre.
Le concile dut s’ouvrir vers le milieu de juin pour se clôturer au milieu de juillet 325. Il ne fit probablement point rédiger de procès-verbaux de ses séances ; et ainsi les moyens nous manquent de suivre exactement le progrès de ses discussions. Nous ne pouvons que très sommairement en reconstituer la physionomie.
Des sortes de conférences préliminaires précédèrent, semble-t-il, les premières sessions de l’assemblée. Les partisans d’Arius s’y déclarèrent. Ils étaient, au témoignage de Rufin, dix-sept en tout. Puis le concile fut solennellement ouvert par Constantin. Il est probable qu’Hosius le présida, assisté des deux prêtres Vitus et Vincent. Quoi qu’il en soit, les débats étant commencés, et la discussion s’échauffant entre ariens et orthodoxes, on vit rapidement se former un tiers-parti, à qui Athanase donne le nom d’eusébien (οἱ περὶ Εὐσέβιον), dont le but était de sauver l’arianisme en adoucissant ses formules et surtout d’éviter des déclarations dogmatiques trop catégoriques et trop nettes. Le chef en était Eusèbe de Nicomédie, un des prélats les plus intelligents et les plus adroits, mais un des plus ambitieux et des moins consciencieux de son temps. Eusèbe de Césarée y siégeait aussi, toutefois avec une attitude plus réservée.
Un premier symbole fut proposé par l’évêque de Nicomédie. On le repoussa comme trop favorable aux ariens. Un second, qui était peut-être le symbole baptismal de l’église de Césarée, fut proposé par son évêque, Eusèbe. Le Verbe y était dit « Dieu de Dieu, lumière de lumière, vie de vie, Fils unique, premier-né de toute créature, engendré du Père avant tous les siècles, par qui tout a été fait ». Une pareille formule n’eût rien décidé. Constantin, cependant, au dire d’Eusèbe, s’en serait contenté, à la condition d’y introduire le mot ὁμοούσιος. Mais les orthodoxes furent plus exigeants. Tout en acceptant le symbole d’Eusèbe, ils voulurent en préciser les termes. On pensa d’abord à déclarer que le Verbe est de Dieu (ἐκ τοῦ ϑεοῦ), la vertu vraie de Dieu, l’image du Père, parfaitement semblable au Père, immuable et toujours sans division dans le Père : mais on s’aperçut que les ariens trouvaient moyen de ramener ces expressions à leur sentiment ; et l’on s’arrêta enfin aux mots ἐκ τῆς οὐσίας τοῦ πατρός et ὁμοούσιος comme ne donnant lieu à aucune ambiguïté.
Ils ne furent pas adoptés sans difficulté. Les eusébiens objectaient que ces mots ramenaient le système émanatiste des gnostiques et supposaient Dieu un être matériel ; que I’ὁμοούσιος surtout était sabellien ; qu’en tout cas ces termes ne se trouvaient pas dans l’Écriture. On répondit à ces objections et l’on passa outre. Le symbole d’Eusèbe fut corrigé dans ce sens. On y ajouta un anathématisme pour condamner expressément les blasphèmes d’Arius ; et l’on obtint la formule suivante, qui fut souscrite, après quelque résistance, par tous les évêques présents sauf deux, Theonas de la Marmarique et Secundus de Ptolemaïs :
Πιστεύομεν εἰς ἕνα Θεὸν Πατέρα παντοκράτορα πάντων ὁρατῶν τε καὶ ἀοράτων ποιητήν. καὶ εἰς ἕνα Κύριον Ἰησοῦν Χριστὸν τὸν Υἱὸν τοῦ Θεοῦ, γεννηϑέντα ἐκ τοῦ Πατρὸς μονογενῆ τουτέστιν ἐκ τῆς οὐσίας τοῦ Πατρός, Θεὸν ἐκ Θεοῦ, Φῶς ἐκ Φωτός, Θεὸν ἀληϑινὸν ἐκ Θεοῦ ἀληϑινοῦ, γεννηϑέντα, οὐ ποιηϑέντα, ὁμοούσιον τῷ Πατρί, δι᾽ οὗ τὰ πάντα ἐγένετο τά τε ἐν τῷ οὐρανῷ καὶ τὰ ἐν τῇ γῇ, τὸν δι᾽ ἡμᾶς τοὺς ἀνϑρώπους, καὶ διὰ τὴν ἡμετέραν σωτηρίαν, κατελϑόντα, καὶ σαρκωϑέντα, καὶ ἐνανϑρωπήσαντα, παϑόντα, καὶ ἀναστάντα τῇ τρίτῃ ἡμέρᾳ, ἀνελϑόντα εἰς τοὺς οὐρανούς, ἐρχόμενον κρῖναι ζῶντας καὶ νεκρούς. καὶ εἰς τὸ Ἅγιον Πνεῦμα. Τοὺς δὲ λέγοντας Ἦν ποτε ὅτε οὐκ ἦν, καὶ Πρὶν γεννηϑῆναι οὐκ ἦν, καὶ ὅτι ἐξ οὐκ ὄντων ἐγένετο, ἢ ἐξ ἑτέρας ὑποστάσεως ἢ οὐσιάς φάσκοντας εἶναι ἢ κτιστόν ἢ τρεπτόν ἢ ἀλλοιωτὸν τὸν Υἱὸν τοῦ Θεοῦ, τούτους ἀναϑεματίζει ἡ ἁγία καϑολικὴ καὶ ἀποστολικὴ ἐκκλησία.
Dans cette formule, remarquons d’abord que l’expression υἱός a remplacé l’expression λόγος d’Eusèbe. La première est plus évangélique, et, en l’adoptant, on s’éloignait davantage de la conception hellénique de Verbe. Le sens de γεννηϑέντα se trouve précisé par l’opposition où οὐ ποιηϑέντα, et surtout par l’explication τουτέστιν ἐκ τῆς οὐσίας τοῦ πατρός. Ces derniers mots allaient directement contre la prétention arienne qui faisait le Fils étranger à la substance du Père et de Dieu (ξένος κατ᾽ οὐσίαν), et qui voyait en lui un effet de la volonté du Père (ϑελήματι καὶ βουλῇ). Saint Athanase tenait beaucoup à cette explication comme impliquant forcément l’ὁμοούσιος. Θεὸν ἀληϑινὸν ἐκϑεοῦ ἀληϑινοῦ était une affirmation de la divinité du Fils vraie et au sens le plus étroit. Suit l’ὁμοούσιον τῷ πατρί. On pense généralement que ce mot fameux a été intercalé dans le symbole sur le conseil d’Hosius, et n’est que la simple traduction du terme consubstantialis dont la doctrine de Tertullien avait, depuis longtemps, acclimaté l’usage en Occident. Non pas que l’Église grecque l’eût jusqu’ici ignoré. Le terme ὁμοούσιος avait été employé par les gnostiques, par Origène et l’Adamantius, par les alexandrins dans l’affaire des doux Denys. Mais l’espèce de réprobation dont il avait été l’objet de la part du troisième concile d’Antioche, tenu contre Paul de Samosate, l’avait rendu suspect ; et l’on s’expliquerait difficilement que des Grecs eussent pris l’initiative d’en faire le mot de passe de l’orthodoxie. Saint Athanase lui-même n’y tenait pas autant qu’on l’a dit ; et, bien qu’il l’ait cru la meilleure et la plus opportune expression de la foi contre les ariens, il ne voulait pas — dans un ouvrage de conciliation il est vrai — condamner absolument ceux qui repoussaient seulement le mot, si d’ailleurs ils en acceptaient le sens et la chose. Or le sens du mot ὁμοούσιος est que le Fils a la même essence, la même substance, le même être intime que le Père. Οὐσία désigne ce qu’il y a dans l’être de premier et de plus fondamental : il s’oppose aux caractères individuels et accidentels, aux συμβεβηκότα qui viennent s’y surajouter. De cette οὐσία — il s’agit de l’οὐσία concrète — le concile affirme qu’elle est la même numériquement (ὁμός) dans le Père et dans le Fils : car c’est bien jusque-là que le concile est allé, bien qu’il n’ait pas fait là-dessus de déclaration explicite. Suivant les Pères, dit saint Athanase, le Fils doit être ταὐτὸν τῇ ὁμοιώσεις ἐκ τοῦ πατρός.
[De decretis, 20. L’explication de l’ὁμοούσιος donnée par Eusèbe dans la lettre à son église (Socrate, Hist. eccl., I, 8 ; Théodoret, Hist. eccl., I, 11) n’est que l’échappatoire d’un homme embarrassé : le mot a une tout autre portée que celle qu’il lui accorde.]
Ce sont là, dans le symbole, les expressions qui portent. Quant à l’anathématisme qui suit, on y remarquera l’équivalence admise par le concile des mots οὐσία et ὑπόστασις. Pendant longtemps encore en effet, et jusque vers 362-370, les deux mots furent pris à peu près indifféremment l’un pour l’autre. L’autorité d’Origène, qui avait employé ὑπόστασις dans le sens de personne, n’avait pas suffi à rendre ce sens exclusif. Et en droit, d’ailleurs, ὑπόστασις reproduisait exactement le substantia des Latins. Ὁὐσία était platonicien ; ὑπόστασις était stoïcien ; mais la signification fondamentale était la mêmea.
a – V. Bethune-Baker, An introduction, etc., p. 233 et suit. The meaning of homoousios in the Constantinopolitan creed, Cambridge, 1901. p. 71 et suiv.