Matthieu 3.13-17 ; Marc 1.9-11 ; Luc 3.21-22 ; Jean 1.30-34
Je publierai le décret. L’Éternel m’a dit : Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’hui.
Selon toute apparence, Jean-Baptiste et Jésus-Christ ne s’étaient encore jamais vus – sauf peut-être pendant leur première enfance. Rien ne nous dit qu’à douze ans Jésus ait rencontré son cousin dans Jérusalem, à la fête de Pâque. Lorsque Jean affirme par deux fois, dans le quatrième Évangile, qu’il ne connaissait pas le Christl, nous n’avons aucun droit de douter de sa parole, et aucun motif valable pour l’interpréter spirituellement. Il ne veut pas dire : Je ne pouvais me douter de ce qu’il était. Il veut dire tout simplement : Je ne le connaissais pas. Rien de plus. Mais qu’il devait tarder au fils d’Elisabeth de s’entretenir enfin avec le fils de Marie ! La gloire qui était en train de le couvrir, le bruit que faisait son nom, rien ne contentait son cœur tant qu’il n’avait pas vu Jésus. Ce n’était pas lui qui aurait dit : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? » Il me semble plutôt que l’impatience de voir le Nazaréen devait de plus en plus remplir son âme.
l – Jean 1.31, 33.
L’importance de cette entrevue est si considérable, que nous en lisons le récit dans nos quatre Évangiles. Avec des différences de détails, tous sont d’accord sur ce point essentiel que ce fut Jésus qui vint à Jean, et non pas l’inverse. Il ne paraît pas que la rencontre ait eu lieu dans un moment où la foule aurait diminué. Au contraire. « Comme tout le peuple se faisait baptiser, dit saint Luc, Jésus se fit aussi baptiser. » Nous n’en conclurons pas, cependant, que le peuple entier ait été le témoin de ce baptême.
Matthieu, dont le récit est le plus complet, est le seul qui fasse précéder l’acte lui-même d’un entretien de Jean avec Jésus. Marc, le plus bref de tous, a pourtant, selon son habitude, un trait qui n’appartient qu’à lui. Ils nous dépeint les cieux non pas ouverts seulement, mais « déchirés » (suivant une traduction littérale) ; comme si une force soudaine et violente avait alors agi dans les lieux très hauts. Luc se contente d’un résumé rapide. Il associe étroitement le baptême du Christ et celui du peuple, le premier formant en quelque sorte un épisode du second. Seul, il raconte que Jésus priait à cet instant solennel. En sorte que l’envoi du Saint-Esprit et la parole de l’Éternel peuvent être considérés comme des réponses à l’invocation du Seigneur. Nous constaterons plus loin les divergences que trois récits présentent, quant à la forme de la parole de Dieu alors prononcée. Saint Jean enfin, n’écrit pas un récit proprement dit du baptême. Il se borne à rappeler le signe qui l’accompagna, et qui servit au Précurseur à reconnaître le Messie.
Aucun évangéliste ne fixe une date à cet événement. Suivant une tradition bien difficile à contrôler, et qui paraît se rapprocher beaucoup de la légende, Jésus aurait été baptisé le 6 ou le 10 janvier. Avouons que nous n’en savons rien ; c’est plus simple et plus franc. Le Baptiste avait remonté quelque peu le cours du Jourdain. Il se trouvait à Béthaniem, probablement auprès d’un gué du fleuve ; sa voix, donc, ne résonnait plus dans le désert proprement dit. A mesure qu’il se rapprochait des localités habitées, l’empressement des visiteurs ne faisait qu’augmenter.
m – C’est ainsi, d’après les plus sûrs témoignages, qu’il faut lire Jean 1.28. Le mot Béthabara n’est qu’une correction. Inutile d’ajouter qu’il ne peut s’agir du Béthanie de Lazare.
Un jour, il voit approcher celui qu’il annonçait depuis longtemps. D’après ses propres déclarations, nous l’avons rappelé, il ne le connaissait pas. Pour quelles raisons donc s’oppose-t-il d’abord à son projet ? Comment peut-il certifier que c’est lui, Jean, qui aurait besoin d’être baptisé par ce nouveau venu ?
Matthieu, dans le récit duquel cette difficulté se rencontre, est celui qui nous aide à la résoudre. Il insiste sur ce fait, relevé aussi par Marc, que Jean ne baptisait personne sans avoir exigé une confession. Avec chaque néophyte, une conversation – peut-être étendue à plusieurs individus à la fois – précédait nécessairement l’entrée dans les eaux baptismales. Il n’avait point d’exceptions. Il n’y en eut pas pour Jésus. Précisément par ce que Jean ne le connaissait pas, il aurait été moins qu’un autre exempté de cet entretien. Admettons que l’impression produite par lui sur le prophète ait été déjà saisissante ; que son égard, sa physionomie aient rayonné de sainteté. Je le veux bien ; il n’y a rien là que de fort probable. Et j’ajoute : raison de plus pour que la conversation ordinaire ait été réclamée. Elle aura été, aussi, plus que jamais intime.
Les historiens ont jeté un voile sur cette heure, sur ces minutes sacrées. Qui oserait le soulever ? Qui dira l’effet que produisirent, dans la conscience du prédicateur de la repentance, les premiers mots prononcés par Celui qui n’a point connu de péché ? Certes, il ne pouvait confesser ni transgression, ni oubli. Mais croyez-vous qu’il ait pu ne point parler du péché ? Ne pensez-vous pas, plutôt, qu’il s’est exprimé à son sujet en un langage tel, avec tant d’horreur pour le mal, avec tant d’amour pour les coupables, qu’un cri, bientôt, sortit de l’âme du Précurseur : C’est lui !… C’est toi ! Tu es le Désiré des nations. Et tu viens à moi ; tu veux que je te baptise, toi ! Ah ! n’intervertissons pas les rôles. C’est moi qui ai besoin de recevoir ton baptême… Bien avant les huissiers envoyés un jour pour saisir le fils de Marie, le fils d’Elisabeth a prononcé sur lui ce jugement, auquel tous les siècles ont souscrit : Jamais homme n’a parlé comme cet homme !
Jean-Baptiste avait raison, sans doute. Et pourtant il se trompait. Il ne savait pas ; il ne comprenait pas. Le néophyte qui vient de se présenter à lui est assurément supérieur à tous les autres. Il lui est très supérieur à lui-même. Néanmoins, c’est lui qui veut être et qui sera baptisé. Il n’est pas venu, cette fois, pour prêcher – bien que son humiliation volontaire soit la plus puissante des prédications ; ni pour instituer un sacrement : c’est trop tôt, et son Église n’est pas fondée ; ni pour éclipser le Précurseur : le rôle de ce dernier n’est pas encore terminé. Il est venu pour se soumettre. Fils de Dieu, Jésus est aussi fils de l’homme. En cette qualité, il entend ne point se séparer de cette foule qui, pour le moment, revient à son Père par la voie du baptême. Il estime que la justice exige que lui aussi passe par ce chemin, en tant que représentant de l’humanité. Il écarte donc les mains du prophète qui voulait le repousser. Il fait taire les objections, les scrupules. « Laisse maintenant, » dit-il. Obéis ! Et devant cet ordre qui n’admettait pas la discussion, Jean ne répond plus rien. Il a bien assez reconnu l’autorité de son interlocuteur, pour s’incliner devant sa volonté. Ils descendent tous les deux dans le Jourdain. La voix tonnante qui lançait son appel : race de vipères ! après s’être faite suppliante un instant, se tait maintenant. L’heure est au silence et à l’adoration. Il y a des moments où l’on ne questionne plus ; la parole ne peut plus exprimer la pensée ; la bouche se ferme, domptée par une force invincible. Jean-Baptiste est arrivée à l’un de ces moments. Il n’est pas moins grand, croyez-le, qu’au sein de la multitude qui lui obéit habituellement. L’humilité de Jésus-Christ, en appelant la sienne, le conduit à la vraie grandeur.
L’acte proprement dit du baptême n’est pas raconté. A quoi bon ? Ces descriptions toutes matérielles n’ont pas d’importance. Il semble seulement résulter du récit de Matthieu qu’à peine l’acte terminé, Jésus sortit de l’eaun. Les autres néophytes y étaient probablement plus longtemps. Pour Jésus, cela n’était point nécessaire. Il convenait même que cela ne fût point, et que tout de suite une différence séparât des autres. Au surplus, sa prière devait déjà le distinguer d’eux tous. Qui donc avait prié comme lui, en entrant dans les eaux du fleuve, en s’y plongeant, en en ressortant ? Personne. Aussi, c’est à cette prière intense que Dieu va répondre par trois signes presque simultanés, qui donneront au baptême de Jésus un caractère absolument unique. Ces signes seront à la fois pour le Christ et pour le Précurseur. Car, d’après le récit du quatrième Évangile, il n’y a aucun doute que Jean-Baptiste aussi n’ait su et entendu.
n – Matthieu 3.16, « sortit immédiatement. »
C’est d’abord le ciel ouvert. Déchiré, comme dit saint Marc. Pourquoi donc cette déchirure ? Annonce-t-elle celle de ce voile du temple, qui se fendra du haut en bas lorsque Jésus mourra sur la croix ? Elle n’est pas sans analogie avec elle. Elle me semble avoir, cependant, une autre signification. Par cette brusque ouverture faite au travers des cieux, ne voyez-vous pas apparaître quelques-uns des secrets de la vie divine ? N’est-elle pas une preuve qu’une communication peut s’établir entre le ciel et la terre, que le pécheur n’est plus exclus à jamais du séjour de la gloire, et que ce rétablissement d’une union dès longtemps brisée, c’est à Jésus même qu’il est dû ? Ne dit-elle pas, dans ce langage symbolique qui convient si admirablement à la scène, que Jésus, tout en vivant sur notre terre, ne cesse pourtant point d’habiter auprès de Dieu, ainsi que lui-même prendra soin de l’affirmer bientôto ? Il y a donc dans cette déchirure une révélation véritable. – Faut-il y découvrir, avec quelques esprits chercheurs, ou même un peu rêveurs, une sorte de vision accordée aux anges et aux saints de l’ancienne alliance ? Ont-ils été invités à contempler le spectacle extraordinaire du Seigneur préludant à sa carrière par un acte d’abaissement ? Il se peut. Je ne l’affirmerais pas, toutefois.
o – Comparez Jean 3.13, « le Fils de l’homme qui est dans le ciel. »
C’est, en second lieu, le Saint-Esprit descendant du ciel ouvert et, sous une forme visible, venant se poser sur la tête du Sauveur. « Comme une colombe, » dit le texte. Ce serait mettre dans les mots plus qu’ils ne disent en réalité, que d’y trouver la preuve l’apparition réelle et matérielle d’une colombe. Nulle phrase n’affirme que Jean et Jésus aient vu un oiseau. Ils ont vu l’Esprit Saint sous une apparence corporelle, voilà qui est certain. Cette apparition s’est plus ou moins confondue avec celle d’une colombe : voilà qui ne l’est pas moins. Après cela, il se peut que leurs yeux aient été frappés par un rayon lumineux, dont la blancheur éclatante leur aurait rappelé celle d’une colombe, en même temps que sa descente lente et calme les aurait fait penser au vol de cet oiseau. Il n’y a pas pour nous article de foi dans l’affirmation de cette hypothèse. Retenons surtout que l’image apparue symbolise, on ne peut plus heureusement, la pureté et la sagesse que le Saint-Esprit communique.
Nous ne serons pas moins frappés de la différence entre cette apparition visible du Saint-Esprit et celle que nous rencontrons au matin de la première Pentecôte chrétienne. Dans ce dernier cas, des langues de feu séparées les unes des autres et se posant sur la tête de chacun des disciples. Dans le premier, un oiseau, les ailes déployées, qui s’arrête sur un seul personnage. Les deux symboles sont très riches et non moins clairs. A la Pentecôte, les dons divers du Saint-Esprit sont répartis à chacun selon qu’il convient, et en vue de l’utilité communep. Tous ne sont point conférés à tous. Ici au contraire, au baptême de Jésus, l’universalité de ces dons vient se concentrer en une seule personne et demeurer en son âme. Mais aussi cette personne est celle de Jésus-Christ. L’inspiration dont il jouira ne sera point partielle, incomplète. Elle sera parfaite.
p – 1 Corinthiens 12.1.
Après cela, faut-il voir dans cette colombe une allégorie rappelant le passé ? Un souvenir de celle de l’arche ? C’était un bien effroyable déluge, que celui qui couvrait le monde d’iniquités et de larmes à l’heure où Jésus de Nazareth y apparut. Jamais le rameau d’olivier n’y avait été plus nécessaire… Et malgré cela nous dirons : n’abusons pas du symbole.
La troisième et dernière réponse accordée à la prière du Christ, c’est une voix qui se fait entendre du ciel. D’après Marc et Luc, elle s’adresse directement à Celui qui sort du Jourdain, et elle lui dit : Tu es mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. » Suivant Matthieu, elle aurait parlé à Jean-Baptiste et, désignant Jésus, aurait dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » Voir dans cette double version une contradiction, c’est vraiment être hanté par la passion des difficultés. La voix, nous en sommes convaincus, avait pour but d’instruire Jean et de fortifier Jésus. Tous les deux l’ont entendue. Probablement dans les mêmes termes. Mais quand Jean-Baptiste l’a rapportée, il lui a donné tout naturellement la forme de la troisième personne. Parlant du Messie, du Précurseur, elle ne pouvait rester dans le souvenir ce dernier qu’en ces mots : « Celui-ci est mon Fils… »
En tout cas, rien dans le texte n’autorise à faire de cette voix un simple phénomène naturel, un coup de tonnerre par exemple. Ce sont bien des paroles articulées qui ont été prononcées. L’original de ce témoignage rendu à Jésus-Christ, nous le trouvons déjà dans l’Ancien Testament. Par exemple dans une strophe du Psaume deuxième : « L’Éternel m’a dit : Tu es mon fils ! Je t’ai engendré aujourd’huiq. » Ou dans une prophétie d’Ésaïe : « Voici mon serviteur, que je soutiendrai, mon élu en qui mon âme prend plaisirr. » Seulement, la parole antique prend une allure nouvelle. Le serviteur est nommé. Le Fils n’est plus annoncé dans un très lointain avenir. Il est montré aussi clairement que possible. C’est celui sur qui le ciel s’est ouvert ; celui dont les ailes de la colombe couvrent la tête ; celui qui est venu de Nazareth pour recevoir le baptême de Jean.
q – Psaumes 2.7.
r – Ésaïe 42.1.
Un autre témoin que le Baptiste a-t-il vu cette scène, entendu ce témoignage ? C’est peu probable. La même déclaration retentira plus tard sur le mont de la transfiguration : elle ne sera recueillie que par trois disciples privilégiés. En ce moment, à qui d’autre aurait-elle été utile qu’à ces deux jeunes hommes, consacrés dès leur naissance, l’un pour sauver, l’autre pour préparer le salut ? Il importait à l’un comme à l’autre d’entendre le jugement porté par le Père sur le Fils. Le Précurseur avait besoin, pour reprendre avec un redoublement d’énergie et de foi son héroïque ministère. Jésus en avait besoin, à ce premier pas public et décisif qui l’introduit dans la via dolorosa, pour aboutir au calvaire. A la veille de la tentation, il lui fallait savoir qu’il était l’objet de toute l’affection de l’Éternel, comme il avait reçu tous les dons du Saint-Esprit.
Mes amis, c’est aussi toute votre affection et non quelques miettes de vos sympathies que le Sauveur réclame. Il y a droit ; car il s’est livré pour vous. Ne partagez pas avec d’autres.
L’histoire des missions nous présente nombre de cas où le seul obstacle à la conversion d’un païen est précisément ce petit mot tout sur lequel j’insiste en ce moment. Un peu d’affection pour Jésus-Christ ? Oh ! certainement. Beaucoup d’affection même. Car Il est très supérieur à tous nos dieux. Mais tout mon cœur, toute ma vie ? C’est trop. – Ainsi pensait un brahmine, que les enseignements du Christ avaient pieusement touché et qui, passez-moi l’expression, tournait autour de lui, sans parvenir à se décider. Ce qui le retenait, c’était l’acte même auquel nous venons de voir Jésus se soumettre ; c’était le baptême. Il voulait bien abandonner son culte ; fermer ses Schastras, ne plus consulter que l’Évangile. Mais se faire baptiser, c’était perdre la tresse sacrée qui distingue la caste ; c’était presque tomber au rang des parias. – Missionnaire, dit-il un jour, tout triomphant, à son pasteur, cet Abraham dont tu nous a tant parlé n’a jamais été baptisé. Et tu dis qu’il fut le père des croyants. Ne pourrais-je pas faire comme lui ? – Bien, répond le missionnaire. Fais comme lui. Seulement tu en es encore très loin. Il offrit son propre fils en sacrifice ; et toi tu ne veux pas offrir une pauvre tresse de tes cheveux. – Cherchez bien, mes chers amis. N’y aurait-il pas quelque tresse, aussi, je veux dire quelque habitude, quelque fantaisie, quelque chose à la fois de très petit et de très grand, qui vous empêche de donner au Sauveur toute votre affection ?… Cherchez. Le meilleur moyen de trouver, c’est encore de regarder à Christ, toujours à lui, et de lui redire avec le poète chrétien :
Que sur tes yeux, ô divin frère,
Mes yeux, arrêtés chaque jour,
Y boivent la sainte lumière,
La sainte flamme de l’amour !
Ne quittons pas la scène qui vient de nous occuper, sans nous poser encore deux questions : Quelle signification le baptême de Jésus-Christ avait-il pour lui-même ? Laquelle eut-il pour Jean-Baptiste ? Nous tâcherons de répondre sans nous lancer dans des discussions théologiques.
Demander quel sens le baptême avait pour Jésus, c’est, n’est-ce pas ? examiner pourquoi il a voulu s’y soumettre. Là-dessus, il nous fournit la réponse. C’est qu’il jugeait convenable d’accomplir ainsi toute justices Il estimait, donc, qu’il aurait manqué quelque chose à sa justice s’il ne s’était pas fait baptiser. Cela n’efface point la difficulté. Mais cela nous met cependant sur la voie pour la résoudre.
s – Matthieu 3.15.
Tout acte de la vie publique de notre Sauveur doit être envisagé, pensons-nous, à un triple point de vue, savoir : dans ses rapports avec Dieu, avec les hommes, avec lui-même, c’est-à-dire avec son œuvre. Appliquons cette règle dans le cas présent, et ne sortons pas de l’idée de justice qui domine toute la question. Nous verrons peut-être ainsi le problème s’élucider. En ce qui concerne les rapports de Jésus avec Dieu, son baptême s’explique par un mot ; celui de consécration. Il était juste que tout Israélite, résolu de se consacrer à l’Éternel comme un enfant à son père, se soumît au baptême de Jean. Il devait, pour cela, confesser son péché. Mais il y avait à cet acte une autre face : la confession de son amour. Si je n’aime pas Dieu, n’est-il pas vrai ? jamais je n’irai lui faire l’aveu de mes transgressions. Si je le fais, c’est une preuve que je l’aime. Eh bien ! si Jésus n’a point de péché à confesser, il n’en a pas moins à témoigner de son amour pour son Père : Amour allant jusqu’au sacrifice de soi, et par conséquent dépassant, comme le ciel dépasse la terre, celui que le plus pieux des Israélites peut manifester en ce moment. Si le baptême est un sceau de l’amour pour Dieu, Jésus s’y soumettra. Si c’est un moyen de se mettre à part pour le service du Père, de se consacrer par conséquent, il se fera baptiser. Il dira plus tard, dans la prière sacerdotale et en parlant des disciples : « Je me sanctifie moi-même pour euxt. » Son amour lui en faisait un devoir. C’est ainsi qu’il lui convenait d’accomplir toute justice.
t – Jean 17.19.
Un mot aussi explique cet acte dans les rapports du Christ avec les hommes. C’est le mot de solidarité. Jésus a été fait semblable à nous en toutes choses. Il n’a point commis de péchés ; non sans doute. Mais il a porté nos péchésu. Avant la croix, où ce fardeau l’écrasera, il s’en charge déjà, il l’enfonce avec lui dans l’eau du baptême. C’est ainsi qu’il présente au Père et les transgressions et le repentir de ses frères. Sa sainteté dès lors, loin d’élever une barrière entre eux et lui, deviendra un lien de plus, car il voudra la leur communiquer. C’est donc par cet acte qu’il entend préfigurer la mort par où il passera, pour nous gagner la vie éternelle. Il y a, entre la scène du Jourdain et celle de Golgotha, un lien étroit et nécessaire. En pénétrant dans le fleuve comme un simple néophyte, Jésus s’engage à mourir et à sauver. Et comme son incarnation l’a lié à l’humanité tout entière et sa circoncision au peuple hébreu, son baptême, maintenant, le lie à toute la partie saine et vraiment pieuse de son peuple. Ce n’était pas autrement qu’il lui convenait d’accomplir toute justice.
u – Voir le développement de cette pensée dans notre chapitre 8.
La même conclusion s’impose, enfin, si nous envisageons le baptême du Christ en face de son œuvre. Son ministère est dès maintenant inauguré. Mais comment ? Par un acte d’abaissement volontaire. Il est sorti de la retraite ; il a dit adieu à la vie privée. Est-ce pour ceindre la couronne ? Non. Bien qu’il ait été annoncé, trente ans auparavant, comme le roi des Juifs, il ne se montre ici qu’en l’apparence d’un pénitent. Son œuvre d’expiation, commencée dans Nazareth, passe maintenant dans le domaine public. Or la justice établie par Dieu veut que la grandeur ne soit le partage que de celui qui s’abaisse. A Jésus humilié, le Saint-Esprit qui élève va être donné dans une mesure toute nouvelle. La proclamation de sa royauté va retentir, au moment où il semble y avoir renoncé. De même, la victoire dernière qu’il remportera sur le prince de la mort ne lui sera pas accordée, avant qu’il ait été « livré entre les mains des méchants. » S’il est entré dans l’eau baptismale comme Jésus de Nazareth, il en ressort comme le Messie d’Israël. Et c’est ce Messie qui sera le Sauveur de l’humanité !
Mystère, dites-vous ? Oh ! mes amis, je le sais, je le sens comme vous. Plus j’essaie de comprendre ces profondeurs et d’écarter ces voiles, plus je reconnais mon impuissance, et je m’écrie avec le patriarche Job : « Je mettrai maintenant ma main sur ma bouchev. » Nos explications ne sont que des balbutiements. Je crois pourtant que nous les pouvons conclure par ces mots : Il y a eu, dans le baptême de Jésus, un principe de consécration, une intention de solidarité, une leçon sur la vraie grandeur. C’est ainsi qu’il a trouvé convenable d’accomplir toute justice.
v – Job 39.37.
Quant à la signification pour Jean-Baptiste de ce même baptême, nous rencontrons moins de difficultés. Nous trouvons, si je ne me trompe, deux effets de première importance que cet événement dut produire pour lui.
En premier lieu, une confirmation éclatante de tout son ministère. Si le Messie venait réclamer son baptême, certes il lui donnait un témoignage d’approbation aussi complet qu’il pouvait le désirer. Autant que nous le savons par le récit sommaire des Évangiles, c’est la seule occasion où le Sauveur et le Précurseur se soient rencontrés de manière à pouvoir converser ensemble. Eh bien ! cette occasion unique a conféré à Jean un honneur indélébile. Ne dirait-on pas un acte de déférence de Jésus-Christ, à l’égard d’un rite institué par un autre que lui ? Si nous ajoutons cet acte aux paroles que le Seigneur a prononcées plus tard, nous verrons que pas un des enfants des hommes n’a reçu du Fils de Dieu pareille marque d’approbation. Aussi, quelle puissance nouvelle le jeune prédicateur dut gagner à partir de ce moment ! Comme sa parole, déjà si ferme, y puisa plus d’énergie ! Surtout, combien ses enseignements particuliers, ses entretiens avec les néophytes progressèrent en intimité autant qu’en autorité, toutes les fois qu’ils tombèrent sur la personne de Jésus ! Désormais, il ne dira plus : Je ne le connais pas. Il le connaît, au contraire, mieux que personne. Il ne l’attend plus dans l’avenir. Il l’a vu. Il l’a entendu. Il a contemplé les cieux ouverts au-dessus de sa tête. Il a recueilli la déclaration du Père : Celui-ci est mon Fils bien-aimé.
En second lieu, un avertissement. Il semble, au premier abord, faire contraste avec ces encouragements. Il en est, cependant, la conséquence. Le baptême de Jésus-Christ prépare Jean-Baptiste à décroître. Son ministère n’est plus, désormais, le premier ; il faut qu’il s’efface. Le moment est venu pour ce prédicateur, populaire entre tous, de passer au second rang. Pour toute autre nature que pour la sienne, c’eût été une dure épreuve. Pour lui, c’est bien plutôt le couronnement de son œuvre. Il sait qu’il doit diminuer. Il accepte joyeusement cette fin de sa tâche, comme il en avait accepté le début. Dès longtemps il avait pris pour devise : Non pas moi, mais Lui. Ne disait-il pas au peuple, quand l’admiration et l’enthousiasme étaient sur le point d’aveugler ses partisans : Il en vient un après moi ? C’est celui-là qui est grand ; en sa présence je ne suis rien. Disparaître derrière lui, c’est encore un honneur. Et quel est donc, je vous prie, entre tous les prophètes, celui qui n’a été éclipsé que par Jésus-Christ ? Cela ne peut être dit que de Jean-Baptiste ; cela reste son plus beau titre de gloire.