Jésus-Christ est le Sauveur du monde. — Qu’est le salut apporté par lui ? — Comment nous l’a-t-il obtenu ? — Par quel moyen pouvons-nous nous l’approprier ? — Les deux premières questions se fondent en une seule : La rédemption est-elle une expiation ?
La Sotériologie a deux grandes faces, toujours unies dans la réalité des choses, mais pourtant distinctes, savoir la justification et la régénération, la délivrance de la peine du péché et la délivrance de l’empire du péché. L’envisageant spécialement sous sa première face, nous y rencontrons quatre questions générales : 1° Qu’est le salut que Jésus-Christ a apporté au monde ? — 2° Comment nous l’a-t-il obtenu ? — 3° Par quel moyen pouvons-nous nous l’approprier ? — 4° Qui est Jésus-Christ ? — Mais quoiqu’intéressant à un haut degré la Sotériologie proprement dite, cette dernière question appartient plutôt à la Christologie.
Jésus-Christ est le Sauveur du monde. C’est la doctrine qui remplit le Nouveau Testament et qui pénètre le système évangélique tout entier. Aussi, tous les chrétiens, quelles que soient leurs divergences théologiques et ecclésiastiques, honorent-ils le Fils de Marie comme le grand Libérateur de l’humanité. Tous disent avec saint Paul : C’est une chose certaine que Jésus-Christ est venu nous sauver (1 Timothée 1.15) et avec Jésus-Christ lui-même : Dieu a tant aimé le monde, etc. (Jean 3.16). Mais sous l’uniformité de ce langage on découvre bientôt, pour peu qu’on y regarde, de nombreuses et profondes diversités d’opinion. Et il n’y a pas lieu de s’en étonner. Nous touchons ici au fond central et vital du Christianisme. La rédemption est l’Évangile même. Tout y tient et elle tient à tout ; tout en sort et tout y revient, enseignements et faits, dons et devoirs. Les lignes les plus divergentes s’y rencontrent, s’y mêlent, s’y croisent ; et il est d’autant plus difficile de leur laisser à toutes leur place et leur action, de leur conserver leur rapport et leur équilibre normal, qu’à leur origine comme à leur terme elles se perdent dans le mystère des voies divines. On comprend que la prévention ou la préoccupation systématique brise en mille sens cette vue d’ensemble, qui donne seule la vérité complète et par là même la vérité vraie. Forcés de scinder la grande doctrine du salut pour en étudier successivement les éléments constitutifs, nous nous efforcerons de leur conserver à tous leur importance propre.
Il s’offre de prime abord deux questions qui se différencient sans se séparer : celle du but ou de l’effet de la rédemption, et celle de son mode ou de son moyen. On convient que la rédemption est tout à la fois réconciliation et régénération ; mais on se divise sur le rapport interne, sur la mutuelle dépendance du pardon et de la sanctification. On convient aussi que Jésus-Christ nous sauve par tout ce qu’il a enseigné, fait et souffert ; mais on se divise encore sur la place et l’importance respectives de sa doctrine, de sa vie, de sa mort. 11 en est de son œuvre comme de sa personne. Il se montre, aux deux égards, des faces multiples dans l’enseignement sacré. Relativement à sa personne, il existe trois grandes catégories de textes, ceux qui le représentent comme homme, semblable à nous en toute chose, hors le péché ; ceux qui le représentent comme Médiateur entre Dieu et les hommes ; ceux qui le représentent comme Dieu. Relativement à son œuvre, même trilogie générale : la vertu salutaire qui vient de lui est rapportée tantôt à sa doctrine, tantôt à sa vie, tantôt à sa croix. En s’attachant trop exclusivement à l’une ou à l’autre des données bibliques, en la faisant absolue à force de la faire prédominante, on peut y absorber tout le reste, et arriver à l’erreur en réduisant la vérité à un seul de ses éléments ou de ses fragments. C’est le vice radical de la plupart des systématisations théologiques, et la raison secrète de leurs incessantes transformations.
Nous posons en fait la large part des exemples et des enseignements de Jésus-Christ, de sa vie et de sa parole dans l’œuvre rédemptrice, en même temps que les effets mystiques de sa résurrection, de son ascension, de son intercession. Cela est plus ou moins reconnu à peu près partout. Le point vif des débats porte sur le caractère propre de la Passion du Rédempteur, sur le rôle et le rang qu’elle occupe dans le plan divin. Il s’agit surtout de savoir si la rédemption est foncièrement une expiation. Et la question de la nature du salut va se fondre dans celle du moyen par lequel il s’est accompli. C’est par conséquent à cette question mixte que nous devons nous attacher.