Étude sur l’Épître aux Colossiens

La Primauté de Jésus-Christ
1.15-20

Lequel est l’image du Dieu invisible, le premier-né (l’aîné) de toute la création[c], car c’est par lui que toutes choses ont été créées, celles qui sont dans les cieux et (comme) celles qui sont sur la terre[d], les visibles et (aussi) les invisibles[e], trônes et principautés, dominations et puissances[f], toutes choses par lui et pour lui ont été créées ; et lui-même est avant toutes choses et en (par) lui seul subsistent toutes choses. Et lui encore est la Tête[g] du corps de l’Eglise, lui qui est (étant) les prémices (le Chef)[h], le premier-né d’entre les morts, en sorte qu’en toutes choses il tienne le premier rang[i] ; car le bon plaisir (de Dieu) a été que toute plénitude habitât en lui, et de se réconcilier toutes choses par lui, ayant, par le sang de sa croix, par lui, pacifié toutes choses, et celles qui sont sur la terre, et celles qui sont dans les cieux.

[c] Antérieur à toute création.
[d] Les célestes comme les terrestres.
[e] Non seulement les visibles, mais les invisibles.
[f] Oui.
[g] Le Chef.
[h] Le commencement.
[i] Il soit le premier, il ait la primauté.

Nous n’avons lu jusqu’ici que l’introduction de l’épître et nous l’avons crue terminée au verset 14. Mais on ne peut marquer bien précisément l’endroit où saint Paul entre en matière. Son sujet c’est Jésus-Christ, mais l’introduction en est déjà toute pleine, parce que lui-même est tout plein de Jésus-Christ qui est pour lui le commencement et la fin, le centre et la circonférence, le premier et le dernier mot de la vérité.

Il n’est pas évident cependant qu’en prenant la plume, il ait eu devant les yeux un sujet proprement dit ; toutefois il est évident, pour le moins, que l’idée dont il était préoccupé lorsqu’il se mit à écrire aux Colossiens, l’idée qui s’empare de lui dès le commencement de sa lettre, c’est une idée particulière, autant qu’on peut appeler particulier ce qui embrasse tout, l’idée de la plénitude de Jésus-Christ. Quoi qu’il en soit, c’est de cette plénitude de Jésus-Christ qu’il est essentiellement question dans la lettre aux Colossiens.

Mais il faut expliquer ce mot plénitude. Un vase est plein lorsque la substance ou le liquide qu’on y a introduit ne laisse point de vide. La plénitude est donc la perfection non dans le sens de qualité ou d’exécution, mais sous le point de vue de la quantité et du nombre ; et cette idée s’exprimerait mieux par le mot complétitude s’il existait, complet signifiant rempli ou accompli. Un être complet est celui à qui il ne manque rien. Quand saint Paul parle donc de la plénitude de Jésus-Christ, c’est comme s’il disait : « Jésus-Christ est un être complet ». Or il y a plusieurs sortes de plénitudes : la plénitude de l’objet selon son espèce, qui, comme espèce, n’est pas pleine et complète, ou selon tel ou tel but particulier, tel ou tel rapport, qui ne renferment pas tous les buts et tous les rapports. C’est là une sorte de plénitude qu’on peut appeler plénitude relative parce qu’elle n’est plénitude que considérée sous un point de vue particulier et borné. Hors de ce point de vue, l’objet n’est plus complet. Mais il y a une plénitude qui est sans limite, qui n’est pas bornée par une nature spéciale, par un but ou par un rapport particulier, mais une plénitude qui embrasse ou qui absorbe comme une lumière plus faible dans une lumière plus vive, toutes les espèces, tous les buts ou tous les rapports : c’est la plénitude absolue, ou ce que saint Paul appelle ici toute plénitude et ce qu’on peut bien appeler ainsi, puisqu’elle se compose de toutes les plénitudes. Cette plénitude absolue, cette toute plénitude n’appartient qu’à Dieu ; c’est par cette plénitude même que nous définissons Dieu ; en sorte que l’apôtre, en l’attribuant à Jésus-Christ, le fait égal à Dieu (Philippiens 2.6), le fait Dieu même, car deux êtres ne peuvent pas avoir en même temps la plénitude absolue. C’est à cette plénitude que saint Paul consacre l’écrit que nous allons lire ; toutefois, de plus, il fera voir en Jésus-Christ telle ou telle plénitude relative qui suppose bien la plénitude absolue, mais que celle-ci ne suppose pourtant pas évidemment. Voilà l’objet principal qui occupe la partie la plus considérable de l’épître.

Après cet énoncé général de l’idée principale de cette épître (nous ne disons pas du sujet, puisque l’auteur ne traite pas un sujet, et qu’il expose moins qu’il ne réfute occasionnellement), étudions maintenant cette idée dans le détail, qui, en la divisant, comme la mère divise la nourriture de son enfant, nous met mieux en état de nous l’approprier et de nous en nourrir ; et d’abord, étudions les versets de notre texte.

Ce texte (v. 15-20) a pour sujet la primauté de Jésus-Christ, la qualité de celui-ci d’être le premier, et se divise en deux parties :

  1. Jésus-Christ est le premier relativement à la création (v. 15-17)
  2. Jésus-Christ est le premier relativement à l’Eglise (v. 18-20).

Jésus-Christ est le premier relativement à la création.

Le premier trait de cette première partie ne présente pas d’abord cette idée de primauté : Jésus-Christ « image du Dieu invisible » (v. 15). Ce trait ne fait que réduire en un point, concentrer dans un mot tout ce qui va suivre. C’est ici comme un résumé placé en tête des idées qu’il résume, c’est une conclusion présentée avant les faits qui l’établissent. Car tout ce que dit saint Paul, dans ces trois versets, prépare ou justifie cette conclusion, forme cette idée que Jésus-Christ est l’image du Dieu invisible.

Il faut sentir la force de cette expression. Jésus-Christ n’est pas seulement à l’image du Dieu invisible, comme l’homme. Nous, hommes, nous avons été faits à l’image de Dieu et nous avons fait tout ce que nous avons pu faire pour effacer cette image. Mais quand même rien n’aurait été altéré en nous et que nous serions encore dans notre état primitif, cependant, il y aurait une différence immense, une distance infinie entre Jésus-Christ et nous sous ce rapport, car nous sommes à l’image du Dieu invisible, et il est l’image même de Dieu. Il est l’image, non seulement dans le sens de ressemblance, voire même d’une parfaite ressemblance, mais encore dans ce sens suprême qu’il a en lui la plénitude de l’essence et des perfections divines. Le mot image est employé dans le même sens dans 2 Corinthiens 4.4 et dans Hébreux 1.3.

Il ne peut y avoir de doute là-dessus quand on voit ce qui suit, et d’abord le mot invisible. Ce mot marque la seule différence que saint Paul voit entre Dieu et Jésus-Christ : Dieu est invisible, Jésus-Christ est visible. C’est dire que Jésus-Christ nous rend visible, en sa personne, le Dieu invisible. C’est la même idée exprimée en d’autres termes par l’auteur de l’épître aux Hébreux lorsqu’il appelle Jésus-Christ la splendeur de la gloire de Dieu (Hébreux 1.3), c’est-à-dire, celui en qui se voit toute la gloire divine. Or Dieu, dit Esaïe (42.8), ne communique sa gloire à aucun autre qu’à Dieu. Ainsi quand l’apôtre donne à Jésus-Christ la gloire de Dieu, il en fait un Dieu. C’est dans le même sens que l’Eglise antique appelait Jésus-Christ lumière de lumière, c’est-à-dire, lumière égale à la lumière dont elle émane, lumière de même nature et que l’apôtre appelle d’une manière encore plus énergique « l’empreinte de son essence » (Hébreux 1.3) ou son essence même revêtant un caractère extérieur, une forme.

Que Jésus-Christ ne soit autre que Dieu devenu visible, c’est ce que bien des passages établissent, les uns directement, d’autres indirectement. Ainsi le nom d’Emmanuel, appliqué d’après Esaïe (7.14) à Jésus-Christ, dans Matthieu 1.23 : Une vierge sera enceinte, et elle enfantera un fils, et on appellera son nom Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous. Ainsi le passage de saint Jean, qui, après avoir dit dans son Evangile (1.1), que la Parole était au commencement, que cette Parole était avec Dieu, et que cette Parole était Dieu, dit plus loin (v. 14), ayant Jésus-Christ en vue, que cette Parole a été faite chair ; et les paroles du même saint Jean disant plus loin (1.18) : Personne ne vit jamais Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui nous l’a manifesté ; et les paroles de Jésus-Christ lui-même à Philippe (Jean 14.8-9) : Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m’as pas connu ! Philippe, celui qui m’a vu a vu mon Père. Ainsi encore celles de saint Paul à Timothée (1Timothée 3.16) : Le mystère de piété est grand, Dieu manifesté en chair ; sur quoi l’on peut remarquer en passant que saint Paul nous montre dans ces paroles que le scandale de notre foi en est le véritable objet et la substance et la force, car c’est un mystère de piété et non de pensée. Et enfin, dans la même épître, nous lisons : « Toute la plénitude de la déité[j] a résidé substantiellement en lui », Jésus-Christ (Colossiens 2.9). Ces mots ne laissent plus rien à dire.

[j] Vinet ajoute dans son manuscrit la note suivante : « Nous évitons le mot de divinité qui pourrait signifier seulement : participant de la nature divine. Gottheit, Göttlichkeit θεοτης, θειοτης. Colossiens 2.9. »

Après cette déclaration, expression sommaire et absolue de cette absolue déité de Jésus-Christ, Paul, qui n’a pas distingué le Fils du Père, l’en distingue maintenant, et d’abord en le présentant dans ses rapports avec la création dont il l’appelle le premier-né ou l’aîné : « le premier-né de toute la création », dit-il. Nous nous étonnons que, marquant pour ainsi dire le pas, sans avancer, il nous dise d’abord cela et ne dise pas du premier coup davantage ; car appeler Jésus-Christ le premier-né, l’aîné ou l’anté-né[k] de la création, ce n’est pas tout dire ; cette expression peut sembler faible après celle qui précède : « L’image du Dieu invisible ». Mais il faut se placer au point de vue de saint Paul et dans la position des Colossiens à qui de faux docteurs tâchaient de mettre dans l’esprit que Jésus-Christ était une créature. Paul commence par écarter comme du revers de la main cette erreur, en disant que Jésus-Christ est l’aîné de toute la création, de tout être créé, c’est-à-dire qu’avant que rien fût créé, il était. Il est donc clair qu’antérieur à toute création, il n’a pas été créé. Mais l’apôtre va prendre un bien plus grand essor.

[k] C’est-à-dire né-antérieurement.

Et comment Jésus-Christ ne serait-il pas l’aîné de toute la création, antérieur à toute création, et par conséquent incréé ? puisque « c’est par lui que toutes choses ont été créées, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre », dit l’apôtre (v. 16) ; paroles conformes à celles de Jean (1.3) : Toutes choses ont été faites par elle (la Parole), et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle ; et à ce passage de l’épître aux Hébreux (1.3) où il est dit de Jésus-Christ : par lequel il a fait les siècles, c’est-à-dire la durée, l’universalité des choses dans le temps, comme l’universalité des choses dans l’étendue. (Voir encore Ephésiens 3.9 ; 1 Corinthiens 8.6.) Parler comme saint Paul parle ici, c’est non pas seulement opposer à l’erreur une vérité de même dimension, mais c’est engloutir l’erreur dans une vérité plus étendue que l’erreur elle-même ; c’est une preuve a fortiori, surabondante, débordant son objet, car il n’est pas rigoureusement nécessaire, pour prouver que Jésus-Christ n’est pas une créature, d’établir qu’il est Créateur ; et pourtant quand on y réfléchit, il est bien évident que, s’il n’est pas une créature, il est le Créateur. Puisque l’hérésie de ces temps l’assimilait aux anges, rien n’était plus propre à la démentir, à rendre toute équivoque impossible et à couper court à tout malentendu, que de dire que ces créatures qu’on égale à lui ont été créées par lui. Car ce sont bien les anges, et plus généralement toutes les créatures supérieures à l’homme que Paul a en vue ici lorsqu’il dit, non pas seulement : « toutes choses », mais encore : « celles qui sont dans les cieux comme celles qui sont sur la terre, les visibles et aussi les invisibles ». Qu’on élève donc, qu’on allonge tant qu’on voudra l’échelle des êtres, qu’on accumule les titres les plus pompeux, qu’on multiplie les grades et les dénominations dans la hiérarchie céleste, qu’on y distingue avec emphase « trônes et principautés, dominations et puissances », nous ne distinguons point. Y eût-il, entre chacun des degrés de l’échelle angélique, beaucoup plus de distance encore qu’entre la nature humaine et la nature angélique, peu nous importe : tout est de niveau en face de Jésus-Christ ; tous, anges et hommes, sont égaux devant lui ; tous sont égaux entre eux comme créatures et comme ses créatures.

C’est dire assez pour ceux qui réfléchissent ; car ceux-là savent bien que celui qui crée et qui n’a pas été créé ne peut créer que pour lui (comparez Romains 11.36) ; qu’ainsi de l’idée « par lui » sort nécessairement celle de « pour lui » ; qu’il n’est pas assujetti à sa créature, qu’il ne doit rien à l’être qui lui doit tout, et que l’être créé n’a rien qu’il ne doive rendre ou rapporter à celui qui l’a créé. Ainsi, le monde (toute créature) ayant été créé par la Parole, l’a été pour la Parole ; le monde n’est pas seulement l’œuvre mais l’objet même de la Parole de qui le propre est de créer, et qui ne serait pas la Parole si elle ne créait pas, puisqu’alors la Parole ne parlerait pas. Le monde est l’effusion, le déploiement de la Parole. Le monde est le signe de la Parole, et il existe pour elle comme le signe existe pour la chose signifiée ; le monde signifie en quelque sorte la Parole. Il peut, en conséquence, paraître superflu de dire que toutes choses, créées par lui, ont été créées pour lui ; cependant l’apôtre n’estime pas superflu de l’ajouter expressément, et il déclare que le monde terrestre et céleste est créé, existe pour Jésus-Christ, c’est-à-dire pour réaliser sa pensée, par conséquent pour le glorifier en la réalisant, pour lui obéir avec ou sans volonté ; tellement que si le monde cessait d’accomplir ce but, son existence serait sans objet, sans raison, et même il n’existerait plus.

Et enfin, par une conséquence nécessaire, toutes choses, créées par lui et pour lui, subsistent, c’est-à-dire continuent d’être en lui (v. 17). Ce mot rappelle celui que Paul a dit ailleurs (à Athènes) de Dieu : C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être (Actes 17.28) ; et l’apôtre, en faisant de Jésus-Christ un seul avec Dieu, nous autorise ou plutôt nous oblige à lui appliquer les mêmes paroles. Mais ici, avant de dire que toutes choses subsistent en lui ou par lui, il jette encore cette pensée, comme par parenthèse : « il est avant toutes choses » ; et ce n’est pas un mot mis hors de place ou au hasard : il y a deux significations également vraies entre lesquelles on peut choisir :

  1. au-dessus de toutes choses ;
  2. antérieurement à toutes choses.

Dans le premier sens, il faut que toutes choses subsistent en lui, car, quoique indépendance et puissance ne s’entraînent pas l’une l’autre dans l’ordre des choses créées, la souveraine indépendance suppose nécessairement la suprême puissance ; l’être qui a la première ne peut pas ne pas exercer la seconde. Dans le second sens, s’il est antérieur à toutes choses, il faut dire que toutes choses étaient éternellement renfermées en lui, comme il était éternellement enfermé lui-même dans le sein de son Père ; le monde a manifesté la Parole, comme la Parole a manifesté Dieu ; mais le monde ne manifeste la Parole qu’en montrant que la Parole le renfermait, et si le monde pouvait subsister hors de la Parole, il n’aurait jamais subsisté en elle ; le monde ne subsiste que parce que la Parole le crée incessamment, que parce que la Parole continue incessamment à vouloir et à dire : Que le monde soit ! Ainsi, celui qui, avant que la création existe, remplit tout de sa présence, ne se retire pas devant ses créatures ; elles sont en lui, elles n’existent qu’en lui, elles existent sans doute avec une existence propre, mais non pas hors de lui, non pas sans lui, encore moins malgré lui ; il les fait vivre de sa propre vie ; c’est pourquoi l’épître aux Hébreux déclare que Jésus-Christ soutient toutes choses par sa parole puissante (Hébreux 1.3), par un mot puissant (ρημα, acte du λογος, nutus, dit Calvin), le même qui créa au commencement la lumière et les mondes. La Parole a fait le monde et la Parole le maintient ; et s’il est vrai que la Providence est une création continue, Jésus-Christ est investi des fonctions de Providence ; il est la Providence ; parce que la même Parole qui a créé la matière de tous les événements dispose de toute leur suite, et que le fait primitif étant de lui, il en est de même à plus forte raison des faits secondaires. (Avant de se manifester dans la chair par la Parole qui se fait chair, Dieu s’est manifesté dans le monde par cette même Parole ; l’un, la venue en chair, n’est que le dernier degré de l’autre, la venue dans le monde ; l’incarnation est le dernier degré de la création ; Dieu se faisant à l’image de l’homme, puisque l’homme n’était plus à l’image de Dieu, et que par là même le monde tout entier dont l’homme est le résumé, le centre et le sens, n’était plus à l’image de Dieu.

Ainsi nous devons croire, dans l’histoire du monde et dans celle de l’Eglise qui ne sont qu’une même histoire, à l’intervention incessante de Jésus-Christ comme Providence. Nous y devons croire pour le monde entier et pour nous, et dire de lui comme de Dieu, avec une consolation ineffable : Nos temps sont en sa main (Psaumes 31.16) ; il hâtera les choses en leur temps (Esaïe 60.22) ; et il lui a été donné d’avoir la vie en lui-même, et il vivifie ceux qu’il veut (Jean 5.26, 21).

Telle est la pensée de saint Paul sur la dignité de Jésus-Christ. Ce n’est pas tant une exposition en forme, ni la preuve d’un dogme, qu’un démenti, une protestation contre l’erreur qui donnait une place à Jésus-Christ parmi les créatures, ou dans je ne sais quel milieu entre Dieu et les créatures. Ce n’est pas seulement dans cette épître que se trouve cette protestation : nous voyons de même l’auteur de l’épître aux Hébreux s’armer des termes les plus absolus et les plus solennels, dont nous avons cité plusieurs, contre la même erreur ; car elle ne tarda point à infester le christianisme, elle naquit, pour ainsi dire, avec lui, et lui prépara les dangers les plus sérieux, le menaça dans le cœur. Cette erreur est encore aujourd’hui dans l’Eglise, et réclame de la part de ses ministres et de tous les croyants les mêmes protestations et la même vigilance. Expliquons-nous : en parlant ainsi, ce n’est pas que nous entendions que la vie et le salut soient dans l’assentiment pur et simple à un dogme abstrait quelconque, pas plus à celui-là qu’à un autre. Ce n’est pas non plus que nous entendions qu’on ne puisse, par une inconséquence fort commune, adorer Jésus-Christ comme Dieu, tout en ne le reconnaissant pas intellectuellement et formellement comme Dieu ; car le cœur le fait Dieu quand l’esprit le fait homme, le cœur devance l’esprit ; cela se voit. Mais, comme je l’ai dit, c’est une inconséquence, et il ne faut pas asseoir ses calculs et régler son devoir sur l’inconséquence avec laquelle il ne faut pas compter ; il est plus sûr de prévoir la conséquence, et d’agir comme si elle était inévitable, et, au bout du compte, il est toujours à présumer que celui qui regarde Jésus-Christ comme Dieu l’adorera, mais surtout, que celui pour qui il n’est pas Dieu ne l’adorera pas, et qu’à l’ordinaire le cœur ne corrigera pas l’erreur de l’esprit qui l’a lui-même égaré. Et si Jésus-Christ peut être Dieu en pratique pour tel homme pour qui il n’est pas Dieu en théorie, nous pouvons dire hardiment que Jésus-Christ ne sera Dieu d’aucune manière, ne sera pas Dieu en pratique, ne pourra jamais l’être pour une multitude pour qui il n’est pas aussi Dieu en théorie.

Les exceptions sont dans quelques individus ; elles ne détruisent ni n’amoindrissent la règle.

Or, si Jésus-Christ n’est pas Dieu, il n’est pas Sauveur ; et s’il n’est pas Sauveur, notre foi est vaine, et il n’y a dans le monde sous le nom de Jésus qu’un philosophe de plus, et, sous le nom glorieux d’Evangile, qu’une philosophie ou qu’un rêve de plus. Le christianisme peut ne pas disparaître entièrement de l’âme de celui pour qui Jésus-Christ n’est pas Dieu, lorsqu’il est entouré, comme d’une atmosphère, d’une Eglise pour qui Jésus-Christ est Dieu ; mais, à coup sûr, le christianisme disparaît d’une Eglise avec toute sa sève et toute sa vie, cette Eglise en est absolument vide, quand elle ne confesse pas, sous le nom de Jésus-Christ, Dieu manifesté en chair.

Car, après tout, ce Jésus-Christ qu’on ne veut point placer sur le trône du Père, il faut bien le placer quelque part ; et une fois descendu de ce trône, il n’y a pas de raison pour qu’il ne descende pas toujours et jusqu’à la simple condition humaine ; et qu’importe qu’il soit un ange et le chef des anges, s’il est une créature ? Y a-t-il donc, entre un ange et un homme sanctifié, une différence qui vaille la peine d’être prise en considération ? Qu’on le fasse ange ou homme, il est dénaturé : il suffit que Jésus-Christ soit une créature, il suffit qu’il ne soit pas le Créateur.

Ce qui nous a été promis, ce qui seul valait la peine de nous être promis solennellement, c’était un Dieu, c’était Emmanuel, Dieu avec nous. Car notre salut tenait exclusivement, irrémissiblement à ce que Dieu, après nous avoir tout donné, se donnât lui-même. Si ce n’est pas Dieu qui s’est donné, si c’est un ange, si c’est un homme, nous n’avons aucun gage de la clémence de Dieu ; le pardon de Dieu, notre salut, est incertain. Que d’anges n’avait-il pas déjà envoyés, que d’hommes n’avait-il pas déjà donnés ! Ces hommes annonçaient la miséricorde, comme Jésus-Christ ; plusieurs l’ont annoncée au prix de leur sang, comme Jésus-Christ ; et cependant, personne n’a cru ni ne croit être sauvé par eux. Ainsi, sans aborder ici la démonstration théologique de la nécessité objective du sacrifice d’un Dieu, disons que l’homme ne pouvait pas croire à l’efficacité d’un autre sacrifice, et qu’à la vue accablante de ses péchés, de son impuissance, goûtant, savourant pour ainsi dire d’avance la condamnation, il ne peut se contenter d’une moindre garantie, il ne peut sur un moindre gage engager sa vie ni ouvrir son cœur aux sentiments qui le rendent propre pour le Royaume des Cieux. On peut, sans doute, se faire une idée plus ou moins claire de la divinité de Jésus-Christ, et ce n’est pas cette clarté qui importe ni dont il nous sera demandé compte ; mais on ne peut être converti par un pardon dont Dieu lui-même n’aurait pas payé ou acquitté le prix, et on ne peut être converti si l’on ne sent pas, soit qu’on s’en rende compte ou non, que Dieu était en Christ réconciliant le monde avec lui (2 Corinthiens 5.19).

C’est donc dans l’intérêt des âmes, comme par un motif de fidélité, que les apôtres ont insisté si fortement et si souvent sur cette vérité, et qu’ils ont combattu si vivement et repoussé si énergiquement l’opinion qui la nie ou qui l’atténue ou même l’exténue. Tout comme c’est par un instinct sûr, par un sentiment de l’importance vitale de cette vérité que les ennemis du christianisme aidés par l’erreur de chrétiens sincères, mais peu solides, ont attaqué dans tous les temps la déité de Jésus-Christ.

Les apôtres n’ont pas d’ailleurs donné lieu de croire que c’était un dogme stérile, une vérité oiseuse pour laquelle ils venaient réclamer de la part des chrétiens une adhésion stérile. Mais s’ils ont peu raisonné sur le lien qui unit les deux dogmes de la divinité de Jésus-Christ et de la rédemption par Jésus-Christ, si, en général, ils se sont plus étendus sur d’autres sujets que sur ce lien, c’est qu’ils supposaient que l’intime rapport de ces deux vérités était évident, admis de soi-même et généralement senti ; c’est qu’on ne les séparait pas, ni dans le rejet, ni dans l’acceptation ; c’est que ceux qui croyaient à la rédemption croyaient à la divinité du Christ ; c’est que personne ne pourrait sérieusement se croire être sauvé par un sauveur qui ne serait pas Dieu. Il n’est pas étonnant qu’alors les apôtres se soient moins étendus là-dessus qu’on ne l’a fait plus tard. Mais ces deux vérités du moins se touchent partout dans tous leurs écrits ; c’est sans effort qu’ils descendent ou remontent de l’une à l’autre ; l’une ne paraît point sans l’autre ; elles se montrent ensemble, elles disparaissent ensemble. Nous les voyons ici, dans le passage même que nous expliquons, se suivre l’une l’autre. Mais c’est sous une forme particulière et propre au génie de saint Paul. Ainsi, au lieu de dire que ce même Jésus qui est Dieu est aussi Rédempteur, il commence par le proclamer le premier dans une sphère (celle de la création), et le proclame ensuite le premier dans l’autre sphère (celle de l’Eglise). Mais cela signifie seulement que, comme il est parfaitement Dieu, il est parfaitement Sauveur. Et cette seconde affirmation est une protestation contre une seconde erreur qui était juive, comme la première erreur était grecque.

Ce même Jésus, dit-il (c’est-à-dire ce même Jésus que nous venons de voir à la tête de la création), est à la tête ou est la Tête de l’Eglise ; de l’Eglise, cette autre création qui a toute la dignité de la première, cet autre monde créé au sein du premier monde déchu (pour la restauration de l’ordre universel, ou pour le rétablissement de l’image de Dieu sur la terre) ; de l’Eglise qui est l’accomplissement de celui qui accomplit tout en tous (Ephésiens 1.23). (Comparé à l’époux.)

Voilà un second trait, mais qui nous touche de plus près, de la primauté ou de la suprématie de Jésus-Christ.

Il est la Tête du corps de l’Eglise (v. 18). La primauté de Jésus-Christ par rapport à l’Eglise est mentionnée en plusieurs autres endroits de l’Evangile. Il est présenté ailleurs sous cette qualité de Chef de l’Eglise dans Ephésiens 1.22-23 : Dieu l’a établi sur toutes choses pour être le Chef de l’Eglise et dans Ephésiens 4.15 : afin que nous croissions en toutes choses dans celui qui est le Chef, savoir Christ. Mais l’apôtre présente aussi Jésus-Christ sous l’image du lien conjugal qui réunit, dans l’idée de l’époux, les deux idées de la primauté et de l’affection ou plutôt du dévouement absolu, dans Ephésiens 5.23 : le mari est le chef de la femme comme Christ aussi est le Chef de l’Eglise, qui est son corps. Cette qualité de Tête qu’on lui donne ici marque à la fois une fonction et un droit. Une fonction, dans ce sens que c’est de lui que vient à l’Eglise (comme de la tête au corps) et la vie et le mouvement qui ne sont pas plus propres à l’Eglise sans son Chef, qu’à un corps sans sa tête. Et dans ce sens encore qu’il est, comme la tête, le principe d’unité et d’ordre qui règle la vie et le mouvement du corps : deux idées qui se trouvent réunies dans Ephésiens 4.16 : C’est de lui que le corps, bien proportionné et bien joint par la liaison de ses parties qui communiquent les unes aux autres, tire son accroissement selon la force qu’il distribue dans chaque membre ; car c’est par les membres qu’il vivifie le corps ; c’est de la force et de la lumière données à chaque membre que naît la lumière du corps comme un arbre qui se nourrirait par les rameaux. (Comparez Colossiens 2.19). Mais le mot Tête marque aussi un droit, car, comme tout part de la tête, tout y revient. Christ est le but ou l’objet de l’Eglise, comme il en est le moyen et la force ; elle est bien à lui, car il l’a acquise par son propre sang (Actes 20.28) ; elle n’existe même que par lui, il l’a créée et tout ce que nous avons dit plus haut du droit de Jésus-Christ sur le monde, sa créature, s’applique naturellement ici à l’Eglise. Enfin, cette Eglise qu’il a acquise et créée lui appartient encore parce qu’il lui a tout donné et ne lui a rien refusé ; or il ne lui a tout donné, il n’a pu lui donner tout qu’à condition qu’elle se donnât elle-même à lui et qu’elle le reconnût pour son Maître et son unique Chef : Toutes choses sont à vous, dit l’apôtre aux Corinthiens, soit Paul, soit Apollos, soit Céphas, soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les choses à venir ; toutes choses sont à vous, et vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu, c’est-à-dire, toutes choses sont à vous pourvu que vous soyez à Christ comme Christ est à Dieu (1Corinthiens 3.21-22). Cette correspondance, ce parallélisme rigoureux de l’unité de l’Eglise avec Christ, comme de l’unité de Christ avec Dieu, est constant dans l’Evangile et posé en principe par Jésus-Christ lui-même. Nous trouvons dans 1Corinthiens 11.3 un passage remarquable par son rapport avec le nôtre : Dieu y est appelé le Chef ou la Tête de Christ (voir Jean 17). Christ a tout mis sous les pieds de l’Eglise comme Dieu a tout mis sous les pieds de Jésus-Christ (Ephésiens 1.22). L’Eglise aussi est maîtresse et exerce dans le monde primauté et suprématie, comme Jésus-Christ dans son propre sein ; mais ce n’est qu’au nom et pour la gloire de Jésus-Christ que la primauté de Jésus-Christ lui est décernée. Sa mission comme Eglise est de glorifier Jésus-Christ.

Ici se présente une idée que nous ne pouvons supprimer : l’Evangile a apporté aux hommes toutes sortes de libertés ; il a rendu chaque conscience souveraine ; c’est ce qu’on appelle la liberté évangélique, liberté glorieuse et liberté périlleuse. Auparavant, même sous l’économie mosaïque, l’homme n’était pas libre en religion, pas entièrement du moins ; la liberté humaine, religieuse, était restreinte et contrainte, et c’est ce que les apôtres font sentir aux chrétiens dans plusieurs endroits de leurs écrits ; par exemple dans Colossiens 2.18, l’apôtre dit : Que personne ne vous maîtrise ; et dans 1 Corinthiens 12.2, où Paul rappelant aux fidèles leur condition précédente leur dit : Vous étiez entraînés vers les idoles muettes selon qu’on vous menait. Voilà l’état que l’Evangile a changé ; les apôtres rappellent aux chrétiens qu’ils deviennent libres : on ne nous maîtrise plus, on ne nous mène plus, nous choisissons notre maître et notre chemin. Mais au profit de qui cette liberté a-t-elle été donnée à l’homme ? Au profit de qui l’Evangile a-t-il rendu chaque conscience souveraine ? Est-ce au profit de l’homme naturel ? Non, mais au profit de Jésus-Christ et de son service. L’Evangile a investi chaque conscience d’indépendance et de liberté afin que chacune librement se donnât à Jésus-Christ, afin que le chrétien fît un libre hommage de cette liberté à Jésus-Christ qui est son Maître, son Maître absolu, son Dieu.

Jésus-Christ est donc le Maître de l’Eglise, il est et son seul Maître et son Maître absolu ; il n’est pas possible de concevoir ici le moindre tempérament ni la moindre restriction : Vous n’avez qu’un seul Maître, dit Jésus (Matthieu 23.8) ; vous n’avez pas plusieurs maîtres, dit saint Jacques (3.1). Aucun homme, pas même le plus saint, n’est notre maître, car il n’est encore lui-même dans le corps qu’un membre recevant comme tous les autres sa vie de la Tête, et ne pouvant rendre d’autre service aux autres membres que de les mettre en rapport direct avec la Tête ou le Chef qui est Jésus-Christ (Colossiens 2.19) ; en sorte qu’on peut toujours dire à ceux qui, sans le savoir (car on ne se l’avoue pas) se donnent un homme pour maître : Paul a-t-il été crucifié pour vous (1 Corinthiens 1.13) ? Qui est donc Paul, et qui est Apollos, sinon des serviteurs (1 Corinthiens 3.5) ? Et nous ajouterons sans doute : Qui est César, sinon un étranger ? Jésus-Christ est notre seul Chef ; et c’est ainsi que nous répondons, non seulement comme chrétiens, mais encore comme protestants, à ceux de l’Eglise de Rome qui accusent l’Eglise évangélique d’être acéphale (sans tête) et qui nous demandent : Où est votre tête ? Le Chef invisible est présent, agissant, tout-puissant, et nous recevons de lui la force et la vie qui fait de tous ses membres un corps correspondant à une tête.

A la vérité, pour que tout ce qui précède soit vrai, il faut entendre par cette Eglise dont Christ est le Chef, par ce corps dont il est la Tête, autre chose que la réunion accidentelle, l’agrégation fortuite d’un certain nombre d’individus autour d’un symbole qu’ils ont trouvé en cherchant autre chose, et qu’ils ont accepté avec tout le reste, faute de pouvoir l’en détacher ou de mettre de l’importance à cette distinction. Ce qui se dit ici de l’Eglise doit s’entendre non d’un établissement politique offert par l’Etat comme un cadre pour un tableau ; il ne s’entend pas même de la communauté librement formée de ceux qui professent une même espérance et une même obéissance ; il doit s’entendre excellemment de l’assemblée des premiers-nés dont les noms sont écrits dans les cieux (Hébreux 12.23). Mais tous ceux qui, rassemblés ici-bas par une même profession, forment ensemble une même Eglise, une, quoique répandue et dispersée peut-être dans des établissements extérieurs, ou ceux qui, sur la base d’une profession commune, ont formé une même association visible, ne sauraient appeler chrétien le corps distinct ou indistinct qu’ils ont formé et dont ils font partie, s’ils n’ont pas pour Maître souverain, unique et absolu Jésus-Christ. C’est une vérité vitale, pratique et non spéculative, le critérium complet de l’Eglise de Jésus-Christ, que d’avoir Jésus-Christ pour Maître, c’est-à-dire pour Docteur, Règle, Vie, pour unique dans tous les sens où il exerce sa suprématie.

Ceci nous conduit à des conséquences individuelles ou collectives importantes.

A quel titre Jésus-Christ est-il le Chef de l’Eglise ? Comment l’est-il devenu ? C’est ce que nous apprennent les paroles qui suivent dans notre texte. L’apôtre aurait pu placer immédiatement ici l’œuvre de la croix et répondre comme ailleurs : « il a acquis l’Eglise au prix de son sang » ; mais il ne répond pas ainsi. Avec autant de raison, et en vertu de l’idée exprimée dans ce passage : Il a été déclaré Fils de Dieu en puissance, avec une évidence irrésistible, par sa résurrection (Romains 1.4), saint Paul, fidèle d’ailleurs à son point de vue qui est de représenter Jésus-Christ sous le rapport de sa primauté en tout, établit la primauté de Jésus-Christ sur ce qu’il est le commencement, le premier-né d’entre les morts (v. 18), (πρωτοτοκος : le sens de ce mot ne se correspond pas exactement du v. 15 au v. 18), c’est-à-dire, celui qui, le premier d’entre les morts, est parvenu à la véritable vie et qui a ouvert pour tous les portes de la mort ; ce qui a été exprimé par ce titre que lui donne l’Ecriture : le Prince de la vie (Actes 3.15).

Saint Paul dit : « le commencement, le premier-né d’entre les morts ». Le mot de commencement doit-il se lier aux mots suivants : d’entre les morts, ou doit-il être pris en lui-même et isolément ? L’un et l’autre sens conviennent. En prenant « commencement » absolument et à part, Jésus-Christ est le commencement d’un nouvel ordre de choses, l’alpha et l’oméga (Apocalypse 1.8) d’une nouvelle création, le nouvel Adam d’une nouvelle humanité, car, comme dit Esaïe, il se verra de la postérité (53.10) ; avec cette différence que le premier Adam fut fait en âme vivante et que le dernier Adam est un esprit vivifiant (Genèse 2.7 ; 1 Corinthiens 15.45), que l’on naît de l’un selon la chair et de l’autre selon l’esprit (Jean 3.5-6). Mais en rattachant ce mot aux suivants : d’entre les morts, alors commencement signifie prémices (comme les prémices de ceux qui dorment, dans 1 Corinthiens 15.20), ou aussi conducteur (chef), celui qui ouvre la marche et sous la conduite et les auspices duquel on marche, on se dirige, on s’avance vers un lieu quelconque : Jésus est le conducteur des morts, celui qui ouvre la marche des ressuscités, celui sous la conduite et les auspices duquel ils marchent, se dirigent et s’avancent vers les demeures éternelles qui leur sont destinées. Tu me feras connaître le chemin de la vie (Psaumes 16.11). Mais cette idée se retrouvera dans l’étude des mots qui suivent : « le premier-né ou l’aîné d’entre les morts ».

Jésus-Christ, présenté dans le verset 15 comme le premier-né des vivants, est ici appelé le premier-né ou l’aîné d’entre les morts (Comparez Apocalypse 1.5).

Il l’est : car aucun, avant lui, n’était ressuscité comme lui, c’est-à-dire n’avait passé par sa propre énergie à travers la mort, de la vie terrestre et transitoire ou provisoire à la définitive ou céleste et véritable vie. Enoch (Genèse 5.24 ; Hébreux 11.5) et Elie (2Rois 2.11-17) y furent transportés, mais non à travers la mort. Lazare (Jean 11.44 ; 12.1), ainsi que le fils de la veuve de Naïn (Luc 7.15-17), vécut après avoir été mort, mais d’une vie terrestre, d’une vie semblable à celle dont il vivait auparavant. Et, enfin, personne n’avait revécu par une propre énergie ; tandis que Jésus-Christ a la vie en lui-même (Jean 5.26), il a le pouvoir de la laisser et de la reprendre (Jean 10.18) ; il a été mort, et il a repris la vie (Apocalypse 2.8).

Mais cette primogéniture du tombeau n’est pas une simple primogéniture. Non seulement Jésus-Christ ouvre la marche des ressuscités, mais tous ne ressuscitent que parce qu’il est ressuscité. Sa résurrection a brisé pour tous les hommes les liens du sépulcre (Actes 2.24), pour les méchants comme pour les bons ; car, comme tous meurent en Adam, tous revivent en Jésus-Christ (1 Corinthiens 15.22), mais les uns en résurrection de vie et les autres en résurrection de condamnation (Jean 5.29). Que Christ soit le principe de la résurrection de condamnation, cela frappe, mais cependant cela ne doit pas nous étonner, puisqu’il est destiné à être Juge comme il est appelé à être Sauveur, et qui dit juger dit condamner. La résurrection des méchants, rattachée à l’idée du jugement, n’est qu’une citation à comparaître devant le tribunal (2Corinthiens 5.10). Toutefois, il faut convenir que la résurrection est présentée le plus souvent dans l’Evangile, par rapport aux amis de Jésus, et par conséquent sous un aspect réjouissant, comme un bienfait, le premier des bienfaits, comme le salut lui-même, comme la vie. Jésus-Christ, qui est appelé ici l’aîné de tous les morts sans distinction, est appelé ailleurs l’aîné de plusieurs frères (Romains 8.29), et le mot de résurrection est bien synonyme de vie éternelle dans ces mots de saint Paul : pour parvenir, si je puis, à la résurrection des morts (Philippiens 3.11), de même que dans ce passage où notre Seigneur dit : Je suis la résurrection et la vie (Jean 11.25).

C’est donc de la résurrection bienheureuse qu’il est question dans notre texte. L’auteur de notre salut ne l’aurait pas consommé, si, après avoir été consacré par les souffrances (Hébreux 2.10), il n’avait pas « été déclaré Fils de Dieu en puissance — c’est-à-dire manifestement, avec une évidence irrésistible — par sa résurrection d’entre les morts » (Romains 1.4). Cette résurrection est tellement nécessaire à notre salut, que saint Paul, après avoir dit que Christ a été livré pour nos offenses, dit qu’il est ressuscité pour notre justification (Romains 4.25), soit qu’il entende que cette résurrection met le sceau à notre justification, soit qu’il pense, avec saint Pierre, que nous ne pouvons être régénérés que par une espérance vive (1 Pierre 1.3), et qu’une telle espérance ne peut être fondée que sur la résurrection de Jésus-Christ.

Ce n’est pas même assez de dire que sa résurrection est le gage de la nôtre, en ce qu’elle est le sceau de son œuvre de Rédempteur. Il est sorti du tombeau parce qu’il avait la vie en lui-même (Jean 5.26) et que, par conséquent, il n’était pas possible qu’il fût retenu dans le tombeau sinon par sa propre volonté (Actes 2.24). Or celui qui a la vie en lui-même vivifie ceux qu’il veut (Jean 5.21) ; et comment ne voudrait-il pas vivifier les fidèles qui sont son corps ? comment la Tête refuserait-elle la vie à ses membres ? Aussi Jésus-Christ déclare en plusieurs endroits sa puissance et son intention de ressusciter les fidèles, quand il dit solennellement à plusieurs reprises : Je les ressusciterai au dernier jour (Jean 6.40, 44, 54).

Ainsi Jésus-Christ n’est pas seulement la garantie de la résurrection, il est la résurrection.

Mais, dira-t-on ici : Il pourrait, ayant la vie en lui-même, faire davantage ou autre chose que de ressusciter les fidèles ; il pourrait les exempter de mourir. Mais non, il faut que les fidèles goûtent la mort ; cela est nécessaire non seulement parce que, le serviteur n’étant pas plus grand que son maître (Jean 15.20), ils doivent goûter la mort comme Jésus-Christ l’a goûtée, mais encore parce que sans cela leur sanctification ne serait pas consommée, et que par là elle s’accomplit ; il est dit que la mort est le dernier ennemi qui sera vaincu, détruit (1Corinthiens 15.26). Mais Jésus-Christ arrache — et c’est assez, davantage serait trop — à la mort son aiguillon et au sépulcre sa victoire, par l’espérance qui se fonde sur sa résurrection (1Corinthiens 15.55-57).

A ce titre déjà, Jésus-Christ est le Chef de l’Eglise, car l’Eglise, qu’est-ce ? L’Eglise est un corps extrait du sein du monde ou de cette masse d’hommes que la crainte de la mort assujettit toute leur vie à la servitude (Hébreux 2.15). L’Eglise est l’ensemble de ceux que Jésus-Christ, par sa résurrection, a délivrés de cette servitude comme de toutes les servitudes ; il est donc de droit le Chef de ceux qu’il a délivrés. Ici, nous nous arrêtons un moment avec saint Paul, et nous disons : « En sorte que Jésus-Christ a le premier rang en toutes choses » ; avec Chrysostome : « Jésus-Christ est donc universellement le premier : le premier dans le ciel, le premier dans l’Eglise, le premier dans la résurrection » ; et encore avec saint Paul, dans le verset qui suit : « Car le bon plaisir du Père a été que toute plénitude habitât en lui » (v. 19). Ainsi la plénitude de Jésus, qui est absolue en tout, mais qui ne nous est pas visible en tout, nous devient visible par sa résurrection qui en elle-même est une plénitude et qui nous garantit la plénitude de Jésus-Christ. Celui qui, étant ressuscité par sa propre vertu, nous dit qu’il possède avant tous les temps toute plénitude, a le droit d’être cru, d’être le premier.

Mais ici évidemment l’apôtre a surtout en vue la plénitude de Jésus-Christ comme homme, car il en parle à l’occasion et au sujet de la résurrection de Jésus-Christ et de la puissance qu’il a de ressusciter les morts. Il semble que ce n’est pas de la plénitude de Jésus-Christ comme Dieu que saint Paul dirait : « Il a plu à Dieu, ç’a été le bon plaisir du Père que toute plénitude habitât en lui ».

Ici nous avons une remarque importante à faire : Jésus-Christ n’est qu’une personne en deux natures, et quand les apôtres parlent de lui, ils passent d’une nature à l’autre, sans nous en avertir et sans s’en avertir eux-mêmes, parce que pour eux l’unité de la personne absorbe la dualité de nature ; ils n’ont sous les yeux qu’une seule et même personne ; ils ne distinguent pas toujours, en parlant de cette personne, ce qui, en elle, appartient à une des natures, et ce qui appartient à l’autre. On le distingue bien en examinant ce qu’ils disent. Ici, par exemple, Jésus-Christ paraît successivement, sans que la transition soit marquée, sous le double aspect de la dépendance et de l’indépendance. Qu’est-ce, en effet, que la résurrection de Jésus-Christ ? Ce n’est autre chose que la rentrée solennelle de l’homme dans le droit qu’il n’a plus, mais qu’il avait de par Dieu, de vivre. C’est à Jésus-Christ homme qu’il a été donné d’avoir la vie en lui-même, en sorte que par cette vie qui est en lui, il ait pu sortir du tombeau, en sorte qu’il vivifie ceux qu’il veut et fait sortir du tombeau ceux qui y sont renfermés. Ainsi, dans le verset 19, saint Paul pense aux dernières choses qu’il vient de dire dans le verset 18, et non à celles des versets précédents (15 à 17).

Mais cette plénitude même de Jésus-Christ comme homme n’est que la conséquence d’une autre plénitude que Dieu lui a conférée et dont saint Paul va parler : c’est celle « de réconcilier avec le Père toutes choses par lui, ayant, par le sang de sa croix, pacifié toutes choses : et celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les cieux » (v. 20).

Voilà le point vif et touchant de la doctrine de Paul, car ni la plénitude de Jésus-Christ comme Fils de Dieu, ni la plénitude de vie que manifeste sa résurrection et le pouvoir qu’il a de nous ressusciter, ne peuvent nous intéresser profondément, séparés de cette autre plénitude ou capacité parfaite de réconcilier et de pacifier dont il est ici question. Dans ce verset 20, riche de pensées dont le développement nous dispensera de nous étendre sur les versets suivants, il y a quatre choses à distinguer :

  1. La nature du fait : « réconcilier, pacifier ».
  2. Son étendue : « toutes choses, sur la terre et dans les cieux ».
  3. Son moyen : « par le sang de la croix, par lui ».
  4. Son principe : « ç’a été le bon plaisir de Dieu ».

Ce sont les quatre choses que nous avons à examiner. D’abord la nature du fait : réconcilier, pacifier. Ces deux mots sont deux formes de la même idée ; ces deux termes supposent une rupture et une guerre antérieures. Mais ici l’idée a quelque chose de réciproque, sur quoi nous devons fixer notre attention. Saint Paul ne veut pas seulement dire que Dieu, de sa part, se réconcilie avec ses créatures, mais il entend encore que Dieu forme et accomplit par Jésus-Christ le dessein de réconcilier ses créatures avec lui. Il y a donc double réconciliation, il y a paix des deux parts, et le dessein de Dieu n’est consommé que par ces deux faits. On peut dire en français que Dieu se réconcilie avec les hommes et que Dieu réconcilie les hommes avec lui. Or il y a dans l’original que Dieu se réconcilie les hommes avec lui, expression qui (comme celle de la version) ne permet d’exclure aucune des deux idées et qui nous rappelle la parole des anges : Paix sur la terre, bonne volonté dans les hommes (Luc 2.14). Dieu est sans doute réconcilié, apaisé par le seul fait de sa volonté ; il est réconcilié, apaisé par cela même qu’il veut se réconcilier. Et comme il a toujours voulu l’être, car il n’y a point en lui de variation, ni aucune ombre de changement (Jacques 1.17), et qu’il dit à son Eglise : Je t’ai aimée d’un amour éternel (Jérémie 31.3), on peut dire qu’il n’a jamais été, avec ses créatures, pour ce qui est de lui, dans un état de rupture et de guerre. Il ne nous a jamais fait la guerre. C’est nous qui nous sommes fait la guerre, en ce que nous avons tourné par le péché toutes choses contre nous et les avons fait tourner toutes à notre malheur : le méchant et le jour de la calamité s’entre-répondent (Proverbes 16.4). Le méchant tombe de son propre poids vers le malheur. Dieu se doit et s’est toujours dû à lui-même, qui est l’ordre et la justice, d’abandonner au malheur le rebelle tant qu’il est rebelle. Il ne lui doit pas même de le tirer de sa rébellion. Mais s’il plaît à sa bonté souveraine de l’arracher au malheur, ce ne pourra être qu’en l’arrachant à la rébellion, puisqu’il n’est pas possible, Dieu étant saint, que le rebelle soit heureux. Ce bonheur du rebelle donnerait un démenti à l’ordre universel, à la sainteté de Dieu et à sa souveraineté. Donc Dieu ne peut se réconcilier avec ses créatures qu’en les réconciliant avec lui, et il ne peut s’apaiser envers elles qu’à condition de les apaiser envers lui (Malachie 4.6). C’est du moins en cela que se consomme la réconciliation et la paix (pacification). Contraindre ses créatures à revenir à lui, les forcer à l’aimer, voilà au moins le dernier terme, le dernier but, sans lequel il n’y aurait pas même l’apparence de la réconciliation, la volonté divine et la volonté humaine continuant à marcher dans un sens opposé. Si le pardon sans la régénération pouvait avoir son effet, Dieu, en nous amnistiant, aurait abdiqué.

Que fait donc Dieu notre Père ? Il nous offre un acte de réconciliation, un traité de paix signé de sa main. Il le met tout signé et scellé dans notre main ; il ne nous reste plus qu’à le signer nous-mêmes ; il ne reste plus qu’à ne plus faire la guerre, car il ne la fait plus, il ne l’a jamais faite ; mais il a beau ne plus la faire ; car en la lui faisant, nous la faisons à nous-mêmes, et cette guerre que nous faisons à Dieu est tout notre malheur. Sur la terre, nous ne savons pas combien nous sommes malheureux ; ce que nous appelons quelquefois et vulgairement notre bonheur est l’ignorance de tout notre malheur. Et si nous ne sommes malheureux qu’à moitié ou à notre insu, c’est parce que le monde nous fournit une diversion que Dieu a permise dans des vues très sages. Il est deux gouvernements ou régimes que nous n’aurions pas supportés : d’abord celui dans lequel nous n’aurions eu aucune contrariété, rencontré aucune épreuve ; et ensuite celui où nous n’aurions eu qu’adversité, vécu que dans le malheur. Dans ces deux cas nous n’aurions pu nous tourner vers Dieu. Si nous eussions été complètement heureux, la prospérité nous aurait éloignés de lui, et d’autre part une connaissance complète de notre infélicité nous aurait jetés dans le désespoir. Nous ne sommes donc malheureux qu’à moitié, malheureux à notre insu, mais Dieu ne le permettra pas toujours, et il faudra bien qu’un jour nous connaissions et goûtions toute notre infélicité, après avoir repoussé la réconciliation.

Voyons maintenant l’étendue du fait : « réconcilier, pacifier toutes choses, tant ce qui est dans le ciel que sur la terre ». Ce passage est très difficile et doit être étudié avec respect, réserve et sans témérité. Et d’abord, remarquons que saint Paul ne dit pas que Dieu réconcilie toutes choses ; mais ses paroles signifient qu’il a plu à Dieu que Jésus-Christ eût toute la plénitude requise, plein pouvoir pour réconcilier toutes choses ; ce qui concorde avec cette déclaration de l’épître aux Hébreux où nous lisons que Jésus-Christ peut (est capable de) sauver absolument et pour toujours tous ceux qui s’approchent de Dieu par lui (Hébreux 7.25). Non qu’il sauve tout le monde. Il suffit qu’il le puisse, qu’il le veuille, qu’il fasse tout ce qu’il faut pour cela, pour que nous disions que l’œuvre du Rocher est parfaite (Deutéronome 32.4) ; et les termes de saint Paul ici ne signifient pas autre chose. Ce passage ne signifie donc pas que cette réconciliation aura lieu, mais seulement que par la faveur de Dieu, par Jésus-Christ, elle est pleinement possible. Toutefois il faut bien convenir, d’après d’autres passages et particulièrement d’après Ephésiens 1.10, que Paul allait au delà de l’idée de capacité ou de plénitude en Christ et qu’il prévoyait le fait même d’une réunion de toutes choses sous un même empire et une même loi par Jésus-Christ. Il ne nous est pas donné de bien dire en quoi consistera cette subordination universelle, cette domination absolue ; elle ne paraît pas devoir être l’adhésion de toutes les volontés à la volonté divine ; bien des passages formels empêchent d’y penser ; autrement il ne serait pas dit, à propos de la consommation, que Dieu mettra tous les ennemis de Jésus-Christ sous ses pieds (1Corinthiens 15.25). Ceci marque la fin (1Corinthiens 15.24). Or, mettre un ennemi sous ses pieds, ce n’est pas en faire un ami. Mais, dans tous les cas, ce que nous comprenons, c’est qu’il y a une sorte de paix dans l’univers lorsque toute domination appartient à Jésus-Christ sur ses ennemis qui servent de marchepied à ses pieds, et sur la famille de Dieu qui lui est soumise par amour, et que la gloire de Dieu est intacte lorsque toutes les créatures, heureuses ou condamnées, se réunissent pour le proclamer juste et saint, disant : Saint, saint, saint, l’Eternel, le Dieu des armées ! (Esaïe 6.3).

Quoi qu’il en soit, « laissant ici les choses cachées qui appartiennent à l’Eternel notre Dieu, et nous attachant aux choses clairement révélées qui sont pour nous et pour nos enfants » (Deutéronome 29.29), recueillons ici trois choses qui ont pour nous un intérêt prochain :

Ainsi, rien de plus légitime, de mieux fondé que notre confiance en lui ; elle n’est pas une confiance partagée ou subordonnée, car il n’a pas une fraction de capacité, il n’est pas un moyen parmi d’autres ; c’est le moyen unique et le moyen suprême de salut et rien n’y manque.

C’est ce moyen de la réconciliation que l’apôtre indique quand il dit : « Il nous a réconciliés par lui, ayant par le sang de sa croix pacifié toutes choses ». Il nous a réconciliés, il a fait notre paix par le sang de sa croix et non seulement par lui, ni seulement par le sang de sa croix, mais par lui. Quoi qu’il ne semble pas que ces deux choses soient séparables, elles peuvent être divisées ; mais il ne sert pas ou du moins il sert peu de croire l’une sans l’autre. Car, si vous croyez qu’il a fait votre paix sans le sang de la croix, vous le croyez sans garantie, vous n’avez point de gage de réconciliation, votre cœur vous condamne, et vous êtes encore troublés. Interrogez-vous ! Dieu exige impérieusement une réparation. La nécessité en est écrite dans la Bible, elle l’est aussi dans notre cœur. Et d’un autre côté, si vous croyez que Jésus-Christ sur la croix est passif en cette œuvre de réconciliation, que la valeur, l’efficace de cette œuvre n’est pas attachée à sa volonté ou ne dépend pas de sa personne, et que vous croyiez par conséquent qu’un autre que lui eût pu vous sauver, vous renversez également le fondement de votre espérance ; car il fallait que l’auteur de notre salut fût non seulement consacré par ses souffrances (Hébreux 2.10), mais encore qu’il fût le Fils éternel de Dieu (Comparez Romains 5.10-11 ; 2 Corinthiens 5.18-19).

Enfin, rappelons avec l’apôtre le principe de la réconciliation : c’est le bon plaisir de Dieu : « il a plu à Dieu de se réconcilier toutes choses… » Ici la souveraineté de Dieu est proclamée : la grâce de Dieu est souveraine et libre ; il nous sauve librement, pour l’amour et pour la gloire de son nom (Esaïe 43.25), et non par aucune autre nécessité. Il est important d’y penser, car nous n’avons rien en nous qui l’oblige à le faire, qui le nécessite. Nous ne parlons pas ici de nécessité en Dieu. Ce sont les hauteurs des cieux, des mystères, nous n’y connaissons rien (Job 11.7-8), nous mettons la main sur notre bouche. Seulement, vis-à-vis de nous, Dieu est libre ; en effet, il ne trouve en nous que ce qu’il y met.

Arrivés là, au terme de notre étude, nous devrions conclure par quelques conséquences pratiques de la primauté de Jésus-Christ et par une exhortation finale ; mais nous ne pouvons faire mieux maintenant que de rappeler une conclusion admirable qui se trouve dans Quesnel, sur les versets 18, 19 et 20 (tome VII de ses Réflexions morales, page 85) :

  1. Jésus-Christ est le chef de l’Eglise, l’évêque, le primat et le souverain pontife, consacré par l’onction de la divinité même dans l’incarnation : se soumettre à lui avec joie.
  2. Il est son médiateur (de l’Eglise) et son réconciliateur par son sacerdoce : dépendre de lui pour avoir accès à Dieu.
  3. Sa victime par son sang et sa mort : s’offrir à lui et avec lui à Dieu.
  4. Son principe sur la croix où il l’a enfantée : s’unir à lui pour en recevoir la vie.
  5. Le modèle et la source de sa vie immortelle et glorieuse, comme premier-né du tombeau par sa résurrection : aspirer et soupirer.
  6. Le trésor, la plénitude et le dispensateur de toutes les grâces que Dieu lui a destinées : puisons dans cette fontaine du Sauveur, par la foi, les désirs et la prière.
  7. La paix de l’Eglise militante et la couronne de l’Eglise triomphante : adoration, amour, actions de grâces, et tout ce que la religion a de devoirs.

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