Histoire de la Réformation du seizième siècle

1.5

Efforts de réforme – Les princes – Les lettrés – L’Église

Depuis des siècles, un cri universel demandait une réforme dans l’Église, et toutes les puissances humaines s’y étaient essayées. Mais Dieu seul pouvait l’opérer. Il commença donc par humilier toutes les puissances d’hommes, afin de mettre en évidence leur incapacité. Nous les voyons échouer successivement et se briser aux pieds du colosse qu’elles prétendaient abattre.

Les princes de la terre luttèrent d’abord avec Rome. Toute la puissance des Hohenstaufen, ces héros dont la couronne impériale ceint la tête, semble engagée à abaisser, à réformer Rome, à délivrer les peuples, et l’Allemagne en particulier, de sa tyrannie. Mais le château de Canosse nous révèle ce que peut le pouvoir de l’empire contre le chef usurpateur de l’Église. Un prince redoutable, l’empereur Henri IV, après avoir longtemps et inutilement lutté contre Rome, est réduit à passer trois jours et trois nuits dans les fossés de cette forteresse italienne, exposé à tous les frimas de l’hiver, dépouillé de ses vêtements impériaux, sans souliers, recouvert d’un peu de laine, implorant, avec des cris qu’étouffent ses larmes, la pitié d’Hildebrand, devant lequel il se prosterne, et qui veut bien à la fin, après trois lamentables nuits, se laisser fléchir et faire grâce au suppliant. Voilà la puissance des grands de la terre, des rois et des empereurs du monde contre Rome !

Vinrent ensuite des adversaires plus à craindre peut-être, les hommes du génie et du savoir. Les lettres se réveillent en Italie, et leur réveil est une énergique protestation contre la papauté. Dante, ce père de la poésie italienne, place hardiment dans son enfer les papes les plus puissants : il entend dans le ciel l’apôtre Pierre prononcer les paroles les plus dures et les plus humiliantes contre ses indignes successeurs, et il fait les plus horribles descriptions des moines et du clergé. Pétrarque, ce grand génie, d’un esprit supérieur à tous les empereurs et à tous les papes de son temps, demande avec hardiesse le rétablissement de la constitution primitive de l’Église. Il invoque à cette fin le secours de son siècle et le pouvoir de l’empereur Charles IV. Laurent Valla, l’un des plus illustres savants de l’Italie, attaque avec une grande énergie les prétentions des papes, et le prétendu héritage qu’ils tiennent de Constantin. Une légion de poètes, de savants et de philosophes marchent sur leurs traces. Le flambeau des lettres s’est partout rallumé, et prétend réduire en poudre cet échafaudage romain qui l’offusque. Mais tous ces efforts sont inutiles. Le pape Léon X engage parmi les soutiens et les officiers de sa cour, la littérature, la poésie, les sciences et les arts, qui viennent baiser humblement les pieds d’un pouvoir que, dans leur superbe enfantine, ils avaient prétendu détruire… Voilà la puissance des lettres et de la philosophie contre Rome !

Enfin parut un adversaire qui semblait devoir être plus capable de réformer l’Église : ce fut l’Église elle-même. Aux cris de réforme, répétés de toutes parts, et qui retentissent depuis des siècles, se réunit la plus imposante des assemblées ecclésiastiques, le concile de Constance. Un nombre immense de cardinaux, d’archevêques, d’évêques, dix-huit cents prêtres et docteurs en théologie, l’Empereur avec une suite de mille personnes, l’électeur de Saxe, l’électeur Palatin, les ducs de Bavière et d’Autriche, des ambassadeurs de toutes les puissances, donnent à cette assemblée une autorité telle, qu’il n’y en avait jamais eu de semblable dans la chrétienté. Par-dessus tout, il faut signaler les illustres et immortels docteurs de l’université de Paris, les d’Ailly, les Gerson, les Clémangis, ces hommes pieux, savants et forts, qui, par la vérité de leurs écrits et la puissance de leurs paroles, donnaient au concile une énergique et salutaire impulsion. Tout plia devant cette assemblée : d’une main elle renversa trois papes à la fois, tandis que de l’autre elle livra Jean Hus aux flammes. Une commission, composée de députés de toutes nations, est nommée pour proposer une réforme fondamentale. L’empereur Sigismond appuie ce dessein de tout le poids de son pouvoir. Il n’y a qu’une voix dans le concile. Tous les cardinaux jurent que celui d’entre eux qui sera élu pape ne congédiera pas l’assemblée, et ne quittera point Constance, avant que la réforme tant demandée soit accomplie. Colonne est choisi, sous le nom de Martin V. Voici le moment qui va décider de la réformation de l’Église. Tous les prélats, l’Empereur, tous les princes et les peuples de la chrétienté l’attendent avec un inconcevable désir…



Sigismond (1368-1437)

« Le concile est clos, » s’écrie Martin V, dès qu’il a posé la tiare sur sa tête. Sigismond et l’Église poussent un cri de surprise, d’indignation et de douleur ; mais ce cri s’évanouit dans les airs. Et le 16 mai 1418, couvert de tous les ornements pontificaux, le pape monte sur une mule richement caparaçonnée. L’Empereur est à sa droite, l’électeur de Brandebourg est à sa gauche, tenant chacun les rênes de son coursier ; quatre comtes élèvent sur la tête papale un dais magnifique ; plusieurs princes tout à l’entour soutiennent le caparaçon ; une suite à cheval de quarante mille personnes, dit un historien, composée de nobles, de chevaliers, d’ecclésiastiques de tout rang, accompagne solennellement le pontife hors des murs de Constance. Et Rome, seule, sur sa mule, se moque intérieurement de la chrétienté qui l’entoure, et lui apprend que son charme est tel, qu’il faut, pour la vaincre, un autre pouvoir que des empereurs, des rois, des évêques, des docteurs, toute la science et toute la puissance de ce siècle et de l’Église.

Comment ce qui devait être réformé eût-il pu devenir réformateur ? Comment la plaie eût-elle pu trouver la guérison en elle-même ?

Néanmoins, les moyens employés pour réformer l’Église, et que l’événement accusa d’impuissance, contribuèrent à affaiblir les obstacles, et préparèrent le terrain aux réformateurs.

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