(25 décembre)
On n’est pas d’accord sur la date de la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la chair. Les uns disent qu’elle a eu lieu 5 228 ans après la naissance d’Adam, d’autres qu’elle a eu lieu 5 900 ans après cette naissance. C’est Méthode qui a fixé, le premier, la date de 6 000 ans : mais il l’a trouvée plutôt par inspiration mystique que par calcul chronologique. On sait, en tout cas, que la naissance du Christ a eu lieu sous l’empereur Octave, qui s’appelait aussi César, du nom de son oncle Jules César, et Auguste, parce qu’il avait « augmenté » la république romaine. Et au moment où le Fils de Dieu est né dans la chair, une paix universelle régnait dans le monde, réuni tout entier sous l’autorité pacifique de l’empereur romain.
Donc César Auguste, étant maître du monde, voulut savoir combien il possédait de provinces, de villes, de forteresses, de villages et d’hommes ; en conséquence de quoi il décida que tous les hommes de son empire eussent à se rendre dans la ville ou le village d’où ils étaient originaires, et à remettre au gouverneur de la province un denier d’argent, en signe de soumission à l’empire romain. Et c’est ainsi que Joseph, qui était de la race de David, partit de Nazareth pour se rendre à Bethléem, où l’appelait le recensement. Et comme le temps approchait où la Vierge Marie allait être délivrée, et comme Joseph ne savait pas quand il pourrait être de retour, il l’emmena à Bethléem, ne voulant point remettre entre des mains étrangères le trésor que Dieu lui avait confié. Le Livre de l’Enfance du Sauveur raconte, à ce propos, qu’en approchant de Bethléem la Vierge vit une partie du peuple qui se réjouissait, et une partie qui gémissait. Et l’ange lui expliqua la chose en lui disant : « La partie qui se réjouit est le peuple des Gentils, qui va être admis à la béatitude éternelle. La partie qui gémit est le peuple des Juifs, car Dieu va le réprouver suivant ses mérites. »
Puis Joseph et Marie vinrent à Bethléem ; et comme, étant pauvres, ils ne pouvaient pas trouver de place dans les auberges, ils durent s’installer dans un passage commun, ou abri, qui, d’après l’Histoire scholastique, se trouvait entre deux maisons, et servait de lieu de réunion aux habitants de Bethléem, ou encore de refuge contre les intempéries de l’air. Là, Joseph installa une crèche pour son bœuf et son âne ; ou bien encore l’étable s’y trouvait déjà, construite à l’usage des paysans qui venaient au marché. Et c’est là que, à minuit, la Vierge mit au jour son fils, et le déposa dans la crèche, sur du foin : lequel foin fut plus tard emporté à Rome par sainte Hélène ; et l’on dit que ni le bœuf ni l’âne n’osaient y toucher.
Notons, à ce sujet, que tout fut miraculeux dans cette naissance du Christ. En premier lieu, c’est chose miraculeuse que la mère du Christ ait été vierge, après comme avant la naissance de son fils. Et sa virginité, qui nous est attestée par les prophètes et les évangélistes, se trouve encore prouvée par un miracle que nous raconte le pape Innocent III. Pendant les douze ans qu’avait duré la paix du monde, on avait construit à Rome un temple de la Paix, où l’on avait placé une statue de Romulus. Et l’oracle d’Apollon, consulté, avait déclaré que cette statue et le temple resteraient debout jusqu’au jour où une vierge enfanterait un fils. On en avait conclu que le temple serait éternel, et l’on était allé jusqu’à inscrire sur le fronton : « Temple éternel de la Paix ». Or, la nuit de la naissance de Notre-Seigneur, ce temple s’écroula de fond en comble ; et c’est sur son emplacement que s’élève aujourd’hui l’église de Sainte-Marie-la-Neuve.
Non moins miraculeuses sont toutes les autres circonstances de la Nativité. Nous savons, par exemple, qu’elle fut révélée à toutes les catégories des créatures, depuis les pierres, qui occupent le bas de l’échelle, jusqu’aux anges, qui en occupent le sommet.
1° La Nativité fut révélée aux créatures inanimées. On a vu déjà, par l’exemple ci-dessus, qu’elle se révéla aux pierres d’un temple de Rome. On sait, en outre, que, la nuit de la Nativité, les ténèbres de la nuit se changèrent en une lumière de plein jour. À Rome, l’eau d’une source se changea en huile, et coula ainsi jusque dans le Tibre : or, la Sibylle avait prophétisé que le Sauveur du monde naîtrait lorsque jaillirait une source d’huile. Le même jour, des mages qui priaient sur une montagne virent apparaître une étoile qui avait la forme d’un bel enfant, portant une croix de feu au-dessus de la tête. Et elle dit aux mages d’aller en Judée, où ils trouveraient un enfant nouveau-né. Le même jour, trois soleils apparurent à l’Orient, qui finirent par se fondre en un seul : symbole évident de la sainte Trinité. Enfin voici ce que nous raconte le pape Innocent III : « Pour récompenser Octave d’avoir donné la paix au monde, le Sénat voulait l’adorer comme un dieu. Mais le prudent empereur, se sachant mortel, ne voulut point se parer du titre d’immortel avant d’avoir demandé à la Sibylle si le monde verrait naître, quelque jour, un homme plus grand que lui. Or, le jour de la Nativité, comme la Sibylle était seule avec l’empereur, elle vit apparaître, en plein midi, un cercle d’or autour du soleil ; et au milieu du cercle se tenait une vierge, d’une beauté merveilleuse, portant un enfant sur son sein. La Sibylle montra ce prodige à César, et l’on entendit une voix qui disait : “Celle-ci est l’autel du ciel !” (ara cœli). Et la Sibylle lui dit : “Cet enfant sera plus grand que toi !” Aussi la chambre où eut lieu ce miracle a-t-elle été consacrée à la sainte Vierge ; et c’est sur son emplacement que s’élève aujourd’hui l’église de Sainte-Marie-Ara-Cœli. » Cependant d’autres historiens racontent le même fait d’une manière un peu différente. Suivant eux, Auguste, étant monté au Capitole, et ayant demandé aux dieux de lui faire savoir qui régnerait après lui, entendit une voix qui lui disait : « Un enfant éthéré, Fils du Dieu vivant, né d’une vierge sans tache. » Et c’est alors qu’Auguste aurait élevé cet autel, au-dessous duquel il aurait inscrit : « Ceci est l’autel du Fils du Dieu vivant ! »
2° La Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent l’existence et la vie, comme les plantes et les arbres. En effet, dans la nuit de la naissance du Sauveur, les vignes d’Engade fleurirent, fructifièrent et produisirent leur vin.
3° La Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent l’existence, la vie et le sentiment, c’est-à-dire aux animaux. En effet Joseph, en partant pour Bethléem, avait emmené avec lui un bœuf et un âne : le bœuf, peut-être, pour le vendre et pour avoir de quoi payer le denier du cens ; l’âne, sans doute, pour servir à porter la Vierge Marie. Or le bœuf et l’âne, reconnaissant miraculeusement le Seigneur, s’agenouillèrent devant lui, et l’adorèrent.
4° La Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent l’existence, la vie, le sentiment et la raison, c’est-à-dire aux hommes. En effet, dans l’heure même où elle eut lieu, des bergers veillaient auprès de leurs troupeaux, chose qu’ils faisaient deux fois par an, dans la nuit la plus courte et dans la nuit la plus longue de l’année ; car c’était l’usage des nations antiques de veiller dans les deux nuits des solstices, l’été vers le jour de la Saint-Jean, et, l’hiver, dans la nuit de Noël. À ces bergers, donc, un ange apparut qui leur annonça la naissance du Sauveur et leur enseigna le moyen d’arriver jusqu’à lui. Et ils entendirent une foule d’anges qui chantaient : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, » etc. D’une autre façon encore, la Nativité se révéla par les sodomites, qui tous, cette nuit-là, périrent, dans le monde entier. Ce à propos de quoi saint Jérôme nous dit : « Une telle lumière s’éleva, cette nuit-là, qu’elle éteignit tous ceux qui se livraient à ce vice. » Et saint Augustin dit que Dieu ne pouvait pas s’incarner dans la nature humaine aussi longtemps qu’existait, dans cette nature, un vice contre nature.
5° Enfin la Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent l’existence, la vie, le sentiment, la raison, et la connaissance, c’est-à-dire aux anges : car ce sont les anges eux-mêmes, qui, ainsi qu’on vient de le voir, ont annoncé aux bergers la naissance du Christ.
Restent à définir les divers objets en vue desquels a eu lieu l’incarnation de Notre-Seigneur.
1° Elle a eu lieu, d’abord, pour la confusion des démons. Saint Hugues, abbé de Cluny, la veille de Noël, vit la sainte Vierge, tenant son fils sur son sein, et disant : « Voici venir le jour où vont être renouvelés les oracles des prophètes ! Où est désormais l’ennemi qui, jusqu’ici, prévalait contre les hommes ? » À ces mots, le diable sortit de terre, pour démentir les paroles de Notre Dame : mais son iniquité se trouva en défaut, car il eut beau parcourir tout le couvent ; ni à la chapelle, ni au réfectoire, ni au dortoir, ni dans la salle du chapitre, aucun moine ne se laissa détourner de son devoir. D’après Pierre de Cluny, l’enfant, dans la vision de saint Hugues, aurait dit à sa mère : « Où est maintenant la puissance du diable ? » Sur quoi le diable, sortant de terre, aurait répondu : « Je ne puis pas, en effet, pénétrer dans la chapelle, où l’on chante tes louanges ; mais le chapitre, le dortoir et le réfectoire me restent ouverts ! » Or voici que la porte du chapitre se serait trouvée trop étroite pour lui, la porte du dortoir trop basse, la porte du réfectoire obstruée d’obstacles infranchissables, lesquels n’étaient autres que la charité des moines, leur attention à la lecture du jour, et leur sobriété dans le manger et le boire.
2° La Nativité a eu lieu, ensuite, pour permettre aux hommes d’obtenir le pardon de leurs péchés. Un livre d’exemples raconte l’histoire d’une prostituée qui, s’étant enfin repentie, désespérait de son pardon : et comme elle se jugeait indigne d’invoquer le Christ glorieux, et le Christ souffrant la passion, elle se dit que les enfants étaient plus faciles à apaiser. Elle adjura donc le Christ enfant ; et une voix lui apprit qu’elle était pardonnée.
3° La Nativité a eu lieu pour nous guérir de notre faiblesse. Car, comme le dit saint Bernard : « Le genre humain souffre d’une triple maladie, la naissance, la vie et la mort. Avant le Christ, la naissance était impure, la vie perverse, la mort dangereuse. Mais le Christ est venu, et contre ce triple mal nous a apporté un triple remède. Sa naissance a purifié la nôtre ; sa vie a instruit la nôtre ; sa mort a détruit la nôtre. »
4° Enfin la Nativité a eu lieu pour humilier notre orgueil. Car, ainsi que le dit saint Augustin : « L’humilité qu’a montrée le fils de Dieu dans son incarnation nous sert à la fois d’exemple, de consécration, et de médicament. Elle nous sert d’exemple pour nous apprendre à être humbles nous-mêmes ; de consécration, parce qu’elle nous délivre des liens du péché ; de médicament, parce qu’elle guérit la tumeur de notre vain orgueil. »