Guillaume Farel ne se contentait pas de prêcher avec hardiesse ; il approfondissait en même temps l'étude de la Parole de Dieu et lisait attentivement l'histoire de l'Église. Il désirait savoir comment les hommes avaient pu s'égarer, et comment, ayant connu l'Évangile, ils en étaient venus à appeler le mal bien, le bien mal, à être aussi ignorants et dépourvus de sens que des païens. Farel lut l'histoire des premiers temps de l'Église et s'en entretint avec ceux des prêtres de Paris qui lui avaient conseillé de lire les écrits des Pères. La conclusion de ses recherches vaut la peine d'être citée : « Quand un ange du ciel écrit-il, vous évangéliserait outre ce que nous avons évangélisé, qu'il soit anathème, » puis il ajoute : « Que cette sentence est digne d'être bien gravée dans tous les cœurs comme venant vraiment de Dieu qui a parlé ainsi par le saint apôtre... Ce bon personnage (Paul) est pressé d'en parler ainsi à cause de la méchanceté des hérétiques qui osent affirmer ce qu'ils ne peuvent prouver par les Saintes-Écritures. Pourtant ils veulent que leurs raisons et leurs opinions aient cours quoique la Sainte-Écriture n'en fasse nulle mention. De là vient la ruine et la perdition des hommes qui ont toujours osé faire plus ou moins que ne le prescrivait la Parole de Dieu et la règle qu'Il a baillée (donnée). »
On voit comment du temps du saint apôtre, les séducteurs ne se contentant point de la vérité et de la grâce que l'apôtre avait prêchées si clairement, contredisent lâchement et méchamment à la vérité et à la grande bénédiction de Dieu. Car bien qu'ils approuvent la prédication de Christ, néanmoins ils veulent ajouter ce que Dieu ne commandait point et n'a jamais commandé à ceux qui ont reçu Jésus-Christ, mais à Israël. Il est vrai que les séducteurs avaient pour eux l'ombre d une raison, parce que Dieu a parlé à Moïse et ce que Moïse a ordonné, l'a été par le commandement de Dieu. Mais le saint apôtre (et Dieu parlant par sa bouche) n'admet et ne reçoit aucunement les raisons de ces séducteurs et ne veut permettre que Moïse qui n'a point eu charge des Gentils, soit mis au rang de Jésus-Christ, ni qu'il faille ajouter Moïse à Jésus-Christ pour donner le salut et la vie. Et même le saint apôtre admet si peu que les sacrifices et autres observances mosaïques soient nécessaires pour parvenir au salut, qu'au contraire il maudit, déteste et anathématise non seulement les misérables qui mettent en déroute l'Église de Jérusalem, mais encore il commande que si un ange du ciel venait prêcher autre chose que ce que Paul avait prêché, qu'il soit tenu en exécration.
Car il ne faut rien ajouter ni diminuer, mais purement et simplement, tenir et garder cette sainte et parfaite doctrine. L'apôtre certifie dans l'épître aux Corinthiens que ce qu'il enseignait s'appuyait sur les Saintes-Écritures, et ailleurs : que toute Écriture est divinement inspirée et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger et instruire dans la justice, afin que l'homme de Dieu soit accompli et parfait pour toute bonne œuvre. Si tous pouvaient recevoir cette vérité parfaite et donner à Jésus-Christ l'honneur qui lui appartient, et si les Pères avaient observé cette règle en tout et partout, il ne serait pas nécessaire d'écrire contre les doctrines perverses, ni si difficile d'arracher du cœur des hommes ce qui y est si profondément enraciné. Au contraire, chacun aurait en horreur tout ce qui n'est pas sur le vrai fondement et tout ce qui n'est pas contenu dans les Saintes-Écritures. Et au lieu d'écrire sur le signe de la croix, le bois de la vraie croix et autres choses semblables qu'on ne peut justifier ni prouver par l'Écriture sainte, les Pères s'y fussent opposés et eussent résisté à de telles doctrines. Mais faute d'avoir maintenu cette règle infaillible, aussitôt qu'un des Pères ayant quelque réputation de savoir et de piété, s'écartait un peu du droit chemin, ceux qui le suivaient s'en écartaient encore davantage, et c'est ainsi que beaucoup de choses mauvaises et méchantes ont été introduites...
« Il faut donc que pasteurs et conducteurs de fidèles suivent la Parole de Dieu seule, et qu'ils nourrissent le troupeau de cette Parole seulement, sans cela ils ne seront que des aveugles conduisant d'autres aveugles et tous tomberont dans la fosse. Et puisque les choses en sont venues au point que tout n'est que poison excepté le pain céleste qui est la Parole de Dieu, quiconque se nourrit d'un autre pain est empoisonné et va à la mort. Guillaume fait aussi remarquer que le pouvoir de la Parole de Dieu, lorsqu'elle est prêchée en simplicité et sans falsification, est tel que la conscience des adversaires devient un témoin de cette puissance. Ils s'opposent à la Bible justement parce qu'ils en sentent la force Tout l'édifice du papisme s'écroule dès que nous admettons la Parole de Dieu comme unique règle de conduite. Car alors comment justifierons-nous la messe, la consécration des autels et des églises, le signe de la croix, etc. ? Dieu n'a commandé aucune de ces choses, et s' il devient loisible à un homme, quel qu'il soit, de dire et d ordonner ce qu'il lui plaira, où s'arrêtera-t-il, et que n'osera-t-il pas mettre en avant comme venant de Dieu, s'il n'y a pas de règle d'après laquelle reconnaître ce qui est divin et ce qui ne l'est pas) Que Dieu, par sa grâce, ouvre les yeux du pauvre monde afin qu'on ne cherche plus à mettre en avant quoi que ce soit hors de l'Ancien et du Nouveau Testament. Puisse-t-il nous suffire de savoir ce que l'Écriture contient et de garder la mesure qui nous y est donnée. Car autrement tout serait incertain et changerait de jour en jour, si nous admettions une autre règle que la seule Parole de Dieu qui est contenue dans la Sainte Écriture »
Farel cite ce qui est rapporté dans le XVe chapitre des Actes des Apôtres : « C'était pourtant un saint concile que celui qui se réunit à Jérusalem. Il n'était pas composé de papes antichrétiens, de cardinaux, princes de Sodome, ni d'évêques de Gomorrhe ou d'abbés de Balaam. Ceux-là ne servent de rien si ce n'est d'avertissements à chacun pour ne pas imiter leur vie abominable. Mais, au contraire, ceux qui assistaient au concile de Jérusalem étaient les plus excellents en dons et en grâce de Dieu qui aient jamais existé... néanmoins, tout ce qui a été conclu en ce concile n'a d'autorité qu'autant que le commandement de Dieu et la Sainte Écriture le permettent. »
Mais voyons ce que les Pères ont écrit, et si l'on peut dire sans offense à Dieu que tout ce qu'ils enseignaient fût selon la Sainte Écriture. Quand Ambroise nous dit que l'impératrice Hélène voulut visiter les lieux saints, je voudrais d'abord qu'il nous prouvât par les Saintes Écritures qu'il y ait des lieux plus saints les uns que les autres, car Jésus-Christ nous a ôté toute différence de lieux lors qu'Il a dit qu'on n'adorerait plus le Père ni en cette montagne, ni à Jérusalem, mais que les vrais adorateurs l'adoreront en esprit et en vérité.
« Ambroise nous dit ensuite que l'Esprit inspira à Hélène le désir de chercher le bois de la vraie croix ; encore moins pourra-t-il prouver cela par l'Écriture, à moins qu'il n'ait voulu parler d'un mauvais esprit. Car le Saint Esprit n'a jamais inspiré personne à croire ou à faire autre chose que ce que contiennent les Écritures, ce serait contre la nature du Saint Esprit qui est de détourner nos yeux des choses visibles et terrestres pour les attacher aux choses célestes et invisibles, que de pousser quelqu'un à chercher le bois de la croix. Le précieux corps de notre Seigneur qui surpasse en prix tout ce qui est au ciel et sur la terre nous a été ôté, et pourquoi cela ? N'est-ce pas afin que nous le cherchions là où il est, à la droite du Père ? C'est ainsi que le Saint Esprit nous dirige quand c'est lui qui nous enseigne. Par les yeux de la foi, nous voyons comment Jésus-Christ a englouti la mort par sa mort si amère... selon le commandement du Père... puis comment Il a triomphé, ressuscitant en immortalité, comment il est monté triomphalement dans les cieux et s'est assis à la droite du Père, puis il a donné de grands dons de victoire, les grâces excellentes du Saint Esprit ; enrichissant son Église qui est son corps par le saint ministère et autres dons merveilleux, afin que l'Église entende et sache les biens qu'elle a en Christ. »