Parmi les nombreux partisans de l’unité de composition, ceux qui prétendent que le livre d’Habakuk a été écrit sous Sédécias ne donnent, à vrai dire, aucun argument valable. Ce qui se comprend, car cette opinion ne saurait soutenir longtemps l’examen. Sur quoi, en effet, s’appuie Justi pour arriver à déterminer l’âge du livre ? — « Habakuk, dit-il, vivait vraisemblablement au temps de la captivité, qu’il annonce, avec la précision d’un témoin oculaire, non pas comme imminente, mais comme réellement présente (p. 2)… L’état juif était déjà détruit par les Chaldéens, lorsque ce poète profondément émouvant et patriotique parut sur la scène. Il soupire avec impatience après une fin prochaine de l’exil (p. 3)… » Ce sont là les seules preuves qu’il avance à l’appui de son assertion. Il se contente d’ajouter que cette assertion est confirmée non seulement par la légende de Bel et du Dragon et les opinions presque unanimes des anciens, mais aussi par un examen du contenu de la prophétie, fait dans un esprit non prévenu. Wolff emploie absolument la même argumentation. Nous pourrions nous tromper, mais Justi et Wolff nous semblent au contraire être partis d’un a priori qui ne ressemble que trop à une prévention dogmatique. Bertholdt, de son côté, paraît vouloir avancer quelques preuves. Il conclut de Habakuk 2.17 que le royaume de Juda avait été déjà détruit par Nébukadnezar et de Habakuk 3.18 que le peuple avait déjà été emmené captif à Babylone. D’où il arrive à faire prophétiser Habakuk après la destruction de Jérusalem, « tandis qu’il avait, pour ainsi dire, encore sous les yeux les ruines fumantes de sa patrie. » Mais il faut avouer que, pour être moins vague que Justi, ce critique n’est guère plus concluant.
1° Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons déjà dit de ces passages dans notre paragraphe précédent, en réponse à ceux qui veulent morceler le livre ; mais nous opposerons avec Hævernick et d’autres, à l’opinion de Bertholdt, de Justi, de Wolff, le passage Habakuk 2.20, qui suppose l’existence du temple. Il est vrai que si Bertholdt était là, il nous dirait que notre objection ne porte pas, puisqu’il nie l’authenticité de ce verset. Mais nous lui demanderons à notre tour pourquoi il la nie, si ce n’est pour se tirer d’embarras en face d’un passage qui renverse d’un coup toute son argumentation ? — Ce qu’il ne peut nier, c’est qu’il reconnaît lui-même que c’est du temple de Salomon dont il est ici question ; en conséquence, voici comment il s’exprime : « Nous avons, dit-il, des traces évidentes d’un usage liturgique de quelques morceaux d’Habakuk au temps du second temple ; cet usage introduisit dans le texte du prophète cette strophe qui se fait du reste facilement reconnaître elle-même comme une interpolation. » Ce que nous aimerions seulement savoir, c’est ce qui, dans ce verset, peut en faire même soupçonner l’authenticité.
2° Outre le passage Habakuk 2.20, le passage Habakuk 1.5 peut être aussi donné comme objection. Comment, en effet, expliquer les mots לא תאמינו כי יספר (vous ne la croiriez pas, si on la racontait) si l’on admet que le discours où ils se trouvent, fut prononcé alors que les Chaldéens ravageaient le pays ou que le peuple gémissait captif à Babylone ? Quel sens donner à ces paroles ? Les violences opérées par un ennemi, les douleurs de l’esclavage, tout cela n’est que trop croyable pour le peuple qui en est la victime. Pour croire à ses souffrances, Juda avait-il besoin qu’on les lui racontât ? — Aussi Justi entend-il ce passage d’une tout autre manière. « La grande œuvre, dit-il, que Jehovah voulait faire, c’était de délivrer Juda du joug des Chaldéens dévastateurs, et ce qui paraissait incroyable, c’était le fait de mettre des bornes à l’orgueil de ce peuple. » Wolff explique ce passage de la même manière. Mais il est impossible, exégétiquement, d’accepter une telle explication. En effet, dans le passage Habakuk 1.5-11, il n’est pas fait mention encore du projet de l’Éternel de « mettre des bornes à l’orgueil des Chaldéens ; » il est parlé, au contraire, de ce peuple comme d’un peuple qui marche sur l’étendue de la terre, pour prendre possession de demeures qui ne sont point à lui (v. 6), d’un peuple qui entasse les captifs (v. 9), qui se moque des rois et se rit des princes (v. 10), etc. C’est là une chose que le Juif ne croirait pas si on la racontait, ne pouvant penser que lui-même serait, dans peu de temps, la proie de ce peuple terrible et formidable. Mais on comprend que Justi et Wolff aient été entraînés à cette interprétation ; c’était du reste la seule qu’ils pussent donner, pour être conséquents avec eux-mêmes.
3° D’après ces critiques, la strophe Habakuk 1.2-4 se rapporte aux ravages des Chaldéens et non à l’état moral de Juda ; d’où il s’en suivrait que le prophète n’aurait pas mentionné, dans son livre, pourquoi l’Éternel punit les Juifs. Or, c’est là une chose qu’il ne pouvait passer sous silence ; comment admettre que le prophète parle de la punition infligée par l’Éternel à Juda désobéissant, sans rien dire de cette désobéissance ? De plus, dans cette description, les termes employés ne semblent aucunement indiquer des violences venant de l’extérieur ; ce qui conduit à voir dans Habakuk 1.2-4 une peinture de l’état intérieur du peuple juif.
4° L’opinion de Justi, de Wolff, etc. suppose Juda victime des violences des Chaldéens, au moment où Habakuk prophétise ; les Juifs connaissent donc parfaitement bien ce que sont les Chaldéens, d’où ils viennent, ce qu’ils font, etc. Pourquoi alors le prophète se met-il à dépeindre ces Chaldéens avec autant de détails ? Quel a été son but en présentant un tableau si effrayant ? C’est là ce que nous ne pourrions expliquer.
5° Enfin, à ceux qui regardent le livre d’Habakuk comme ayant été composé sous Sédécias, nous demanderons comment il se fait que le prophète, voyant le peuple emmené captif, le temple renversé, les choses saintes foulées aux pieds, n’ait pas insisté sur des événements si douloureux, lui, le défenseur de la théocratie ? N’aurait-il pas décrit ces scènes désastreuses, si, comme on l’affirme, il en eût été témoin oculaire ?
Ainsi, d’après les raisons que nous avons avancées, nous concluons qu’Habakuk n’a pas prophétisé pendant l’exil, ni même pendant les premières années de Sédécias. — Il n’a pas pu davantage prophétiser sous Jéchonias (ou Jojakin) prédécesseur de Sédécias, puisque, d’après ce que nous venons de voir, il a dû le faire avant toute invasion chaldéenne dans le pays de Juda.