S’il est vrai que la science et la pratique morales sont dépendantes de la croyance religieuse, et que la caractéristique de la morale naturelle ait été donnée par la religion naturelle, nous avons le droit de demander la caractéristique propre de la morale chrétienne à l’essence du fait chrétien. Or, si le centre de la révélation naturelle est la nature visible issue de la première création, le centre de la révélation chrétienne historique est la personne et l’œuvre de Jésus-Christ. Et comme la morale naturelle est tout entière déterminée par le rapport de l’homme à Dieu son Créateur, sa Providence et son juge, la morale chrétienne à son tour sera déterminée par le rapport de l’homme à Christ, reconnu non seulement comme le seul saint, mais comme l’unique médiateur du salut entre Dieu et l’humanité.
La morale chrétienne a en effet ce premier avantage sur toute autre morale qu’elle a pu présenter à l’humanité l’idéal une fois pleinement et parfaitement réalisé dans l’histoire, tandis que partout ailleurs les traits de cet idéal ont dû être empruntés aux postulats de la conscience, et que la réalisation future et finale en est restée jusqu’ici, quoique ardemment désirée, de plus en plus incertaine.
Mais ce serait peu encore que la réalisation unique de l’idéal moral dans la personne et dans la carrière terrestre de Jésus-Christ, si cette même personne parfaitement sainte n’avait pas apporté avec elle la garantie d’une réalisation future de ce même idéal dans la collectivité des individus se réclamant de son nom.
Dans ce rapport nécessaire du croyant à Christ gît la raison pour laquelle tous ceux qui ont prétendu ramener cette morale au niveau de toute autre, ont misérablement échoué. Je dis que, hors du dogme chrétien, la morale chrétienne, si haute, si pure, si sublime qu’on la proclame ou qu’on la suppose, fait plus que de descendre au niveau commun, et qu’on lui ferait trop d’honneur en la disant digne de respect. Retranchez de l’enseignement du Christ le mystère transcendant des origines de sa personne, vous avez mis cette doctrine en contradiction avec les principes élémentaires de la morale naturelle et de toute morale ; vous avez rendu la morale chrétienne ouvertement immorale.
Prenons pour exemple le Sermon sur la montagne, dont on a prétendu faire un manifeste contre la dogmatique orthodoxe, l’expression la plus authentique du pur Évangile primitif, confondu pour la circonstance avec la morale naturelle, le plus pur écho du témoignage de la conscience. Nous n’en aurons pas lu dix lignes que nous serons déjà arrêtés par le dogme. Comment les partisans d’une morale soi-disant chrétienne, indépendante du dogme chrétien, vont-ils interpréter les mots : pour l’amour de moi (Matthieu 5.41) ? Ces mots assimilent les persécutions endurées par les disciples du Christ à celles que les anciens prophètes ont subies pour la cause de Jéhova : le nouveau docteur de morale se met par là en parallèle avec Jéhova lui-même. A la fin du même discours, nous entendons le même personnage non seulement s’ériger en juge universel, chargé de distribuer les punitions et les récompenses suprêmes, mais, ce qui est plus fort encore et paraîtra absolument inadmissible au point de vue de la simple morale naturelle, faire de sa présence la norme et la mesure vivante du sort éternel des créatures (Matthieu 7.23) ; sa personne est l’objet des suprêmes devoirs imposés aux membres futurs du Royaume de Dieu (Matthieu 10.37 ; 11.28-30, etc.).
Nous avons à montrer que la révélation chrétienne prête à la morale :
- son objet ;
- son type ;
- ses forces ou vertus ;
- sa sanction finale.