Quelqu’un de la troupe lui dit : Maître, dis a mon frère qu’il partage avec moi l’héritage. Mais il lui répondit : ô homme ! qui est-ce qui m’a établi sur vous pour être votre juge, et pour faire vos partages ? Puis il leur dit : voyez et gardez-vous avec soin de l’avarice ; car encore que les biens abondent a quelqu’un, il n’a pas la vie par ses biens.
Et il leur dit cette parabole : Les champs d’un homme riche avaient rapporté en abondance ; et il pensait en lui-même, disant : Que ferai-je, car je n’ai point de place où je puisse assembler mes récoltes ? Puis il dit : Voici ce que je ferai ; j’abattrai mes greniers, et j’en bâtirai de plus grands, et j’y assemblerai tous mes revenus et tous mes biens. Puis je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens assemblés pour longtemps ; repose-toi, mange, bois, et fais grande chère. Mais Dieu lui dit : Insensé ! en cette même nuit ton âme te sera redemandée. Et tes biens, pour qui sont-ils ?
C’est ainsi qu’il arrivera à tout homme qui amasse des biens pour soi, et qui n’est pas riche en Dieu.
Toute morale qui entreprend de répondre aux questions et de résoudre les cas, s’y absorbe et s’y perd infailliblement, comme un fleuve dans les sables. — Ce qui fait, entre autres, l’excellence de l’enseignement de Jésus-Christ, c’est l’attention qu’il a d’éviter cet écueil, en s’élevant toujours et en se maintenant à la hauteur des principes. Il n’a garde de céder jamais à la tentation si délicate de se faire ce qu’on appelle directeur de conscience. Il ne prend point les âmes par la main pour les conduire lui-même dans ces détours infinis de détails et de complications, dont se compose le labyrinthe de la vie humaine. Son art consiste bien plutôt à diriger incessamment nos regards en haut vers le ciel pur et serein de la sainteté parfaite, où tout est toujours simple, lumineux, incontestable. C’est par là qu’il tient toutes les consciences en haleine et ne permet à personne de s’arrêter en route, pas mieux au chrétien blanchi qui touche à la couronne de gloire, qu’à l’enfant qui fait son premier pas dans la voie du salut. — Maître, peut-on faire ceci, peut-on faire cela ? Ne doit-on pas ménager l’opinion dans tel cas ? Ne puis-je pas me prévaloir de tel avantage ? Faut-il que je pardonne même à celui-ci ? Devrai-je renoncer même à cela ? Quelle règle doit-on suivre dans tel cas ? N’y a-t-il pas des occasions dans lesquelles ? Mais si…, mais alors !… — Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même et qu’il me suive. Tu aimeras ton prochain comme toi-même ! Soyez parfaits comme votre Père qui est dans les cieux est parfait.
Voici dans mon texte un homme, un disciple probablement, qui s’approche de Jésus et lui dit : Maître, dis à mon frère qu’il partage avec moi notre héritage ; et dans la réponse que le Seigneur va lui faire, se trouvent engagées, vous l’aurez remarqué, quelques-unes des questions les plus délicates de la pratique chrétienne. — Jusqu’à quel point est-il permis au chrétien de tenir aux biens de ce monde ? Jusqu’à quel point est-ce une préoccupation légitime pour lui, que celle de s’enrichir ? Jusqu’à quel point lui est-il permis de considérer ses richesses comme à soi, de combattre pour la revendication de ses droits et l’intégrité de sa jouissance ? — Qu’il nous serait commode, n’est-ce pas, de rencontrer une parole du Seigneur qui nous mît l’âme en paix sur ces différents points, une parole qui nous permît de rentrer dans nos maisons en nous disant : Bon ! Le Seigneur a approuvé la réclamation de celui qu’on voulait frustrer de son héritage, il a trouvé juste qu’on le mît en possession de son bien, il s’est même interposé pour lui en assurer la restitution : — donc le Seigneur approuve qu’on s’occupe de ces choses, qu’on fasse valoir ses titres, qu’on défende, qu’on augmente ce qui vous appartient : — donc rien de plus légitime, de plus chrétien, que mes accroissements de fortune, et que mes soucis d’argent. Je puis mettre la main sur mes richesses. Elles sont à moi : à moi d’en disposer, et malheur à qui se trouvera sur mon chemin ! — Qu’il serait commode n’est-ce pas de faire sortir à la suite les unes des autres, tout un cortège de déductions semblables d’une parole du Seigneur,… si le Seigneur l’avait prononcée !
Et que de contestations, d’autre part, que de justes et légitimes contestations, s’il s’était avisé de donner raison au plus fort contre le plus faible, au spoliateur contre la victime ! Quoi donc ! se ferait-il par hasard le complaisant de la fraude heureuse et de l’injustice couronnée de succès ?– Il y a plus, supposez une décision quelconque du Seigneur dans ce cas particulier, une décision pour ou contre celui que vous voudrez des deux contestants, et suivez-en les conséquences, vous n’en sortirez pas, car tout se tient dans la pratique, et sous la question posée, j’entrevois de loin, mais en ligne droite, la question sociale tout entière. Maître, dis à mon frère qu’il partage avec moi notre héritage : Ces deux frères, c’est le riche et le pauvre, ce sont les privilégiés et les déshérités de la terre, c’est ce qu’on nomme les classes de la société enfin, et voilà Jésus prenant parti, son Evangile tombant dans la politique. — Je m’y perds !… Revenons.
Que fait le Seigneur ? — Il argue d’incompétence, et refuse de se prononcer. O hommes, dit-il, qui est-ce qui m’a établi pour être votre juge et pour faire vos partages ? — Mais en même temps, profitant de l’occasion pour les éclairer l’un et l’autre, et avec eux le monde entier sur la valeur et l’usage des richesses, il établit un principe et en tire la conséquence. Le principe, le voici : C’est que les richesses ne sauraient donner la vie de l’âme à ceux qui les possèdent. La conséquence, c’est que si un homme tient à la vie de son âme, il doit se garder de l’amour des richesses. Gardez-vous avec soin de l’avarice, car, quoique les biens abondent à un homme, il n’a pas la vie par ses biens.
Développons ces deux idées, et puissent-elles nous amener tous à de sérieuses réflexions sur un sujet aussi grave et aussi important.
Quoique les biens abondent à un homme, il n’a pas la vie par ses biens. — Depuis la fable du roi Midas, voilà, je pense un des lieux communs de morale les plus rebattus. La vanité des richesses, leur impuissance à guérir les maux et à procurer le bonheur, que de gens en ont parlé, que de gens en parlent tous les jours ! Mais les choses qu’on répète le plus, sont en général celles qu’on écoute le moins. Et que de gens déclamant sur la vanité des richesses, qui sont les premiers, dans le fond de leur cœur, à les désirer, à les rechercher, à y mettre follement leur confiance ! — Irez-vous leur faire de beaux discours… Ils en feraient de plus beaux que vous. Le vrai moyen de les toucher, s’il en est un, le seul, serait peut-être de les prendre pour exemple et de les mettre en scène, en leur montrant leur propre image comme dans un miroir. — Voilà ce que fait Jésus-Christ dans mon texte. Pour mettre en lumière l’évidence elle-même aux yeux de ceux qui la connaissent sans cesser pour cela de se faire illusion, il a recours à une parabole dans laquelle il leur raconte simplement leur propre histoire, mais sous les traits tour à tour de la plus fine, de la plus profonde, et de la plus tragique ironie. Ecoutons ce récit !
1.Les terres d’un homme riche avaient rapporté en abondance. — C’est à dessein qu’il choisit cet exemple, l’un des moins discutables et des plus satisfaisants pour l’esprit. Ce n’est pas aux richesses qu’il en veut, mais à l’homme riche. Il n’y a rien à dire sur le compte de ses biens ; ils n’ont point été acquis par des moyens suspects : c’est l’héritage de ses pères, son patrimoine. Ils n’ont point été augmentés non plus par la fraude ou par la violence : ce sont des terres qu’il a labourées, ensemencées, travaillées, sur lesquelles sont tombés en leur temps et les pluies du ciel et les chauds rayons du soleil, et qui par la bénédiction de Dieu, ont rendu au double de ce qu’on attendait. — Les champs d’un homme riche avaient rapporté en abondance… Tableau de paix, de prospérité, de bonheur ! Voilà un homme heureux, dont le cœur sourit, dont l’âme est rassasiée à souhait. Ses regards se promènent avec complaisance sur ce présent débordant de superflu, gage d’un avenir tranquille, bien à l’abri des soucis et des inquiétudes. Que cet homme fait envie, n’est-ce pas ?
Remarquez le premier trait du Sauveur, à propos de ce contentement. — Or, il se disait en lui-même : Que ferai-je car je n’ai pas assez de place pour serrer toute ma récolte. C’est-à-dire que sa prospérité commence à lui devenir un souci, souci bienvenu, sans doute, comme tout souci qui vous rappelle ce qu’on aime. Mais enfin, il croit posséder ses richesses et ce sont ses richesses qui le possèdent ; il croit en disposer, ce sont elles qui disposent de lui, de ses pensées, de son temps, de son sommeil, elles qui l’agitent, le travaillent, le rendent mécontent de ses greniers, lui en font désirer d’autres dont il faudra tracer les plans, et dont la construction lui donnera mille ennuis. - Il y a un mal fâcheux que j’ai vu sous le soleil, dit Salomon, c’est que les richesses sont, prodiguées à un homme pour qu’il en ait du mal, Le rassasiement du riche ne le laisse point dormir.
Que ferai-je maintenant ? — Avez-vous remarqué qu’il y a deux hommes sur la terre dont l’âme est également travaillée par cette question : le pauvre et le riche ? Le pauvre par besoin, le riche par embarras. — Que ferai-je maintenant pour donner du pain à ma femme et à mes enfants ? Que ferai-je maintenant pour utiliser cette partie de mon capital qui demeure sans emploi, pour mettre à couvert cette nouvelle somme qui m’arrive et sur laquelle je ne comptais pas ? — Que ferai-je quand j’aurai tenté cette dernière ressource, mangé ce dernier repas ? Que ferai-je quand j’aurai épuisé ce dernier intérêt ou que je serai blasé sur ce nouveau plaisir ? Que ferai-je de mon argent ? Que ferai-je de mon temps ? Que ferai-je de mes facultés ? Que ferai-je de ma personne ? Que ferai-je de mon âme ? — Et ainsi les richesses aimées pour elles-mêmes, ont pour l’âme de leur possesseur un effet analogue à celui de l’indigence : elles lui font entrevoir le vide au fond de l’existence, elles la troublent en invoquant continuellement devant elle le fantôme menaçant de l’épuisement et du néant. — Avez-vous vu de près l’inquiétude et l’angoisse chez le pauvre ?… Lugubre spectacle assurément ! Avez-vous vu de près dans le riche la dévastation causée par les grands et les petits soucis de la vie, la fatigue, l’ennui, l’asphyxie morale produite par la satiété ?… Lugubre spectacle aussi ! Avez-vous entendu le que ferai-je, de l’un et de l’autre ? — Dites-nous chez lequel vous avez trouvé le plus de mécompte, de désenchantement, d’absence réelle de la vraie vie et du vrai bonheur ? — La question envisagée d’un peu haut est au moins douteuse, et vous conviendrez que le seul fait qu’on puisse la poser, justifie singulièrement la parole du Seigneur, que lors même que les biens abondent à quelqu’un, il n’a pas la vie par ses biens.
2. Le second trait, plus marqué, de l’ironie du Sauveur, porte sur la manière dont le riche en vient à parler du bonheur et à traiter son âme. — L’embarras des richesses, c’est un mal dont le riche seul connaît bien la réalité, encore ne s’en rend-il pas toujours exactement compte, par la faculté que nous avons d’échapper au présent en fuyant dans l’avenir ; si nos richesses nous causent quelques soucis aujourd’hui, nous nous figurons un temps où elles ne seront plus pour nous que la source d’une infinité de jouissances variées.
Ainsi le riche de la parabole a vite pris son parti. Après avoir dit : Que ferai-je car je n’ai pas assez de place pour serrer toute ma récolte, — voici, ajoute-t-il aussitôt, ce que je ferai. J’abattrai mes greniers, et j’en bâtirai de plus grands, et j’y amasserai ma récolte et tous mes biens, puis je dirai à mon âme… (écoutez donc ce qu’il va dire à son âme !) Mon âme tu as des biens en réserve pour plusieurs années, repose-toi, mange, bois et te réjouis. — Son âme ; entendez-vous ? son âme faite à l’image de Dieu, son âme immortelle ; cette âme née pour le ciel et douée pour les plus nobles et les plus purs ravissements, cette âme dont la vie tout entière est dans les mouvements de la pensée ou des affections ; cette âme qui a soif de s’élever vers les régions de la lumière et de l’amour d’où elle est descendue ; cette âme par laquelle il appartient au monde des esprits et qui pourrait lui faire goûter dès ici-bas, quelque chose de la félicité des anges ; cette âme faite pour connaître et pour aimer Dieu, pour savourer les rassasiements intarissables qui se goûtent à sa droite pour jamais ; cette âme dont le langage méconnu, étouffé, mais inextinguible, est toujours : pour moi, m’approcher de Dieu, c’est mon bien ! — son âme, cet hôte divin qui est en lui, entendez-vous comme il la traite : — Mon âme, mange ! — mon âme, bois ! — mon âme, dors et repose-toi ! Voilà le sort que je t’ai préparé. Félicite-toi d’être l’âme d’un homme riche, qui a des biens en abondance pour plusieurs années !
Découvrez-vous l’aiguillon caché sous ce langage, mes frères, ou faudra-t-il vous le rendre plus sensible en le traduisant à votre usage ? — Mon âme, mange et te réjouis ! — Disons au lieu de cela : — Viens mon âme ! Je te ferai habiter dans une demeure élégante, et savourer toutes les douceurs que prodigue la fortune à ses élus, je te couvrirai de vêtements précieux, je te ferai asseoir chaque jour devant une table délicate, tu ne marcheras plus que sur des tapis mœlleux et ne reposeras que dans des meubles somptueux. Ne te fatigue plus désormais, mon âme, gardes-toi de chercher à t’élever, impose silence à tes pensées, étouffe tes vaines aspirations, ferme tes ailes et tourne tes regards en bas ! Vois ces lumières, ces danses, ces festins, écoute ce bruit de mondains qui s’amusent : voilà le ciel que je t’ai préparé ! — Réjouis-toi mon âme, tu as des biens en abondance pour longtemps !
N’est-ce pas là le langage intime que se tient à lui-même plus d’un riche de ce siècle ? N’est-ce pas un des grands écueils de la richesse, que d’entraîner insensiblement sur la pente des jouissances matérielles et de faire consister le bonheur dans ce qu’on a appelé de nos jours le bien-être ? — Ah ! prenons-y garde, ce ne sont point seulement les mondains incrédules et frivoles qui la suivent, cette pente : l’Eglise elle-même y est entraînée, et c’est parmi ceux qui parlent le plus de leur âme, souvent, qu’il faut chercher ceux qui la rabaissent le plus par les soins dont ils l’occupent, les divertissements dont ils l’enivrent et les délicatesses au sein desquelles ils l’endorment. On répète : Seigneur, Seigneur ! on forme des entreprises chrétiennes, des sociétés chrétiennes, un monde chrétien, toujours plus monde et toujours moins chrétien, dans lequel on se doute à peine de la place chaque jour un peu plus grande qu’on laisse prendre, à côté des formes chrétiennes et du langage chrétien, au luxe chrétien, à l’ostentation chrétienne, à la dissipation chrétienne, à la bonne chère chrétienne, au matérialisme chrétien. On veut sans doute pour son âme une nourriture spirituelle sainement assaisonnée, mais par derrière on lui répète : Mon âme, mange ! mon âme, bois ! mon âme, dors ou te réjouis ! Chaque dimanche on entend bien se désaltérer aux sources de la vie, quitte peut-être le reste du temps à justifier la parole du sage : L’aise des sots les tue ! — Et si tel est le danger pour des chrétiens sincères, mais imprudents, quel ne sera-t-il pas pour le riche mondain comme celui de la parabole, et faut-il s’étonner qu’il mette dans ses biens sa confiance, qu’il dise à son or, tu es mon espérance et à l’or fin, tu es mon assurance ?
3. C’est ici que Jésus l’arrête par un dernier trait qui n’est qu’une foudroyante apostrophe : — Insensé ! Penses-tu donc avoir fait un pacte avec la mort, pour dire à ton âme : Réjouis-toi car tu as des biens en abondance pour plusieurs années ? Cette nuit même, ton âme te sera redemandée. — Cette nuit même, avant que tu aies commencé à élever tes greniers, avant que tu aies goûté une seule de ces jouissances que tu te promets, pendant que tu y rêveras peut-être, et t’en formeras les plus séduisants tableaux, tout à coup, tu les verras passer loin de toi comme une ombre, pour faire place aux scènes terribles et immuables du jugement et de l’éternité. Le sépulcre s’est élargi, il a ouvert sa gueule sans mesure, ta magnificence y est descendue ! — Cette nuit même ton âme te sera redemandée. Ton âme, oui ton âme, car ton âme n’était pas faite pour demeurer ensevelie dans le cercueil doré que tu lui avais préparé ; ton âme, car ton âme a un compte à rendre ; elle n’est pas à toi, ton âme, elle est à Dieu qui te l’avait prêtée et qui te la redemande aujourd’hui.
Et tes biens, ajoute le Sauveur, pour qui sont-ils ? à qui passeront-ils ? A des héritiers qui n’attendent que ton dernier soupir, pour se rire de tes plans et de ta folle confiance, qui ne croiront pas même devoir l’aumône d’un regret à la mémoire d’un égoïste qui n’avait amassé des biens que pour lui… Insensé !
Allez après cela amasser des richesses, donnez-leur votre cœur, formez de longs projets pour en jouir. Allez, vous qui dites : Nous irons aujourd’hui ou demain en une telle ville, nous y demeurerons une année, nous y négocierons, et nous y ferons du gain ; au lieu que vous devriez dire : S’il plaît au Seigneur et si nous sommes en vie, nous ferons telle ou telle chose ; car qu’est-ce que notre vie ? une vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui se dissipe bientôt. — Allez donc et mettez vos soucis, vos travaux, vos gains, vos profits, vos jouissances même et tout le fruit de votre argent, en regard de la pâle figure de la mort. Allez, je vous souhaite la vie la plus longue, une vie qui se prolonge bien au-delà du terme ordinaire de nos jours, aussi loin que vous pouvez aujourd’hui le désirer. Je vous souhaite durant ce temps une prospérité qui ne fasse que croître et augmenter, une fortune qui vous donne autant de joie, de paix, de rassasiement que je la crois peu propre à vous en procurer, que vous servira-t-il d’avoir gagné tout cela, que vous servirait-il d’avoir gagné le monde entier, le jour où il vous faudra dire adieu au monde entier, n’emportant que votre âme devant le tribunal de Dieu, pour y recevoir le salaire des amis de l’argent ?
O folie ! Qui ne sent mille fois l’évidence de ces choses ? et pourtant qui n’a dans l’esprit mille exemples saisissants peut-être du même aveuglement ? — Un tel est mort ! — Oui ! il venait de réaliser de beaux bénéfices ; il comptait se retirer des affaires, passer la fin de ses jours dans la retraite et dans l’abondance. Cette nuit même son âme lui a été redemandée. Voyez et gardez-vous avec soin de l’avarice, car quoique les biens abondent à un homme, il n’a pas la vie par ses biens !
Gardez-vous avec soin de l’avarice. — Ce qui précède vous a suffisamment éclairé sur ce qu’il fallait entendre par l’avarice. Le Seigneur la définit au reste quand annonçant le sort du riche de la parabole, il ajoute : C’est ainsi qu’il en arrivera à tout homme, qui amasse des biens pour soi, et qui n’est pas riche en Dieu. Qu’elle prenne la forme d’avidité et qu’elle tourmente celui qu’elle anime, comme un ver rongeur qui ne dit jamais : c’est assez, ou celle d’une prodigalité égoïste qui a toujours besoin de nouveaux subsides pour fournir à de nouvelles profusions ; qu’elle se montre sous les dehors extravagants du jeune homme qui accapare pour dissiper, sous les dehors ambitieux de l’homme fait qui concentre toutes ses facultés sur le point fixe d’une fortune à élever, ou sous les dehors sordides du vieillard qui entasse pour entasser et se pleure la vie… pour mettre en tentation ses héritiers ! qu’elle se manifeste surtout par la passion d’acquérir, par la passion de conserver ou par celle de dépenser ; — sous toutes ces formes et toutes les autres que vous pourriez imaginer encore, — l’avarice, au sens de mon texte : c’est l’amour égoïste des biens de ce monde.
Ainsi définie, il faut, convenir que l’avarice doit être le péché le plus commun dans une société constituée comme la nôtre, car la possession des biens de ce monde étant le moyen d’y satisfaire les convoitises de notre égoïsme, si l’égoïsme est la forme dominante du péché dans nos cœurs, il est naturel que l’amour des biens de ce monde soit à son tour la forme dominante de l’égoïsme dans nos vies : première raison qui doit nous faire sentir la nécessité d’un examen très sérieux sur ce point. Il en est une seconde : c’est que si l’amour de l’argent est probablement le péché le plus commun, c’est probablement aussi celui sur lequel nous nous faisons le plus facilement illusion.
Nous nous faisons illusion sur notre amour de l’argent, parce que la société tout entière est adonnée à l’amour de l’argent aujourd’hui. Qui ne le répète, qui ne le déplore, et qui ne trempe dans le vice commun, tout en le déplorant ? L’exemple d’un grand peuple voisin du nôtre, qui a relevé les autels du veau d’or et qui est peut-être en train d’embraser de nouveau la colère de l’Eternel par le bruit de ses danses et de ses festins, cet exemple n’a que trop exercé sa fascination sur nous. Et comment en serait-il autrement ? Les financiers occupent dans l’estime publique la place réservée jadis aux grands caractères, un homme vaut ce qu’il possède, une entreprise ce qu’elle promet, la politique, le commerce, l’industrie, les arts, la littérature, tout sue l’argent. On le respire dans les idées, dans les mœurs, dans le langage, dans l’atmosphère où l’on est plongé. On en a naturellement la tête pleine et le jugement imprégné.
Nous nous faisons illusion sur notre amour de l’argent, parce que c’est ici un péché que non seulement le monde tolère, mais qu’il approuve et qu’il encourage sous ses formes ordinaires. Oh ! sans doute, il n’est pas de vice qui lui soit plus odieux que l’avarice au sens odieux du mot. Mais l’avarice, mise au pilori chez quelques maniaques sordides, sous quels noms avantageux, — noms de vertus vraiment ! — ne reparaît-elle pas chez les autres ? — amour de l’ordre, prudente économie, louable largeur, culte du beau, goût du grand.
Nous nous faisons illusion sur notre amour de l’argent, parce qu’il s’agit ici d’un péché condamnable — nullement dans son objet, mais uniquement dans la convoitise égoïste qui nous attache à cet objet. Tout est mauvais dans le mensonge, tout est mal dans la haine, dans l’impureté. On ne peut ici donner le change à sa conscience ; au lieu que l’argent étant une chose nécessaire dans la vie, bonne en elle-même, excellente souvent par son emploi, aussi féconde en bien qu’en mal ; il y a telle manière de le désirer qui n’a rien que de très légitime, telle manière de l’amasser qui ne suppose au fond que les plus naturels, les plus purs, les plus nobles mouvements de l’âme. Mais que nous sommes habiles à glisser le mauvais amour de l’argent, celui qu’il faudrait combattre à outrance, sous le manteau de celui qu’il faut nécessairement absoudre !
Nous nous faisons illusion sur notre amour de l’argent, parce qu’il n’y a pas de péché plus habile que celui-là à se couvrir de prétextes spécieux : Ne faut-il pas soutenir son rang, marcher avec ses pairs ? Ne faut-il pas songer aux difficultés éventuelles de l’avenir ? assurer le sort de ses enfants… encore si ce n’était que les enfants, mais après les enfants, il y aura les petits-enfants,… qui sait ? peut-être aussi les arrière petits-enfants ?
Nous nous faisons illusion sur notre amour de l’argent, parce que ce péché est le seul peut-être, qui puisse s’allier sans scandale et sans scrupule avec une profession publique et à tout autre égard fidèle de christianisme. En voilà plus qu’il n’en faut, je pense, pour attirer votre attention sur ce point, et vous engager au plus sérieux examen, selon la recommandation du Seigneur : Gardez-vous avec soin de l’avarice !
Mais comment vais-je m’y prendre pour vous guider dans cet examen ? –Vous dirai-je dans quel cas l’amour de l’argent peut être autorisé, dans quel cas il doit être défendu ; dans quelle mesure il est permis de désirer les biens de ce monde, à quelle limite il est nécessaire de s’arrêter ; comment les règles générales qu’on peut donner ici, se modifient là suivant les circonstances particulières de famille ou de position sociale de tel ou tel ?… Dieu m’en préserve ! Qui m’a établi, vous dirai-je à mon tour, pour être votre juge ou pour faire vos partages ? — Béni soit mon maître qui, en refusant si nettement le premier de prendre un pareil rôle, a si clairement tracé la route à ses serviteurs ! — Fidèle à son esprit, je vous rappellerai d’après lui ce qu’un chrétien doit tendre à devenir, vous laissant à chacun le soin de vous examiner, de vous juger et de vous réformer s’il y a lieu d’après ce modèle.
Vous aurez remarqué que Jésus oppose dans notre texte l’homme qui amasse des biens pour soi, à celui qui est riche en Dieu. Voilà les deux extrêmes. Nous avons parlé du premier. Nous allons voir le second. — Vous verrez ensuite vous-même vers lequel vous inclinez et quelle est votre place entre les deux.
1. Un homme qui est riche en Dieu, c’est un homme qui est riche dans les choses de Dieu, avant tout, car il y a là aussi des richesses : celles dont Jésus parle quand il dit : Amassez-vous des trésors que n’attaquent ni les vers ni la rouille et que les larrons ne percent ni ne dérobent, trésors de connaissance, trésors d’expérience, trésors de capacité spirituelle. J’ai connu là aussi des pauvres et des riches, des misérables mourant de faim et des privilégiés nageant dans l’abondance. J’ai vu des infortunés réduits à ce point où l’on ne se doute pas même de ce qui vous manque, où l’on ne sent plus rien, où l’on ne désire plus rien, où l’on est véritablement comme mort en vivant ; j’en ai vu d’autres, pour qui tout avait pâli et comme disparu déjà dans leur estime, au prix de cette paix qui vaut mieux que la vie, de cette espérance qui ne confond point, de cette excellence de la connaissance de notre Seigneur Jésus-Christ, tant ils avaient appris à trouver là des richesses au-dessus de toutes les autres. — Est-ce là votre cas ? Chercher le royaume de Dieu et sa justice, est-ce pour vous la seule chose nécessaire, après laquelle vous vous en remettez de ce qui peut vous être donné par-dessus ? — Vous occupez-vous avec plus de soins réels, avec plus d’angoisse, avec plus de crainte et de tremblement, avec plus de suite et de persévérance, de vos intérêts spirituels que de vos intérêts pécuniaires, de la nourriture qui subsiste en vie éternelle que de la nourriture qui périt ? — De deux voies qui seraient ouvertes devant vous, l’une périlleuse, semée d’écueils pour votre âme, mais brillante, semée d’or, conduisant sûrement et rapidement à la fortune ; l’autre modeste, pouvant vous laisser votre vie entière dans la médiocrité, mais abondante en avantages religieux ; de ces deux voies, laquelle prendriez-vous sans hésiter ? — De deux maîtres, Dieu et Mammon, que vous servez peut-être en même temps, il en est un envers lequel vous vous accusez souvent et avec raison, je pense, de froideur, d’indifférence, de relâchement ; il en est un que vous négligez quelquefois des semaines entières : Lequel est-ce des deux ?… Mammon ? — Voyez, examinez. Inclinez-vous à l’amour de l’argent ? Etes-vous l’homme qui amasse des biens pour soi, ou l’homme qui est riche en Dieu ?
2. Etre riche en Dieu, c’est être riche selon Dieu, ensuite, c’est-à-dire jouir des biens que Dieu nous prête, dans un esprit de reconnaissance, de dépendance, de renoncement. — Vous vient-il souvent à la pensée que tout ce que vous possédez, tout ce que vous gagnez, est un don libre et gratuit de la bonté de Dieu ? — L’action de grâces pour cette condition dans laquelle vous vivez à l’abri des inquiétudes et des soucis de la misère, occupe-t-elle une grande place dans vos sentiments et dans vos prières ? — ou bien si tout cela va pour vous sans dire et comme s’il n’en pouvait être autrement ? ou bien si vous n’élevez pas vos pensées plus haut d’habitude que vos parents qui vous ont légué cette aisance, ou votre habileté qui l’a doublée ? ou bien si vous y trouveriez une occasion de sotte vanité, d’orgueilleuse satisfaction de vous-même, comme si une considération particulière devait naturellement s’attacher au mérite de vos terres ou de vos écus ? — Un des traits auxquels se reconnaissent le plus sûrement les enfants du siècle, c’est l’esprit d’inquiétude, la prudence consommée, avec laquelle on les voit travailler à faire provision pour l’avenir, comme si aucun Père céleste ne prenait soin d’eux. Jésus-Christ nous déclare même que si les enfants de lumière apportaient cette même prudence dans le soin de leurs intérêts spirituels, tout serait bien mieux ordonné. Votre prudence est-elle celle qu’il recommande, ou celle qu’il condamne comme convenant plutôt à des païens qu’à des croyants ? — Un des traits auxquels se reconnaissent le plus sûrement les disciples de Jésus-Christ, au contraire, c’est leur esprit de détachement, leur disposition à tout quitter au premier appel de leur maître. Je ne dis pas que cette disposition soit fréquente, mais c’est la bonne. Est-ce la vôtre ? Usez-vous de ce monde comme n’en usant point ? Pourriez-vous être également dans la pauvreté comme dans la richesse, dans la disette comme dans l’abondance ? Si Jésus venait un jour à vous demander le sacrifice de vos biens pour le profit de votre foi et le salut de votre âme, ah ! ne sentiriez-vous pas vous monter au cœur la tristesse de ce jeune homme qui recula devant la porte étroite, parce qu’il avait de grands biens ? — Voyez, examinez. — Etes-vous l’homme qui amasse des biens pour lui-même, ou l’homme qui est riche en Dieu ?
3. Etre riche en Dieu, enfin, c’est être riche pour Dieu. — Dieu qui par un premier effet de sa grâce, nous accorde à chacun quelque part dans la possession des biens de ce monde, par une nouvelle dispensation non moins miséricordieuse, nous permet en retour de faire aussi quelque chose pour lui, en employant ces mêmes biens soit au soulagement des pauvres, soit à l’avancement de son règne. — D’innombrables besoins s’étalent à vos portes, de pressants appels vous sont adressés en faveur des entreprises de mission ou d’évangélisation. — Des œuvres de première importance et du plus haut intérêt se fondent tant auprès qu’au loin, pour annoncer l’Evangile aux pauvres, pour guérir ceux qui sont malades, pour chercher et sauver ceux qui sont perdus. Ces œuvres, pour prospérer et atteindre leur but ont besoin sans doute avant tout de la foi et du dévouement de ceux qui en prennent la charge et la responsabilité, mais elles ont besoin aussi de votre argent que Dieu vous demande à cet effet. — Or, voyez-vous avec une virile et chrétienne satisfaction, ou avec un sourd et égoïste mécontentement, se multiplier pour vous ces occasions de faire le bien ?– Donnez-vous quand on vous demande ? — Donnez-vous avec un sentiment net qu’il y a plus de bonheur adonner qu’à recevoir ? — Donnez-vous par zèle, c’est à dire pour le Seigneur que vous voulez servir, et dont les intérêts passent pour vous avant tous les autres, ou par calcul, c’est-à-dire pour vous, parce qu’il convient que vous donniez et qu’on sache que vous avez donné ? — Donnez-vous par principe, sur un plan, parce qu’il y a là pour vous un devoir précis, un des éléments les plus importants de votre responsabilité devant Dieu ; ou par entraînement, par caprice, parce qu’on a su vous être agréable, vous émouvoir, vous séduire, faire vibrer en vous des cordes auxquelles vous ne savez pas résister ? — Donnez-vous largement, pour équilibrer un budget de charité dont Dieu fournit largement la recette, s’en remettant à votre loyauté pour élargir dans la même mesure la dépense ; ou étroitement, accidentellement, quand vous êtes pris à l’improviste et ne pouvez faire autrement ? — Quand vous parlez de donner votre pite comme la veuve de l’Evangile, faut-il entendre par là le plus que vous puissiez donner, ou le moins ? faut-il entendre par là un don entamant votre nécessaire, ou n’entamant pas même le superflu ? — Vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui étant riche, s’est fait pauvre pour nous, afin que par sa pauvreté nous fussions rendus riches : Voilà à la fois le mobile et l’exemple proposé par l’Evangile à votre munificence : Y a-t-il quelque proportion entre votre munificence et ce qui devrait en être le principe ? Reconnaît-on à vos largesses pour le royaume de Dieu la générosité d’une âme rachetée à un tel prix qu’elle ne se sent plus à elle-même, l’entraînement d’un disciple qui, soit qu’il vive, soit qu’il meure, se sent redevable de tout ce qu’il est et de tout ce qu’il possède, à Celui qui le premier s’est livré pour lui ? — Auriez-vous été faits pour occuper votre place dans cette Eglise des premiers jours, dont il nous est rapporté que tous ceux, qui possédaient des fonds de terre ou des maisons, les vendaient et apportaient le prix de ce qu’ils avaient vendu, qu’ils le mettaient aux pieds des apôtres, et qu’on le distribuait à chacun selon qu’il en avait besoin ? — Ou seulement pourrait-on jamais rendre de vous le témoignage que saint Paul rend aux chrétiens de Macédoine, qui dans leur profonde pauvreté, avaient répandu, dit-il, avec abondance les richesses de leur libéralité, donnant volontairement selon leur pouvoir et même au-delà de leur pouvoir, le priant très instamment (ce n’est guère aujourd’hui celui qui donne, qui doit prier très instamment), le priant très instamment de recevoir leurs aumônes et la contribution qu’ils avaient faite pour les saints ?
Voyez encore une fois. Etes-vous l’homme qui amasse des biens pour soi, ou l’homme qui est riche en Dieu ?
Question grave, question solennelle ! Je ne veux pas la résoudre pour vous, vous avez les éléments pour le faire. Je n’ajoute qu’un mot : — La vie est sérieuse, la vie est courte. Nous nous laissons aisément distraire par la figure de ce monde qui passe, et séduire par les convoitises qui périssent. — Vivre pour soi, c’est se suicider misérablement. Il n’y a pour l’homme de vraie vie que la vie en Dieu, selon Dieu, pour Dieu. A tous les points de vue, cela est vrai, profondément vrai, évidemment vrai. Je vous l’ai montré, je l’espère, plus d’une fois dans le cours de ces instructions. Mais combien cela ne paraît-il pas vrai dans le sujet de détail qui nous a occupés aujourd’hui ! Jésus nous a fait voir par la saisissante parabole que je vous expliquais tout à l’heure, la misère réelle, présente et éternelle, d’un homme qui amasse des biens pour lui. Quel tableau différent n’y aurait-il pas à tracer de celui qui est riche en Dieu ?
Tandis que le premier trouve en définitive un souci, un rongement d’esprit dans ses richesses, — le second n’y peut trouver qu’une joie, un aliment pour son âme, car ses richesses, ce sont par-dessus tout le royaume de Dieu et sa justice, qui consiste, nous est-il dit, en paix et en joie par le Saint-Esprit ; — et si, aux promesses de la vie à venir, il a plu au Seigneur d’ajouter celles de la vie présente, il en arrache l’aiguillon en se souvenant qu’il les tient du souverain dispensateur de la pauvreté et de la richesse, il en double la jouissance en en faisant un continuel sujet d’actions de grâces envers son Bienfaiteur et son Père, en répétant avec David : Mon âme, bénis l’Eternel et n’oublie aucun de ses bienfaits. C’est Lui qui te pardonne toutes tes iniquités à la fois, et qui couvre ta table de biens !
Tandis que le premier ne trouve qu’un écueil dans ses richesses, le second y trouve un sujet de responsabilité et de vigilance, sans doute, mais il y trouve un privilège aussi, une source abondante de grâces et de bénédictions. — A soulager ses frères, sa charité s’augmente ; à répandre le bonheur au dehors, il étend, il élève, il épure son propre bonheur au dedans ; à contribuer à l’avancement du règne de Dieu dans le monde, il travaille à l’avancer dans son propre cœur ; la pluie d’or de ses bonnes œuvres, enfin, retombe en pluie de grâces excellentes et de dons parfaits pour son âme, selon qu’il est écrit : Celui qui arrose sera arrosé, et qui bénit regorgera lui-même ! Mais surtout, tandis que dans ses richesses, le premier ne trouve à la fin que la plus amère déception ; le second, au contraire, n’apprend à en connaître tout le prix, qu’au moment où il est appelé à les échanger contre l’héritage incorruptible qui ne peut ni se souiller ni se flétrir. Alors sans doute il ne regrette pas ce qu’il laisse pour ce qu’il reçoit en échange. Alors sans doute, toute sa prospérité passée s’éclipse devant la gloire qui lui est réservée, comme les scènes de ce triste monde devant les nouveaux cieux et la nouvelle terre. — Mais voici de plus : ce qu’il a donné aux pauvres, il l’a prêté à l’Eternel ; les heureux qu’il a faits sur la terre, sont des amis qui l’attendent dans le ciel ; les misérables qu’il a soulagés, c’est Jésus lui-même qui vient au-devant de lui avec ces paroles : J’ai eu faim et tu m’as donné à manger ; j’ai eu soif et tu m’as donné à boire ; j’étais nu et tu m’as vêtu :viens béni de mon père, entre en possession de l’héritage qui t’a été préparé ! –. Ah ! s’il n’est pas dans l’éternité de condition plus lamentable à prévoir que celle du mauvais riche, de l’homme qui a amassé des biens pour soi, en est-il une plus belle et plus enviable que la condition de l’homme qui s’est efforcé sur la terre de devenir riche en Dieu ? — Je prie Dieu qu’il éclaire les yeux de votre esprit, afin que vous connaissiez quelle est l’espérance à laquelle vous êtes appelés, et quelles sont les richesses de la gloire de son héritage.
Amen !