On n’attend pas qu’à propos d’une histoire des dogmes, nous entrions ici dans le détail des opérations du concile. Un simple aperçu suffira à notre but. Au jour dit, le 7 juin, Nestorius se trouvait à Ephèse avec seize évêques, Cyrille avec cinquante, Memnon, l’évêque d’Éphèse, avec quarante et douze évêques de la Pamphylie. Juvénal de Jérusalem et Flavien de Philippes, représentant Rufus de Thessalonique, s’y trouvaient aussi. Les légats du pape n’étaient pas arrivés, non plus que Jean d’Antioche et les évêques orientaux. On attendit ceux-ci quinze jours. Fatigué de ce retard, et sur les instances d’un certain nombre des évêques présents, Cyrille se décida, le 22 juin, à ouvrir le concile.
[Cyrille put se croire autorisé à ouvrir le concile, s’il est vrai, comme le relatent les actes (Mansi, IV, 1332 ; cf. 1229), que Jean d’Antioche expédia, avant son arrivée, deux évêques, Alexandre d’Apamée et Alexandre d’Hiérapolis, chargés de prévenir Cyrille de ne pas l’attendre plus longtemps, et de commencer les opérations. Cyrille dut raisonnablement soupçonner que Jean était bien aise de ne pas assister à la condamnation de Nestorius. Mais il faut remarquer que les deux évêques d’Apamée et d’Hiérapolis furent précisément parmi ceux qui protestèrent contre l’ouverture du concile en l’absence des orientaux ; (Mansi, IV, 1232, 1236). — Quant à la question de la délégation de Cyrille par le pape, on trouve que Cyrille est toujours désigné dans les actes comme « tenant la place de l’archevêque de Rome » (v. g. Mansi, IV, 1124). Mais, d’autre part, aucune lettre du pape à Cyrille ne contient de délégation particulière pour le concile ; bien plus, Célestin avait envoyé à Ephèse des légats spéciaux. Cyrille a évidemment étendu au concile la délégation qu’il avait reçue pour l’exécution de la sentence romaine contre Nestorius.]
On a contesté la légalité de cette mesure. Cyrille était partie contre Nestorius, et il n’avait reçu, pour présider le concile, aucune commission du pape Célestin. Mais, à vrai dire, et dans l’état de nos documents, il est difficile de se prononcer d’une façon absolue. Il règne entre la relation des actes du concile — rédigés sous la surveillance de Cyrille — et la conduite des évêques orientaux une contradiction que l’on ne peut résoudre. Ce qui est certain c’est que, le 21 juin, veille de l’ouverture, soixante-huit évêques, et parmi eux Théodoret, demandèrent que l’on attendît encore l’arrivée de Jean d’Antioche, et que, le 22, le comte Candidien protesta, au nom de l’empereur, contre le commencement des opérations du concile. Mais on passa outre. Cent cinquante-neuf évêques et le diacre Bessula, représentant l’évêque de Carthage, se trouvaient réunis dans l’église de Marie. Nestorius, trois fois cité, refusant de comparaître, on entama sans tarder la question de la foi.
Le concile fit lire d’abord le symbole de Nicée, puis la deuxième lettre de saint Cyrille à Nestorius (Epist. iv) et la réponse de celui-ci. Cette réponse fut immédiatement condamnée par quelques évêques, et un anathème général prononcé contre l’hérésiarque. Les lectures continuèrent par la lettre de Célestin et du synode romain à Cyrille (Epist. xii), et la lettre synodale de Cyrille et de son concile d’égyptiens (Epist. xvii). Enfin on opposa à la lecture d’un dossier patristique — extraits de passages des Pères sur l’incarnation — celle de vingt fragments de Nestorius tirés de ses œuvres ; et l’assemblée, assurée d’ailleurs que le patriarche persistait dans ses erreurs, prononça contre lui la sentence de déposition. Il fut déclaré « étranger à la dignité épiscopale, et à toute société sacerdotale ». Cent quatre-vingt-dix-huit évêques, auxquels quelques autres se joignirent encore un peu plus tard, signèrent cette sentence, dont le peuple d’Ephèse accueillit la nouvelle par ses transports et ses acclamations.
Ceci se passait le 22 juin 431. Quelques jours après, les légats du pape arrivèrent. La lettre de Célestin qu’ils apportaient au concile était très ferme. Le pape n’entendait pas que Nestorius fût jugé à nouveau : la décision du concile romain suffisait : celui d’Ephèse devait simplement la promulguer et la rendre œcuménique. C’était déjà fait. Dans la troisième session (11 juillet), les légats, après la lecture du procès-verbal de la première session du concile, confirmèrent les mesures qui y avaient été prises, et une lettre synodale fut rédigée pour les empereurs, exposant la conduite de toute l’affaire et demandant pour les évêques l’autorisation de rentrer chez eux. Avec la condamnation de Nestorius s’achevait l’œuvre doctrinale du concile d’Ephèse. Elle reçut un simple complément dans la sixième session par la réprobation d’un symbole attribué à Théodore de Mopsueste, et par la défense que porta le synode de composer et de répandre d’autre formule de foi que celle des Pères de Nicée.
[Le saint synode statue qu’il n’est permis à personne d’énoncer, écrire ou composer un autre [symbole de] foi en dehors de celui qui a été défini par les saints Pères réunis à Nicée avec le Saint-Esprit. Ceux qui oseront composer un autre [symbole de] foi, ou l’énoncer, ou l’offrir à ceux qui, soit du paganisme, soit du judaïsme, soit d’une hérésie quelconque, veulent se convertir à la reconnaissance de la vérité, ceux-là [le concile statue] que, s’ils sont évêques ou clercs, ils seront éloignés, les évêques de l’épiscopat, et les clercs de la cléricature ; que, s’ils sont laïques, ils seront frappés d’anathème » (Mansi, IV, 1364, 1364). On sait que le concile de Chalcédoine fut le premier à violer cette défense en mettant en circulation le symbole dit de Constantinople.]
L’œuvre doctrinale du concile était achevée ; mais le difficile était de la faire accepter. Dès le 26 juin, avant même que les légats fussent parvenus à Éphèse, Jean d’Antioche et ses évêques y étaient arrivés, et, se joignant immédiatement à quelques évêques dissidents, avaient tenu, au débotté, un conciliabule qui avait déposé Cyrille et Memnon sous l’inculpation de violence et même d’hérésie, et excommunié les prélats qui avaient siégé avec eux. Quarante-trois évêques avaient signé cette sentence qui fut communiquée aux intéressés, aux empereurs et aux princesses, au clergé, au sénat et au peuple de Constantinople. C’était la guerre déclarée, et il serait inutile ici autant que fastidieux d’en suivre en détailles péripéties. Chaque parti, condamnant ses adversaires, s’efforçait d’attirer à soi l’empereur et la cour ; et l’empereur, incertain, ne savait à qui donner raison dans une cause où trop de questions personnelles se mêlaient à la question de foi. Une chose fut cependant réglée : la déposition définitive de Nestorius, et son remplacement, sur le siège de Constantinople, par Maximien (25 octobre 431), orthodoxe doux et modéré, qui se montra favorable à Cyrille.
Aucun accord ne put intervenir entre cyrilliens et orientaux jusqu’à la mort du pape Célestin (16 juillet 432). Mais, à ce moment, on commença à concevoir quelques espérances de rapprochement. Le nouveau pape, Xyste III (31 juillet 432), tout en approuvant les décisions d’Éphèse, manifesta son désir que les orientaux fussent reçus à la communion pourvu qu’ils souscrivissent aux condamnations portées par le concile. Théodose II s’entremit de nouveau ; Cyrille, toujours suspecté d’apollinarisme, fournit sur sa doctrine personnelle des explications précises, dans lesquelles il déclarait rejeter absolument toute conversion et tout mélange, en Jésus-Christ, de la divinité et de l’humanité. Ces explications satisfirent plus d’un esprit parmi ses adversaires, et bientôt, au sein des orientaux, trois partis se formèrent. Un premier, favorable à la paix, acceptant le fond, sinon la forme de la doctrine de Cyrille, et disposé à sacrifier, s’il le fallait, la personne de Nestorius : les chefs en étaient Jean d’Antioche et Acace de Bérée ; — un second parti de nestoriens irréductibles, pour qui Cyrille, quoi qu’il pût dire et faire, restait toujours l’ennemi : on y voyait Alexandre d’Hiérapolis, Helladius de Tarse et quelques autres ; — et enfin un tiers parti dont Théodoret et André de Samosate étaient l’âme, hésitant, se défiant du patriarche d’Alexandrie, mais surtout refusant de condamner Nestorius et moins porté à la conciliation.
Cette conciliation cependant était voulue par la majorité de l’épiscopat ; et c’est pour l’avancer que Jean d’Antioche envoya à Alexandrie Paul d’Émèse, avec une lettre pour l’accréditer auprès de Cyrille, et une profession de foi sur laquelle l’entente devait se faire. Cette profession de foi reproduisait, à peu de chose près, une déclaration que les orientaux avaient autrefois fait remettre à l’empereur. Cyrille l’accepta, mais il exigea la condamnation expresse de Nestorius par Paul d’Émèse et ses commettants. Ce point lui fut accordé par Paul d’abord, puis par Jean d’Antioche. Celui-ci écrivit au patriarche d’Alexandrie la lettre définitive d’accord contenant la profession de foi susdite, et Cyrille y répondit par la lettre Laetentur caeli, qui reproduisait le même symbole. La paix était faite entre les patriarches (mars et avril 433).
La formule sur laquelle ils s’étaient entendus est fort importante, on le conçoit, puisqu’elle comprend les points précis que les deux théologies, d’Alexandrie et d’Antioche, professaient en commun, et fait connaître les sacrifices de terminologie particulière que chacune avait consentis pour le bien de la paix. En voici la teneur. Après une première partie, sorte d’introduction, cette formule continuait :
« Nous confessons donc que Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, est Dieu parfait et homme parfait, [composé] d’une âme raisonnable et d’un corps ; qu’il est né du Père avant les siècles, quant à la divinité ; et que le même, pour nous et pour notre salut, [est né] à la fin des temps de la vierge Marie, quant à l’humanité : que le même est consubstantiel au Père selon la divinité, et consubstantiel à nous selon l’humanité. Car il y a eu union des deux natures : c’est pourquoi, nous confessons un seul Christ, un seul Fils, un seul Seigneur. D’après cette façon de concevoir l’union exempte de mélange, nous confessons que la sainte Vierge est mère de Dieu, puisque le Dieu Verbe s’est fait chair, et s’est fait homme, et dès la conception s’est uni le temple qu’il a pris d’elle. Quant aux expressions évangéliques et apostoliques qui concernent le Seigneur, nous savons que les théologiens regardent celles qui unifient comme [se rapportant] à une personne unique, et celles qui séparent comme [se rapportant] à deux natures : et celles qui conviennent à Dieu [comme s’appliquant] au Christ suivant sa divinité, et les plus humbles [comme s’appliquant à lui suivant son humanité. »
Ὃμολογοῦμεν τοιγαροῦν τὸν κύριον ἡμῶν Ἰησοῦν Χριστόν, τὸν υἱὸν τοῦ ϑεοῦ, τὸν μονογενῆ, ϑεὸν τέλειον καὶ ἄνϑρωπον τέλειον ἐχ ψυχῆς λογικῆς καὶ σώματος; πρὸ αἰώνων μὲν ἐκ τοῦ πατρὸς γεννηϑέντα κατὰ τὴν ϑεότητα, ἐπ᾽ ἐσχάτων δὲ τῶν ἡμερῶν τὸν αὐτὸν δι᾽ ἡμᾶς καὶ διὰ τὴν ἡμετέραν σωτηρίαν ἐκ Μαρίας τῆς παρϑένου κατὰ τὴν ἀνϑρωπότητα; ὅμοούσιον τῷ πατρὶ τὸν αὐτὸν κατὰ τὴν ϑεότητα, καὶ ὁμοούσιον ἡμῖν κατὰ τὴν ἀνϑρωπότητα; δύο γὰρ φύσεων ἕνωσις γέγονε; διὸ ἕνα Χριστόν, ἕνα υἱόν, ἕνα κύριον ὁμολογοῦμεν. Κατὰ ταύτην τὴν τῆς ἀσυγχύτου ἑνώσεως ἔννοιαν ὁμολογοῦμεν τὴν ἁγίαν παρϑένον ϑεοτόκον, διὰ τὸ τὸν ϑεὸν λόγον σαρκωϑῆναι καὶ ἐνανϑρωπῆσαι, καὶ ἐξ αὐτῆς τῆς συλλήψεως ἑνῶσαι ἑυτῷ τὸν ἐξ αὐτῆς ληφϑέντα ναόν. Τὰς δὲ εὐαγγελικὰς καὶ ἀποστολικὰς περὶ τοῦ κυρίου φωνὰς ἴσμεν τοὺς ϑεολόγους ἄνδρας τὰς μὲν χοινοποιοῦντας ὡς ἐφ᾽ ἑνὸς προσώπου, τὰς δὲ διαιροῦντας, ὡς ἐπὶ δύο φύσεων: καὶ τὰς μὲν ϑεοπρεπεῖς κατὰ τὴν ϑεότητα τοῦ Χριστοῦ, τὰς δὲ ταπεινὰς κατὰ τὴν ἀνϑρωπότητα αὐτοῦ παραδιδόντας.
A la simple lecture de cette formule, on se rend compte que c’était Cyrille qui, en somme, sacrifiait le plus ses vues particulières. Dans ce texte, il n’était pas question du Verbe, mais bien de Jésus-Christ qui naît du Père selon la divinité, puis de Marie selon l’humanité. Le ϑεοτόκος n’était admis qu’avec l’explication réclamée par les orientaux : on retrouvait le mot ναός ; qui leur était cher ; les termes μία φύσις, ἕνωσις φυσική étaient remplacés par ἓν πρόσωπον, δύο φύσεων ἕνωσις, ὡς ἐπὶ δύο φύσεων, qui, s’ils marquaient l’unité de personne, exprimaient aussi la dualité des natures. Malgré tout, cependant, l’identité personnelle du Verbe avant l’incarnation et de Jésus-Christ était reconnue et plusieurs fois affirmée ; on écartait συνάφεια pour parler d’ἕνωσις ; le principe de la communication des idiomes et avec lui le ϑεοτόκος ; était reçu. Cyrille, s’il ne retrouvait plus sa terminologie préférée, retrouvait, au fond, sa doctrine, car il n’avait jamais été dans sa pensée de confondre en Jésus-Christ l’humanité avec la divinité. Il fut assez grand pour voir au delà des mots, et d’ailleurs dès ce premier moment, s’aperçut sans doute que ces mots pouvaient s’accorder avec la forme personnelle de sa doctrine. Il signa le formulaire de la paix, donnant, par cet acte, à ses adversaires, le meilleur gage de sa sincérité et de son orthodoxie.
La paix, avons-nous dit, était conclue entre les deux patriarches. Restait à la faire agréer des deux partis. Du côté de Cyrille, outre les gens mal informés comme Isidore de Péluse, il y avait de vrais monophysites comme Acace de Mélitène, qui lui reprochaient d’avoir, en acceptant le formulaire, trahi la cause de la vérité. Cyrille dut reprendre la plume pour se défendre, cette fois, contre ses amis, et défendre l’œuvre de l’union. Il le fit en des lettres où il s’efforça de montrer que la doctrine du formulaire ne différait pas, en substance, de ce que lui, Cyrille, avait toujours enseigné. Du côté de Jean d’Antioche, les résistances ne furent pas moins vives. Outre le groupe des Ciliciens qui persistèrent à déclarer Cyrille hérétique et l’union nulle de plein droit, Théodoret et ses amis, satisfaits à peu près des explications de Cyrille, ne voulaient pas entendre parler de la déposition de Nestorius. Il fallut que Théodose II, à l’instigation de Jean d’Antioche, intervînt de nouveau. Sous la pression impériale, les récalcitrants, sauf quinze qui furent déposés, cédèrent peu à peu. Théodoret lui-même accepta le symbole, tout en refusant d’anathématiser Nestorius. En 435, Théodose II, voulant éloigner la cause du conflit, fît sortir Nestorius du couvent d’Euprepius et l’exila à Petra, en Arabie, puis plus tard à l’Oasis d’Égypte. Nestorius y composa, sous le titre de Livre d’Héraclide de Damas, sa fameuse apologie récemment retrouvée ; mais il y souffrit beaucoup. Sa mort se place en 451, entre la convocation et la tenue du concile de Chalcédoine.