Malan, le « héros du Réveil. » — Enfance et jeunesse de Malan. — Ses études théologiques. — Sa nomination comme régent de la cinquième classe du collège. — Son mariage. — Ses relations avec les hommes du Réveil. — Sa conversion. — Ses luttes avec la Compagnie. — Ses hésitations au sujet du règlement du 3 mai. — Les chaires du canton lui sont interdites. — Sa destitution de ses fonctions académiques. — Fondation progressive de son Église. — L’Église du Témoignage. — Idées ecclésiastiques de Malan. — Les Chants de Sion. — Activité littéraire de Malan. — Rapports entre l’Église du Bourg-de-Four et celle du Témoignage. — Décadence de l’Église du Témoignage à partir de 1830. — Malan évangéliste. — Il est nommé docteur en théologie de l’Université de Glasgow. — Voyages en Angleterre, en Écosse, en France. — Caractère de son évangélisation. — Ses méthodes. — Malan polémiste. — Sa réponse à l’Essai de Chenevière sur la Trinité. — Le Jubilé de 1835 et Le procès du méthodisme. — Relations de Malan avec les Églises dissidentes. — Polémique catholique. — César Malan homme privé. — Sanctification du dimanche. — Piété au foyer domestique. — Malan et ses enfants. — Epreuves. — Dernières années.. — La fin.
A côté de l’Église du Bourg-de-Four, une autre communauté indépendante s’était établie à Genève, celle du Témoignage, fondée par César Malan.
On a appelé Malan « le héros du Réveil »a. Que ce titre soit plus ou moins suspect d’exagération, toujours est-il que, grâce à l’activité infatigable de son témoignage, aux talents brillants dont il était doué, grâce aussi à la position particulière qu’il garda dans ses démêlés avec l’Église nationale, Malan attira sur lui presque exclusivement l’attention et concentra sur sa personne et sur son œuvre, soit à Genève, soit à l’étranger, toute la sympathie, comme aussi toute l’antipathie qui s’attachait au Réveil lui-mêmeb.
a – De Goltz, op. cit., p. 182.
b – Voy. de Montet, Dictionnaire des Genevois et des Vaudois. De Goltz, Genève religieuse. Voy. aussi l’excellente Biographie de César Malan, par son fils (Genève, 1869), laquelle est écrite avec la plus grande impartialité, malgré les liens étroits qui unissent l’auteur et celui dont il raconte la vie.
César-Henri-Abraham Malan naquit à Genève le 7 juillet 1787 : sa famille, encore aujourd’hui largement représentée dans les vallées vaudoises du Piémont, s’établit de bonne heure dans le Dauphiné, à Mérindol, où elle compta un certain nombre de martyrs. En 1722 l’arrière grand-père de César Malan se réfugia à Genève. Son grand-père en acheta la bourgeoisie. Son père, régent de la quatrième classe du collège, homme droit, poussant l’intégrité jusqu’au sacrifice (il refusa de rentrer en possession des biens dont la persécution avait dépouillé ses ancêtres dans le Dauphiné, parce qu’il lui aurait fallu commencer par déposséder plusieurs familles), avait subi, au point de vue religieux, l’influence du dix-huitième siècle, et sans vouloir contrarier la carrière de son fils et s’opposer à la libre expression de ses convictions, il la comprenait peu et répondait par le sourire de l’homme d’esprit et le sang-froid impitoyable de ce qu’il appelait « le bon sens » à toute parole qui eût été dictée par le seul élan d’un cœur pieux.
C’est à l’influence de sa mère, née Prestreau, originaire aussi d’une famille de réfugiés, que Malan faisait remonter les premiers germes de sa foi.
Sa première éducation se fit tout entière au collège. C’était dans cette antique institution que se formaient, entre tous les hommes du même âge, ces liens qui faisaient de la vieille Genève protestante une véritable famille. C’était aussi là que s’établissaient de bonne heure ces habitudes de régularité, de travail assidu, de soumission à la règle, et de la plus absolue égalité devant le devoir imposé qui ont fait si longtemps la puissance et la gloire de cette petite république. Malan y puisa un attachement profond et instinctif pour son pays.
A côté de ces influences extérieures, il en subit de plus intimes au foyer paternel ; il y prit une distinction parfaite de manières jointe à une grande réserve ; il y gagna aussi le goût des arts manuels que son grand-père maternel aimait à cultiver et qui devinrent sa récréation favorite ; enfin des séjours fréquents dans une campagne située au milieu des montagnes et en face de magnifiques panoramas développèrent en lui ce vif sentiment des beautés de la nature qui en fit un dessinateur et un peintre, et souvent éclata dans ses poésies et dans ses autres écrits.
A l’âge de dix-sept ans, on l’envoya passer une année à Marseille, dans une maison de commerce : il avait alors le projet d’être négociant, surtout afin de soulager ses parents. Pendant le cours de cette année, le pasteur de Marseille ayant dû s’absenter, on demanda à Malan de lire un sermon chaque dimanche du haut de la chaire. Il le fit pendant deux mois et rapporta à cette circonstance le premier désir qu’il eut d’entrer en théologie et d’être pasteur. Son père approuva ce projet : le jeune homme revint à Genève, où les professeurs de l’Académie lui rendirent sa place dans la volée d’étudiants qui entrait en philosophie. Du reste, pendant son séjour à Marseille, il nous raconte qu’il avait entretenu ses études de grec et de latin, en se levant d’ordinaire à quatre et même à trois heures, pour travailler avant d’aller à son comptoir. Outre cela, il avait dans la soirée, après le travail du bureau, deux ou trois leçons d’histoire et de littérature qu’il donnait à des jeunes gens.
Evidemment, on peut attendre d’une semblable jeunesse, poussant la volonté et l’amour du travail jusqu’à ces limites, une carrière qui sorte de l’ornière commune. Qu’on y ajoute une très grande austérité dans les mœurs et une charité toujours prête au dévouement et au sacrifice, et on pourra déjà pressentir chez l’étudiant ce que sera l’homme fait.
Il lui manquait pourtant une chose, et cette chose c’était l’essentiel. Pendant ses quatre années de théologie, et surtout pendant les deux dernières, il prêchait très souvent, nous dit-il lui-même, soit dans les chaires de la campagne, soit ici et là au dehors. Il était absolument ignorant de l’Évangile de la grâce, et il n’avait jamais eu même la pensée d’une autre voie du salut que celle des œuvres et des mérites de l’homme. Il avait bien eu, dans son enfance et grâce aux instructions de sa mère, la croyance à la divinité éternelle de Jésus-Christ, et même il soutint à quatorze ans, contre un de ses camarades de collège, que Jésus est Dieu ; mais cette croyance demeura comme morte dans son esprit, et il dit que pendant ses quatre années de théologie, il n’entendit jamais sortir de la bouche de ses professeurs un seul mot qui pût la ranimer. On se rappelle, en effet, ce qu’était à cette époque l’enseignement théologique à Genève.
En 1809, César Malan, qui était alors précepteur des fils d’un banquier de Genève, fut nommé, après de brillants examens, à la place de régent de la cinquième classe du collège. Il occupa neuf ans cet emploi, et s’y attira d’une façon spéciale l’approbation et les éloges de ses supérieurs. Il introduisit dans sa classe la méthode d’enseignement mutuel de Bell et Lancaster, qu’il avait étudiée auprès de Pestalozzi, à Yverdon ; sa réputation s’étendit bientôt hors de Genève, et plus d’une fois sa classe fut visitée par des professeurs venus pour cela de l’étranger, surtout du Nord de l’Europe.
Ce fut pour ses écoliers qu’il fit paraître, en 1812, un choix des fables de Phèdre accompagné de notes, et, en 1818, la première partie d’un poème latin de sa composition : Ethicum carmen de præcipuis bonæ vitæ officiis.
En octobre 1810, il fut consacré par Picot, doyen de la Compagnie. Voici le serment qu’il prononça, et qui a eu sur sa vie une influence décisive, car il ne s’en est jamais considéré comme délié par les circonstances : « Vous promettez devant Dieu et sur les saintes Écritures ouvertes devant vous, de prêcher purement l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ ; de reconnaître pour seule règle infaillible de foi et de conduite la Parole de Dieu telle qu’elle est contenue dans les livres sacrés de l’Ancien et du Nouveau Testament ; de vous abstenir de tout esprit de secte ; d’éviter tout ce qui pourrait faire naître quelque schisme et rompre l’union de l’Église ; de tenir secrètes toutes les confessions qui vous seraient faites à décharge de conscience, excepté celles qui concerneraient les crimes de haute trahison ; et de faire tous vos efforts pour édifier l’Église du Seigneur en vivant au milieu du siècle présent selon la tempérance, la justice et la piété, et en vous appliquant à remplir tous les devoirs de votre sainte vocation. »
Un an après sa consécration, Malan épousa la fille aînée de M. Schönenberger, de Glaris, négociant établi depuis longtemps à Genève ; de cette union naquirent douze enfants : l’aîné fut Salomon-César Malan, théologien anglican, orientaliste distingué, connu par ses livres d’érudition orientale, par des récits de voyage en Palestine, des ouvrages de dévotion, des compositions musicales, etc. Il a eu un fils, Charles Malan, mort en 1881, qui, après avoir été major dans l’armée anglaise, était devenu évangéliste et missionnaire volontaire et s’est beaucoup occupé de l’évangélisation de la France et de la mission française au sud de l’Afrique.
Un autre fils de César Malan s’appelle aussi César, mais pour se distinguer de son père, a, quelque temps, joint à son nom celui de sa seconde femme, née Sillem. Il a été pasteur de l’Église française d’Hanau et de l’Église suisse de Gênes. De retour à Genève depuis 1856, il s’y est occupé de divers travaux théologiques et y a présidé des services bibliques destinés à la jeunesse. Notons parmi ses ouvrages : la Vie de son père, la traduction de Genève religieuse du baron de Goltz, une Etude sur les miracles, une autre sur le Dogmatisme, divers articles dans les revues théologiques de France et de l’étrangerc.
c – Voir, pour tous ces détails, l’Encyclopédie des sciences religieuses.
Revenons à César Malan. L’année 1810, pendant laquelle il fut consacré, nous amène, on le sait, au commencement du mouvement qui sera le Réveil.
La Société des Amis s’organise, Empaytaz s’attire peu après le blâme de la Compagnie, l’effervescence se manifeste progressivement.
Quelle est la situation de Malan à l’égard de ce mouvement ! Chose curieuse, il y reste d’abord complètement étranger ; pendant cinq ou six ans, il prêche une doctrine absolument opposée à celle de l’Évangile de la grâce : il ne trouvait même pas dans ces années-là de goût à la lecture de la Bible. Il raconte lui-même comment, ayant voulu lire l’Écriture pour se distraire en voyage, « il en trouva le style et le langage vulgaire, » en sorte qu’il la mit de côté pour un ouvrage de littératured.
d – La vie et les travaux de César Malan, p. 89.
Ce fut vers 1814 qu’il commença à croire à l’œuvre du Sauveur (ces détails sont empruntés à un mémoire justificatif qu’il se vit amené à adresser en 1830 à quelques pasteurs, ses amis, et complétés par des notes que possédait son biographe). « Cependant, dès les premiers jours de son ministère, il avait eu un entretien avec un pasteur vaudois, qui l’amena à faire un sérieux retour sur ses croyances : ayant prêché dans l’Église de ce pasteur, celui-ci s’approcha de lui après le culte, le visage triste et sévère, et d’abord il ne lui dit que ces mots :« Monsieur, il m’a paru que vous ne savez pas que, pour convertir autrui, il faut d’abord être converti soi-même. Votre sermon n’est pas chrétien, et j’espère que mes paroissiens ne l’auront pas compris ! « Paroles salutaires ! ajoute Malan ; ce furent elles, et tout ce que ce fidèle serviteur de Christ y joignit ensuite, qui me firent comprendre ce qu’est en effet un chrétiene. »
e – La vie et les travaux de César Malan, p. 40.
Vinrent ensuite les prédications fidèles de Demellayer, Galland, Coulin, Gaussen, Paul Henry (de Berlin) surtout Moulinié. Cependant son développement spirituel s’accomplissait sans qu’il se mêlât aux réunions d’Empaytaz et de ses amis ; s’il y paraissait quelquefois, il en resta cependant tout à fait indépendant et ce ne fut pas cette influence qui l’amena à la vérité. Dès l’origine, il y eut donc pour ainsi dire deux mouvements parallèles, l’un qui aboutit à l’Église du Bourg-du-Four, l’autre à celle du Pré-l’Évêque : il n’y a pas eu, avant Malan, « un parti du Réveil » qui l’a précédé et dont il s’est approprié l’œuvre : ce sont deux évolutions semblables, mais séparées.
Malan compare sa conversion à ce qu’éprouve un enfant que sa mère réveille par un baiser : il bénit Dieu qui lui a épargné les craintes, les troubles et les doutes pénibles par où passent tant d’âmes avant de parvenir à la paix que donne la foi.
Avant sa conversion, il y a déjà pour lui des « vérités de Dieu » objectives qu’il sent le devoir de proclamer et d’imposer comme telles. Sa foi est déjà une foi d’autorité et revêt la forme dogmatique qui caractérisera plus tard son système théologique. Avant que Dieu fût pour lui le Père dont la charité éternelle vint remplir son cœur d’une adoration émue, il voyait dans le Dieu de sa conscience, le Dieu personnel, vivant et vrai. Sa conversion suivit ainsi une marche très normale, car si c’est Christ qui seul mène au Père, c’est bien la crainte de Dieu, le sentiment de la sainteté de la Loi divine, en un mot c’est bien « le Dieu vivant » qui seul nous conduit au Sauveur.
« En somme, chez Malan, un théisme vivant, selon l’expression même de son fils, a précédé un christianisme tout aussi vivant. La crainte de Dieu a été le mobile de toute son activité religieuse. C’est là ce qui lui a donné de bonne heure une fermeté et une clarté qui enlevaient à sa conduite toute hésitation. C’est cette fidélité du cœur qui n’a jamais laissé le doute venir obscurcir sa pensée religieusef. »
f – La vie et les travaux de César Malan, page 47-50.
Mais, cela dit, il faut reconnaître que Malan était dans les ténèbres les plus complètes quant à la doctrine du salut. Il en donne lui-même pour preuve un sermon qu’il avait composé peu de temps après sa consécration, sous la direction spéciale d’un de ses professeurs. Il l’avait prêché, en 1813, deux fois dans les temples de Genève et, plus souvent encore, dans ceux de la campagne, cela à la satisfaction générale. Le texte en était : « Je ne me persuade pas d’avoir atteint la perfection, mais, etc. » (Philippiens 3.13-14). Dès l’exorde, le prédicateur établit que l’homme doit se sauver lui-même par ses œuvres et reproche à ses auditeurs de n’être pas encore assez riches en vertus pour mériter le ciel ; puis vient la tractation même du sujet, divisé en trois points : 1° Nature du perfectionnement ; 2° sa nécessité ; 3° sa possibilité. Et voici la conclusion : « En voyant les vertus que vous aurez acquises vous ouvrir sans peine la route à de nouvelles vertus, vous goûterez des délices secrètes et qu’on ne saurait exprimer. Le sentiment de vos progrès remplira vos cœurs d’un doux espoir, et ce sera ainsi qu’en augmentant chaque jour votre précieux trésor, ce trésor d’or épuré par le feu (Apoc, III), avec lequel on achète l’immortalité, vous verrez arriver, pleins de célestes émotions, l’heure fortunée où vous remettrez au Créateur votre âme embellie de vertusg. » Malan mentionne encore un autre sermon dans lequel, l’année suivante, il s’efforçait d’établir que « la religion est la seule base solide dés vertus nationales. » Ni dans l’un, ni dans l’autre de ces discours, il n’était question de Jésus-Christ ou, du moins, du salut qu’il apporte.
g – Le témoignage de Dieu annoncé dans des sermons, etc., par C. Malan. Paris, Genève et Londres, 1838, p. xiv-xv.
En 1816, Malan se lie avec deux étrangers pieux : M. de Sack, de Berlin, et M. Wendt, pasteur luthérien à Genève. Un soir que M. de Sack lisait devant lui le chapitre 5 de l’épître aux Romains, Malan est tout ému par cette lecture, particulièrement par le verset 10 : « Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant déjà réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie. »
Peu après, un jour qu’il lisait l’Évangile dans sa classe pendant que ses élèves faisaient un devoir, le verset 10 du chapitre 2 des Ephésiens le remplit de joie : « Vous êtes sauvés par grâce, par la foi ; cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu. » Il sort aussitôt dans la cour du collège, ne peut maîtriser son émotion et s’écrie : « Je suis sauvé ! je suis sauvé ! »
A la fin de l’année, il entre en relations avec Haldane ; en 1817, il a avec lui de fréquents rapports, et, par son moyen, arrive à des clartés définitives sur la réalité du salut gratuit. Le docteur Mason et le révérend Bruen, de New-York, exercent aussi sur lui une heureuse influence. Si, en 1816, — année qu’il appelle « l’année de sa délivrance, » — il avait déjà compris ses erreurs, en 1817 il parvient à la connaissance positive de la vérité. « Je fus enrichi, dit-il, de la perle de grand prix, et, dès ce bienheureux moment, le monde et le ciel, cette vie et l’éternité, l’homme et son Dieu se présentèrent à mon esprit sous des relations toutes nouvelles. Ce fut une résurrection dans tout mon être intellectuel et moral. » Ne voulant plus désormais vivre que pour Dieu et l’avancement de son règne, il rompt complètement avec le passé, détruit tous ses manuscrits, jette au feu une collection d’auteurs classiques qu’il avait laborieusement formée et qui avait été jusque-là son plus précieux trésor ; il dit qu’il n’a plus le temps de les lire et que toute sa vie ne peut être consacrée qu’au service de Dieu ; sentiment peut-être excessif dans ses résultats, mais profondément respectable, et qui nous montre bien quelle était la trempe de cet esprit, décidé à aller quand même jusqu’aux extrêmes conséquences de ses principes ; évidemment, si on a pu, plus tard, l’accuser d’intolérance à l’égard des autres, il a commencé par être intolérant pour lui-même. Sa conversion est véritablement une seconde création. « Les choses vieilles étaient passées ; voici, toutes choses étaient faites nouvelles. »
Les convictions évangéliques de Malan ne pouvaient se manifester sans soulever des tempêtes : le 5 et le 6 mars 1817, il prêchait, à Genève, son discours intitulé : « L’homme ne peut être justifié que par la foi. » On connaît les événements qui suivirent.
Le lendemain de la prédication, Chenevière vint le prier, de la part de la Compagnie, de « changer sa doctrine, vu le danger qu’il y avait à prêcher que les bonnes œuvres ne sont pas nécessaires à l’acquisition du salut. » Malan refusa ; en conséquence, la chaire lui fut fermée en ville, et la plupart des pasteurs de la campagne la lui refusèrent aussi.
Il aurait pu alors se séparer de l’Église nationale et se mettre à la tête de la dissidence. On se souvient qu’il avait été le premier sur la liste des pasteurs élus par l’Église indépendante : il ne voulut pas accepter. Les réunions ne le satisfaisaient pas : « J’assistai à l’une d’elles, dit-il, et je n’en fus pas content ; je crus y trouver plus de sensation que de vérité. Aussi détournai-je ceux de ma famille qui m’en parlèrent, et leur déclarai-je que je n’approuvais pas la doctrine que j’y avais entendue et encore moins les cantiques qu’on y avait chantés. »
Le 3 mai 1817, la Compagnie publia le Règlement.
A cette occasion, il faut remarquer quelle fut l’attitude des catholiques dans cette affaire. Plusieurs blâmèrent très vivement la Compagnie, et leurs protestations nuisirent au parti du Réveil. Cette intervention arrêta plus d’une réclamation, qui, sans cela, se fût fait entendre de la part des Réformés. On craignait, en effet, de paraître se joindre aux ennemis acharnés du protestantisme lui-même.
L’écrit intitulé : Histoire véritable des mômiers de Genève (Genève, 1824), qui prend le parti du Réveil, est dû à une plume catholique.
Malan refusa de se soumettre et demanda la chaire pour le 8 juin ; elle ne lui fut pas accordée. Des amis essayèrent de le décider à signer le Règlement : il hésitait, voyait avec douleur la prédication de l’Évangile interdite à son zèle, suppliait la Compagnie, dans une lettre datée du 1er août, de lui rendre le libre exercice de son ministère, protestant de sa fidélité à l’Église nationale. Mais cette lettre ne fut pas lue, Malan ayant consenti, sur les instances du modérateur, à la retirer et à ajourner toute nouvelle démarche du même genre.
Les choses en restèrent là pendant une année. Durant ce temps, Malan s’occupait toujours plus exclusivement de sa classe au collège et donnait des prédications à Ferney-Voltaire depuis le mois de juin 1817. Il fondait aussi une école du dimanche dans le local de sa classe, au collège ; mais, au bout de cinq mois, la Compagnie lui interdit l’usage de ce local ; l’école resta interrompue pendant plus d’un an, jusqu’à ce que Malan la rouvrit, en novembre 1818, dans sa maison du Pré-l’Évêque. Ce fut pour les deux classes de cette école, garçons et filles, qu’il publia le petit catéchisme intitulé : Le Petit Garçon chrétien et La Petite Fille chrétienne.
Déjà, en 1816, il avait fondé un Asile de repenties, dans lequel il eut des encouragements et des bénédictions.
Mais rien ne pouvait le consoler de son exclusion des chaires ; plusieurs amis, Cellérier père entre autres, le suppliaient de se soumettre : on lui montra que le Règlement n’avait pas le sens prohibitif qui l’avait effrayé, et, après bien des hésitations, il écrivit, le 6 mai 1818, à la Compagnie : « J’ai péché contre vous, mes frères, par un déplorable esprit d’exclusion, qui n’était point la sagesse qui vient d’En Haut. Vous avez eu des torts à mon égard ; quelque pénibles qu’ils aient été, je ne me les rappelle point ; les miens envers vous ont été si grands que j’ai le plus pressant besoin que le passé s’oublie. Je voudrais, mes frères, dans cette heureuse circonstance, vous accorder tout ce que vous avez désiré de moi ; je ferai, du moins, tout ce qui m’est permis, et si je ne puis approuver un règlement qui n’est pas selon mes principes, je veux m’y soumettre, afin que la paix ne soit plus troublée. Oui ! mes frères, la charité mutuelle vaut mieux que le triomphe des opinions, même les plus légitimes : je l’ai senti ; je vous le prouveraih. »
h – La vie et les travaux de C. Malan, p. 75.
Cette lettre fut blâmée vivement par plusieurs des amis de Malan : lui-même ne devait pas tarder à la rétracter et à reconnaître que sa bonne foi avait été surprise.
Quant à la Compagnie, elle lui accorda aussitôt la chaire ; il prêcha deux fois, en mai et en août : ses sermons sur Matthieu 26.40, et Jacques 2.14, furent le signal d’une lutte nouvelle ; Malan y prêchait la divinité du Sauveur, l’inutilité des œuvres, bref ce qui faisait le fonds de sa foi. La Compagnie, décidée à en finir, lui interdit toutes les chaires de la ville et de la campagne, refusant de l’entendre, ou même, ainsi qu’il le lui offrait, de prendre connaissance de ses sermons avant qu’il les prononçât. Bien plus, elle arrêta, le 9 août, qu’aucune demande venant de lui ne serait mise en délibération si elle n’était appuyée par neuf de ses propres membres.
La situation pastorale de Malan était donc définitivement réglée : restait sa situation académique.
Depuis sa conversion, il avait totalement changé sa méthode d’enseignement. « Jusque-là, son école, si admirée, si encensée (ce sont ses propres expressions), n’avait été que l’une de ces vastes manufactures d’éducation terrestre, un de ces ateliers de raison et de vertu, où l’intelligence n’est rendue capable que d’elle-même, où le cœur n’est tourné que vers la création ! L’émulation, c’est-à-dire l’orgueil dans toute sa puissance, en était le mobile. Après la conversion du maître, les choses changèrent : il vit dans ses élèves des êtres immortels qui devaient être ou citoyens des cieux ou héritiers de la colère, et cette solennelle pensée imprima à ses principes et à ses instructions une direction totalement opposée à celle qu’il avait précédemment suivie. Il introduisit la Bible dans l’école et donna à son enseignement un caractère spécifiquement religieux : il en obtint, d’ailleurs, d’excellents résultats ; il faisait œuvre de missionnaire autant que de pédagogue, et le pieux Cellérier, visitant un jour son école, lui disait : « Que j’aime à vous voir ici comme » un vrai missionnaire !i »
i – La vie et les travaux de C. Malan, p. 84.
Mais tel n’était pas le sentiment de toute la Compagnie ; il s’en fallait de beaucoup.
Le jour même où la Compagnie des pasteurs interdisait les chaires à Malan, la Compagnie académique, qui se composait des pasteurs et de quelques professeurs, commença à prendre contre lui des mesures disciplinaires. On lui reprocha d’avoir, sans autorisation préalable, introduit dans sa classe son Ethicum carmen, de se servir de la Bible dans ses leçons de religion, enfin de s’être permis de faire des changements dans le catéchisme officiel.
A l’égard des deux premières accusations, Malan pouvait alléguer le consentement de ses supérieurs : aussi furent-elles bientôt abandonnées, et toute la discussion se borna à ce qui concernait l’emploi du catéchisme.
Malan donna des explications, soutenant qu’il ne changeait pas le catéchisme, qu’il se bornait à développer quelques-uns de ses points : il invoquait les transformations heureuses qui s’étaient produites sous l’influence de cet enseignement chez plusieurs de ses élèves. La Compagnie ne voulut rien entendre, et, après des échanges de lettres qui restèrent sans résultat, elle prononça la déchéance de Malan de ses fonctions de régent.
Il en appela alors au conseil d’État, lui exposa qu’il n’avait enfreint ni loi de l’État, ni institution de l’Église, ni engagement pris par lui-même ; comment sa conduite, au contraire, n’avait été dictée que par l’obéissance à la voix de sa conscience ; comment elle n’avait contre elle que le caprice de la Compagnie, qui, sans vouloir elle-même donner sa propre confession de foi, n’en persécutait pas moins pour des raisons de doctrine. En même temps, il faisait appel à ce fait, que la doctrine qu’il avait enseignée était si peu au-dessus de la portée des enfants que, jusqu’à ce jour, elle était à la base de l’instruction religieuse de la jeunesse dans toutes les autres Églises de la Réformation. Mais le gouvernement ne voulut pas contredire la Compagnie, et, le 6 novembre, Malan fut renvoyé de sa place. Il prit congé de ses élèves, en leur dictant des Directions pour la conduite d’un enfant chrétien ; puis, il se retira dans une maison située dans le faubourg du Pré-l’Évêque.
Les deux liens qui l’unissaient à l’Église nationale étaient donc brisés : il aurait, encore à ce moment, pu céder aux sollicitations de nombreux amis qui le pressaient de quitter Genève, d’autant plus que sa situation matérielle était très précaire ; il aurait pu aussi se rallier à la dissidence ; il ne voulut pas : il ne voulut ni s’éloigner de Genève, ni rompre définitivement avec l’Église nationale, estimant qu’il y était à sa place, et que l’interdiction dont il était l’objet ne venait que de la présence d’un parti hétérodoxe, qui n’avait même pas le droit d’être représenté dans l’Église de Calvin. Pour faire face aux besoins matériels, il prit chez lui des pensionnaires ; pour réaliser son vœu le plus cher, au point de vue spirituel, qui était la prédication de l’Évangile, il continua son culte de Ferney.
A cette occasion, les railleries ne lui manquaient pas. On lut, le 7 octobre 1818, dans la Feuille d’Avis, de Genève, l’article suivant : « Dimanche prochain, à Ferney-Voltaire, la troupe des mômiers (c’était le nom qu’on donnait aux partisans du Réveil), sous la direction du sieur Régentin (Malan, qui était encore régent), continuera ses exercices de fantasmagorie, jonglerie et tours de force simples. Le paillasse noir contribuera, par ses lazzis, à faire rire ses auditeurs. On trouvera des billets d’entrée près le bureau de la loteriej. » Malan, qui avait lu cet avis, était si loin de s’imaginer qu’il en fût l’objet, qu’en sortant du service, il demanda lui-même à un ami où étaient donc ces saltimbanques dont on avait annoncé la représentation.
j – De Goltz, op. cit., p. 181.
Après avoir mis sous les yeux du public les faits relatifs à sa destitution, sous la forme d’un mémoire intitulé : Pièces relatives à la destitution du ministre Malan de sa place de régent, il s’occupa plus que jamais d’évangélisation. Il avait ouvert, dès le mois de septembre, des réunions d’édification chez lui, et avait recommencé son école du dimanche ; ces assemblées se tenaient dans une petite salle qu’il avait disposée pour cela dans son jardin.
Ces réunions étaient de simples cultes, dans lesquels on lisait et méditait l’Écriture sainte ; on chantait un psaume ; puis la séance se terminait par une prière qu’improvisait un des assistants ou qu’on empruntait aux recueils d’Ostervald ou de Doddridge ; ils avaient lieu plusieurs fois dans la semaine, le matin et le soir, et le dimanche à une heure qui permettait à chacun de se rendre au culte des Églises de la ville. Malan, du reste, n’avait pas cessé avec sa famille de communier régulièrement dans les temples.
Il recevait de nombreux témoignages de sympathie, soit de la part de ses amis, soit de la part d’étrangers. Peu à peu ceux qui suivaient ses réunions le considérèrent, avec son assentiment, comme leur pasteur ; c’était un pas décisif vers la séparation. Il se rapprocha aussi à ce moment (1819) de l’Église du Bourg-de-Four ; mais, voulant faire une dernière tentative auprès de l’Église nationale, il écrivit au conseil d’État pour lui demander l’usage d’un des temples de la ville. Cette requête fut lue en Conseil le 29 décembre 1819, et il fut arrêté « qu’il n’y avait pas lieu à délibération. »
Malan se décida alors à bâtir une chapelle, après avoir obtenu l’autorisation des magistrats, sur l’assurance qu’il leur donna « qu’il n’avait aucune intention de troubler la paix de l’État (1820). »
Désireux de conserver toujours intacts les liens qui le rattachaient à l’Église nationale, il évitait de baptiser, de bénir des mariages et de célébrer la sainte Cène dans son local. Il se bornait à prêcher l’Évangile. Comme on l’accusait de s’être séparé de l’Église, il publia en janvier 1821 une Déclaration de fidélité à l’Église de Genève. On y répondit par des brochures où on lui disputait le droit de distinguer entre sa position et celle d’une dissidence avouée et où on lui refusait celui de prendre le titre de ministre.
Malgré ces attaques, son influence grandissait ; il avait des catéchumènes, auxquels il donnait des certificats avec lesquels ils pussent se présenter à la communion, et cela sans avoir été interrogés par le pasteur de leur quartier ou avoir pris part à une « réception » publique. Il avait encouragé des catholiques convertis à s’approcher de la sainte Cène sans signer la formule d’abjuration alors en usage, et, tout en protestant de son attachement à l’Église nationale, il en attaquait par là certaines institutions.
Aussi la Compagnie, après avoir une dernière fois essayé des mesures de conciliation, décréta en avril 1823 que Malan serait suspendu « de ses fonctions ecclésiastiques. » Le conseil d’État ne voulut pas ratifier immédiatement cette mesure : il invita le Consistoire à redoubler d’efforts dans le but d’opérer une entente.
Malan comparut le 8 et le 15 juillet : il déclara ne pouvoir rien céder quant à sa ligne de conduite en général, tout en avouant qu’il avait eu tort dans quelques faits spéciaux. Le conseil d’État, sur la proposition du Consistoire, prononça alors sa suspension : il y répondit en se séparant lui-même, « comme ministre de Dieu et comme simple citoyen, de l’Église protestante du canton telle qu’elle existe maintenant. » Devant cette déclaration, la Compagnie annonça que Malan était « déchu du ministère ecclésiastique. »
Quant à son Église, elle s’était déjà rattachée avec lui à l’Église presbytérienne d’Écosse ; rien n’y fut changé, si ce n’est que la célébration du baptême et de la sainte Cène y fut dès lors introduite.
Malan avait demandé au conseil d’État de le faire profiter de la liberté religieuse, dont jouissaient les luthériens, les calvinistes allemands et les anglicans. On le lui promit, aussi longtemps du moins que cela serait compatible avec les intérêts de l’ordre public.
C’était le 19 mars 1820 que l’on avait commencé à creuser les fondements de la chapelle dans le jardin du Pré-l’Évêque.
« Dès les premiers coups de pioche, Félix Neff, qui allait, les jours où il n’était pas de service, travailler comme ouvrier chez les particuliers, trouva dans la terre qu’il remuait une petite pièce de cuivre qu’il apporta à Malan. C’était un jeton portant sur une de ses faces l’image d’un semeur, avec cette devise : Ex iactura lucrum, (le gain naît des semailles). En y jetant les yeux, Malan ne put s’empêcher de penser à ces mots du psalmiste, où une moisson triomphante est promise à celui qui dépose en pleurant la semence dans la terre. Il se rappela encore la médaille que Francke avait trouvée lui aussi, lorsqu’il jetait les fondements de son orphelinat de Hallek. »
k – La vie et les travaux de C. Malan, p. 123.
Au milieu de réelles difficultés pécuniaires, on parvint à bâtir la chapelle, à laquelle Malan donna le nom de Chapelle du Témoignage, « soit parce qu’il ne voulait y prêcher que le témoignage que Dieu a rendu de son Fils, » soit parce qu’il désirait que « cette chapelle fût un témoignage public contre le clergé qui l’avait destitué et rejeté à cause de la doctrine évangélique. »
Il plaça sous la pierre de l’angle, dans une boîte de plomb, un parchemin sur lequel il avait consigné les circonstances dans lesquelles cette église était bâtie.
Le 8 octobre 1820, il l’inaugura.
De tout ce que nous avons dit précédemment, on peut inférer que Malan ne voulait pas créer un ordre de choses nouveau au point de vue ecclésiastique. Sa doctrine était un retour à la doctrine de Calvin. Sa discipline le fut aussi. Il s’est tenu loin de tous les principes séparatistes, et n’a pris aucune part aux nombreux essais que l’on faisait pour créer des organisations nouvelles sur le modèle des institutions apostoliques.
Pour lui, son Église est la véritable continuation de l’Église de Calvin, tandis que l’Église nationale est dans un état de déchéance.
Si, dans l’état actuel, l’Église doit être nécessairement séparée de l’État et avoir son organisation particulière, cette organisation ne saurait être le congrégationalisme. Aussi Malan s’était-il, dès le commencement, rattaché à l’Église presbytérienne d’Écosse.
L’Église du Témoignage était donc gouvernée par un presbytère ; Malan y avait aussi établi un diaconat.
Evidemment, son caractère peu pliant ne devait pas s’accommoder d’un partage dans la direction de son troupeau, et son presbytérianisme aboutit la plupart du temps à l’épiscopalisme ; mais, enfin, le principe même était conservé avec soin, et l’application ou la non application ne dépendit que de circonstances personnelles au pasteur.
En 1823, Malan introduisit dans son Église un recueil de Chants chrétiens qu’il avait lui-même composés et mis en musique. Ce recueil fut réimprimé en 1828, sous le titre de Chants de Sionl.
l – Il composa une multitude de poèmes ou de chants.
Son activité littéraire était infatigable. A côté d’une foule de Traités, d’ouvrages de controverse sur la prédestination et le baptême, il vouait une attention soutenue à la marche des événements dans sa patrie et dans l’Église de son pays. Il protesta contre l’érection d’une statue à Rousseau. Il prit part, dans plusieurs écrits, à la polémique contre les doctrines et les pratiques de l’Église romaine, ainsi qu’à tout ce qui se rapportait à la séparation de l’Église et de l’État.
Bien plus, il avait sa maison remplie de jeunes Anglais dont il était chargé de surveiller les études ; plusieurs devinrent des chrétiens éminents, entre autres Charles de Rodt et le missionnaire John Adams. En 1826, il avait fondé une classe ou école de théologie pour former des évangélistes et des pasteurs, de laquelle sont sortis plusieurs serviteurs de Dieu, qui tous ont prêché, de la manière la plus décidée, la doctrine de la prédestination, pivot de toute la théologie de Malan.
Les rapports entre l’Église du Bourg-de-Four et celle de Malan ne furent pas toujours faciles.
L’Église du Bourg-de-Four commença en 1824 par ne pas reconnaître celle du Pré-l’Évêque, soutenant qu’elle n’avait pas suffisamment confiance dans les éléments dont elle était formée. On essaya plus tard d’un rapprochement ; Malan ne voulut pas s’y prêter. Les controverses au sujet du baptême, qui agitèrent le Bourg-de-Four, n’étaient pas faites pour provoquer l’union, Malan étant nettement pédobaptiste. De 1824 à 1830 ce furent des essais, toujours infructueux, de conciliation.
En réalité, le rapprochement n’était pas possible. Sur le terrain de la doctrine, quoiqu’il y eût unité sur les points réellement fondamentaux, il y avait désaccord sur ce qui, pour Malan, était le point fondamental par excellence : la doctrine de la prédestination. Il la prêchait dans toute sa rigueur et accusait Bost et Neff d’arminianisme. Le Bourg-de-Four, en effet, était loin d’accorder à cette doctrine la place centrale qu’on lui donnait au Témoignage.
Au point de vue ecclésiastique, Malan était presbytérien convaincu et rejetait absolument le principe d’imitation des Églises apostoliques. Impossible donc de s’entendre avec une Église qui soutenait ce principe jusqu’à ses dernières conséquences, et était franchement congrégationaliste.
A côté de cela, mille petitesses : le Bourg-de-Four contestait, par exemple, à Malan le droit de donner à son Église le nom d’Église du Témoignage, car, disait-elle, les fidèles du Pré-l’Évêque n’étaient pas seuls à rendre témoignage à l’Évangile. Elle alla même jusqu’à ne pas reconnaître à l’Église de Malan le titre d’Église chrétienne ; car, disait-elle, il ne peut y avoir deux Églises chrétiennes dans la même ville, etc., etc.
En fait, Malan et le Bourg-de-Four ne se sont pas compris : l’une des Églises mettait l’accent sur certaines doctrines, l’autre le mettait sur certaines idées ecclésiastiques. Il n’y avait pas de conciliation possible.
Mais peu à peu, indirectement, les principes du Bourg-de-Four s’infiltrèrent chez quelques paroissiens de Malan. L’autorité du pasteur, l’application de la discipline, qui était presque entièrement entre ses mains, le maintien du costume spécial du prédicateur, le rejet du culte mutuel dont on faisait tant de cas dans l’autre Église, toutes ces idées ou ces habitudes du Témoignage étaient trop opposées à celles du Bourg-de-Four pour qu’une réaction ne fût pas à craindre : au Bourg-de-Four, l’autorité des ministres était à peu près méconnue, les pasteurs voyaient souvent leur considération diminuée par telle ou telle décision du troupeau, mais le troupeau lui-même y avait une sorte de satisfaction. Le Témoignage, travaillé par ces idées, commença à trouver lourde la domination de son pasteur ; et lorsque celui-ci lui demanda, en 1830, un vote de confiance quant à sa doctrine (c’était toujours sa préoccupation), environ soixante des membres de l’Église se séparèrent de lui et se rattachèrent à l’Église du Bourg-de-Four ; de leur nombre étaient ses meilleurs et ses plus chers amis.
L’Église du Témoignage ne s’est jamais relevée de ce coup. Depuis lors, Malan se vit de plus en plus isolé, et, bien qu’il ait poursuivi longtemps encore son œuvre avec une inébranlable constance, et que son activité et son influence à l’étranger aient été en augmentant, le nombre de ses auditeurs diminua toujours d’année en année. Quelques-uns de ceux qui l’avaient quitté revinrent bien de nouveau se grouper autour de lui ; mais la belle époque de l’Église du Témoignage se termine évidemment en 1830.
Mais, d’autre part, on peut dire qu’à partir de ce moment, Malan trouva sa véritable voie : peu qualifié pour être pasteur, il était, au contraire, admirablement doué pour être évangéliste, et quand les circonstances eurent restreint forcément son rôle pastoral, il se tourna résolument vers l’évangélisation et y déploya largement tous les talents que Dieu lui avait confiés.
Le premier voyage de missions que fit Malan eut lieu en 1822 ; le second en 1826. Dans ces deux occasions, il alla en Angleterre et en Écosse ; il y fut reçu avec enthousiasme, son nom et son œuvre à Genève ayant déjà une grande notoriété ; peu après son retour, il reçut de l’université de Glasgow le titre de docteur en théologie.
Son diplôme, daté du 10 octobre 1826, et signé du chancelier et des dix-huit professeurs, lui fut envoyé « comme au pasteur très fidèle, à l’homme excellent, recommandable au plus haut degré par sa piété et la sainteté de sa vie, et particulièrement digne des plus hauts honneurs théologiques. » Il avait annoncé la décision prise à cet égard dans une lettre à sa femme, en lui disant : « L’université de Glasgow m’a conféré le titre de docteur en théologie. Dieu veuille me rendre tel en la puissance de son Esprit ! » De là ce titre de docteur qu’il ajouta depuis à son nom et qui explique cette appellation : le docteur César Malan.
Ce fut aussi après ce voyage qu’il fonda à Genève la Société du Bon Dépôt (1827), « pour garder la foi dans toute son étendue, dans des traités religieux comme dans la diffusion de la Bible et dans des missions étrangères et domestiques. » Cette société acquit une véritable importance et la conserva jusqu’au moment où la Société évangélique fut devenue à Genève le centre de toute activité de ce genre.
En 1828, Malan alla de nouveau en Angleterre, en Écosse et en Irlande ; il y publia, pendant la convalescence d’une maladie, un petit volume en anglais sur l’Assurance du salut, qui eut rapidement deux éditions.
Mais ce n’étaient alors que des épisodes dans la vie du pasteur du Témoignage. Après 1830, au contraire, ces voyages tiennent une place beaucoup plus grande dans son activité. En effet, Malan se voit alors abandonné : il reste isolé à Genève ; la Société évangélique se constitue sans qu’il se joigne à ses fondateurs : ni eux, ni lui n’en avaient d’ailleurs grande envie.
Il réduit à deux ses réunions de la semaine, qui étaient auparavant au nombre de quatre ; mais il ne cesse pas de prêcher tous les dimanches, quelquefois à trois reprisesm.
m – En octobre 1820, son sermon de dédicace de la chapelle avait été le 187.
Son activité de prédicateur est presque sans limites ; dans son voyage en France de 1836, il prêche cinquante fois du 17 avril au 31 mai, et ce n’est que la première partie de cette mission ; dans un second voyage, en 1841, il prêche cent cinquante quatre fois du 5 février au 30 mai. Il prononçait très rarement deux fois le même discours. Jusqu’en 1821, il les écrivait entièrement ; puis, le temps lui manquant pour cela, il se mit à improviser, mais jamais sans une profonde et sérieuse préparation.
Quant au débit, son geste et son élocution étaient naturels. Grave, profondément sérieux et souvent même saisissant de solennité, il n’était jamais boursouflé ou pompeux. Il évitait la phrase et, pour lui appliquer une expression de Vinet, « il parlait, il ne prêchait pas. »
Il y avait en lui, comme le dit M. Guizot de tous les hommes du Réveil, la passion du salut des âmes. Il réalisait admirablement la parole de l’apôtre qui recommande d’exhorter en temps et hors de temps. Non pas qu’il ne se sentît parfois gêné en se voyant l’objet de regards curieux ou l’occasion des chuchotements et des sourires railleurs d’un public prévenu : « J’ai souvent éprouvé, dit-il, qu’il m’était difficile d’entamer une conversation religieuse avec des étrangers. » Il souffrait des insultes qui l’accueillaient presque toujours quand il sortait dans les rues de la ville. Il souffrait de se sentir méconnu, méprisé par ceux qu’il voulait sauver, mais tout cela disparaissait dès qu’il s’agissait de rendre témoignage à l’Évangile du salut. Dès lors, ce n’était plus César Malan, c’était le ministre, le serviteur d’une foi qui nous domine tous, le héraut de Celui qu’il faut savoir seul honorer. L’éternité alors, comme il disait, « la redoutable éternité, » les intérêts éternels de l’âme, la vie et la mort pour l’éternité, voilà ce qui faisait taire aussitôt chez lui toute préoccupation et tout sentiment personnel.
Il était évangéliste dans ses conversations, persuadé, disait-il, qu’une conversation est souvent plus efficace que plusieurs sermons. Il tenait beaucoup aussi à la distribution des traités religieux et ne perdait aucune occasion d’en donner d’appropriés aux besoins de ceux qu’il avait devant lui. Ses promenades, à Genève même, ont été pour lui, jusqu’à la fin, l’occasion d’une véritable mission intérieure. Ses voyages dans la Grande-Bretagne lui avaient fourni, à ce sujet, plus d’une inspiration.
Il y retourna, en 1833, 1834, 1839 et 1843. En 1836 et 1841, il annonça l’Évangile en France ; en 1842, en Belgique et en Hollande ; en 1845, il retourna dans ce dernier pays, et, en 1849, 1852 et 1853 revint en France. En 1856, il visita Elberfeld et fit son dernier voyage missionnaire dans les vallées vaudoises du Piémont.
Quelques-uns de ces voyages étaient dus à sa seule initiative. La plupart du temps, cependant, il était envoyé ou appelé par des Églises ou des sociétés religieuses.
Son idéal de l’évangélisation était, comme il le dit, la prédication de la Parole par des missionnaires qui, voyageant eux-mêmes, sauraient aborder les voyageurs et leur présenter, avec le salut affable de la vraie charité, de petits traités religieux ou même le volume sacré, leur laissant ainsi des prédicateurs qui les accompagneraient dans leurs journées et les entretiendraient dans leur maison.
Voici quelques traits qui montreront comment il réalisait autant que possible cet idéal : ils sont empruntés au récit du voyage qu’il fit dans le midi de la France en 1836.
Il était en diligence, de Genève à Dôle, avec un catholique. Voulant lui faire quelque bien, il lui dit simplement : « Monsieur, je voudrais vous parler de votre âme, mais je ne sais comment m’y prendre. — Eh bien ! Monsieur, continuez, lui répondit spirituellement son interlocuteur. » Il continua, ou plutôt tous deux continuèrent, et, en le quittant, Malan eut le bonheur de l’entendre remercier Dieu de lui avoir fait parler du salut et demander une Bible.
Une autre fois, en diligence encore, entre Paris et Versailles, il y avait avec le missionnaire cinq jeunes négociants, fort aimables, qu’il entendait causer avec vivacité de mille choses. Tout à coup, il leur dit : « Vous autres, Français, vous me faites l’effet de cerfs-volants sans ficelle. — Premièrement, Monsieur, lui dirent-ils, prouvez que nous sommes des cerfs-volants, ensuite vous nous direz comment il se fait que nous soyons sans ficelle. » Malan leur montra aisément, l’Évangile à la main, que l’homme n’est que le jouet de la vanité, et que, s’il n’est retenu par la forte corde de l’Esprit de Dieu, il est infailliblement emporté par le vent fougueux de la convoitise et des passions. Il leur demanda si ce n’était pas leur cas, et quatre d’entre eux étant descendus à Sèvres, Malan eut avec le dernier une conversation sérieuse et prolongée.
De Paris, il va à Angoulême, Bordeaux, Libourne. A Libourne, à table d’hôte, un homme s’écrie : « Pour moi, ma religion, c’est d’être gastronome ! » Malan répond qu’un plus sage que nous a dit que le ventre et les aliments sont faits pour être détruits. La conversation s’engage vivement, et Malan finit par distribuer des traités à tous les assistants.
Il remarque cependant qu’il est difficile d’entamer une conversation sérieuse à table d’hôte.
Il visite Bergerac, Sainte-Foy, Clairac, répand ses traités, s’adresse en passant à des ouvriers sur la route, ne perd pas une occasion de parler du Sauveur.
Il vient à Montauban, prêche dans les environs, à Lagarde.
A Toulouse, il voit le pasteur Chabrand et les frères Courtois. Il prêche souvent à l’hôpital militaire, parle à ses auditeurs comme à des soldats, leur dit entre autres choses : « On vous enseigne probablement qu’il y a de petits et de grands péchés, mais cela n’est pas ! Supposons que, dans un temps de guerre, vous ayiez reçu la consigne, comme sentinelle, — et en disant cela, Malan fixait son regard sur celui d’un vieux grenadier à moustache grise, — de ne pas laisser passer la cocarde ennemie. Tandis que vous êtes à votre poste, arrive un petit enfant portant cette cocarde, qui vous dit : Monsieur la sentinelle, laissez-moi passer ! — On ne passe pas ! lui répondrez-vous. — Mais c’est pour aller voir ma mère ! — On ne passe pas ! répéterez-vous. Et l’enfant s’éloignera. Eh bien ! c’est la même chose, quant à ces péchés que l’on nomme petits, etc. » Le dimanche suivant, les soldats fermèrent la porte à leur aumônier catholique : « Allez prêcher vos sornettes ailleurs, lui criaient-ils, et amenez-nous le Monsieur de l’autre jour ! » La chose fit du bruit ; on en référa même à Paris, et il en résulta finalement pour les pasteurs protestants une entrée plus libre à l’hôpital.
De Toulouse, il va dans l’Ariège, à Calmont, à Mirepoix, puis se dirige vers la Méditerranée, s’arrête dix jours à Perpignan, où il tient des réunions dans la salle d’un bâtiment destiné à devenir incessamment la résidence de l’évêque. A Rivesaltes, un beau mouvement résulte de ses prédications ; il le compare lui-même à la résurrection des ossements desséchés, dans le célèbre passage d’Ezéchiel (ch. 37). Dix ou douze personnes quittent le catholicisme, et plusieurs dames forment un comité pour la dissémination des Écritures. On disait à Malan : « Si vous restiez ici quelques jours de plus, nous quitterions tous le catholicisme. » Il pense, au contraire, que c’est pour lui le moment de se retirer et de laisser agir l’Esprit de Dieu dans les cœurs. Et l’on voit ici le tact de Malan, uni à son zèle incontestable : « A quoi cela eût-il servi, dit-il, d’exciter dans cet endroit ce qui n’eût été qu’une révolution religieuse ? Je quittai, du reste, cette contrée plein de gratitude envers Dieu, désirant beaucoup qu’un missionnaire de l’Évangile pût y retourner, pourvu que ce fût un homme mûr et non un jeune homme. »
A Montpellier, il retrouve Lissignol, son ancien ami et camarade d’étude. Puis il va à Nîmes, à Montélimar, à Lyon, où il a la joie de revoir Ad. Monod, lequel désira qu’il parlât trois fois à son troupeau.
Enfin, il met à profit sa dernière étape, de Lyon à Genève, en diligence, pour avoir, avec un de ses compagnons de voyage, une conversation religieuse dont il espère de bons résultats.
Tels étaient les voyages missionnaires de Malan. Il en a raconté plusieurs dans divers ouvrages, entre autres : Quatre-vingts jours d’un missionnaire, paru en 1842 (voyage en Belgique et en Hollande) ; A visit to Scotland (1843) ; Un Pêcheur d’hommes vivants (1845) (second voyage en Hollande) ; Incidents de voyage (1856) ; enfin, cette même année, après son retour des vallées vaudoises : En temps et hors de temps. Citons aussi le récit qu’il fit d’un séjour dans l’Oberland bernois, en 1849, intitulé : Une semaine aux montagnes.
A côté de la narration même des voyages, on trouve dans ces livres des appréciations sur l’œuvre entreprise, comme des retours de la pensée sur l’activité, des fruits de l’expérience acquise : « Au commencement de mon ministère, dit l’évangéliste, je me persuadais facilement que c’était le Saint-Esprit qui agissait, quand ce n’était que le ton persuasif de l’homme. Plus d’une fois, j’ai dû reconnaître, en ce temps-là, que j’avais bâti avec du foin et du chaume. Mais depuis bien des années, j’ai appris à ne pas croire que toute émotion religieuse vienne d’En Haut. Je sais que le Saint-Esprit seul vivifie. Je tâche de l’écouter en mon cœur et de le suivre lorsque je répète ses enseignements. Je prie Dieu de l’envoyer devant la Parole dans ceux à qui je l’adresse. J’ai soin aussi de recommander à son efficace les âmes qui témoignent de quelque impression reçue ; mais je laisse le tout au Seigneur. Je préfère attendre l’effet plutôt que de l’anticipern. »
n – Quatre-vingts jours d’un missionnaire, p. 262.
Dans l’intervalle de ses voyages missionnaires, Malan ne cessait de s’occuper de ce qui se faisait dans l’Église, surtout dans l’Église nationale qu’il a toujours considérée comme la sienne.
En janvier 1831, Chenevière fit paraître un Essai sur le système théologique de la Trinité. Se bornant à reconnaître dans Jésus-Christ un être divin, il s’y élevait avec force contre la croyance athanasienne, et cela, au nom de l’histoire, de l’Église primitive, de la raison et de l’Écriture.
Cet écrit, où pour la première fois il semblait que la majorité de la Compagnie donnât enfin une expression positive à ses croyances, parut un fait tellement grave aux hommes de la Société évangélique, qu’ils se décidèrent à fonder leur École de théologie.
Quant à Malan, il répondit à deux reprises ; la première fois, peu de jours après la publication du professeur, il écrivit quelques pages intitulées : Aux familles genevoises qui recherchent avec sincérité, ou qui possèdent et qui aiment la vérité telle qu’elle est en Jésus. Un peu plus tard, il publia un volume de 200 pages, ayant pour titre : Jésus-Christ est l’Éternel Dieu, manifesté en chair, première réponse à l’écrit de M. le professeur Chenevière contre le Dieu des chrétiens, par César Malan, ministre de Notre grand Dieu et Sauveur Jésus Christ.
L’ouvrage, qui eut promptement deux éditions, produisit une immense sensation dans Genève. L’imprimerie qui le publiait fut littéralement envahie par une foule de gens qui emportaient les feuilles encore humides et les lisaient dans la rue.
Une autre polémique, à laquelle Malan prit part, se rattache à la célébration du Jubilé de 1835. C’était le centenaire de la Réformation. A cette occasion, le clergé de l’Église nationale voulut ressaisir une influence que menaçaient, soit les mesures par lesquelles le gouvernement commençait à limiter ses prérogatives, soit le progrès toujours plus effrayant d’un catholicisme agressif, soit enfin l’extension rapide d’une orthodoxie et surtout d’une activité religieuse dont il sentait qu’il avait trop complètement abandonné l’initiative à la dissidence.
Il fit alors paraître une nouvelle traduction des saintes Écritures, préparée avec soin et depuis de longues années par les membres de la Compagnie, mais dont la tendance dogmatique était telle que sa publication amena, de la part de la Société biblique britannique et étrangère, une rupture motivée avec la Société biblique de l’Église de Genève. Du reste, on a remplacé cette version dans l’Église nationale elle-même.
La seconde démarche de la Compagnie fut la mise au concours, avec prix de 1000 florins, du sujet suivant : Le méthodisme : 1° Quelles sont les causes qui ont amené le méthodisme dans nos murs ? 2° Quels sont ses vices, ses dangers pour l’État, l’Église nationale et le bonheur des familles en particulier ? 3° Quels sont les meilleurs moyens de le combattre et de l’éloigner ?
Les concurrents (on avait invité à prendre part à ce concours tous les ecclésiastiques genevois) devaient déposer leurs mémoires entre les mains de M. le professeur Chenevière.
A peine Malan eut-il reçu ce programme, paru dans les premiers jours de l’année, qu’il publia en février, sous le titre : Le procès du méthodisme mis devant ses juges compétents, une brochure de 80 pages, où il examinait successivement les trois questions posées. A la première, il répondait que le méthodisme n’était que la doctrine de la Réformation, la religion et la foi des pères, et qu’il s’était manifesté lorsque, par suite des hérésies du dernier siècle, l’arbre de la Réformation semblait périr.
A la seconde question, Malan répondait en exposant les principes et les mœurs des méthodistes.
Enfin, quant aux moyens d’éloigner le méthodisme, il déclarait n’en connaître qu’un qui fût efficace : ôter la Bible. Le dédain, l’aversion, l’opposition, le bras séculier ont été déjà employés, mais sont restés impuissants.
En même temps qu’il faisait paraître cet écrit, il annonçait comme une : Réponse sans réplique de maître Jean Calvin lui-même et de ses frères les pasteurs de l’Église de Genève au livre de M. le professeur Chenevière contre l’élection de Dieu, une réimpression de la Congrégation de Calvin. Un exemplaire de ce petit opuscule, depuis longtemps presque oublié, lui avait été envoyé en 1820, avec quelques mots de raillerie, par un libraire de la ville, et avait été pour lui depuis lors, comme il le dit lui-même, une constante et précieuse lecture.
Quant au programme sur l’extirpation du méthodisme, il ne paraît pas que le prix de 1000 florins ait été adjugé à personne.
Quelques mois plus tard, toujours en 1835, Malan publia un dialogue populaire, intitulé : Le vrai Jubilé, dans lequel il montrait comment et dans quel esprit cette fête devait être célébrée.
En tous cas, chose singulière, c’est à partir de 1835 que cessent les attaques plus ou moins officielles contre le méthodisme. Reconnu par la majorité pour ce qu’il est, il se voit admis peu à peu dans l’opinion publique au bénéfice du droit commun.
De son côté, l’Église nationale adopte d’autres allures : le fameux règlement du 3 mai 1817 tombe en désuétude ; la prédication de la doctrine évangélique n’est plus mise à l’index ; elle se relève bientôt de toutes parts, en même temps que la liberté des cultes, qu’on s’était jusque-là contenté de laisser subsister dans les mœurs, vient s’inscrire explicitement dans la loi.
Depuis lors aussi, Malan n’est plus appelé, en fait de polémique protestante, à repousser des attaques issues plus ou moins ouvertement du clergé national considéré comme tel. Les quelques écrits de ce genre qu’il fait encore paraître se confondent avec les écrits d’une polémique générale de doctrines, ou bien portent le caractère spécial et parfois personnel des occasions qui les ont fait naître.
Il défendit même, en 1847, l’Église nationale alors menacée d’une ruine totale par la modification de ses rapports avec le pouvoir civil, et lança dans le public trois pages intitulées : « Ne remue pas la borne ancienne que tes pères ont posée » (Prov.22.28). Il se séparait en cela du parti évangélique, qui tout entier semblait saisir, dans le renversement de l’Église nationale, l’avènement d’une ère nouvelle.
On se souvient que jamais d’ailleurs il ne s’était senti en communion parfaite d’idées avec les dissidents de Genève. Il ne s’était pas joint à la Société évangélique en 1830 ; plus tard, en 1849, lorsque les deux congrégations distinctes de l’Oratoire et de la Pélisserie se réunirent et formèrent une Église nouvelle, il ne fusionna pas davantage avec elles. Pour des raisons dogmatiques, il resta dans sa situation de pasteur du Témoignage. Cinq ans plus tard, en 1854, il fit une démarche pour être admis dans l’Église évangélique, tout en conservant son caractère de ministre et de pasteur spécial des quelques âmes qui le suivaient encore. Cette demande ne fut pas accueillie : ce qu’on aurait voulu, c’était la fusion ; ce que Malan désirait, c’était l’union. Il avait coutume de dire : fusion, confusion ; union, communion.
Il en aurait, du reste, toujours coûté à Malan de rompre définitivement le lien qui le rattachait, dans sa pensée, à l’Église nationale. A l’occasion d’une assertion faite en 1855, dans le sein du Grand Conseil, « que la raison d’être des Églises dissidentes, c’était avant tout le renversement de l’Église nationale, » il fit paraître une brochure intitulée : L’Église du Témoignage dans ses rapports de doctrine et de discipline avec l’ancienne Église de Genève. Il y soutenait que loin d’être en opposition avec la véritable Église nationale de Genève, lui et son troupeau n’aspiraient qu’au renouvellement des anciennes doctrines et de l’ancienne vie de cette Église.
Du reste, il s’en fallut de très peu, non qu’il rentrât dans cette Église comme pasteur, ce dont il n’a jamais eu l’idée et ce que ses principes sur la discipline lui auraient absolument interdit, mais qu’il y exerçât encore son ministère comme prédicateur de l’Évangile. Il le souhaitait très vivement lui-même. Comme son fils lui parlait un jour des désirs que quelques personnes formaient à ce sujet, son œil s’illumina soudain comme d’un éclair que voilèrent bientôt les marques d’une émotion profonde : « Serait-il bien possible, s’écria-t-il, serait-il bien possible que je prêchasse encore une fois dans Saint-Pierre avant d’aller vers mon Dieu ? » Malheureusement il y eut des malentendus ; les démarches furent mal engagées et la chose n’aboutit pas.
Quant aux rapports de Malan avec les Églises libres proprement dites, notamment avec l’Église libre d’Écosse, ils furent souvent difficiles.
Il eut aussi à souffrir de calomnies qui furent répandues sur son compte dans les Églises de Hollande.
Disons enfin quelques mots de sa polémique contre le catholicisme. Elle commença en 1837. Jusque-là, il avait toujours évité une controverse qu’il estimait « ne pouvoir aboutir qu’à exciter les passions. » Du reste, il s’élevait, dans sa conception du christianisme, au-dessus des différences entre catholiques et protestants, et nous avons vu qu’en 1820 il n’exigeait pas une abjuration formelle de tels ou tels catholiques, du moment où il était arrivé à les regarder comme de vrais chrétiens. Ce sont les principes exposés dans son : Protestant vraiment catholique.
Plus tard, mis directement en demeure de descendre sur le terrain d’une controverse réelle, il soutint une polémique avec divers ecclésiastiques, notamment avec l’abbé de Baudry, et fit paraître plusieurs traités ou brochures contre les erreurs romaines. Deux de ces traités, La vraie Croix et La Valaisane, répandus en Italie, y eurent un vrai succès. Un des hommes qui, à Turin, s’employaient avec le plus de dévouement à l’évangélisation disait : « Nous ne pouvons en imprimer assez et nous voudrions en couvrir l’Italie. »
Telle était l’activité que déployait César Malan : pour avoir une idée de son étendue et du nombre des écrits divers sortis de cette plume, il suffira de dire que la liste de ses ouvrages et chants remplit treize pages à la fin de sa biographie.
Avant de prendre congé de cette figure si intéressante, jetons un coup d’œil sur sa vie privée.
Nous avons vu que Malan habitait une maison au Pré-l’Évêque ; à la suite d’une inondation qui eut lieu en 1820 et dans laquelle on n’eut à déplorer que des pertes matérielles, il lui donna le nom de Pré béni, nom qu’il transporta à une autre campagne qu’il alla habiter avec sa famille trois ans après. Ils y demeurèrent pendant plus de trente ans, y reçurent la visite de beaucoup d’étrangers qui venaient voir le pasteur du Témoignage et s’entretenir avec lui, entre autres Tholuck, qui y fit un petit séjour, et Ostertag, de l’Institut des missions de Bâle.
Dans cet intérieur, on peut dire que tout respirait la crainte de Dieu et le désir d’obéir à sa volonté. Voici le tableau du culte de famille, tel que le décrit Ostertag : « Il n’y avait pas, dit-il, dans la vie de la famille, de plus beaux moments que ceux du culte domestique du matin et du soir. Celaient de précieuses heures de bénédiction et de recueillement. Il va sans dire que tous ceux qui faisaient partie de la maison y devaient prendre part, même les hôtes et les domestiques. Un des enfants apportait un guéridon qu’il avançait, après y avoir placé la grande Bible de famille et le livre des cantiques de Malan, devant la chaise destinée au père de famille. L’aînée des filles se mettait au piano, tandis que les assistants s’asseyaient en cercle tout autour avec leurs bibles dans la main. Malan commençait par une très courte prière qu’il prononçait assis, puis il indiquait un cantique que les gens de la maison chantaient le plus souvent de mémoire. Il lisait alors, avec beaucoup de solennité, un chapitre de la Bible, en y mettant une expression qui pouvait souvent tenir lieu d’explication. Il parlait ensuite environ un quart d’heure sur ce qu’il avait lu, le plus souvent avec une onction toute spéciale, et en ayant toujours soin d’en faire l’application aux besoins individuels de ceux auxquels il s’adressait. Enfin venait la prière, qu’on faisait à genoux, et qui consistait surtout en la louange de Dieu et en des actions de grâces pour les grandes œuvres du salut. Il avait aussi coutume, dans la prière proprement dite, de recommander au Seigneur les grands et les petits, l’individuel et le général, — l’Église de Christ, sa régénération intérieure et sa dissémination sur le monde entier, — la patrie suisse et Genève, sa ville bien-aimée, — sa petite Église avec ses besoins spéciaux, — les membres de sa maison, ainsi que les préoccupations ou les joies que les circonstances du jour amenaient avec elles. Il mentionnait aussi spécialement les hôtes qui étaient là, et, en général, chacun suivant sa vocation, son état d’âme, ses plans et sa position personnelle. Tout cela était mis devant le Père des miséricordes et au nom du Seigneur Jésus avec tant de confiance et d’intimité qu’en se relevant d’une semblable prière on se sentait toujours rafraîchi et fortifiéo. »
o – La vie et les travaux de C. Malan, p. 366.
Malan était, avant tout, un homme de prière : il avait un besoin instinctif de rechercher pour toute chose et en toute chose la bénédiction de Dieu. Il disait : « Il faut aller à Dieu tout d’abord, et non pas en désespoir de cause et quand on se voit à bout d’expédients. Il faut, avant de se décider à entreprendre quoi que ce soit, avoir soin de consulter l’Éternel. »
L’observation du dimanche était chez lui très rigoureuse.
Mais il ne faudrait pas croire cependant que l’austérité d’un tel christianisme l’élevât, lui et les siens, au-dessus de la vie matérielle jusqu’à lui en faire mépriser le cours ordinaire. Personne, au contraire, n’a aimé autant que Malan égayer cette vie par les distractions permises et salutaires, et détendre l’âme par la bonne éducation du corps.
Il y a à ce sujet des pages délicieuses dans sa biographie, où son fils, revenant sur ses souvenirs d’enfance, montre ce qu’était son père au milieu du cercle de la famille. S’occupant, jusqu’au moment où le temps lui a manqué, de l’éducation de ses enfants, se servant de l’admirable adresse qu’il avait dans les arts manuels pour construire les objets nécessaires à leur instruction, par exemple des machines électriques, leur montrant, avec une patience toute paternelle, la lanterne optique (il était défendu de dire la lanterne magique) avec des verres qu’il avait peints lui-même, leur enseignant le dessin, la musique où il excellait, l’imprimerie, la lithographie, la reliure, il leur tenait lieu de plusieurs précepteurs à la fois. Quand le temps était mauvais, les jours où ils étaient libres, il les amenait dans son « atelier, » vaste pièce où se trouvaient un tour pour le père, un plus petit pour eux, une forge avec un établi de serrurier, un banc de menuisier, etc. Il leur apprenait à reconnaître et à apprécier les bois, à fabriquer et à employer les outils. Ami des exercices du corps, il leur donnait aussi leurs premières leçons d’équitation et d’escrime. Très exact dans ses occupations, il tenait sa maison sur un pied d’ordre parfait. Il était levé tous les matins à quatre heures, et la première leçon de ses enfants avait lieu à six. De là son activité soutenue, mais jamais fiévreuse. On ne le voyait jamais pressé et ahuri, comme aussi il n’était ni rêveur ni causeur.
Une grande épreuve fut la mort d’un de ses fils, Jocelyn, qui lui fut enlevé par l’épilepsie, à l’âge de seize ans, au milieu d’horribles souffrances qui durèrent neuf années. Il partit dans une paix parfaite, conservant toujours au milieu de sa douleur la soumission la plus complète à la volonté de Dieu : « Je n’envie pas le sort de mes frères et de mes sœurs, je t’assure, disait-il à sa mère. Ils sont encore au milieu du monde, de ses tentations, de sa vanité, et moi j’en suis arraché par la force de mon Sauveur. Ah ! je suis plus heureux qu’eux tous ! » Tel était le fruit de l’éducation chrétienne que le père avait su donner à ses enfants.
C’était en 1846. Puis vint, pour Malan lui-même, le soir de la vie, soir plein de tristesse, désolé par l’isolement de plus en plus grand dans lequel il vivait à Genève, rendu bien douloureux aussi par des souffrances physiques qui ne lui laissèrent pas de répit jusqu’à la fin.
En 1855, il vend Pré-Béni et se transporte à Vandœuvres, dans une petite maison qu’il avait héritée de sa mère ; il y passa les sept dernières années de sa vie. Il ne cessait pas de prêcher le dimanche dans sa chapelle, mais il avait renoncé aux services de la semaine.
Il eut, en 1861, la grande joie d’assister à la réunion de l’Alliance évangélique à Genève et rentra, après plus de quarante ans, dans ce temple de Saint-Pierre, où il n’était pas allé depuis le jour où, en août 1818, il avait prêché le sermon qui lui avait fait interdire les chaires. Cette fois, ce n’était plus pour combattre et pour protester, c’était pour rendre grâces qu’il y pénétrait. Aussi sa joie fut-elle sans mélange : il voyait devant lui ce que Dieu lui-même avait opéré dans Genève depuis le temps où, tant d’années auparavant, il l’avait choisi, lui, « pour relever publiquement de la poussière l’étendard fané du pur Évangile ! »
Il continuait à recevoir à Vandœuvres beaucoup de visites d’amis ; il travaillait aussi à des cantiques et revoyait ceux qu’il avait déjà composés mais non encore publiés.
Le 25 avril 1861, il célébra ses noces d’or, entouré de sa nombreuse famille, et eut, en juin 1863, une dernière joie pastorale, celle de consacrer M. Lenoir dans la chapelle du Témoignage.
Mais la fin ne devait pas tarder à venir. Ses amis, Gaussen, les deux Rochat, Empaytaz, Galland, H. Olivier et beaucoup d’autres l’avaient devancé dans l’éternité.
Le 11 octobre, il baptisait encore dans sa chapelle. C’est le 8 novembre qu’il y est monté en chaire pour la dernière fois.
Peu après le mal s’aggrava, et le médecin dit ouvertement qu’il n’y avait à conserver aucun espoir. On prévint le malade qui, dès qu’il sut qu’il ne descendrait plus du lit sur lequel il était couché, fut rempli d’un calme et d’une paix complète. Ses souffrances augmentaient de jour en jour ; les deux derniers mois ne furent qu’une longue agonie. Il la supporta avec une admirable patience. Un jour que son fils lui parlait de la gloire céleste, de l’entrée dans la maison de Dieu, de la vue du Sauveur, son Maître bien-aimé, il attacha sur lui un regard calme et profond, dans lequel se peignait comme une sorte d’étonnement : « Mais, lui dit-il, Dieu ! le ciel ! la gloire ! le Sauveur ! mais ce sont là des réalités. Des réalités, mon ami. Pourquoi en parler pour s’émouvoir ? Ce sont des réalités, répéta-t-il encore. Ce qui passe, c’est ceci ! » ajouta-t-il en montrant ses mains amaigries et déjà presque paralysées.
Un autre jour, son fils lui demandait, après lui avoir fait la prière, « s’il avait quelque angoisse d’âme, quelque doute, quelque obscurité dans le cœur ? » Levant alors les yeux, et promenant son regard autour de lui : « Oh ! non, s’écria-t-il, je ne suis pas seul, je ne suis pas seul ! » Puis il répéta deux fois : « Non, il n’y a pas de nuage dans mon ciel ! »
A une personne qui le visitait, il dit : « Le Seigneur est avec moi tel que je l’ai toujours connu ! »
Il aurait désiré que sa chapelle passât entre les mains de ses frères de l’Église évangélique, pour qu’elle fût toujours affectée à la prédication du pur Évangile. On ne put pas s’entendre avec la société à laquelle avait été vendu le terrain ; du reste, des circonstances matérielles avaient rendu les parties de ce bâtiment telles qu’on n’eût pu penser à y établir un culte que d’une façon tout à fait provisoire.
Dans ces conditions, Malan exprima le vœu qu’il fût démoli encore de son vivant. On y accéda ; du reste, l’édifice était bâti très légèrement, et serait tombé en ruines dans un bref délai.
Ce fut le dimanche 8 mai 1864 que le fidèle pasteur fut recueilli dans le repos éternel. Le matin de ce jour, sa fille aînée entra dans sa chambre avec son frère, et lui dit : « Mon père, c’est aujourd’hui que le Seigneur Jésus viendra te chercher pour te prendre auprès de lui ! » Malan sourit à ces mots, puis il s’endormit et ne se réveilla plus. Lorsque la pâleur de la mort envahit tout à coup ses traits, son visage s’illumina soudain comme d’une expression de joie et de surprise : il était avec Dieu et entendait la parole du Maître : « Cela va bien, bon et fidèle serviteur. Entre dans la joie de ton Seigneur ! »
Le surlendemain eurent lieu ses obsèques. On y chanta deux versets de son beau cantique : Du rocher de Jacob, toute l’œuvre est parfaite. Puis on rendit sa dépouille mortelle à la terre, et l’on grava sur la pierre du tombeau ces paroles de l’Apocalypse : « Bienheureux sont les morts qui dorénavant meurent au Seigneur ! Oui, pour certain, dit l’Esprit, car ils se reposent de leurs travaux, et leurs œuvres les suivent » (Apocalypse 14.13)
Tel fut l’un des représentants les plus éminents du Réveil. Evidemment, tout est loin d’être parfait en lui. Sa théologie surtout, nous aurons l’occasion de le voir, nous inspire plus d’une réserve. On lui a reproché, non sans raison, son dogmatisme : « Il est positif, dit son biographe, que l’on n’entendait guère sa prédication, comme aussi que l’on ne saurait, à cette heure, lire la plus grande partie de ce qu’il a écrit, sans être toujours de nouveau frappé de ce fait, qu’il ne se bornait pas à rendre simplement témoignage à la réalité de l’objet de sa foi, mais qu’il entreprenait encore de justifier, et même d’imposer la formule intellectuelle par laquelle il était arrivé, lui, à se représenter cet objetp. »
p – La Vie et les travaux de César Malan, p. 251.
De là un ton tranchant, une méthode rigide qui se pliait peu aux diversités des consciences et des cœurs qu’elle voulait gagner à l’Évangile. On aimerait trouver chez lui, comme chez tel autre homme du Réveil, Félix Neff, par exemple, plus d’indulgence pour ce qui touche aux points secondaires de la foi, plus d’appels à la vie, au témoignage intérieur de l’Esprit, moins à l’autorité extérieure de la doctrine.
Mais à côté de ces lacunes, comment ne pas admirer la droiture de son caractère, la fermeté de sa foi, l’ardeur de son zèle ? Comment méconnaître qu’il est resté fidèle à l’idée première du Réveil, annoncer le pur Évangile ? La question ecclésiastique a tenu peu de place dans ses préoccupations. Evidemment, il avait plus le tempérament d’un évangéliste, d’un libre prédicateur de la Parole que celui d’un pasteur. Il ne savait pas conduire un troupeau ; il n’avait ni la douceur, ni la facilité aux transactions, ni l’inépuisable patience, qualités indispensables pour cette tâche. Sans les posséder, Malan a voulu fonder une Église, et son Église n’a pas vécu.
Mais du moins l’avait-il établie dans la position vraie et normale où toute dissidence aurait dû alors s’établir. Dans ses luttes avec la Compagnie, dans la constitution ecclésiastique de son troupeau, il reste fermement attaché à l’Église de ses pères. Il en revendique tous les droits. Il dit et redit qu’il se considère comme banni de sa patrie ecclésiastique. Aussi, tandis que le Bourg-de-Four se retire de la lutte et ne cause aucun ennui à la Compagnie, Malan reste à la brèche et suscite des embarras sans cesse renaissants au clergé genevois. Il en est un adversaire beaucoup plus redoutable, et on peut se demander si par là même il n’a pas mieux défendu la cause qu’il voulait servir.