Deux raisons principales motivent la suspension du jugement. La première se tire de l’inconsistance et des fluctuations de l’esprit humain, dont la nature semble condamnée ou à se mettre en dissidence avec les autres, ou à ne pas se ressembler à elle-même. La seconde réside dans la différence qui caractérise les choses. Car, ne pouvant ni croire tous les objets que nous voyons à cause de leurs répugnances réciproques, ni refuser notre assentiment à tous, parce que cette proposition : Il ne faut rien croire, faisant partie du tout, se trouve par là même infirmée ; ni croire certaine chose en refusant notre assentiment à certaine autre, à cause de l’égalité des motifs qui militent des deux côtés, nous sommes amenés à suspendre notre détermination. Des deux causes principales en vertu desquelles nous retardons l’acte de la détermination, l’instabilité de la pensée, engendre le dissentiment. Celui-ci est la cause immédiate qui suspend notre choix. De là vient que la vie est pleine de tribunaux, de délibérations, et de choix arrêtés entre ce que l’on appelle les biens et les maux : témoignages non équivoques d’un esprit incertain, et dont la faiblesse chancelle dans les choses qui se combattent et se repoussent. De là vient encore que les bibliothèques sont remplies de livres qui se contredisent. De là ces écoles, et ces discussions toutes retentissantes des clameurs de ceux qui professent des dogmes opposés et qui se persuadent qu’ils ont la vérité pour eux.