Pour le Sadhou, la grande source d'illumination, de réconfort et de renouvellement physique se trouve, comme nous l'avons déjà dit, dans l'état d'extase, état qui revient fréquemment. Le Sadhou a le sentiment d'être saisi, transporté dans ce qu'il considère être « le troisième ciel » dont parle saint Paul (II Cor. XII, 2).
« Je n'essaie jamais d'entrer en extase et je déconseille aux autres de le tenter. C'est un don que nous devons recevoir et non rechercher. Si nous l'avons, c'est une perle de grand prix. Il y a eu bien des moments dans ma vie de Sadhou où les persécutions, la faim et la soif m'auraient fait tout abandonner, si ce n'avait été ces heures d'extase dont la grâce m'a été faite. Pour elles, je renoncerais au monde entier. »
Ces expériences auxquelles le Sadhou attache une si grande importance, doivent évidemment figurer dans une étude de sa religion, sans quoi cette étude risquerait d'être incomplète et erronée. Il n'est pas moins certain que le fait de les décrire soulève de grosses difficultés. Les gens cultivés qui n'ont pas étudié la vie des grands mystiques peuvent douter de l'équilibre mental de ceux qui ont des visions, et de ceux qui les prennent au sérieux. Les ignorants, au contraire, et surtout en Orient, peuvent être enclins à considérer le visionnaire et ses révélations avec une sorte de vénération superstitieuse, vénération que le Sadhou s'efforce anxieusement d'éviter.
Le Sadhou a parfaitement conscience de ce danger.
Dans ses discours publics il ne fait jamais allusion à ses visions. Il ne les mentionne exceptionnellement que lorsqu'il s'adresse à des amis dont il connaît la discrétion et le discernement. Alors qu'il expliquait un problème religieux [1], il fit la remarque suivante :
– J'ai souvent prêché ce que je vous dis là, mais sans dire que je l'avais entendu en extase ! Les gens ne comprendraient pas ce que je veux dire, sans des explications longues et compliquées.
Pareillement, après avoir essayé de nous faire un récit des choses qu'il avait contemplées, il rappela le silence volontaire de saint Paul taisant ce qu'il avait vu dans le troisième ciel.
– Saint Paul craignait que sa pensée ne fût déformée, et c'est pourquoi il parle de cette expérience, comme si elle n'avait pas été vécue par lui, mais par un autre : « je connais un homme en Christ, qui... « Il savait que s'il présentait ces visions comme étant siennes, les gens viendraient l'assaillir de questions sans intérêt et qu'ils se forgeraient des idées fausses.
« Il fut bien avisé de ne pas leur en parler », ajouta le Sadhou avec un sourire qui laissait deviner que lui-même eût été plus sage en imitant le silence de l'apôtre.
Un ami nous conseilla de supprimer complètement ce chapitre. Mais l'intention certaine du Sadhou était de nous voir publier intégralement ce qu'il nous avait dit. Quoi qu'il en puisse résulter, il est de notoriété publique que le Sadhou a des visions, et cela a déjà été publié. Certaines de ces visions prouvent tant de délicatesse de sentiment et de profondeur de vue, que ce serait prendre une responsabilité plus grande de les supprimer que de les divulguer. En tout cas, nous sommes certains de bien servir la réputation du Sadhou en publiant un récit authentique de ses visions les plus typiques et les plus originales. Par bonheur, nous sommes en mesure de le faire ; les notes que nous avons prises ont été collationnées avec celles de notre collaborateur ; et un grand nombre ont été revues et corrigées par le Sadhou lui-même.
Les visions du Sadhou offrent un intérêt particulier à cause de la lumière qu'elles projettent sur l'origine et le développement des différentes conceptions de la Résurrection, du jugement, du Ciel et de l'Enfer. Ces idées traditionnelles, ainsi que d'autres questions eschatologiques ont évolué peu à peu (comme le prouve la critique moderne), dans une longue série d'écrits apocalyptiques, dont le premier en date, et le plus important, est le Livre de Daniel (166 avant J.-C.). Le dernier est l'Apocalypse de Pierre, écrite vers l'an 120 après Jésus-Christ et découverte à nouveau, il y a quelques années, dans un tombeau égyptien [2].
Dans cette suite d'écrits, il semble que chaque auteur apporte une modification ou ajoute quelque détail à la tradition qui lui est transmise. Cette révision s'effectue sous forme de visions perçues par l'auteur présumé du livre, ou d'enseignements transmis par un Instructeur venu des sphères célestes. Telles qu'elles nous sont parvenues, ces visions ont subi des altérations évidentes, du fait de la transcription par l'auteur lui-même, et des copistes ultérieurs. Mais qu'elles soient authentiques et qu'elles aient été considérées par les auteurs et leurs lecteurs comme une révélation divine, cela ne fait aucun doute dans notre esprit.
Ces visions amplifient ou élucident souvent le texte principal, l'idée maîtresse d'un prophète de l'Ancien Testament, ou bien encore la vision d'un ancien auteur apocalyptique. On y trouve beaucoup de fantastique et de choses insignifiantes. Mais ces visions furent cependant le véhicule des grandes idées de jugement et de Vie éternelle, qui prirent naissance pendant cette dernière période de la religion juive, ou naquit le Christianisme. Il est un point qui retient plus particulièrement notre attention : cette révélation, ou si l'on préfère, cette découverte, fut accordée à des hommes profondément religieux, qui s'efforcèrent avec passion de concilier les événements de la vie avec la bonté de Dieu. Ils y parvinrent en élevant leur conception de l'Au-delà, conception qui devenait plus satisfaisante au point de vue moral et religieux, car chaque génération de voyants réalisait un progrès sur les idées traditionnelles de son temps.
Ainsi que nous l'avons déjà dit, le Sadhou, comme les voyants apocalyptiques, pense principalement par images. En général, sa conception du monde, au point de vue intellectuel, se rapproche davantage de celle des Anciens écrivains hébreux que de la nôtre. Il affronte, lui aussi, ce problème : concilier la bonté de Dieu avec les conceptions traditionnelles de l'Au-delà. Problème encore plus difficile pour lui que pour eux, précisément parce que le Sadhou voit toujours Dieu à travers la révélation du Christ. Pour lui, comme pour eux, la difficulté se résoud par la modification des vues traditionnelles, modification qui se présente à lui sous forme de visions.
« Saint Jean, dit le Sadhou, n'employait pas le mot « extase » ; il disait « en esprit », mais cela voulait dire la même chose. » Le Sadhou plus que personne, repousserait avec force l'idée de voir ses paroles mises sur le même rang que les Écritures. Mais il estime que l'expérience spirituelle qu'il a faite est sinon identique, du moins étroitement apparentée à celle de l'auteur de l'Apocalypse, et ce point de vue mérite, à notre avis, d'être sérieusement considéré. S'il en est ainsi, l'étude de l'expérience du Sadhou éclairera le processus psychologique par lequel la vérité religieuse fut communiquée à certains écrivains bibliques.
Si nous considérons que la vérité est un élément nettement distinct du mécanisme psychologique qui la saisit, et que toute révélation du divin est conditionnée par le niveau intellectuel, la culture et les expériences de inspire, nous ne refuserons pas d'admettre que des visions puissent constituer d'authentiques révélations de la vérité. Tout le monde admet aujourd'hui que nos conceptions de la vie future, quelles qu'elles soient, doivent nécessairement revêtir un caractère symbolique. Il est admis que les doctrines traditionnelles [3] du Ciel, de l'enfer et du Jugement sont symboliques. Les visions du Sadhou, en ce qui concerne ces questions, ne le sont pas moins. Si nous ne faisons erreur, leur symbolisme est plus profondément chrétien, et, s'il en est ainsi, elles réalisent un progrès sur les vues traditionnelles dans la perception de la vérité divine.
Nous sommes loin d'affirmer que les visions soient le seul, ou même le meilleur moyen d'atteindre à la connaissance des vérités religieuses. Bien au contraire. La majorité des prophètes hébreux, les psalmistes, saint Paul, pour ne pas citer le Christ lui-même, semblent avoir puisé à cette source fort peu de leur enseignement. Quant aux sujets eschatologiques évoqués dans les visions du Sadhou, les théologiens libéraux avaient déjà pressenti l'essentiel des conclusions de Sundar. Ils étaient arrivés à ce résultat, simplement en étudiant ces mêmes questions de philosophie, de morale et de critique d'une façon rationnelle. Nous avons trouvé, dans un ouvrage publié récemment sur l'immortalité, un passage qui présente une analogie frappante avec une des visions du Sadhou. Nous lui en avons donné lecture en lui faisant remarquer qu'il était curieux que l'auteur soit arrivé par le raisonnement à une conclusion identique à celle qui lui avait été révélée par vision. Il répondit :
– Je n'en suis nullement surpris. La Vérité est une ; mais des hommes différents y parviennent par des chemins différents.
Il nous semble intéressant d'indiquer que c'est par des visions que certaines vérités ont été révélées au Sadhou, ainsi qu'aux voyants apocalyptiques. Aucun autre procédé, sans doute, n'était susceptible de communiquer à des individus de leur tempérament et de leurs tendances intellectuelles une force de conviction, équivalente.
Il y a trois ciels, ainsi qu'il fut révélé au Sadhou, un jour, dans une extase.
Le premier est le ciel sur la terre, cette merveilleuse paix intérieure, cette joie de la présence du Christ, que Sundar ressentit après sa conversion, et que nous avons décrite dans un précédent chapitre.
Le deuxième ciel est un état intermédiaire ; c'est le paradis promis par le Christ en croix au bon larron. C'est là que séjournent, quelques temps, les âmes qui ne sont pas suffisamment avancées dans la vie spirituelle, pour entrer dans le troisième ciel au moment de leur mort. Elles s'y trouvent avec le Christ, comme il a été dit au brigand, mais elles ne Le voient pas, bien qu'elles sentent Sa présence, comme si des vagues de lumière procédaient de Lui ; et elles entendent comme une musique céleste.
Le troisième ciel est, si l'on peut dire, le ciel proprement dit. C'est là que tous les justes parviendront un jour. Mais il est accordé à quelques âmes privilégiées, dont le Sadhou, d'y faire de courtes incursions pendant leur vie terrestre.
– Je compris, dit le Sadhou, ce qu'entendait saint Paul lorsqu'il dit : « Si ce fut dans mon corps ou sans mon corps, je ne sais », car lorsque je me trouvai dans ce lieu, j'eus l'impression d'avoir un corps d'une forme ordinaire, mais tout fait de lumière. Et quand je voulus le toucher (le Sadhou saisit son bras gauche avec sa main) je ne sentis rien. C'est là ce que saint Paul appelle le « corps spirituel ». Au ciel, je ne vois pas avec mes yeux physiques, mais avec mes yeux spirituels, et il me fut dit que c'est ainsi que les hommes verront quand ils auront définitivement dépouillé leur corps mortel.
Toutes ces visions se détachent sur le même fond, et c'est là une preuve convaincante, si une preuve était encore nécessaire, du caractère essentiellement christocentrique du mysticisme du Sadhou.
Au centre de la vision se trouve toujours l'apparition ineffable, indescriptible du Christ sur son trône. Son visage, tel que je le vois pendant l'extase, avec mes yeux spirituels, se rapproche beaucoup de celui que je vis, au moment de ma conversion, avec mes yeux de chair. Je vois Ses cicatrices et le sang qui coule. Ces cicatrices ne sont pas pénibles à regarder, car elles sont, radieuses et belles. Sa barbe et ses cheveux sont comme de l'or, tout rayonnants de lumière. Son visage est comme le soleil, mais sa lumière ne m'aveugle pas. C'est un visage adorable, toujours souriant, d'un sourire illuminé d'amour. Il n'inspire aucune crainte.
« Et tout autour du trône du Christ, jusque dans les profondeurs de l'infini, on aperçoit la multitude des êtres glorifiés. Les uns sont des saints, les autres des anges.
« – La différence est sans importance, me dirent-ils ; ici, nous sommes tous un.
« Ils semblent être des frères plus jeunes du Christ. Ils sont tous glorifiés ; mais Sa gloire, à Lui, dépasse infiniment la leur. Ils ne sont pas tous glorifiés au même degré ; c'est un peu comme s'ils étaient de couleur différente, mais cette comparaison n'est pas tout à fait exacte. Leurs vêtements sont faits de lumière, mais cette lumière n'est pas aveuglante ; elle est colorée de nuances infiniment plus variées que celles de la terre. Il n'y a rien d'aussi beau en ce monde, ni les diamants, ni les pierres précieuses. Quand ils parlent, ils font pénétrer leurs pensées dans mon cœur, en un seul instant ; ainsi qu'il nous arrive parfois de connaître la pensée d'une personne avant qu'elle n'ait parlé.
« je n'ai pas été obligé d'apprendre le langage du monde spirituel. Quand nous quittons notre corps et que nous pénétrons dans le monde de l'esprit, nous parlons ce langage aussi facilement et aussi naturellement qu'un nouveau-né se met à respirer en venant au monde, bien qu'il ne l'ait encore jamais fait.
« Au cours de ces visions, nous avons de merveilleux entretiens. C'est là la véritable communion des saints du Symbole des apôtres. Nous parlons de questions spirituelles et de problèmes dont nul ne connaît la solution ici-bas. La glorieuse société des élus les résoud aisément. Il existe là bien des choses que je puis voir, entendre, percevoir clairement dans mon esprit. Mais je ne puis les exprimer en hindoustani, encore bien moins en anglais. Il serait même inutile d'essayer de les traduire, car leur beauté serait perdue si on les transposait de ce monde merveilleux dans le nôtre. Mais j'emporte toujours avec moi le souvenir vivant et précis de toutes ces choses. Ce monde spirituel présente un autre caractère : on ne s'en fatigue pas ; on ne désire rien d'autre. Ici-bas, on se lasse de trois ou quatre heures consécutives de repos et de paix absolue ; là, on ne s'en fatigue pas. Aux Indes, dans une réunion à laquelle j'assistais, il y avait un paysan chrétien qui priait. Il était rempli du Saint-Esprit ; pénétré de paix et de bonheur, il tremblait dans l'excès de sa joie et priait ainsi : « Seigneur, je te remercie, je te remercie, mais arrête, ou je meurs. Assez... assez. » Je fus très surpris de constater qu'il désirait voir cet état prendre fin. Je me souvins alors de l'histoire de Moïse, et comment Dieu lui avait dit : « Nul ne peut voir ma face et vivre. » Et Dieu l'avait couvert de sa main jusqu'à ce qu'il eût passé. L'esprit est en état de soutenir ces expériences transcendantes, mais le corps en est incapable [4].
« Dans le ciel, il y a de la musique, mais je cherchai en vain des instruments. Ce qui me frappa le plus, dans le monde spirituel, ce fut de m'y tenir toujours à l'aise. J'y suis complètement satisfait et rien ne m'oppresse. J'appris, dans ce monde, que lorsque deux personnes veulent se retrouver, il suffit de l'éclair d'une pensée, quelle que soit la distance qui les sépare. Je me retrouve toujours dans ce milieu avec la même aisance et le même bien-être.
« Celui qui s'est trouvé dans ce lieu, ne fût-ce qu'une seconde, se dit en lui-même : « Là, J'ai laissé mon cœur ; là, j'ai la satisfaction absolue. » Ni souffrance, ni peine, rien que l'amour, des vagues d'amour, la joie parfaite. (Au souvenir de l'extase, le visage du Sadhou devint radieux.) Et il en est ainsi pour toujours, et non seulement pour mille ans. Nul n'y réclame rien pour lui-même. Tous disent : « notre patrie ». Il n'est pas de mots qui puissent exprimer cela. C'est pourquoi saint Paul dit qu'il entendit des paroles ineffables que nul homme ne peut exprimer. Dans ce monde-là, bien des choses correspondent à tout ce qui est beau ici-bas montagnes, arbres, fleurs ; mais elles sont dépouillées de toute imperfection. Les montagnes, les arbres et les fleurs de notre terre ne sont que le reflet de ce que je vois là-haut. Toutes choses, même les objets inanimés, semblent avoir été créées pour rendre grâces continuellement, et d'un seul élan. Je puis voir à des millions de lieues ; les maisons et les murs n'arrêtent pas mon regard, et il en est de même au milieu de la foule. Tout est transparent. Le regard traverse les êtres de toutes parts ; personne ne cache son amour ni ce qu'il a dans son cœur.
« Là, nous réalisons non seulement nos aspirations d'ici-bas, mais encore des désirs dont nous n'avions pas eu conscience. Ils se trouvent exaucés, car dans ce lien céleste, il y a tout ce qu'il faut pour les satisfaire. Il n'y a plus rien à demander ; je suis pleinement rassasié. C'est un enchantement merveilleux. C'est là qu'est notre vraie patrie.
« Je demandai à l'un des esprits la signification de ce passage de saint Jean : « J'ai dit, vous êtes des dieux. » J'appris que les aspirations innombrables du cœur humain sont une preuve que l'homme est destiné à évoluer infiniment lorsqu'il sera au ciel ; là, nous aurons plus de possibilités de perfectionnement que nous n'avons actuellement de cheveux sur la tête.
« Une autre fois, je demandai ce que le Christ avait entendu par ces mots : « Soyez parfaits comme votre Père est parfait. » Il n'avait pas dit : « Soyez parfaits comme les anges ou les prophètes... » et cela m'avait troublé. Est-ce à dire que nous deviendrons égaux à Dieu, et, dans ce cas, y aura-t-il révolte de notre part ? On me répondit que Dieu nous veut semblables à Lui, parce que l'Amour exige toujours que l'objet de son affection lui soit égal. De même que l'homme ne peut se contenter d'aimer des animaux, de même Dieu nous veut semblables à Lui. Mais, si nous y parvenions, nous ne pourrions nous révolter, car nous aurions une connaissance si profonde de l'amour divin, que notre cœur serait rempli d'une gratitude infinie.
« Notre Père céleste veut que nous devenions semblables à Lui, car il n'y a pas de jalousie au ciel. il y a une hiérarchie, mais aucun désaccord. Chacun se tient aux côtés de son prochain, et ceux qui en sont encore aux premiers échelons se sentent fiers de la grandeur de leurs aînés. »
Nous avons demandé au Sadhou
– Alors que vous étiez en extase, vous est-il arrivé d'avoir des visions semblables à celles de l'Apocalypse de saint Jean ?
– Oui ; j'ai vu bien des choses comparables à celles qui se trouvent à la fin de l'Apocalypse ; et lorsque je les vis je pensai : notre frère aîné a visité ces lieux il y a deux mille ans.
– Avez-vous eu des visions semblables à celles qui sont décrites au milieu du livre, l'Apocalypse ?
– Non, jamais ; mes visions ressemblent seulement aux visions de la fin du livre, et en particulier au passage qui dépeint « le fleuve d'eau vive, clair comme du cristal, qui sortait du trône de Dieu et de l'Agneau ». A cette vue, j'éprouvai le désir de me prosterner et d'adorer ceux qui me montraient ces choses, mais ils me dirent en montrant le Christ « C'est Lui que tu dois adorer. »
« Je demandai encore :
« – Où est la capitale du Ciel ?... Est-ce le trône où Il est assis ? »
« Ils me répondirent :
« – Non, chaque cœur qui L'aime est Sa capitale ; c'est là qu'Il règne, non par l'épée et par la force, mais par l'amour qui remplit ce cœur. S'il n'y avait pas d'âmes vivantes, il n'y aurait pas de règne. Le sceau royal et l'image du Christ dans le cœur ; et lorsque ce sceau est imprimé dans le cœur de l'homme, le corps tout entier en est transformé.
« Saint Jean dit que le nom de l'Agneau est inscrit sur le front des saints. Je les regardai et ne vis aucune inscription, mais leur visage tout entier était semblable à celui du Christ, et je compris que c'était là ce qu'avait voulu dire saint Jean. »
– Avez-vous vu des chérubins ou des êtres ailés tels que les décrivent Ezéchiel et saint Jean ?
– Non. Je crois qu'ils les dépeignirent ainsi à cause de la difficulté qu'il y avait à traduire leurs visions en langage humain. Je vis des ondes de lumière qui radiaient de ces esprits célestes ; tout d'abord, je crus que c'étaient des ailes, mais en réalité ce n'en était pas. Les visages de tous les esprits que je vois au ciel ressemblent à celui du Christ, mais ils sont moins radieux. C'est un peu comme l'image du soleil qui se réfléchit dans des vases remplis d'eau. Christ est l'image de Dieu. Dieu créa l'homme à cette image. Il est l'image parfaite qui n'est reproduite qu'imparfaitement par les autres hommes. C'est pourquoi tous ceux qui pénétrèrent dans les sphères célestes pour la première fois éprouvèrent le sentiment d'avoir déjà vu le Christ, de le connaître depuis longtemps. C'est l'indice d'un lien originel entre le Christ et l'homme, bien que nous n'en ayons pas conscience. Tout pécheur possède en lui-même une image déformée de son Créateur et, lorsque la conversion dessille ses yeux, il Le reconnaît, se prosterne et L'adore. Je n'ai pas eu la joie de rencontrer d'autres personnes ayant eu des extases comme moi, sans quoi j'aurais voulu parler avec elles de ce sentiment de préconnaissance.
« Je demandai quelle distance il y avait entre notre terre et ce monde céleste. On ne put me répondre, mais on me dit qu'il suffisait d'un instant pour y parvenir. Je fus surpris de cette ignorance sur ce point.
« Avant d'être chrétien, toutes les fois que je voyais quelqu'un mourir, j'aspirais à un monde où la mort serait abolie. J'étais rebuté par ce cycle implacable de morts et de renaissances qu'implique la doctrine hindoue de la transmigration des âmes. La première fois qu'en extase je pénétrai au ciel, j'eus la certitude que j'étais entré dans un monde où la mort n'était plus.
Avez-vous eu quelque précision sur la résurrection de la chair ?
– On me dit qu'au moment de la mort, les chrétiens laissent derrière eux leur corps physique. Ce corps est enterré, mais le corps spirituel qu'il contient se trouve libéré. Revêtus de celui-ci, ils entrent selon leur degré d'évolution dans le deuxième ou le troisième ciel. Du moins cela est vrai de la majorité des chrétiens ; mais il y a des degrés dans la vie spirituelle. Il existe de rares privilégiés qui ont vécu en communion si étroite avec le Christ que leur corps physique s'est lentement transformé et a été enlevé au ciel. Il s'est entièrement spiritualisé, car la chair et le sang ne peuvent hériter la vie éternelle ; c'est bien le même corps physique, mais complètement transformé. Je demandai, si cela pouvait s'appliquer à Hénoch et à Élie, qui avaient été enlevés au ciel. On me dit : « Oui, et cela s'applique également à Moïse. » On me montra au ciel Moïse et Élie, et, l'on ajouta qu'ils étaient apparus à la Transfiguration sous l'aspect où je les voyais maintenant ; car, au ciel, il n'y a plus de changement. Dieu ensevelit Moïse, mais la manière dont Dieu ensevelit n'est point la nôtre ; le corps physique s'épanouit en corps spirituel. Nul ne peut entrer au ciel avec son corps physique, sauf dans des cas exceptionnels où le corps fut transformé. Il en fut ainsi du corps du Christ.
« La majorité des chrétiens quittent leur corps physique. Revêtus de leur corps spirituel, ils parviennent dans l'état intermédiaire au deuxième ciel. Ils y demeurent quelques jours ou quelques mois, parfois, plus longtemps encore, jusqu'à ce qu'ils soient prêts à entrer au troisième ciel. Cependant les êtres d'exception comme saint François d'Assise ou l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ atteignent un développement spirituel si grand, qu'ils vont directement au troisième ciel. »
« Je demandai encore : « Les morts seront-ils tous rassemblés et jugés en même temps ? »
On me répondit que non. Au moment de quitter ce corps, l'âme se souvient de tous les incidents de sa vie ; le souvenir est clair, précis, et c'est là ce qui constitue le jugement. La lumière céleste révèle aux méchants leur propre état. Ils comprennent aussitôt qu'ils ne peuvent vivre en compagnie des saints et des anges. Ils sont tellement dépaysés, tout est si contraire à leur nature, qu'ils demandent l'autorisation de quitter le ciel. Dieu ne renvoie personne. Le ciel n'est pas un lieu entouré de murs et de grilles où l'on ne pénètre qu'au moyen d'une carte d'admission. La carte d'admission, c'est la vie que l'homme a menée.
« Si un homme est né de nouveau, il peut voir le royaume des cieux [5] et y être à l'aise. C'est là le vrai jugement dernier et c'est un jugement quotidien. Il ne s'effectue pas par un acte de Dieu qui nous sépare de Lui ; c'est un jugement intérieur. Le jugement dernier sera une proclamation du résultat final, quand chaque serviteur de Dieu sera exalté devant la Création entière.
« Il me fut dit également que, sur terre, notre corps spirituel est contenu dans notre corps physique : toutes les fois que nous péchons, nous agissons à la manière d'une pointe qu'on appuie sur une feuille de papier, derrière laquelle se trouve du papier carbone. Sur la face extérieure la marque est presque invisible, mais à l'intérieur elle apparaît nette et noire. Ainsi, nos péchés laissent sur notre corps spirituel des marques et des cicatrices, qui deviendront visibles, lorsqu'après la mort, le corps spirituel sera dégagé du corps physique. La manifestation visible des atteintes subies sera en elle-même une des parties essentielles du jugement. »
« Il me fut dit encore que l'amour de Dieu agit jusqu'en enfer. Dieu ne s'y révèle pas dans Sa pleine lumière, parce que les âmes qui y sont ne pourraient en supporter l'éclat ; mais Il leur montre graduellement plus de clarté. Il les amène ainsi plus haut, et tourne leur conscience vers le bien, ce pendant qu'elles croient que ce désir provient d'elles-mêmes. Dieu agit sur leur esprit dans la profondeur de leur âme ; un peu comme le fait Satan, dans le sens opposé, lorsqu'il s'efforce de nous tenter. Comme Dieu agit par sa lumière au dedans et au dehors de nous, presque tous ceux qui sont en enfer seront finalement conduits aux pieds du Christ. Des millions de siècles seront peut-être nécessaires, mais quand ce jour arrivera, ils seront remplis de reconnaissance envers Dieu. Cependant ils seront moins heureux que ceux qui ont suivi le Christ dès ici-bas. C'est ainsi que l'enfer même est une école d'apprentissage, une préparation à la maison paternelle. Ceux qui sont en enfer sentent bien qu'ils ne sont pas dans leur véritable patrie, car ils souffrent. Les hommes n'ont pas été créés pour l'enfer ; ils y sont malheureux et désirent s'échapper pour aller au ciel. C'est ce qu'ils font ; mais lorsqu'ils vont au ciel, ils sont encore plus dépaysés qu'en enfer et s'en retournent. Ils comprennent alors que leur état est anormal et sont amenés peu a peu à repentance. Il en est ainsi, du moins, pour la majorité ; mais il est quelques entités, Satan, par exemple, dont on me dit : « Ne pose aucune question à leur sujet. » Aussi n'ai-je rien demandé ; mais je souhaite que pour eux aussi il y ait de l'espoir.
« On me dit encore que les saints coopèrent au salut des âmes en enfer car il n'y pas d'oisifs au ciel. Ceux qui sont en enfer seront finalement amenés au ciel comme l'enfant prodigue. Quant à l'ultime destinée d'un certain nombre d'âmes, on me dit de ne poser aucune question. »
Le Sadhou est tenté de croire que ces quelques âmes seront peut-être détruites.
Le Sadhou continua :
– Je dis une fois : « Quantité d'âmes seront perdues parce qu'elles n'auront pas entendu parler du Christ. »
« Mais on me répondit :
« – Tout au contraire ; il en est très peu qui seront perdues, et beaucoup seront sauvées. Voilà la vérité, mais ne le dis pas, me fut-il recommandé presque malicieusement, car cela rendrait les hommes insouciants, et nous voulons qu'ils connaissent aussi les joies du premier ciel, le ciel sur la terre.
« S'il n'y avait aucun espoir pour les païens, et pour tous les chrétiens qui meurent en état de péché, Dieu cesserait de créer les hommes. Nous devons faire tout notre possible pour sauver les pécheurs, mais s'ils refusent de s'amender, nous ne devons pas abandonner tout espoir à leur sujet. »
« L'universalisme » du Sadhou rappelle la fameuse vision de la mère Juliana de Norwich et les commentaires qu'elle en fit. Son respect pour l'autorité de l'Église l'empêcha néanmoins de faire des hypothèses sur la façon dont la chose était possible [6]. Le Sadhou obéit fidèlement à l'injonction : « N'en parle pas. »
Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, le Sadhou, dans son enseignement populaire, insiste sur la nécessité de la repentance et la certitude du jugement après la mort ; mais il ne parle jamais de son espoir, quant à l'ultime salut de tous, voire même de ceux qui ne se repentent point.
L'eschatologie n'est pas l'unique sujet des visions du Sadhou, ni même leur principal objet. La plupart des paraboles et des arguments dont il se sert dans ses prédications semblent lui avoir été communiqués au moyen des visions. Parfois aussi, il trouve dans ses extases la réponse à des questions d'exégèse qui l'avaient troublé. Voici un exemple de la simplicité et de la finesse d'observation morale qui caractérisent le Sadhou.
« Pourquoi Abraham n'a-t-il pas intercédé pour Lot ? Dieu se préparait à détruire Sodome et Gomorrhe. Abraham plaida pour les habitants ; pourquoi ne pria-t-il point pour son neveu, disant : « Sauve au moins mon neveu... » ? Parce que Lot était fautif. Bien qu'il eût habité la ville depuis plusieurs années, il n'avait pas été capable d'amener dix hommes au bien. Il n'avait pas fait son devoir ; aussi Abraham n'osa-t-il intervenir en sa faveur. Mais Dieu se souvint d'Abraham, et, à cause de lui, Lot fut sauvé. De même, il y a d'honnêtes chrétiens qui cependant n'essayent pas de sauver les âmes ; et, comme Abraham, Christ n'osera intercéder pour eux. « Mais, dit le Sadhou, avec un fin sourire, je ne parle de cela que rarement, car de nos jours, il y a tant de personnes qui ne croient pas qu'Abraham et Lot aient jamais existé. »
« Je demandai une autre fois :
« – D'où procède la vie ?
« On me répondit que l'unique source de vie se trouve cachée en toute chose. Nos vêtements sont chauds parce que le corps qu'ils enveloppement est chaud. Ce ne sont pas les vêtements, qui produisent la chaleur ; elle provient du corps. Ainsi la vie de toute créature procède de l'unique Source de vie, cachée en tout. La vie procède du Dispensateur de la Vie. De même que nos vêtements ne sont que l'enveloppe extérieure de notre corps auquel ils empruntent leur forme et leur chaleur, de même toutes les plantes et tous les animaux que nous voyons ne sont qu'une manifestation extérieure entretenue par l'Auteur de la vie.
« Je vis des ondes de lumière et d'amour irradiant du Christ en qui habite corporellement toute la plénitude de la Divinité. Ce sont elles qui propagent la vie. Ainsi, d'une façon mystérieuse, des ondes de lumière et d'amour donnent la vie aux créatures de toute espèce, La matière et le mouvement ne peuvent créer la vie. La vie seule peut engendrer la vie.
« On me dit que les ondes de lumière que je percevais étaient le Saint-Esprit. Comme la lune semble toujours située au-dessus de nous, en quelque lieu que nous soyons, de même, au ciel, apparaît le Christ glorifié. Il émet des flots de lumière, il est visible de toutes parts. Je vis une multitude d'êtres glorifiés qui disaient tous Il est près de moi. Il est près de moi. »
Celui qui étudie le mysticisme voudra quelques documents de plus, afin d'établir scientifiquement la nature et la signification des visions du Sadhou. C'est pourquoi nous rapportons en détail l'exposé que le Sadhou fit lui-même de la nature de l'extase :
« Un ami me posa un jour cette question :
« – Qu'est-ce que l'extase ?
« Je lui répondis :
« – Il y a des perles dans la mer ; mais pour les atteindre, il faut plonger jusqu'au fond. L'extase est une descente dans les profondeurs des mers spirituelles. Ce n'est pas une transe, c'est une sorte de plongée ; de même que le plongeur doit suspendre sa respiration, de même, en extase, devons-nous suspendre nos sens extérieurs.
« Toutes les fois que je suis seul, des choses nouvelles me viennent à l'esprit ; elles me sont communiquées dans un langage sans paroles, je me sens enveloppé dans une atmosphère surnaturelle ; une voix intérieure parle en mon cœur et je suis ravi en extase. Aucune parole n'est prononcée, je vois tout en images ; les problèmes trouvent leur solution en un instant, facilement, joyeusement, sans aucun effort cérébral. »
Dans les premiers temps de la vie chrétienne du Sadhou, les extases étaient relativement rares. Actuellement, bien qu'il soit impossible à Sundar de prévoir le moment où elles se manifesteront, les extases sont quotidiennes ; du moins, elles pourraient l'être s'il n'y mettait bon ordre. Si le Sadhou ne cherchait que sa propre satisfaction, il vivrait toujours ainsi, en communion avec le Christ ; mais il veut aider les hommes. Fréquemment il entre en extase après vingt minutes de prière et de méditation ; parfois il est à genoux, mais le plus souvent assis.
Il faut noter cette fréquence de vision chez le Sadhou. Autant qu'il nous semble, les visions et les révélations étaient relativement rares chez les écrivains bibliques et la plupart des grands saints.
Les extases du Sadhou durent parfois quelques heures pendant lesquelles il perd toute notion du monde extérieur et du temps [7] : « Le passé et le futur n'existent pas, tout est dans le présent. »
– J'avais dit à un de mes amis de ne pas me déranger s'il me trouvait en extase. Il entra un jour chez moi et me trouva souriant ; je riais presque et j'avais les yeux grands ouverts. Ne sachant pas que j'étais en extase, il m'adressa la parole ; comme je ne répondais pas, il se retira, et, par la suite, me conta l'aventure. Une autre fois, j'entrai en extase sous un arbre. Quand je revins à moi, je m'aperçus que j'avais été piqué par des frelons et que tout mon corps était enflé ; je n'avais rien senti.
Le Sadhou devait prendre la parole à une réunion qui avait lieu à huit heures du matin. Il commença sa prière vers cinq heures et entra malgré lui en extase. Quand il revint à lui, neuf heures avaient sonné ; il avait oublié la réunion. Un public nombreux l'attendait, déçu de ne pas le voir et fort étonné, car l'exactitude du Sadhou était connue.
L'assemblée se dispersa.
Sundar fut navré de ce qui était arrivé, mais il ne voulut pas en donner la raison, ou plutôt il ne le put :
– Je ne puis parler de ces expériences, parce qu'on ne me comprendrait pas ; on me croirait fou.
Quand il prêche dans une ville, il a grand soin de ne pas « glisser » en extase, selon son expression. Dans l'Himalaya, il a plus de liberté ; il n'a aucun engagement fixe, cette contrainte n'est donc plus nécessaire.
– Vos extases sont-elles plus fréquentes lorsque vous êtes fatigué et surmené ou lorsque vous êtes physiquement reposé ?
– Cela revient au même. Les extases sont peut-être plus fréquentes lorsque je me sens reposé. Si je suis physiquement tendu, épuisé, ou peut-être découragé parce que l'on repousse mon message (cela m'est arrivé plus d'une fois), l'extase a pour résultat de me reposer, de me rafraîchir complètement, de me donner de la force. C'est pour moi une preuve de plus qu'il ne s'agit pas de transes ordinaires. Quand je m'exerçais à la pratique de la yoga, avant d'être chrétien, je ne ressentais pas ce repos durable, quoique la transe m'eut procuré un bien-être passager. Il y a une grande différence entre l'extase et la yoga. Dans l'extase, on éprouve toujours un sentiment de satisfaction paisible, de bien-être, quel que soit l'état d'âme dans lequel on se trouvait auparavant. Par contre, dans le yoga, lorsque j'étais malheureux avant la transe, je pleurais ; si j'étais heureux, je souriais. Après l'extase, je me sens toujours reposé, fortifié, stimulé. Il n'en était pas ainsi avec le yoga.
« La transe du yoga a pour but de satisfaire la tête et non le cœur.
« L'état d'extase n'est pas, comme je le crois pour le yoga, le résultat de l'auto-suggestion. Je n'essaie jamais de me mettre dans un état particulier ; je ne concentre pas ma pensée pendant une heure entière sur un même sujet, afin d'amener un état d'hypnose comme le font ceux qui pratiquent le yoga.
« L'extase n'est pas un état morbide ou une hallucination ; c'est un état de veille et non de rêve. Dans l'ordinaire de la vie, les distractions dérangent le cours de mes pensées ; mais ce n'est pas le cas pendant l'extase. D'habitude, une pensée demeure dans mon esprit, pendant une minute seulement, et fait rapidement place à une autre. Pendant l'extase, je puis penser longtemps au même sujet. J'incline à croire qu'il en est ainsi parce que, dans cet état, le travail de la pensée n'est plus entravé par la matière cérébrale.
« Durant l'extase, je médite sur des sujets tels que l'amour de Dieu, et en même temps j'écoute ce que les esprits, et en particulier le Saint-Esprit, me communiquent.
« Quand je redescends dans mon corps, je remarque la grande différence qui existe entre les choses perçues en extase et celles que je vois avec mes yeux de chair.
« Lorsque je sors de mes ravissements, il me semble que les gens sont aveugles pour ne pas voir ce que j'ai vu ; tout est si clair et si proche. »
Le Sadhou a parfois rencontré au ciel des êtres qu'il a connus sur la terre :
– Au cours d'une extase, je vis une fois un homme dont le corps était glorifié. Il semblait très heureux et me demanda :
– Ne me reconnaîs-tu pas ?
« je répondis :
« – Non.
« – Ne te souviens-tu pas de m'avoir vu ? J'étais dans la léproserie où tu travaillais. Maintenant, je ne suis plus lépreux. C'est par Jésus-Christ que j'eus cette vie merveilleuse après avoir quitté mon corps le 22 février 1908.
« Plus tard, je vérifiai le fait et le trouvai exact. L'homme était mort au jour et à l'endroit qu'il m'avait indiqués dans la vision. »
Cet incident rappelle la fameuse histoire du moine d'Evesham ; il eut une extase qui dura trois jours, pendant lesquels son esprit visita le ciel, l'enfer, le purgatoire. Au purgatoire il vit l'âme d'une anachorète décédée pendant qu'il était en extase ; mais la nouvelle de cette mort n'avait pu atteindre Evesham au moment où il raconta ce qu'il avait vu. Les contemporains tirèrent de cet incident la conclusion évidente que l'esprit du moine avait réellement visité le purgatoire, où cette âme devait être.
On peut cependant donner une autre explication de ce fait. Certains individus en état de transe sont particulièrement sensibles aux influences télépathiques. Si le moine était de ceux-là, la pensée de la mourante ou d'une voisine avait pu se transmettre jusqu'à lui. Cela expliquerait la connaissance qu'il eut de cette mort et par conséquent du lieu où cette âme se trouvait.
– Vous nous avez expliqué que le sens par lequel on perçoit les paroles dans le monde spirituel est entièrement différent de l'ouïe terrestre ; en est-il de même pour la vue ?
La réponse parut aisée au Sadhou ; mais elle est de celles qu'il ne peut traduire en langage humain, ou par des comparaisons avec les choses de la terre. À l'entendre, il y aurait plus d'analogie entre la vue spirituelle et la vue terrestre qu'entre l'ouïe physique et l'ouïe spirituelle. Les visions, les images perçues dans les sphères spirituelles ressemblent à ce que nous voyons ici-bas, mais avec une différence cependant :
– Quand, sur terre, nous voyons des montagnes, des arbres, des fleurs, nous les regardons, nous les admirons. Là-haut, nous voyons aussi ces mêmes objets et nous les admirons. Mais il émane d'eux une sorte de force qui remplit l'âme du désir de louer le Créateur ; et cela, sans aucun effort, simplement. C'est une expression spontanée dans la plénitude de la joie. Quand, ici-bas, je vois des fleurs et d'autres beautés de la nature, je les admire, mais elles demeurent passives. Dans le monde spirituel que je visite en extase, c'est l'opposé ; les objets deviennent actifs, et moi je demeure passif.
Nous demandâmes au Sadhou s'il avait constaté un changement dans la nature ou la qualité de ses visions. Depuis le jeûne, les visions ont été plus fréquentes ; à part ce fait, elles semblent avoir subi peu de modifications. Les extases ayant eu lieu en un temps où l'expérience chrétienne du Sadhou n'était qu'à ses débuts, Sundar considère la richesse de ces révélations comme une preuve du fait que la connaissance ainsi obtenue provient d'une source extérieure à lui-même et non de son subconscient.
Dans le récit des visions du Sadhou, il est deux points importants qu'il suffit de rappeler sans commentaire : la fréquence des manifestations et le fait qu'elles ne sont jamais suivies de fatigue, mais au contraire de repos physique et mental. Il faut encore envisager quatre autres points :
En premier lieu (le Sadhou diffère en cela des auteurs apocalyptiques et, croyons-nous, des mystiques occidentaux en général), le Sadhou n'est pas conduit dans ses extases de sphère en sphère ; il ne visite pas l'enfer, par exemple ; il ne contemple pas une série de tableaux dramatiques dont le sens lui apparaît clairement, ou, lui est expliqué par un guide céleste. On peut affirmer qu'il n'a qu'une seule et même vision, celle du troisième ciel ; mais celle-ci, toujours pareille, comporte en elle-même une variété inépuisable. Les enseignements et les réflexions qui sont communiqués au Sadhou en extase ne se présentent pas à lui sous l'aspect de visions séparées ; ce sont plutôt des communications d'esprits divers qu'il rencontre au cours de cette unique et magistrale vision.
En second lieu, le Sadhou, bien plus que les auteurs apocalyptiques, a le souci d'affirmer à chaque occasion le caractère ineffable de son expérience : les paroles sont bien des paroles, mais elles ne sont ni prononcées ni entendues ; les images sont bien réelles. mais elles ne sont pas perceptibles à notre vue habituelle : « Il n'existe pas de langage pour exprimer ce que je vois et ce que j'entends dans le monde spirituel ; je suis comme un homme muet qui peut goûter et savourer les friandises qu'on lui offre, mais qui ne peut en décrire ni en exprimer la saveur. » Non seulement il s'en rend compte, mais il insiste sur le fait que les visions et les paroles qu'il rapporte ne sont que l'ombre de la réalité, autrement dit qu'elles sont essentiellement symboliques.
En troisième lieu, l'extase, d'après le Sadhou, n'est pas pour lui une sorte de rêve, c'est-à-dire un état dans lequel des scènes et des événements se déroulent sans suite ; mais un état de veille, de concentration des facultés. Sa pensée alors se précise, devient continue, et cela, à un degré auquel le Sadhou ne pourrait parvenir dans la vie ordinaire. Le fait qu'en extase il est inconscient des choses extérieures, au point de ne pas sentir, par exemple, la piqûre des frelons, confirme cette assertion. On peut être aisément tiré du sommeil ; mais il est évident que l'extase du Sadhou est, au point de vue psychologique, un état de « dissociation temporaire », caractérisé par une concentration intense de pensée et de sentiment.
Nous pouvons faire un rapprochement avec ces vers de Wordsworth, qui sont bien connus, mais. peut-être moins bien compris. Le poète, pour dépeindre les expériences qui lui étaient si chères, emploie un langage dont chaque mot pourrait être utilisé par le Sadhou pour décrire ses extases.
...un autre don
Plus sublime encore, cet état béni,
Dans lequel s'allège le fardeau du mystère
De ce monde incompréhensible,
Cet état serein, béni, où les affections nous
Conduisent tendrement jusqu'au point
Où notre cœur humain suspend ses battements.
Endormis en notre corps, nous devenons une
Âme vivante ; et, calmés par le pouvoir profond
De l'harmonie et de la joie, d'un œil serein
Nous contemplons la vie des choses [8].
En quatrième lieu, cette concentration de pensées et de sentiments atteint son point culminant dans des visions dont le Christ est toujours le centre. L'impression dominante est la conscience d'être avec le Christ et de recevoir de Lui une augmentation de vitalité, de force et de connaissance. Non seulement la pensée et le sentiment sont intenses, mais l'être tout entier est concentré sur le concept du Christ Vivant et Éternel.
La littérature mystique orientale et occidentale est un domaine si vaste, que ceux-là mêmes qui ont consacré leur vie à cette étude, n'émettent une opinion qu'avec circonspection. Les auteurs de ce livre ne sont pas qualifiés pour parler avec autorité. Il ne paraît cependant pas téméraire d'affirmer que si l'on trouve chez certains mystiques orientaux et occidentaux, des expériences semblables à celles que nous avons notées, le fait d'être réunies dans une seule individualité est un phénomène unique. Dans ce cas, quelle explication donner ? Dire que tout mystique est en quelque sorte une manifestation unique en son genre ne nous semble pas une réponse suffisante ; et voici l'opinion que nous risquons : l'Inde est le pays des mystiques, mais nous croyons que le Sadhou est le premier Hindou qui soit devenu un mystique christocentrique, ou du moins est-ce le premier dont les expériences nous soient parvenues. Il est permis de croire que, transplanté aux Indes, le mysticisme chrétien prendra une forme nouvelle, essentiellement hindoue.
Lorsqu'on étudie les visions des mystiques et des voyants apocalyptiques, on est obligé de dégager la différence essentielle qui sépare le contenu d'une vision, c'est-à-dire l'idée qu'elle doit mettre en valeur, de la forme ou du symbole qu'elle revêt. La forme et son contenu se trouvent déterminés par des éléments variables, suivant la mentalité du voyant et ses expériences personnelles.
La forme de la vision semble dépendre des facultés d'imagination du sujet, mais aussi de ses expériences et de son milieu. Ces éléments divers concourent à élaborer le symbolisme de la vision. Dans le cas du Sadhou, ces éléments procèdent, pour la plupart, de son étude de la Bible, étude sur laquelle il a, pendant si longtemps, concentré son intelligence et son cœur.
Trois facteurs principaux, mais d'un ordre différent, déterminent le contenu de la vision : en premier lieu, la culture intellectuelle, morale et spirituelle du voyant, fruit d'une vie entière de méditation, de prière et de renoncement. En second lieu, le degré de concentration atteint par les plus hautes facultés de l'âme : pensée, amour, sens esthétique, facultés convergeant toutes vers le problème que la vision se propose d'élucider. Enfin, le degré d'intensité auquel sont parvenus ces divers éléments au moment où, dans une communion intense avec la divinité, la personnalité s'exalte tout entière pour y puiser son inspiration. Pour le Sadhou, cette communion se traduit chaque fois par l'image du Christ éternel.
Les visions du Sadhou trouvent leur expression dans une forme toujours belle et appropriée. Toutefois, la part de vérité spirituelle qu'elles apportent dans leur traduction de l'inexprimable, c'est-à-dire la valeur de leur révélation, dépend des trois facteurs qui ont déterminé leur contenu. Ces visions sont précieuses, non seulement comme visions, mais parce que ce sont celles du Sadhou. Leur valeur contient surtout du fait que Sundar, homme de prière, est doué d'un génie tout particulier pour résoudre les problèmes religieux, et de ce qu'il a mené, en pensées, en paroles et en action, une vie conforme à son idéal, réalisant ainsi l'unité de sa personnalité. De plus, ces visions tirent une valeur exceptionnelle de la communion profonde et consciente du Sadhou avec son Seigneur.
Si nous pouvions nous étendre sur ce sujet, il serait possible de démontrer que ces mêmes lois psychologiques ont déterminé la forme des visions rapportées dans la Bible, et que ce sont ces mêmes facteurs individuels qui en ont établi la valeur (valeur qui nous semble varier suivant les cas.)
Nous pourrions rapprocher cette théorie de celle qui considère l'Inspiration comme une exaltation des facultés intellectuelles et intuitives résultant, chez certaines grandes âmes, de leur communion avec un Dieu personnel.
Enfin, selon nous, la haute inspiration des écrivains hébreux provient également de leur idéal de vie, austère et plein de sagesse, humain cependant pour leur époque, et de leurs expériences profondes de communion avec Dieu. [9].
Toutes les visions dont vous nous avez parlé jusqu'à présent donnent la solution de questions théologiques. Mais vous est-il arrivé d'obtenir une réponse à une question pratique ? Par exemple, au sujet d'une décision à prendre ? Le Sâdhou nous répondit par l'histoire suivante :
« Lorsque je voyageais, au cours d'une tournée dans l'Himalaya, je voulus me rendre au village de Rampur. J'arrivai à un croisement de routes et ne sus plus quel chemin prendre. Je m'engageai sur l'une des deux routes et, après avoir marché longtemps, je m'aperçus que je m'étais trompé. Pour revenir sur mes pas, il fallait faire onze milles. Désolé de cette erreur, j'entrai dans le village de Nalthora, qui était tout proche. Un boutiquier de l'endroit me fit signe. Comme je m'approchais, il cacha le Nouveau Testament hindoustani qu'il avait en main, croyant que j'étais un sannyasi hindou. Au bout de quelques instants de conversation, il me dit :
– Que pensez vous de Jésus-Christ ?
– Il est mon Sauveur, répondis-je.
« Tout joyeux, il s'écria :
« – Ne regrettez pas de vous être égaré et d'être venu ici ; depuis quelques temps, j'étudie les Évangiles et je suis assailli par des doutes ; et je rencontre des difficultés. J'ai prié Dieu de m'envoyer quelqu'un pour m'éclairer. C'est lui qui vous a mené ici, en réponse à ma prière.
« Nous poursuivîmes fort avant dans la nuit notre entretien sur le Christ, et je passai encore la journée suivante avec cet homme. Ses doutes se dissipèrent et il crut. Plus tard, il fut baptisé. Voilà comment Dieu nous guide, quand nous nous confions à Lui. Parfois, nous croyons avoir perdu notre route, mais Dieu nous mène où notre présence est nécessaire pour sauver les âmes [10]. »
Ceci ne répondait pas exactement à notre question. Nous la posâmes de nouveau, un peu plus tard, et nous obtînmes une réponse plus directe.
« J'ai parfois demandé ce qui arriverait si j'agissais de telle ou telle manière. Il me fut dit de ne pas m'inquiéter de l'avenir. L'avenir est entre les mains de mon bon Père Céleste. Je ne dois pas m'en tourmenter, mais accomplir ma tâche immédiate. Je serai probablement averti de ma mort vingt-quatre heures à l'avance ; les esprits que je vois au ciel viendront à ma rencontre pour m'y conduire. J'aimerais avoir le temps de prévenir mes amis. Comme saint Paul, mon désir est de quitter ce corps et de demeurer auprès du Seigneur, mais je souhaite aussi demeurer ici-bas pour l'amour de ceux que je puis aider.
« Ce sera bien beau, à l'heure de la mort, d'être accueilli par les saints du Paradis. Ces chers amis, que j'ai vus si souvent en vision, viendront eux-mêmes à ma rencontre et me mèneront au ciel ; tout comme ces bons amis qui me conduisent dans Londres et sans lesquels je me perdrais. »
Cette réponse s'appliquait plus particulièrement au problème de la préparation à la mort, et ne nous donnait peut-être pas les précisions que nous voulions. Le Sadhou prie et se laisse ensuite complètement guider. Mais nous avons la certitude que pour lui, comme pour la plupart des mystiques occidentaux, il ne s'agit pas de directives précises communiquées en extase. Bien des propos du Sadhou nous le font croire, et l'une de ses réponses paraît fort claire à ce sujet. Nous lui demandâmes :
– Comment reconnaissez-vous la volonté de Dieu ?
Il répondit :
– Ceux qui vivent avec Dieu n'ont pas de peine à découvrir Sa volonté. Les chrétiens qui ne consacrent que peu de temps à Dieu et qui sont principalement occupés des choses de ce monde peuvent être embarrassés. On reconnaît la volonté de Dieu dans sa propre conviction, dans ses sentiments, ou dans les circonstances extérieures. Ceux qui vivent en Dieu ont la certitude que tel ou tel événement est bien la volonté de Dieu. Ils aiment le Père, ils Le connaissent et c'est pourquoi ils savent quelle est Sa volonté.
– Avez-vous jamais agi, croyant faire la volonté de Dieu, et vous êtes-vous aperçu ensuite qu'il s'agissait de votre volonté propre ?
– Non ; ainsi, il y a quatorze ans, je devins un Sadhou, convaincu que c'était la volonté de mon Père, et j'en suis encore persuadé aujourd'hui.
Les mystiques du moyen âge soumettaient fréquemment leurs visions à leur confesseur. Ils s'en remettaient à son jugement pour décider de l'orthodoxie ou de la valeur de ces visions, pour savoir si elles venaient de Dieu ou de Satan, si elles devaient être divulguées ou non. C'est pourquoi nous demandâmes au Sadhou :
– Si votre extase vous révélait quelque chose qui soit en conflit avec l'enseignement traditionnel de l'Église, quelle autorité reconnaîtriez-vous ?
– L'Église ne compte pas assez d'hommes possédant une expérience spirituelle profonde pour que son enseignement ait une autorité définitive. Aussi, je m'adresse directement à Dieu. Les dogmes furent établis par des hommes d'expérience spirituelle, ainsi que le prouve leur croyance à la « communion des saints » ; mais les personnes qui répètent maintenant ces paroles n'ont pas la même richesse d'expérience. Pour moi, une révélation reçue en extase compte infiniment plus que la tradition de l'Église. Cléricalisme et Christianisme ne sont pas une même chose. John Wesley et le général Booth suivirent les ordres de Dieu, en opposition avec l'Église, et il se trouva qu'ils eurent raison. Chaque homme cependant n'est pas un mystique, aussi l'autorité de la tradition est-elle nécessaire pour la masse. Les catholiques romains ont été trop loin dans cette voie, et certains protestants dans l'autre. Il ne suffit pas d'être un membre à l'Église, il faut être également un membre du Christ.
Puisque l'extase a une si grande valeur à vos yeux, recommandez-vous à la masse des chrétiens de s'y exercer, de tâcher d'y parvenir ?
– Non. La prière convient à tout homme et il en est de même pour la méditation. Si c'est la volonté de Dieu qu'un homme aille plus loin, Dieu le dirigera dans cette voie ; sinon, que cet homme se contente de la simple prière.
« Bien souvent, autrefois, il m'arrivait, avant d'entrer en extase, de percevoir des voix avec mes oreilles corporelles (il ne s'agissait pas du langage spirituel du monde céleste) ; j'entendais de la musique, je voyais de la lumière, mais je découvris que c'était l'œuvre de Satan ou de quelque esprit malfaisant. Cela ne m'arrive plus maintenant. Il me semblait parfois être piqué d'aiguilles et je voyais de la lumière, mais ce n'était pas la « vraie » lumière. Je crois que notre cœur nous permet de juger instinctivement si ces expériences viennent de Dieu ; j'avais le sentiment qu'elles ne venaient pas de Lui. En entendant cette voix, je reconnus de suite que ce n'était pas celle du Christ. Les brebis entendent Sa voix et la reconnaissent. En voyant un homme dans le jardin, Marie crut que c'était le jardinier, mais dès qu'Il se mit à parler, elle sut que c'était le Christ. Parfois, je sentais une sorte de chaleur qui m'était désagréable, et je me rendis compte qu'il s'agissait d'obstacles m'empêchant d'entrer en extase. Je reconnus que ces expériences n'avaient aucune valeur. La forteresse, c'est-à-dire le cœur, n'était pas atteinte par elles. Parfois Satan murmure à notre oreille, parfois ses paroles sont distinctes. D'autres fois encore il dit : « Tu te trompes, ce n'est pas la voie. Tu t'es écarté de la Vérité. Tu es un pécheur, tu ne peux être sauvé. »
« Quand je prêtais l'oreille à ces voix, j'étais troublé. Mais je priai le Seigneur de venir à mon secours et tout cessa : la chaleur, les murmures, les frissons, les piqûres. Alors, je pensai : Toutes ces manifestations venaient de Satan ; ce qui vient maintenant, c'est-à-dire la véritable extase, est de mon Seigneur qui m'a délivré.
« Ces états préliminaires suffisent à induire en erreur un homme qui ne vit pas en contact étroit avec le Christ. Même des chrétiens, et des chercheurs sincères, qui sont devenus prophètes d'autres religions, ont été égarés. Les fausses religions naquirent ainsi. Leurs fondateurs croyaient entendre des voix divines, alors qu'il s'agissait de démons. S'ils n'avaient pas prêté attention à ces voix, s'ils avaient été plus avant, ils auraient pu atteindre la véritable extase. Les mystiques devraient être très prudents, et en particulier les débutants. Ceux qui vivent dans le monde trouvent naturellement ces expériences merveilleuses, parce qu'ils n'ont encore rien vu de semblable. Mais toutes ces choses viennent de Satan ou d'êtres inférieurs du monde des esprits.
Le Sadhou parla de certains théosophes et d'autres personnes connues, vivantes ou décédées, qu'il croit égarées par de mauvais esprits ; mais il nous fit comprendre qu'il n'était pas sage d'écrire leurs noms.
« Ces esprits connaissent un peu l'avenir, mais c'est peu de chose. Aux Indes, nous pouvons prévoir le temps qu'il fera quelques semaines à l'avance, ainsi les esprits inférieurs, grâce à leur connaissance élargie du cours des choses, peuvent prévoir les événements immédiats. Cela leur permet d'égarer les hommes. Les prophètes inspirés de Dieu peuvent annoncer les événements plusieurs années à l'avance. Voilà la différence.
« C'est avec ces esprits du monde inférieur que les spirites entrent en rapport. C'est d'eux qu'ils reçoivent des communications intéressantes. Mais en fin de compte, les spirites sont égarés par ces entités. Elles commencent par dire quatre-vingt-dix-neuf vérités pour une erreur, augmentent ensuite graduellement la proportion d'erreurs et mènent le spirite à l'athéisme ou à tout autre égarement. L'homme véritablement spirituel possède un instinct qui lui fait éprouver une antipathie naturelle pour ce qui provient des esprits inférieurs. Si nous ne cherchons que ce qui est intéressant, nous n'atteindrons jamais le monde spirituel supérieur. »
Les mystiques catholiques répètent souvent que celui qui désire avoir des visions les obtiendra ; mais elles lui sont envoyées par le diable et non par Dieu. C'est aussi l'opinion du Sadhou, comme nous l'avons vu. Cependant il y a des degrés dans cette recherche. La psychologie moderne nous enseigne qu'en cette matière, il est plus sage de ne rien désirer.
Si nous consultons l'histoire ancienne et moderne de la théosophie et du spiritisme, nous voyons que des personnes d'un certain tempérament acquièrent facilement la faculté de passer consciemment ou inconsciemment dans un état de transe. Dans cet état, elles ont des visions, elles apprennent des choses curieuses sur la nature de l'univers, les diverses sphères d'existence et la vie future. Mais la forme de ces visions, en général, provient des pensées, des expériences, des goûts, des études de la vie consciente du sujet. Le contenu des visions, c'est-à-dire la valeur intellectuelle et spirituelle, dépendra de la qualité du sujet. Un esprit manquant de précision, ou insuffisamment discipliné par l'effort moral, se reflétera dans des visions banales, mélodramatiques, bizarres. Leur forme sera suggérée par les lectures ou les méditations préférées du visionnaire. Si celui-ci les prend au sérieux, comme la preuve d'un don personnel ou d'une connaissance surnaturelle, s'il est entouré d'un petit cercle d'admirateurs dont les subtiles flatteries encouragent ses écarts d'imagination, grisé de vanité, avant même de s'en apercevoir, il sera sur le point de fonder un culte ésotérique et d'en être le grand prêtre.
Il y a une autre raison pour se méfier des rêves et des visions. La psychologie médicale moderne démontre que l'état de rêve exprime les émotions et les pensées qui ont pénétré le subconscient [11]. Certains rêves peuvent exprimer des sentiments et des pensées qui ont profondément pénétré le subconscient et qui sont le reflet des idées spirituelles de la personnalité supérieure. Souvent aussi les rêves peuvent manifester d'autres intérêts. À l'état de veille, le tigre et le singe qui sommeillent en nous sont plus ou moins tenus en bride par la conscience, l'éducation et les conventions sociales. Pour l'homme égoïste, sensuel et poltron qui subsiste chez la plupart d'entre nous, le rêve constitue un exutoire. Le mécanisme du rêve et son symbolisme permettent à ces passions de s'exprimer, tout en déguisant leur vraie nature. Et ce déguisement s'opère habituellement avec une ingéniosité, une habileté impossibles à imaginer pour celui qui n'a pas étudié soigneusement la psychologie contemporaine. Tant que nous considérons les rêves simplement comme des rêves, cette dissimulation n'a pas de graves conséquences. Il est probable que les rêves constituent une soupape de sûreté très précieuse ; elle permet à la personnalité de se débarrasser, dans des fantaisies innocentes, de passions qui, sans cet exutoire, s'extérioriseraient en paroles et en actes dans la vie courante. Mais il en est autrement lorsque nous les considérons comme un moyen à de révélation.
Un homme comme le Sadhou mène une vie de prière, de méditation et de sacrifice constant pour l'amour du Christ ; il est renouvelé jusque dans les profondeurs de son cœur et de son âme. Chez lui, la subconscience et l'a conscience sont également consacrées au Maître ; le tigre et le singe sont domptés en lui. Et ce qui est plus important encore, l'esprit et l'âme, durant l'extase, demeurent entièrement fixés sur le Christ, de sorte que chez le Sadhou, le mécanisme de la pensée et de l'expression reste sous le contrôle du Christ dans l'extase comme dans la vie normale. Non seulement l'extase peut être sans danger pour lui, mais elle peut l'enrichir. Il n'en est pas de même pour nous.
Nous devons marcher à la lumière de la réflexion raisonnée, appuyée sur la prière et la méditation. Nous aurions tort d'admirer chez nous et chez les autres les visions et les révélations séduisantes qui prennent le chemin facile de l'hypnose ; et ce serait folie de les rechercher.
Saïd, le serviteur de Mahomet, raconta un jour avec enthousiasme l'extase dont il sortait :
..... Alors
Toute l'éternité passée et celle à venir
Furent rassemblées en un prodigieux présent,
Que la compréhension s'émerveille !
Où les hommes voient des nuages, je vois le neuvième ciel
Et le trône de Dieu. Le ciel et l'enfer
Me sont découverts ainsi que la destinée de tous les hommes
Lorsque je les regarde, les cieux et la terre disparaissent,
Et les morts se lèvent. Je déchire le voile
De tous les mondes. Dans le vestibule du ciel
Au centre je m'assieds, et, comme le soleil, je rayonne.
Ainsi parla le Prophète : Ami, ton coursier a chaud,
Cesse de l'éperonner. Le miroir de ton cœur
A glissé de sa case de chair ; remets-le en place.
de nouveau, ou bien il t'arriverait malheur [12].
[1] Cf. 267
[2] La meilleure étude populaire que l'on ait faite de la littérature apocalyptique est de R. H. Charles, Between the Old and New Testaments (Home University library).
[3] Par « traditionnelles », j'entends les doctrines enseignées par presque tous les théologiens chrétiens jusqu'à ces cinquante dernières années. L'exégèse moderne prouve que ces doctrines défigurent très souvent les conceptions du Nouveau Testament. Cf. l'essai la Bible et l'Enfer dans Immortalité, éd. B. H. Streeter (Macmilan).
[4] Nous sommes tentés de croire que ce dernier exemple, cité par le Sadhou, pourrait induire en erreur. L'exaltation caractéristique d'une réunion de réveil nous semble d'un ordre d'expérience spirituelle très différent de celui du Sadhou.
[5] Le Sadhou assimile, semble-t-il, le « Royaume des cieux » au troisième ciel.
[6] Cf. Revelations of Divine Lore. Ed. Warwick, p. 66 F. (Methuen.)
[7] Ce fait est attesté par plusieurs amis du Sadhou avec lesquels nous avons discuté cette question.
[8] Lines on Tintern Abbey.
[9] Ces concepts ont été étudiés dans les essais de M. Emmet The Psychology of Grace et The Psychology of Inspiration, dans The Spirit, éd. B. H. Streeter. (Macmillan.)
[10] Nous avons retrouvé ce récit dans les discours en tamil et l'avons reproduit d'après ce texte.
[11] Les disciples fervents de Freud nient qu'un rêve puisse exprimer les idées les plus élevées du conscient ; mais affermi par ce qui me semble être une évidence convaincante, appuyé par des opinions médicales autorisées, j'ose affirmer que cela peut être (B. H. Streeter.)
[12] Cf. F. Max Müller, Theosophy or psychological Religion, p. 348.