L’épître de Jacques en 25 sermons

L’action de la Parole

Rejetant donc toute souillure et tout reste de méchanceté, recevez avec douceur la Parole qui a été plantée en vous, et qui peut sauver vos âmes. Mais mettez en pratique la Parole, et ne vous contentez pas de l’écouter, vous abusant vous-mêmes. Car, si quelqu’un écoute la Parole et ne la met pas en pratique, cet homme-là est semblable à celui qui considère dans un miroir sa figure naturelle : après s’être regardé lui-même, il s’en est allé, et il a aussitôt oublié quel il était. Mais celui qui aura plongé ses regards dans la loi parfaite, celle de la liberté, et s’y sera attaché, n’en étant pas l’auditeur oublieux, mais la pratiquant en effet, celui-là sera heureux dans cette observation même.

Jacques 1.21-25

    Mes frères,

Notre siècle réclame des faits. Les systèmes théologiques le touchent peu. Il demande, pour prendre la religion au sérieux, des actes. « Montre-moi ta foi par tes œuvres, » dit-il. Et l’Église a compris cela. Elle a annoncé, avec plus d’ardeur que jamais, l’Évangile du salut. Mais elle ne s’est pas bornée à l’annoncer : elle a montré, comme jamais auparavant, la puissance de la foi dans les œuvres de charité, de relèvement, d’éducation chrétienne ; et si, en cette fin de siècle, le christianisme exerce encore une influence appréciable sur la société, si celle-ci ne présente pas le spectacle d’impiété qu’a offert le dernier siècle, cela ne tient-il pas à ce que l’Église a senti que sa mission n’est pas de régner, mais de servir, de se dévouer ; à ce qu’elle est l’alliée de l’esprit moderne dans ses aspirations légitimes au relèvement des déshérités ?

Cette démonstration de l’Évangile par les œuvres, la seule apologie qui aujourd’hui porte coup, n’est pas le fait de l’Église dans son ensemble seulement, mais de chacun des individus qui la composent. Que serait le témoignage collectif, s’il n’avait à sa base les témoignages individuels ? Le monde demande de tout chrétien qu’il montre sa foi par sa vie, et il méprise, à bon droit, le christianisme qui ne se traduit pas en œuvres.

Or, mes frères, la pensée maîtresse de l’épître de Jacques, c’est précisément que la religion n’est pas une croyance, mais une œuvre, une vie, une démonstration en actes des choses de la foi. Sa tendance toute pratique répond bien aux besoins actuels. Recueillons ce qu’elle a à nous dire aujourd’hui, et puissions-nous retirer de cette étude un profit réel en vue de l’œuvre qui nous est assignée et par laquelle doit être glorifiée la grâce dont nous sommes les porteurs !

I

La religion, pour Jacques, est une œuvre. Mais, avant tout, une œuvre de Dieu dans l’homme : avant d’être l’œuvre de l’homme, elle est l’opération de Dieu.

Vous vous rappelez ce que Jacques vient de dire : « Dieu nous a engendrés par la Parole de la vérité, pour que nous fussions les prémices de ses créatures. » Le germe d’un nouvel homme posé en nous par Dieu même, voilà le fait qui est à la base de toute relation normale entre l’homme et Dieu. Cette régénération s’opère par la Parole de la vérité, par l’Évangile ; c’est en recevant l’Évangile qu’on naît à la vie nouvelle. De là l’exhortation à « écouter la Parole » (v. 19) et celle de notre texte : « Rejetant donc toute ordure et tout reste de méchanceté, recevez avec douceur la Parole qui a été plantée en vous et qui peut sauver vos âmes. » Sans doute, les lecteurs l’ont déjà reçue ; ils n’en doivent pas moins la recevoir encore ; l’œuvre de la Parole ne s’accomplît pas en un jour ni une fois pour toutes.

Jacques le fait comprendre par une image : « la Parole qui est plantée en vous. » Ici, comme dans l’image précédente de la naissance, il s’agit d’une vie qui doit croître et se développer. La semence a été déposée dans les âmes, elle a commencé d’y germer ; il faut qu’elle croisse. Mais toute vie ne se développe qu’à la condition d’être alimentée ; la vie spirituelle a, comme une autre, besoin de nutrition. Si, une fois implantée dans une âme, la Parole n’y est incessamment renouvelée, elle perdra bientôt son efficace, son action sur le cœur, elle sera enfin déracinée. Or, ce renouvellement ne s’opère pas par une nécessité interne ; il implique le concours libre et constant de celui qui a reçu la Parole ; il suppose que cette Parole dont le croyant ne s’est d’abord assimilé que quelques éléments, il la reçoit encore continuellement en lui-même et s’en approprie graduellement toutes les richesses.

L’importance de ce travail d’assimilation est marquée par ces mots : « et qui peut sauver vos âmes. » Sauver nos âmes ! Il est bien évident qu’aux yeux de Jacques le salut n’est pas une doctrine, mais une vie : la justice, la sainteté, la communion avec Dieu. Et c’est cette vie que la Parole a la puissance de produire et de développer en nous, car elle est elle-même un principe vivant et vivifiant. Les hommes en ont fait une lettre morte ; mais Jacques et ses lecteurs la connaissent comme une puissance régénératrice, capable d’opérer leur salut.

Aussi comprenons-nous l’opportunité des premiers mots de notre texte : « Mettant de côté toute souillure et tout reste de méchanceté. » Les souillures du péché, du vice, la méchanceté, toute infidélité morale quelconque seraient autant d’obstacles au développement de cette vie, en arrêteraient les progrès, la stériliseraient. Il en serait comme des épines de la parabole qui étouffent la semence et finissent par la tuer. C’est dans un cœur que ne troublent ni les convoitises impures, ni les passions haineuses, c’est dans une âme paisible, recueillie, que la Parole peut déployer ses effets et la vie de Dieu se développer. « Le fruit de la justice se sème dans la paix. »

N’avons-nous pas besoin peut-être de cette exhortation de Jacques ? Nous avons reçu la Parole, puisque nous l’annonçons. Mais, préoccupés de la communiquer à d’autres et de la faire croître en eux, ne pourrait-il pas nous arriver de négliger la culture de ce germe dans notre propre âme ? se faire que, occupés du salut des autres, nous oubliions de travailler avec fidélité à notre propre salut ? Il y a là un danger. Rarement médecin habile à soigner les autres le fut à se soigner lui-même ; il applique le remède à autrui ; il ne sait pas se l’appliquer à lui-même. Cette Parole qui a été plantée en nous, la recevons-nous réellement chaque jour, nous l’assimilons-nous par une étude sérieuse, faite non en vue de notre prédication seulement, mais avant tout de notre sanctification personnelle ? Ce principe de vie se développe-t-il dans nos cœurs et produit-il en nous tous ses fruits ? Notre vie chrétienne individuelle est-elle aussi prospère que notre activité extérieure semble le dénoter ? Aucune préoccupation mondaine, aucune convoitise d’orgueil ou de jalousie n’entrave-t-elle les progrès de notre vie intérieure ? Connaissons-nous assez par expérience la paix de l’âme recueillie dans la communion de son Dieu ?

II

Ne s’agirait-il que des progrès de la vie intérieure ? Celui qui le croirait ne serait pas un véritable auditeur de la Parole ; il ne l’aurait pas réellement reçue ; il serait dans la plus funeste illusion ; car la Parole ne saurait être crue, reçue, vécue au dedans sans être vécue aussi au dehors, sans se traduire par des œuvres dans une pratique quotidienne fidèle : si elle ne produit pas ces effets, c’est que la vie spirituelle n’existe pas ou qu’elle est en train de disparaître.

Qui fait peu, t’aime peu ; qui se borne à te croire,
Ne te croit point encore, ô Sauveur des croyantsa !

a – Vinet.

Il ne devrait pas être nécessaire d’insister : le fruit ne doit-il pas sortir naturellement du germe, l’œuvre du cœur régénéré par la Parole ? Mais, ici encore, tout ne se passe pas fatalement comme dans la nature, et pour que la vie intérieure produise son fruit au dehors, il faut le concours de notre volonté, de notre activité ; il faut que toutes nos forces, toutes nos facultés soient mises au service de ce principe nouveau ; il faut l’effort de l’être tout entier se soumettant à la divine Parole pour la laisser régir toutes les manifestations de la vie. La négligence ici serait grave : car la Parole, si elle n’obtient de nous cette cordiale et pleine obéissance, devient inutile, impuissante à nous sauver, puisque c’est d’après elle que nous serons un jour jugés. « Montre-moi ta foi par tes œuvres ! »

Saint Jacques met cette vérité en lumière par une très belle comparaison. Le chrétien qui ne met pas la Parole en pratique est pareil à un homme qui vient de contempler dans un miroir son visage naturel et qui s’en va ensuite, oubliant ce qu’il vient de voir, oubliant la laideur de sa figure, que le miroir vient de lui révéler, et se produisant comme s’il était le type de la beauté même.

Admirable image de l’action que la Parole divine exerce en effet sur nous : elle place devant nos yeux la volonté de Dieu, la loi dans sa sainteté et sa beauté. Et, en présence de cet idéal resplendissant de pureté, nous apprenons à connaître notre figure naturelle : chacun des commandements que renferme cette loi, nous révèle quelque trait de notre laideur morale. Le sentiment du péché : tel est le premier effet de l’action de la Parole sur une âme. Mais, mes frères, cette loi si sainte, si belle, la Parole de Dieu ne nous la présente pas seulement sous la forme d’un code, d’une règle qui ordonne et exige ; elle nous la montre vivante et vécue dans une figure humaine, en la personne d’un de nos semblables, du Fils de l’homme ; elle nous met en présence de la beauté morale absolue, de l’incarnation même du bien, de Celui dont la nourriture a été de faire la volonté du Père (Jean 4.34) et dont le dévouement est allé jusqu’au don de lui-même, jusqu’au sacrifice de la croix.

Et ne croyez pas, mes frères, qu’en parlant ainsi, nous nous écartions de la pensée de Jacques. La Parole de la vérité que ses lecteurs ont reçue, c’est bien l’Évangile (Jacques 1.18 ; 2.1, 7), la grande nouvelle du Messie crucifié ressuscité ; ils ont été placés au pied de la croix, par la Parole qui leur a été prêchée, comme nous le sommes nous-mêmes par la lecture de l’Évangile. Pour eux, comme pour nous, cet Évangile est devenu un miroir qui révèle à chacun son visage naturel bien plus éloquemment que ne faisait la loi rigide de l’ancienne alliance. Nous voici en présence de la parfaite obéissance, de la patience, de la pureté, de l’amour absolu de Dieu et des hommes… C’est la loi accomplie, le sommaire réalisé. Mes frères, plaçons-nous, vous et moi, en face de cette figure, et qu’elle nous juge ! Oui, qu’elle nous juge ! Quelle redoutable lumière en jaillit sur nos vanités, nos lâches complaisances pour la chair, notre égoïsme ! La loi révèle le péché ; mais la figure incomparable du Sauveur nous le révèle bien davantage. Le sentiment du péché, éveillé par la loi, devient douleur, souffrance, repentance en présence de l’amour infini du Fils de l’homme. « Retire-toi de moi, car je suis un homme pécheur ! » nous écrions-nous comme Pierre. Nous nous frappons la poitrine, nous disons avec le péager : « Aie pitié de moi ! » (Luc 5.8 ; 18.13)

Voilà l’œuvre de la Parole, voilà l’action de l’Évangile. C’est là le point de départ de toute régénération. L’homme qui a vu la laideur de son visage dans le miroir, ne l’oublie pas, et il agit en conséquence. L’homme que la loi divine, incarnée en Jésus-Christ, a jugé, se souvient de sa laideur morale : il sait qu’un changement radical, une refonte de son être moral est nécessaire ; il appelle le secours d’En-haut, il ouvre son cœur à la grâce, et il travaille désormais à sa sanctification. L’auditeur de la Parole ne saurait être un simple auditeur ; il devient un pratiquant, un disciple, dont toute la vie glorifiera le Maître qui lui a révélé du même coup sa corruption et l’amour de son Dieu.

A quoi servirait la Parole, s’il en était autrement ? A quoi sert le miroir à qui oublie ce qu’il a vu ? A rien ! Ce n’est pas assez dire. L’homme qui s’est regardé lui-même dans le miroir et qui oublie ce qu’il a vu, n’est que ridicule et vain. Il en est autrement de l’homme qui s’est vu et connu dans la Parole et qui oublie ce qu’il est, de l’homme auquel l’Évangile a ouvert les yeux sur son péché, et qui en reste là et s’en va insouciant, sans songer à travailler sérieusement à se transformer, à se sanctifier. Il est ridicule, inconséquent, insensé, cet homme, oui ; mais quelque chose de plus : il est coupable. Cette Parole qu’il a entendue, comprise, qui a fait briller devant ses yeux l’idéal de la sainteté, de la charité, qui l’a fait descendre dans les profondeurs de sa misère et l’a jeté dans la poussière ; cette Parole devrait avoir éveillé en lui une sainte ambition, une noble aspiration vers la perfection, une sympathie intense pour Celui en qui seul l’Idéal a été réalisé, un soupir, enfin, une prière ! … Si les impressions qu’il a reçues l’ont laissé tel qu’il était, égoïste et mauvais, et tranquille dans son égoïsme et sa malice naturelle, alors cette même Parole qui l’a éclairé le juge, le condamne ; elle le condamnera devant le tribunal de Dieu. « La Parole que je vous ai annoncée, c’est elle qui vous jugera au dernier jour. » (Jean 12.48)

Voilà le péril que Jacques nous signale, quand il nous parle de ne pas « nous abuser, nous tromper nous-mêmes. » Se bercer de l’illusion que tout va bien, parce qu’on a des croyances, des sentiments, foi de tête ou foi d’imagination ! Si les simples fidèles, les auditeurs de la Parole sont exposés à ce danger, ne le sommes-nous pas doublement, nous les prédicateurs, les interprètes de cette Parole ? On entend une prédication, on lit sa Bible, on est touché : la répréhension porte coup, la conscience est troublée ; il semble que de viriles résolutions vont être prises… Retrouvez-la, cette jeune fille pieuse et mondaine ; retrouvez-le, ce jeune homme au cœur partagé, cet homme que le dimanche n’a que pour un instant arraché à ses préoccupations d’argent, — retrouvez-les, le lundi, ou peut-être déjà au sortir de l’église : ils ont vu leur visage naturel, ils ont compris ce que Dieu réclamait d’eux, et… rien n’est changé ! Le sacrifice demandé ne se fait pas ; la réforme nécessaire ne s’accomplit pas. Et, s’il en est ainsi des auditeurs, n’en serait-il pas trop souvent de même des prédicateurs ? Que d’appels qui ont eu une action puissante, décisive sur beaucoup d’âmes, et qui n’ont pas saisi le prédicateur lui-même, ou qui, du moins, s’ils l’ont ému au moment où il les prononçait, n’ont pas eu d’effet durable dans sa propre vie ! N’êtes-vous pas, mes frères, comme moi, attristés et effrayés de cette expérience : que les vérités qui nous ont touchés et que nous avons avec amour et conviction inculquées à nos auditeurs, aient souvent si peu d’action sur notre cœur et sur notre vie ? Cette faculté de nous dédoubler me semble effrayante. Recueillons donc l’avertissement de Jacques ; il n’est point superflu ; appliquons-nous à en profiter.

III

Combien le sort de l’observateur de la loi, dépeint clans le dernier verset de notre texte, diffère de l’étal, que nous venons de décrire et contraste avec la coupable folie de celui qui oublie de pratiquer la Parole qu’il a entendue !

Remarquons d’abord que Jacques substitue ici l’expression de loi à celle de Parole. La Parole, ou l’Évangile, se présente en effet à lui comme une loi. Et nous ne sommes pas surpris de rencontrer cette conception chez cet homme, resté le plus juif des disciples de Christ, chez le chef vénéré de l’Église judéo-chrétienne des premiers temps, chez celui que sa stricte observation de la loi mosaïque fit honorer jusqu’à la fin d’Israël tout entier sous le nom de Jacques le Juste. Pour lui, l’Évangile est « la loi parfaite » : non point l’abolition, mais l’accomplissement de la loi juive. C’est qu’il n’y avait pas eu chez lui — comme il dut y avoir pour le pharisien Saul — rupture avec le judaïsme, lorsqu’il était devenu chrétien ; il avait passé sans secousse de l’école de Moïse à celle de Jésus, de la loi à l’Évangile : l’Évangile se présente à lui comme la loi accomplie. Ce n’est pas l’opposition des deux régimes, telle que saint Paul l’a mise en lumière (et il le fallait, en face du pharisaïsme qui faisait des œuvres légales et des observances extérieures un moyen de justification et le fondement même du salut)b, qui frappe Jacques, mais leur unité essentielle. Et son point de vue, certes, est justifié par le sermon sur la montagne (Matthieu 5.17) ! C’est le même Dieu en effet qui a donné la loi et l’Évangile, et la loi, bien comprise. — Paul l’affirme, lui aussi, et ne contredit point Jacquesc, — a un contenu spirituel qui n’est pleinement réalisé qu’en Christ. L’Évangile est donc bien la loi accomplie.

b – Voir du reste Jésus lui-même Matthieu 5.20.

cRomains ch. 4 et Galates ch. 3.

N’allez pas croire que Jacques ne se rende pas compte du grand et fondamental changement que suppose cet accomplissement. Un mot profond de lui nous instruit à cet égard : cette loi parfaite, qu’il a trouvée dans l’Évangile, il l’appelle, à deux reprises (Jacques 5.25 ; 2.12), « la loi de la liberté. » Et du coup nous voilà transportés dans une sphère absolument différente de celle du pharisaïsme, sur un terrain tout autre que le judaïsme même normal, dans une économie supérieure à celle de la loi, et que les meilleurs, les plus « spirituels » dans l’ancienne alliance, ne pouvaient que pressentir, à laquelle ils pouvaient aspirer — comme Jérémie dans sa magnifique prophétie d’une nouvelle alliance tout intérieure et spirituelle, comme Ezéchiel promettant le cœur nouveau, le cœur de chair au lieu du cœur de pierre, comme Moïse parlant de la circoncision du cœur par laquelle Dieu se consacrerait son peuple d’une manière réelle.

Car ces hommes étaient sous la loi : elle constituait pour eux un joug. Car, tout en commandant, elle ne leur donnait pas la force pour accomplir. Car chez les meilleurs, — un Saul, par exemple, — elle devait faire naître un sentiment d’esclavage. Paul nous a décrit cet esclavage dans Rom. ch. 7. Jacques ne nous parle pas d’expériences de ce genre, et il ne paraît pas que ni lui ni aucun des premiers apôtres aient fait ces expériences de la même façon que Saul. Cependant je ne puis lire ces mots : « la loi de la liberté, » sans me dire que Jacques oppose cette loi-là à une autre loi qui ne donne pas la liberté et qui par conséquent n’est pas la loi « parfaite. » C’est dans l’Évangile que lui aussi a trouvé la liberté à laquelle aspire tout cœur d’homme. Quelle est cette liberté ? Ai-je besoin de le dire ? C’est la liberté qui consiste à se sentir d’accord avec la loi divine et non pas condamné par elle, la liberté de l’obéissance joyeuse et victorieuse, la liberté de faire le bien, l’expérience de la force morale qui triomphe du péché, et le sentiment de l’approbation de Dieu, l’assurance de pouvoir se présenter devant lui sans crainte. Voilà la liberté que Jacques a trouvée dans l’Évangile : c’est ainsi que celui-ci est pour lui « la loi de la liberté, la loi parfaite. »

L’Évangile, n’est-il pas vrai, mes frères, n’est pas uniquement une grâce ; il est aussi une loi ; car la grâce oblige, elle réclame notre sanctification, elle appelle le don de nous-mêmes, la consécration de notre être à Celui qui nous a aimés et qui nous aime, elle nous presse d’accomplir tout le contenu moral et spirituel de la loi ancienne : « afin, dit l’apôtre, que la justice de la loi soit accomplie en nous » (Romains 8.4). Mais cette loi, l’Évangile nous la montre réalisée en Jésus-Christ, et, dans l’union avec lui, il nous offre le moyen de l’accomplir à notre tour. Voilà comment l’Évangile, qui est une loi, est une loi qui, au lieu d’asservir, affranchit, une « loi de liberté ! »

Glorieuse position, que celle à laquelle Jacques est parvenu et qu’il nous invite à faire nôtre ! Etre sous la loi de liberté ! Connaissez-vous, mes frères, cette position-là ? Ah ! certes, nous connaissons l’Évangile comme une grâce, et nous savons que nous ne pouvons nous passer de cette grâce. Le connaissons-nous aussi comme une loi, une loi de liberté ? La justice, la sainteté, dont il nous offre le vivant modèle en Jésus-Christ, la pratiquons-nous librement et joyeusement ? La loi de perfection, que renferme l’Évangile, nous pèse-t-elle comme un joug, ou est-elle devenue en chacun de nous une puissance, une vie, qui va se développant, progressant, manifestant sa vigueur par toutes sortes de fruits d’obéissance et de charité ? En un mot, cette loi nous est-elle encore étrangère, extérieure, et nous sentons-nous par rapport à elle esclaves, condamnés en même temps qu’obligés par elle, ou bien vit-elle en nous ? L’esprit de la loi, la sainteté de l’Évangile, est-il l’esprit, l’inspiration même de notre vie ? Sommes-nous dans la liberté ?

Vous avez entendu ce que Jacques promet à celui qui pratique cette loi : « il sera heureux dans cette observation même, » Ce n’est pas du bonheur à venir, de la récompense future des serviteurs fidèles que Jacques entend parler : il s’agit d’une félicité dont jouit dès ici-bas l’observateur de la loi. Connaissons-nous cette félicité, mes frères ? Nous l’entrevoyons tout au moins, si nous ne la possédons pas ; car dans notre vie il y a eu des moments où nous en avons goûté quelque chose : instants sacrés où, dans un acte d obéissance, dans l’accomplissement d’un devoir rebutant ou d’un sacrifice coûteux, dans l’acceptation d’une épreuve, dans le renoncement à quelque satisfaction d’amour-propre, à un avantage, à un désir favori, à notre propre volonté, pour tout dire, notre cœur s’est donné à Dieu tout entier : « Non ce que je veux, mais ce que tu veux ! » Dans ces instants-là, quelque douloureux fussent-ils, nous avons connu la joie de la liberté, le véritable affranchissement et le bonheur intime de l’accord avec Dieu ; nous avons senti son regard d’amour reposer sur nous, sa bénédiction descendre dans notre cœur et sur notre vie… Hélas ! trop rarement nous avons goûté ce bonheur, et ce que nous connaissons mieux, c’est le tourment de la conscience, c’est le déchirement intérieur de l’homme qui voit le bien et ne le fait pas, c’est le regret amer de celui qui sait où est la force et qui ne s’en sert pas ! Ce trouble, que nous connaissons, c’est la marque du retour à la servitude !

Eh bien, ne voulons-nous pas être enfin libérés ? Etre heureux dans notre labeur quotidien, dans notre observation de la loi ! Nous n’avons, pour y parvenir, qu’à suivre les directions de Jacques : « nous pencher » sur la loi, la contempler dans la Parole divine et surtout en Jésus-Christ, qui l’incarne ; persévérer dans cette quotidienne contemplation ; garder dans le cœur cette image, et le cœur plein d’elle, c’est-à-dire de Lui, nous en aller à notre œuvre, revenant fréquemment au divin Modèle, à la Parole qui nous le retrace… Quelque chose alors se fera, et se fera sans bruit, sans que nous-mêmes nous le comprenions : ce modèle, qui n’est pas une lettre morte, mais « esprit et vie, » agira sur notre cœur, purifiant, vivifiant ; il se reproduira lui-même en nous… Ainsi la plante que le Père céleste a lui-même plantée, grandira, fructifiera, et le fruit sera le salut de nos âmes ! Amen.

Georges Godet

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