Voici déjà le cinquième livre que j’écris contre Celse. Ce n’est pas, sage Ambroise, que j’aime à parler beaucoup. Cela nous est défendu ; et il n’est pas possible de parler beaucoup sans pécher (Prov., X, 19). Mais je voudrais bien s’il se pouvait ne rien laisser sans examen, de ce que Celse dit contre les Juifs, et contre nous surtout quand il peut sembler qu’il y ait quelque couleur à ses accusations (Ephés., VI, 11). Il ne tiendrait pas à nous que nous ne fissions pénétrer nos paroles jusque dans le cœur de chacun de ses lecteurs, pour en arracher tous les traits qui blessent ceux qui ne sont pas assez bien munis de toutes les armes de Dieu, et pour appliquer des remèdes spirituels sur les plaies que Celse y a faites par ses discours qui sont cause que ceux qui les écoutent, ne sont pas sains en la foi (Tit., II, 2). Mais il n’y a que Dieu qui puisse ainsi pénétrer invisiblement par son esprit, et par celui de Jésus-Christ dans les cœurs où il juge devoir habiter. Pour nous qui tâchons par notre voix et par nos écrits, de porter les hommes à la foi, ce que nous nous proposons, c’est de faire tous nos efforts pour acquérir le nom de ministres sans reproche qui savent bien dispenser ta parole de vérité (II Tim., II, 15). Comme donc une des choses où nous croyons être le plus engagés, c’est de réfuter, autant qu’il nous sera possible, les raisons apparentes de Celse, en nous acquittant fidèlement de ce que vous nous avez ordonné, passons à la réfutation de ce qu’il ajoute, après ce que nous avons combattu jusqu’à celle heure. Si nous y avons bien réussi, c’est au lecteur à en juger. Dieu veille que nous n’y apportions pas nos simples pensées et nos simples paroles, dépourvues de son feu divin, sans lequel la foi de ceux, pour le bien de qui nous désirons travailler ne serait établie que sur la sagesse des hommes (I Cor., II, 5) ; mais qu’ayant reçu l’Esprit de Jésus-Christ, par la grâce de son Père qui seul le peut donner, et nous trouvant fortifiés parce secours dans l’intelligence de la parole divine (II Cor., X, 5), nous abattions toutes les hauteurs qui s’élèvent contre la connaissance de Dieu (Ps. LXVIII, 12), et nous confondions l’orgueil de Celse, qui s’en prend à notre Jésus et à nous, à Moïse et aux prophètes. Qu’ainsi celui qui donne à ses messagers des paroles accompagnées d’une grande force pour annoncer l’Évangile (Act., IV, 33), communique la même force à notre discours, afin que ceux qui le liront en puissent remporter une foi, fondée sur la parole et sur la vertu de Dieu.
Voici donc ce que Celse nous donne maintenant à combattre. Vous ne devez pas croire, dit-il, s’adressant aux Juifs et aux chrétiens, que ni un Dieu, ni un Fils de Dieu soit descendu sur la terre, ni qu’il y descende jamais. Si c’est des anges que vous entendez parler, prétendez-vous que ce soient des dieux, ou quelque autre chose ? Vous dires sans doute, que c’est quelque autre chose, savoir des démons. Comme ce n’est là qu’une répétition de ce que Celse a déjà dit plusieurs fois, il n’est pas nécessaire de nous y arrêter beaucoup, y ayant suffisamment répondu. De tout ce que nous pourrions dire sur ce sujet, nous choisirons seulement quelques pensées, qui conviennent bien avec les précédentes, mais qui, à notre avis, ne sont pas absolument les mêmes : et nous ferons voir que niant en général comme il fait qu’un Dieu ou un fils de Dieu soit jamais descendu sur la terre, il renverse ce que l’on affirme communément des apparitions de Dieu, et ce qu’il a lui-même posé ci-dessus. Car s’il a raison de dire généralement, Qu’il ne faut pas croire que ni un Dieu, ni un Fils de Dieu, soit descendu sur la terre ni qu’il y descende jamais, il est certain qu’il ne faut pas croire non plus qu’il ait des dieux qui descendent du ciel en terre, pour rendre des oracles aux hommes touchant l’avenir, ou touchant les remèdes des maladies. De sorte qu’Apollon, Esculape et tous ces autres, que l’on va consulter, ne sont pas des dieux descendus du ciel : mais si ce sont des dieux, ce sont des dieux condamnés à demeurer toujours sur la terre, comme bannis du domicile des autres et privés de la liberté d’aller communiquer avec eux. Ou plutôt, ni Apollon, ni Esculape, ni aucun de ceux qu’on croit qui font de pareilles choses sur la terre, ne sont des dieux. Ce sont des démons, beaucoup inférieurs aux hommes illustres par leur vertu, puisque ceux-ci montent au plus haut du ciel après leur mort.
Voyez comme à mesure que Celse veut nous attaquer nous le surprenons qui se jette dans le parti d’Épicure, quoiqu’en tout son écrit il ait affecté de cacher qu’il fût épicurien. Qui que vous soyez donc qui lisez l’écrit de Celse, et qui en approuvez les maximes, il faut ou que vous niiez que Dieu vienne visiter la terre pour prendre soin de chaque homme en particulier, ou que vous reconnaissiez, si vous ne voulez pas nier cela que ce que vous aviez approuvé est faux. Si pour faire trouver véritable ce que Celse pose ici, vous niez absolument la Providence ; vous accusez de fausseté ce qu’il dit ailleurs, Qu’il y a des dieux qui ont soin des affaires du monde. Mais si vous reconnaissez la Providence sans vous arrêter à ce qu’il dit, Qu’il ne faut pas croire que ni un Dieu, ni un Fils de Dieu soit descendu sur la terre ni qu’il y descende jamais ; pourquoi n’examinerez-vous pas ce que nous disons de Jésus, et ce que les prophètes en ont prédit ? Pourquoi ne l’examinerez-vous pas avec soin, pour juger qui doit plutôt passer pour un Dieu et pour un Fils de Dieu, descendu en terre ou celui qui a fait et établi de si grandes choses, ou ceux qui, avec les réponses de leurs prétendus oracles, bien loin de porter à la vertu les personnes qu’ils guérissent de quelque maladie, les détournent de ce culte religieux, tout simple et tout pur, qui est dû au Créateur de l’univers ; et arrachent ainsi au seul vrai Dieu, qui se fait clairement connaître pour tel l’âme de leurs adhérents sous prétexte d’étendre la dévotion à un plus grand nombre de divinités ?
Après cela comme si les Juifs ou les chrétiens lui expliquant leur pensée, touchant ceux qui descendent en terre, lui avaient dit que ce sont des anges, il ajoute : Si c’est des anges que vous entendez parler ; et là-dessus, il leur demande : Prétendez-vous que ce soient des dieux ou quelque autre chose ? Ensuite, comme s’il savait leur réponse, il continue de la sorte : Vous direz sans doute que c’est quelque autre chose, savoir, des démons. Arrêtons-nous donc encore un peu ici. Nous reconnaissons que les anges sont des esprits, dont l’emploi est d’être envoyés pour servir ceux qui doivent être les héritiers du salut (Hébr., I, 14) : et que tantôt ils montent, pour porter les prières des hommes dans le ciel, la partie du monde la plus pure, ou même dans des lieux encore plus purs au-dessus du ciel ; tantôt ils descendent pour apporter de là, à chacun, ce que Dieu leur ordonne, selon qu’il le juge digne de ses bienfaits. Et comme nous savons que ce nom d’anges leur est donné à cause de leur emploi, nous voyons aussi, que parce que ce sont des anges divins, ils sont quelquefois nommés dieux (Ps. LXXII, 1, etc.), dans les saintes écritures ; mais sans qu’elles disent jamais rien pour nous obliger à servir religieusement et à adorer, au lieu de Dieu, ceux qui nous servent de sa part, et qui nous apportent ses faveurs. Car toutes nos supplications, nos prières, nos demandes et nos actions de grâces, doivent s’adresser au grand Dieu, par le souverain sacrificateur, qui est au-dessus de tous les anges, le Verbe vivant et animé qui est Dieu lui-même. Nous adresserons aussi des supplications, des prières, des demandes et des actions de grâces au Verbe, si nous pouvons comprendre le vrai usage et l’abus de la prière.
Mais d’invoquer les anges, sans savoir d’eux autre chose que ce que les hommes sont capables d’en savoir, ce serait manquer de raison. Posé même que l’on eût acquis une science si admirable et si cachée, cette propre connaissance que nous aurions de leur nature et de leurs différents emplois ne nous permettrait pas d’oser adresser nos prières à d’autre qu’à ce grand Dieu, le maître et l’arbitre absolu de toutes choses par son Fils notre Sauveur qui est le Verbe, la sagesse, la vérité (Jean, I, 1 et XIV, 6 ; I Cor., I, 24), et tout ce que disent de lui les écrits, tant des prophètes de Dieu, que des apôtres de Jésus-Christ. Pour nous rendre favorables les saints anges de Dieu et pour les porter à faire tout ce que nous en pouvons attendre, il suffît que nous ayons à l’égard de Dieu une disposition pareille à la leur, selon la portée de la nature humaine, nous proposant de les imiter comme ils se proposent d’imiter Dieu, et que nous tâchions, autant qu’il nous sera possible, de nous former de son Fils, le Verbe, une idée qui ne soit point contraire à l’idée plus nette et plus distincte qu’en ont les saints anges, mais qui en approche de jour en jour, par quelque nouveau degré de perfection et de lumière. Il faut n’avoir pas lu nos écrits sacrés, pour nous faire dire, comme si nous répondions à sa question, Que les anges qui descendent pour faire du bien aux hommes, sont quelque autre chose que des dieux, et que nous voulons sans doute, que ce soient des démons. Celse ne voit pas que ce nom de démons n’est pas un nom indifférent, comme celui d’hommes, qui est donné et aux bons et aux méchants ; ni un nom qui marque de bonnes qualités, comme celui de dieux, qui ne convient pas à de mauvais démons, à des simulacres ou à des animaux ; mais qui n’est attribué, par ceux qui sont savants dans la science de Dieu, qu’à des êtres véritablement divins et heureux. Le nom de démons est toujours appliqué à ces puissances malfaisantes et dégagées des corps grossiers, lesquelles s’occupent à séduire et à enlacer les hommes les détournant de Dieu et de ce qui est au-dessus du ciel, pour les attacher ici à des choses basses et terrestres.
Voici ce qu’il ajoute, touchant les Juifs : Il y a d’abord sujet de s’étonner que les Juifs qui servent religieusement le ciel et les anges qui y habitent, jugent indignes du même honneur le soleil, la lune et les autres astres, tant les étoiles fixes que les planètes ; ce qu’il y a de plus vénérable et de plus puissant dans le ciel : comme s’il était possible que le Tout fût Dieu, et qu’il n’y eût rien de divin dans les parties ; ou qu’il fût raisonnable d’adorer avec le plus profond respect ceux qu’on prétend qui se montrent, je ne sais où, dans les ténèbres, et par les illusions de la magie, à de pauvres aveugles, à des rêveurs qui se repaissent de visions creuses ; et de ne compter pour rien ces hérauts du monde supérieur qui portent des caractères si visibles de ce qu’ils sont, ces anges véritablement célestes qui font à tous les hommes des prédictions si claires et si certaines ; qui président sur la pluie et sur la chaleur ; sur les nuées, sur le tonnerre adoré par les Juifs, et sur les éclairs ; sur la production des fruits et sur la naissance de toutes choses ; qui leur ont fait connaître Dieu à eux-mêmes. Celse, à mon avis, tombe ici dans la confusion et dans le désordre, pour avoir écrit des choses qu’il ne savait pas ou dont il avait été mal informé ; car ceux qui ont pris connaissance de la doctrine des Juifs et de la conformité qu’elle a avec celle des chrétiens, savent que les Juifs ont une loi où Dieu est introduit, disant : N’ayez point d’autres dieux que moi : Ne vous faites point d’image, ni de représentation d’aucune chose qui soit en haut dans le ciel, ni en bas sur la terre, ni dans les eaux sous la terre : Ne les adorez et ne les servez point (Exod., III, 4 et 5). Et que suivant celle loi ils ne servent religieusement que le grand Dieu qui a fait le ciel, comme il a fait tout le reste. Or il est clair que ceux que servent religieusement de la manière que la loi l’ordonne celui qui a fait le ciel, ne servent pas religieusement le ciel avec Dieu. Il n’y a non plus aucun de ceux qui observent la loi de Moïse qui adore les anges du ciel. Ils ne s’abstiennent pas moins d’adorer le ciel et ses anges, que d’adorer le soleil, la lune et les étoiles, qui sont l’ornement du ciel ; et ils se souviennent de ce précepte : Gardez-vous que levant les yeux en haut, et voyant le soleil, et la lune, et les étoiles, et toutes les beautés du ciel, vous ne vous portiez par erreur à adorer ces choses et à les servir : c’est ce que le Seigneur votre Dieu a donné à toutes les nations pour leur partage (Deut., IV, 19).
Mais Celse, supposant, comme il lui plaît, que les Juifs prennent le ciel pour Dieu, il en infère contre eux qu’il est absurde d’adorer le ciel, et de ne pas adorer le soleil, la lune et les étoiles ; ce qu’ils font, dit-il, comme s’il était possible que le Tout fut Dieu, et qu’il n’y eût rien de divin dans les parties. Je crois que par le tout il entend le ciel, et par les parties, le soleil, la lune et les étoiles Il est assez évident que le ciel ne passe pas pour Dieu, ni parmi les Juifs, ni parmi les chrétiens ; mais accordons lui, puisqu’il le veut, que les Juifs prennent le ciel pour Dieu. Accordons-lui encore que le soleil, la lune et les étoiles soient des parties du ciel : bien que cela ne soit pas nécessairement véritable, puisque les animaux et les plantes qui sont sur la terre ne sont pas des parties de la terre. Comment nous prouvera-il que, selon les Grecs mêmes, si un tout est Dieu, il faut qu’il y ait aussi de la divinité dans ses parties ? Chacun sait que, parmi les stoïciens, tout l’univers passe pour Dieu, et pour le premier des dieux ; parmi quelques platoniciens pour le second ; et parmi d’autres pour le troisième Dirons-nous que, selon eux, puisque tout l’univers est Dieu, ses parties ont aussi de la divinité ; de sorte que, non seulement les hommes, mais encore les animaux sans raison qui sont des parties de l’univers, et les plantes mêmes soient des êtres divins ? Et comme les fleuves, les mers et les montagnes sont pareillement des parties de l’univers, faudra-t-il croire que, si tout l’univers est Dieu, les fleuves et les mers soient aussi des dieux ? Les Grecs n’en demeureront pas d’accord ; ils diront que, soit ces démons, soit ces divinités, comme ils parlent, qui président sur les fleuves et sur les mers, que ce sont ceux-là qui sont des dieux. Ainsi, la proposition universelle de Celse : Que si un tout est Dieu, il faut qu’il y ait aussi de la divinité dans ses parties, se trouve fausse, selon les Grecs mêmes qui admettent la Providence. Il s’ensuivrait encore, de là, que si l’univers est Dieu, il n’y aurait rien dans l’univers qui ne fût divin, étant du nombre de ses parties. De sorte que tous les animaux, les mouches, les moucherons, les vers, les serpents, de quelque espèce qu’ils puissent être, seraient des êtres divins, aussi bien que les oiseaux et les poissons. Ce que ne voudraient pas dire ceux mêmes qui disent que l’univers est Dieu. Pour les Juifs qui se conforment aux préceptes de la loi de Moïse, quand ils ne sauraient trouver l’explication d’aucune des choses qui y sont dites obscurément et qui renferment quelque sens caché, ils n’attribueraient pas pour cela la divinité, ni au ciel, ni aux anges.
Mais puisque nous avons dit que Celse tombe dans la confusion et dans le désordre pour avoir été mal informé, lâchons d’éclaircir les choses autant que nous pourrons, et faisons voir que tant s’en faut que ce soit une pratique autorisée par les lois des Juifs d’adorer le ciel et ses anges, comme il se l’imagine ; qu’au contraire, c’en est une qui ne les viole pas moins, que d’adorer le soleil, la lune, les étoiles et les simulacres (Jér., VII, 18, et XIX, 13). On trouve entre autres dans le prophète Jérémie, que Dieu se plaint, par lui, du peuple juif, qu’il adorait ces choses, et qu’il offrait des sacrifices à la reine des cieux et à toute leur armée. Cela paraît encore par les écrits des chrétiens, qui reprochent aux Juifs leurs péchés, des péchés, dis-je, de celle espère ; et qui disent que, à cause de ceux qui étaient coupables, Dieu privait de sa faveur cette nation ; car voici comme il en parle dans les actes des apôtres (Act., VII, 42) : Alors Dieu se détourna d’eux et les abandonna à servir l’armée du ciel, comme il est écrit au livre des prophètes ; maison d’Israël, m’avez-vous offert des sacrifices et des victimes dans le désert durant quarante ans ? Mais vous avez porté le tabernacle de Moloch, et l’astre de votre Dieu Remphan, et les figures que vous avez faites pour les adorer (Amos. V, 25). Saint Paul, tout de même, qui était parfaitement instruit dans les coutumes des Juifs, et qui fut ensuite converti au christianisme par une apparition miraculeuse de Jésus-Christ, parle ainsi dans son Épître aux Colossiens : Que nul ne prenne d’empire sur vous sous prétexte d’humilité et de servir les anges, entreprenant de pénétrer dans ce qu’il n’a point vu, étant enflé par les vaines imaginations d’un esprit charnel, et ne demeurant pas attaché à celui qui est la tête et le chef, duquel tout le corps de l’Église, recevant l’influence par les vaisseaux qui en joignent et lient les parties, s’entretient et s’augmente par l’accroissement que Dieu lui donne (Col., II, 18, 19). Celse, qui n’avait pas lu cela et qui n’en avait pas même ouï parler, pose je ne sais sur quel fondement, que les Juifs, sans violer leur loi, adorent le ciel et ses anges.
C’est par une erreur toute pareille et pour ne savoir pas bien ce dont il parle, qu’il se met dans l’esprit que les Juifs se portent à adorer les anges du ciel, sur les illusions et sur les prestiges de quelques magiciens qui, par les charmes qu’ils emploient, font paraître de certains fantômes. Il ne voit pas que s’il y en a qui en usent ainsi, ils pêchent encore contre la loi qui dit : N’allez point chercher ceux qui devinent, n’ayez nul commerce avec les magiciens pour vous souiller avec eux. Je suis le Seigneur votre Dieu (Lévit., XIX, 31). Il ne fallait donc point absolument attribuer cela aux Juifs, s’il voulait parler des Juifs qui observent la loi et qui se conforment à ses préceptes : ou le leur attribuant, il fallait dire que ceux qui le font sont des Juifs qui violent leur loi. D’un autre côté, comme c’est violer la loi que de servir et d’adorer ceux qu’on prétend qui se montrent je ne sais où dans les ténèbres et par le moyen des arts magiques, à de pauvres aveuglés, à des rêveurs qui se repaissent de visions creuses, et à quelques misérables de la sorte ; c’est la violer ouvertement aussi que de sacrifier au soleil, à la lune et aux étoiles : et il y a lieu de s’étonner qu’un même homme puisse également nommer Juifs, tant ceux qui refusent d’adorer le soleil, et la lune, elles étoiles, que ceux qui ne se font point scrupule d’adorer le ciel et les anges.
S’il faut maintenant que nous, qui faisons même profession que les Juifs de n’adorer ni les anges, ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles, rendions raison pour eux et pour nous de ce que nous n’adorons point ceux que les Grecs appellent des dieux visibles et sensibles, nous dirons qu’il est expressément remarqué, dans la loi de Moïse, que Dieu a donné ces choses en partage à toutes les nations qui sont sous le ciel, et non à ceux qu’il a pris, à l’exclusion de tous les peuples de la terre, pour sa portion choisie ; car il est écrit dans le Deutéronome : Gardez-vous que levant les yeux en haut, et voyant le soleil, et la lune, et les étoiles, et toutes les beautés du ciel, vous ne vous portiez par erreur à adorer ces choses et à les servir : c’est ce que le Seigneur votre Dieu a donné en partage à toutes les nations qui sont sous le ciel ; mais pour nous, le Seigneur, notre Dieu, nous a pris et nous a fait sortir d’Égypte, du milieu de la fournaise de fer, afin que nous soyons le peuple qu’il a pour héritage, comme il se voit aujourd’hui (Deut., IV, 19, 20). Dieu donc ayant destiné les Juifs à être une race choisie, un ordre de sacrificateurs rois, une nation sainte, un peuple d’acquisition (Exod., XIX, 6), et ayant dit d’eux à Abraham : Regarde le ciel et compte les étoiles, s’il t’est possible, ainsi sera la postérité (Gen., XV, 5), il ne se pouvait pas que ce peuple, qui espérait devenir comme les étoiles du ciel, adorât des choses auxquelles il devait être fait semblable en méditant et en observant la loi de Dieu. Car il leur a été dit : Le Seigneur votre Dieu vous a fait multiplier ; et l’on voit maintenant que vous (les en aussi grand nombre que les étoiles du ciel (Deut., I, 10). Et dans le prophète Daniel, il est ainsi parlé de l’état des hommes lorsqu’ils ressusciteront : En ce temps-là tous ceux de ton peuple qui seront écrits dans le livre seront sauvés, et plusieurs de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour le déshonneur et pour l’opprobre éternel. Ceux qui auront été bien instruits reluiront comme la splendeur du firmament, et les justes du commun brilleront comme les étoiles, a jamais et dans l’éternité (Dan., XII, 1, 2, 3). C’est de là que saint Paul a pris ce qu’il dit aussi de la résurrection. Il y a, dit-il, des corps célestes et des corps terrestres : l’éclat des corps célestes est autre que celui des corps terrestres. Le soleil a son éclat, la lune le sien et les étoiles le leur, et entre les étoiles l’une est plus éclatante que l’autre : il en arrivera de même dans la résurrection des morts (I Cor., XV, 40, 41, 42).
Il n’y a donc pas d’apparence que des personnes, qui ont appris à s’élever généreusement au-dessus de toutes les créatures, et à attendre de Dieu un bonheur parfait, après avoir mené une vie honnête, qui savent que c’est à eux qu’il a été dit : Vous êtes la lumière du monde, et que votre lumière luise devant tes hommes, afin que voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père qui est dans le ciel (Matth., V, 14 et 16), qui s’efforcent d’acquérir, ou qui ont même déjà acquis une sagesse toute lumineuse, une sagesse qui ne peut rien perdre de son éclat, cette sagesse qui est une réflexion de la lumière éternelle (Sag., VII, 26), il n’y a pas d’apparence que de telles personnes se laissent si fort éblouir à la lumière sensible du soleil, de la lune et des étoiles ; que, pour une lumière de cette espèce, elles s’imaginent être au-dessous de ces créatures et les devoir adorer, eux qui ont dans un si haut degré la lumière spirituelle de la connaissance, la vraie lumière, la lumière du monde, la lumière qui éclaire les hommes (Jean, I, 9, 8, 12, et I, 4). S’il fallait adorer ces corps célestes, ce ne serait pas à cause de leur lumière sensible, quelque admiration qu’elle excite ordinairement, mais plutôt à cause d’une lumière spirituelle et véritable, s’il est vrai que les astres soient des animaux qui aient de la raison et de la vertu, et qu’ils aient été éclairés des lumières de la connaissance par celle sagesse qui est une réflexion de la lumière éternelle (Sag., VII, 26). Car pour leur lumière sensible, c’est l’ouvrage du créateur de l’univers, au lieu que la spirituelle est peut-être un fruit de leur étude, et vient du libre mouvement de leur volonté.
Cette lumière spirituelle ne doit pas être pourtant un sujet d’adoration à ceux qui voient et qui comprennent la véritable lumière dont celle des astres ne peut être qu’un rayon, ni à ceux qui connaissent Dieu, le père de celle véritable lumière, duquel il a été très bien dit, que Dieu est la lumière même, et qu’il n’y a point en lui de ténèbres (I Jean, I, 5). Et comme ceux qui adorent le soleil, la lune et les étoiles à cause que leur lumière sensible est en même temps une lumière céleste, n’adoreraient pas une étincelle de feu ou une lampe qui éclaire sur la terre, voyant qu’il n’y a nulle proportion entre l’admirable beauté de ces objets, qu’ils estiment dignes d’être adorés, et la faible lumière d’une étincelle ou d’une lampe : ainsi ceux qui savent et qui comprennent comment Dieu est la lumière même (I Jean, I, 5), comment son Fils est la vraie lumière qui illumine tout homme venant dans le monde (Jean, I, 9), et comment ce Fils dit de lui-même : Je suis la lumière du monde (Ibid., VIII, 12), ceux-là ne sauraient raisonnablement adorer ce qu’il peut y avoir de véritable lumière dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles, qui n’est que comme une petite étincelle en comparaison de Dieu, la lumière même. Au reste, nous ne parlons pas ainsi du soleil, de la lune et des étoiles, pour déshonorer ces merveilleux ouvrages de Dieu, ni pour marquer que ce ne soient que des masses embrasées, selon la pensée d’Anaxagore, mais par le sentiment que nous avons tant de la majesté de Dieu qui est élevé au-dessus d’eux d’une distance infinie, que de la divinité de son Fils unique qui voit tout au-dessous de soi. Et parce que nous croyons que le soleil, la lune et les étoiles adressent aussi des prières au grand Dieu par son Fils unique, nous estimons que l’on ne doit pas prier ceux qui prient eux-mêmes, et qui aiment mieux nous renvoyer à ce Dieu qu’ils prient, que de nous attacher à eux ou de partager avec lui nos vœux et nos prières. Sur quoi je me servirai de cet exemple. Lorsque notre Sauveur et Notre-Seigneur fut appelé bon Maître, il renvoya à son Père celui qui avait ainsi parlé : Pourquoi m’appelles-tu bon ? lui dit-il, il n’y a que Dieu seul, que le Père qui soit bon (Matth., XIX, 16, 17). Si le Fils bien-aimé du Père a eu raison de dire cela, lui qui est l’image de la bonté de Dieu (Sag., VII, 26), avec combien plus de raison le soleil dirait-il à ceux qui l’adorent : Pourquoi m’adorez-vous ? Adorez le Seigneur, votre Dieu, et ne servez que lui seul (Matth., IV, 10). C’est lui que j’adore et que je sers moi-même, et que les autres astres, comme moi, adorent et servent aussi. Encore que vous ne soyez pas d’un ordre si excellent, vous ne devez pas laisser d’adresser vos prières à la parole de Dieu, (Ou au Verbe) laquelle vous peut guérir, ou beaucoup plutôt à son Père qui a envoyé sa parole aux fidèles des siècles passés, et les a guéris, les tirant de la corruption où ils étaient (Ps. CVII, 20).
Dieu donc, par un effet de sa bonté et de sa condescendance, se rend présent aux hommes, non d’une présence locale, mais d’une présence de soin et de direction, et le Fils de Dieu, qui n’est plus avec ses disciples de la manière qu’il y était sur la terre, est pourtant toujours avec eux pour accomplir la promesse qu’il leur a faite : Assurez-vous que je suis toujours avec vous jusqu’à la fin du monde (Matth., XXVIII, 20). En effet, comme la branche de la vigne ne peut porter de fruit, si elle ne demeure attachée au cep, ainsi les branches mystique de la vraie vigne, les disciples du Verbe ne peuvent porter les fruits de la vertu, s’ils ne demeurent attachés à ce vrai cep, le Christ de Dieu, qui est avec nous, bien que nous soyons localement sur la terre, et qui est de telle sorte partout avec ceux qui lui sont unis, qu’il est aussi partout avec ceux qui ne le connaissent point (Jean, XV, 4, 5). Car c’est ce que signifient, dans l’Évangile selon saint Jean, ces paroles de Jean Baptiste : Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas : c’est lui qui doit venir après moi (Jean, I, 26, 27). De manière qu’ayant avec nous celui qui remplit et le ciel et la terre, comme il le déclare lui-même, Ne remplis-je pas le ciel et la terre, dit le Seigneur (Jér., XXIII, 24) ? l’ayant, dis-je, proche de nous, selon ces autres paroles auxquelles nous ajoutons une entière foi : Je suis un Dieu de près, et nos pas un Dieu de loin, dit le Seigneur (Ibid., I. 23) : il serait absurde que nous nous arrêtassions à prier te soleil qui ne se répand pas partout, ou la lune, ou quelque étoile. Je veux que le soleil et la lune et les étoiles, pour me servir des propres parole ; de Celse, fassent des prédictions sur la pluie, sur la chaleur, sur les nuées, et sur le tonnerre. Quand cela serait vrai, ne faudrait-il pas plutôt rendre notre culte et nos hommages à Dieu sous les ordres duquel ils feraient de telles prédictions, que d’adorer ses prophètes Qu’ils en fassent encore, si l’on veut, et sur les éclairs, et sur les fruits, et sur la naissance de toutes choses, et qu’ils président sur tout cela : nous ne les adorerons pas pourtant, puisqu’ils adorent Dieu eux-mêmes, comme nous n’avons jamais adoré ni Moïse, ni les prophètes qui l’ont suivi, quoiqu’ils nous aient prédit, de la part de Dieu des choses bien plus excellentes que ni la pluie, ni la chaleur, les nuées ni le tonnerre ni les éclairs, ni les fruits, ni la naissance de toutes les choses sensibles. Quand même le soleil et la lune et les étoiles auraient à pouvoir de prédire des choses plus excellentes que la luis nous ne les adorerions pas pour cela ; nous adorerions Dieu l’auteur de leurs prédictions et le Verbe de Dieu, ce Verbe qui en est le ministre. Je veux aussi que ce soient des hérauts de Dieu, des anges véritablement célestes ; comment, dans cette supposition même, ne serait-il pas plus juste d’adorer Dieu seul, dont ils seraient ou les hérauts, ou les anges, que d’adorer ces anges et ces hérauts ?
Celse veut faire croire que nous ne comptons pour rien le soleil, la lune et les étoiles ; cependant nous sommes persuadés qu’eux aussi attendent la manifestation des enfants de Dieu, étant présentement assujettis à la vanité des corps matériels, à cause de celui qui les y a assujettis avec espérance (Rom., VIII, 19, 20, 21). Si, outre une infinité d’autres choses que nous disons du soleil et de la lune et des étoiles, Celse avait lu ce passage : Soleil et lune, loues le Seigneur ; étoiles et lumière, louez-le toutes ; et celui-ci : Cieux des Cieux, louez-le (Ps. CXLVIII 3 et 4), il ne nous attribuerait pas de compter pour rien ces nobles êtres qui louent hautement le Seigneur. Il n’avait jamais vu non plus cet autre passage : Les Créatures attendent avec grand désir la manifestation des enfants de Dieu, parce qu’elles sont assujetties à la vanité, et elles ne le sont pas volontairement, mais à cause de celui qui les y a assujetties avec espérance : car les créatures mêmes seront délivrées de cette servitude de corruption, pour participer à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu (Rom., VIII, 19). Nous finirons ici l’apologie que nous avions entrepris de faire sur ce que nous ne servons pas religieusement le soleil, ni la lune, ni les étoiles. Proposons maintenant la suite des objections de Celse, pour y appliquer, sous la faveur de Dieu, les réponses que la lumière de la vérité nous fournira.
C’est encore, dit-il, une de leurs folles imaginations, qu’après que Dieu aura allumé le feu, comme un cuisinier, tout le reste sera grillé, mais qu’eux seuls demeureront ; et non seulement ceux qui se trouveront alors en vie, mais ceux même qui seront morts depuis longtemps, que l’on verra sortir de dessous la terre avec cette même chair qu’ils avaient eue. Ce qui, à vrai dire, est une espérance digne de vers. Car où est l’âme humaine qui désirât de rentrer dans un corps pourri ? Il y a même des chrétiens qui ne sont pas de ce sentiment et qui soutiennent qu’il est également impie, abominable et impossible. En effet, comment un corps entièrement corrompu pourrait-il reprendre sa première nature et recouvrer celle même disposition de parties qui a été détruite ? Ne sachant que répondre, ils ont recours à la plus absurde de toutes les évasions ; que tout est possible à Dieu ; mais Dieu ne peut faire les choses déshonnêtes, et il ne veut rien de contraire à la nature. Dès que vos désirs déréglés vous auront mis dans l’esprit une chose digne d’horreur, ce n’est pas à dire que Dieu la puisse faire, ni qu’il faille incontinent croire qu’elle sera. Dieu n’est pas l’exécuteur de nos fantaisies criminelles, ni l’auteur de l’impureté et du désordre ; il est le directeur de la nature, où il n’y a rien que de droit et de juste. Il peut bien donner une vie immortelle à l’âme, mais, comme dit Héraclite, on doit faire moins d’état d’un corps mort, que si c’était du fumier. Immortaliser, contre toute raison, une chair pleine de choses qu’il est même mal séant de nommer, c’est ce que Dieu ne saurait ni faire, ni vouloir faire ; car comme il est la souveraine raison de tous les êtres, il ne saurait rien faire contre la raison, qu’il ne le fit contre lui-même.
Voyez d’abord comment il tourne en risée la doctrine de l’embrasement du monde, une doctrine qui a même été enseignée par des philosophes qui ne sont pas sans réputation parmi les Grecs. Nous voulons, à l’en croire, que Dieu allume le feu, comme un cuisinier ; mais il ne prend pas garde que ce feu est un feu purgatif, qui doit nettoyer le monde, comme quelques Grecs l’ont reconnu, le tenant peut-être des Juifs, l’un des plus anciens de tous les peuples, ou un feu qui doit servir tout ensemble, et de châtiment et de remède à chacun de ceux qui en auront besoin ; un feu qui brûlera et ne consumera pas ceux qui auront une matière qu’il ne sera pas nécessaire qui soit détruite ; mais qui brûlera et consumera ceux qui auront composé de bois, de foin et de paille (I Cor., III, 12) le bâtiment mystique de leurs actions, de leurs paroles et de leurs pensées. Les divins oracles nous disent que le Seigneur doit se présenter comme un feu de fonte et comme l’herbe aux foulons (Mal., III. 2) à chacun de ceux qui en auront besoin, à cause des mauvaises matières dont ils sont comme mêlés par la contagion des vices, et qui n’en peuvent être séparées que par la vertu d’un feu qui fonde, pour ainsi dire, ce mélange où il était entré de l’airain, de l’étain et du plomb. C’est ce qu’on pourra apprendre, si l’on veut, du prophète Ézéchiel (Ezéch., XXII, 18, 19, 20). Le prophète Isaïe peut aussi servir de témoin, que nous ne disons pas que Dieu allume le feu comme un cuisinier, mais comme le bienfaiteur de ceux à qui celle correction par le feu est nécessaire, puisqu’on trouve dans son livre, qu’il est dit à un certain peuple pécheur : Tu as des charbons de feu, assieds-toi dessus, et lu y trouveras du secours (Is., XLVII, 14, 15). L’Écriture, pour l’accommoder à l’esprit du commun de ses lecteurs, use de celle sage dispensation de cacher son sens sous des paroles terribles, pour effrayer ceux qui autrement ne sortiraient pas du bourbier de leurs péchés ; mais cependant, ceux qui lisent avec attention peuvent bien remarquer quel est le but de ces terribles menaces qui sont faites aux pécheurs, et de ces rudes châtiments qu’ils doivent souffrir. Il suffit maintenant de rapporter ce passage d’Isaïe : A cause de mon nom, je te montrerai ma colère, et je te ferai sentir les effets de ma puissance glorieuse, afin que je ne le détruise point (Is., LVIII, 9). Nous avons été contraints de découvrir des choses qui ne conviennent pas aux simples d’entre les fidèles à qui il ne faut pas d’autre sens que le littéral ; et nous l’avons fait, de peur qu’il ne semblât que nous laissassions sans réponse, ces paroles injurieuses de Celse : Après que Dieu aura allumé le feu, comme un cuisinier.
Ce que nous venons de dire peut faire comprendre aux personnes intelligentes, comment il faut répondre à ce qu’il ajoute, que tout le reste sera grillé, mais qu’eux seuls demeureront. Pour ceux que nos Écritures appellent, Ce qu’il y a de moins sage, selon le monde, ce qu’il y a de plus vil et de plus méprisable, ce qui n’est rien (I Cor., I, 27, 28), il ne faut pas s’étonner s’ils ont de semblables pensées. Car puisque le monde n’a pas su se servir de la sagesse pour connaître Dieu dans sa sagesse divine, il a plu à Dieu de sauver, par la folie de la prédication, ceux qui croiraient en lui. Ce sont des esprits qui ne peuvent pénétrer dans le sens des passages et qui ne veulent pas même se donner la peine de les examiner, quoique Jésus-Christ ait dit : Examines avec soin les Écritures (Jean. V, 39). De là vient qu’ils se forment de telles idées du feu que Dieu fera allumer et de ce qui arrivera aux pécheurs. Il se peut faire, au reste, que comme on est obligé de dire aux enfants des choses proportionnées à leur faiblesse, pour les porter à la vertu par des motifs qu’ils puissent comprendre : ainsi, le sens que ces menaces de peines et de supplices présentent le premier à l’esprit, est propre pour ces personnes que l’Écriture nomme les moins sages, les plus viles et les plus méprisables, selon le monde (I Cor., I, 27, 28), qui ne sont pas capables de se convertir autrement que par crainte, et qui ne renonceraient jamais aux vices qui les possèdent, sans cette terreur dont la dénonciation du châtiment leur remplit l’âme. La parole de Dieu nous apprend donc que le feu n’épargnera que ceux qui seront parfaitement purifiés, et dans leur doctrine, et dans leurs mœurs, et dans leur entendement ; qu’il n’y aura, dis-je, que ceux-là qui demeureront exempts de punition : mais que pour ceux qui ne se trouveront pas tels et qui auront besoin d’être châtiés par un feu dispensé selon leurs mérites, Dieu leur fera souffrir, dans une vue digne de sa sagesse, ce qu’il est juste qu’il fasse souffrir à des personnes qui, ayant été formées à son image, n’ont pas vécu d’une manière conforme à ce qu’exigeait d’eux une nature formée à l’image un Dieu. Voilà pour ce qu’il dit, que tout le reste sera grillé, mais qu’eux seuls demeureront.
Il faut, ou qu’il ait mal entendu les saintes Écritures, ou qu’il s’en soit rapporté à des personnes qui les entendaient mal, lorsqu’il nous fait dire ensuite, que quand le monde sera nettoyé par le feu, nous seuls demeurerons ; et non seulement ceux d’entre nous qui te trouveront alors en vie, mais ceux même qui seront morts depuis longtemps. Il ne s’est pas aperçu qu’il y a quelque chose qui n’est pas exprimé clairement dans ces paroles de l’apôtre de Jésus : Nous ne dormirons pas tous du sommeil de la mort, mais nous serons tous changés en un moment, en un clin d’œil, au son de la dernière trompette ; car la trompette sonnera, les morts ressusciteront en un état incorruptible, et pour nous, nous serons changés (I Cor., XV, 51, 52). Il fallait qu’il s’attachât à découvrir quelle a été la pensée de celui qui parle ainsi de soi et de ceux qui lui ressemblent, pour se distinguer des morts, comme n’étant pas mort lui-même ; et qui, après avoir dit : Les morts ressusciteront en un état incorruptible, ajoute : Et pour nous, nous serons changés. Pour faire voir que Saint Paul, dans ce passage de sa première Épître aux Corinthiens, a eu dans la pensée quelque chose qu’il ne fait qu’insinuer, je rapporterai encore ici ce que le même apôtre dit dans sa première Épître aux Thessaloniciens, où il parle aussi comme vivant et veillant, par opposition à ceux qui dorment du sommeil de la mort. Nous vous disons au nom du Seigneur, dit-il, que nous qui vivons et qui serons réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort ; car au signal qui sera donné par la voix de l’archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel (I Thess., IV, 16, 17). Ensuite sachant bien qu’outre lui et ceux qui seront dans le même état, il y en aura d’autres qui seront morts en Jésus-Christ, il ajoute : Ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers ; puis nous autres, qui sommes vivants et qui serons demeurés en vie jusqu’alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur, au milieu de l’air.
Puisque nous avons déjà produit les longues railleries que fait Celse sur la résurrection de la chair, qui est précitée dans nos églises, mais qui est entendue par les personnes éclairées plus nettement que par le commun, il serait inutile de les mettre encore ici. Voyons donc maintenant et en peu de mots, et ayant égard à la portée de tous les lecteurs, ce que nous sommes capables d’établir sur cette question, que nous voulons bien regarder comme problématique, dans une apologie que nous écrivons contre un ennemi de la foi, en faveur de ceux qui étant encore enfants et comme des personnes flottantes, se laissent emporter à tous les reste des opinions, par la tromperie des hommes et par l’adresse qu’ils ont d’engager artificieusement dans l’erreur (Ephés. IV, 14). Ni l’Écriture sainte, ni nous, n’avons jamais dit que ceux qui sont morts depuis longtemps doivent retourner en vie, en sortant de dessous la terre, avec leur même chair, sans qu’elle ait reçu aucun changement en mieux. C’est une calomnie de Celse. Il y a dans les saints écrits plusieurs passages qui parlent de la résurrection d’une manière digne de Dieu : nous nous contenterons d’alléguer celui de Saint Paul dans sa première Épître aux Corinthiens : Mais, dit-il quelqu’un me dira : En quelle manière les morts ressuscitent-ils, et quel sera le corps dans lequel ils reviendront ? Insensés que vous êtes, ne voyez-vous pas que ce que vous semez dans la terre ne reprend point de vie, s’il ne meurt auparavant ? Et quand vous semez, vous ne semez pas le corps de la plante, même qui doit naître, mais la graine seulement, soit du blé, soit de quelqu’autre plante : Dieu lui donne ensuite un corps tel qu’il lui plaît, et il donne à chaque semence le corps qui lui est propre (I Cor., XV, 36, 37, 38). Vous voyez qu’il dit que ce qu’on sème n’est pas le corps de la plante même qui doit naître ; mais qu’après qu’on a semé la graine, sans jeter rien autre chose en terre, il se fait une espèce de résurrection, par la volonté de Dieu, qui donne à chaque semence le corps qui lui est propre ; tellement que de ces graines jetées en terre il sort, des unes un épi ou une tige, comme de la graine de sénevé ; des autres un grand arbre, comme du noyau de l’olive et de ceux des fruits semblables.
Dieu donc, qui donne un corps à chaque semence et qui le donne tel qu’il lui plaît, fait aussi la même chose à l’égard des morts, qui sont comme semés dans la terre et qui doivent y reprendre, quand il en sera temps, le corps dont il les voudra revêtir, selon leurs mérites. L’Écriture nous enseigne assez au long la différence qu’il y a de ce corps, qui est comme semé, à celui qui en est comme reproduit par la résurrection : et nous n’avons qu’à l’écouter qui nous dit, que quand on met notre corps en terre, il est dans un état de corruption, mais qu’il ressuscitera incorruptible ; qu’il est dans un état d’ignominie, mais qu’il ressuscitera plein de vigueur ; qu’il a les qualités d’un corps animal, mais qu’il ressuscitera avec celles d’un corps spirituel (I Cor., XV, 42, 43, 44). Que ceux qui sont capables de comprendre ce qui suit le comprennent : Comme le premier homme a été terrestre, ses enfants aussi sont terrestres ; et comme le second homme est céleste, ses enfants aussi sont célestes : comme donc nous avons porté l’image de l’homme terrestre, nous porterons aussi l’image de l’homme céleste (Ibid., 48, 49). Ce n’est pas que l’Apôtre, qui avait dessein de cacher ce qu’il y a là de plus mystérieux et de moins propre pour les esprits grossiers de ceux que l’on tâche de porter à la vertu par une simple foi, n’ait été contraint, pour empêcher que nous ne prissions mal ses paroles, qu’il n’ait, dis-je, été contrait, après avoir dit : Nous porterons l’image de l’homme céleste (v. 50), d’ajouter : Je veux dire, mes frères, que la chair et le sang ne peuvent point posséder le royaume de Dieu, et que la corruption ne possédera point cet héritage incorruptible. Ensuite, sachant bien que cela n’était ni de la connaissance ni de la portée de tout le monde, et que ses écrits devaient être pour la postérité un trésor de profonds enseignements, il ajoute encore : Voici un secret et un mystère que je vous dis (v. 51), comme on a accoutumé de parler des choses mystérieuses et sublimes qu’il n’est pas à propos de découvrir indifféremment à tous. Car. comme il est dit dans le livre de Tobie : Il est bon de cacher le secret du roi ; mais il est glorieux et utile de révéler sincèrement les œuvres de Dieu, pourvu qu’on le fasse avec prudence, pour sa gloire et pour le bien des hommes (Tobie, XII, 6, 7). Notre espérance n’est donc pas une espérance digne de vers, et notre âme ne désire point de rentrer dans un corps pourri. Mais encore qu’elle ait besoin d’un corps pour aller d’un lieu en un autre, clic sait bien néanmoins, ayant médité la sagesse, selon cette parole : La bouche du juste méditera la sagesse (Ps. XXXVII, 30) ; elle sait bien la différence qu’il y a entre cette maison de terre qui doit être détruite (II Cor., V, 1, 2, 4), et la tente qui est dans celle maison ; la tente, dans laquelle les justes qui y sont soupirent comme sous un pesant fardeau, ne désirant point d’en être dépouillés, mais d’être revêtus par-dessus, afin que, par ce moyen, ce qu’il y a en eux de mortel soit absorbé par la vie (I Cor., XV, 53, 54). Car, comme tous les corps sont d’une nature corruptible il faut que cette tente corruptible soit revêtue de l’incorruptibilité, et que ce qu’il y a d’ailleurs de mortel et d’effectivement sujet à la mort, que le péché tire après lui, soit revêtu de l’immortalité ; afin que, quand ce qu’il y a de corruptible aura été revêtu de l’incorruptibilité, et que ce qu’il y a de mortel aura été revêtu de l’immortalité (Os., XIII, 14), alors l’ancien oracle des prophètes soit accompli : Que la mort, qui nous avait vaincus et assujettis, perde sa victoire et son empire, et que l’aiguillon dont elle blesse les âmes qui ne sont pas munies de toutes parts contre le péché, n’ait plus aucune force.
Il suffit pour celle heure d’avoir ainsi expliqué en peu de mots notre créance touchant la résurrection ; car c’est une matière que nous avons traitée à fond dans d’autres écrits. Mais il est juste de faire voir le peu de raison de Celse qui, n’entendant pas nos auteurs, ne peut comprendre que l’on ne doit pas juger des sentiments de ces grands hommes par ce qu’en disent ceux qui n’apportent à la doctrine chrétienne qu’une foi toute simple et toute nue. Nous allons montrer qu’il y a eu (Gr., des Hommes) des philosophes célèbres pour leurs belles connaissances et pour la subtilité de leurs spéculations dialectiques, qui ont eu des opinions fort éloignées de la vraisemblance, de sorte que s’il y en a quelques-unes qui méritent de passer pour absurdes et pour des contes de vieilles, ce sont les leurs beaucoup plutôt que les nôtres. Les stoïciens disent qu’après un certain nombre d’années l’univers s’embrase et se renouvelle ensuite, reprenant une face pareille en tout à la précédente ; et ceux qui en ont parlé avec le plus de retenue disent que d’une révolution à l’autre il se fait un petit changement, un changement très léger : qu’ainsi, après que la présente sera achevée, il y aura encore, dans la suivante un Socrate Athénien, fils de Sophronisque et de Phénarète. Ils ne se servent donc pas à la vérité du nom de résurrection, mais ils expriment la chose même, que du mariage de Sophronisque avec Phénarète il sortira un nouveau Socrate, un Socrate ressuscité, qui fera dans Athènes la profession de philosophe ; que la philosophie ressuscitera avec lui pour ainsi dire, et se verra dans un état tout pareil au précédent ; qu’Anytus et Mélitus ressusciteront pareillement pour accuser derechef Socrate, et que le conseil de l’aréopage le condamnera à la mort ; et, ce qui est encore de plus ridicule, que Socrate sera vêtu d’habits tout pareils à ceux de la révolution précédente ; qu’il vivra dans une pauvreté et dans une ville pareilles à celles où il a vécu ; que d’un autre côté, Phalaris renouvellera sa tyrannie et fera mugir dans son taureau d’airain des hommes où l’on verra toutes les choses qu’on a vues en ceux des siècles passés ; qu’Alexandre, tyran de Phères, reviendra exercer ses cruautés avec des circonstances toutes semblables, et condamner au supplice des hommes pareils à ceux d’autrefois. Qu’est-il besoin de particulariser davantage ce dogme de la philosophie stoïque, duquel Celse ne se moque point et qu’il regarde même peut-être comme quelque chose de fort beau, puisqu’il préfère Zénon à Jésus ?
Quoique les disciples de Pythagore et de Platon semblent faire le monde incorruptible, ils tombent pourtant dans des pensées peu différentes : ils disent que quand les astres, après de certains périodes, se retrouvent dans la même disposition et avec les mêmes aspects, toutes choses reviennent aussi sur la terre au même état où elles étaient, sous une autre configuration semblable. Il faut donc, dans cette supposition, que, quand les astres après un long cours se trouveront disposés comme ils l’étaient au temps de Socrate, Socrate naisse encore des mêmes personnes, qu’il ait les mêmes aventures, qu’il soit accusé par Anytus et par Mélitus, et condamné par les juges de l’Aréopage. Lorsque les savants d’entre les Égyptiens enseignent aussi à peu près la même doctrine, on les loue, et Celse ni ceux de son parti n’en font point de railleries. Mais quand nous disons que Dieu conduit toutes choses sans gêner en aucune sorte la liberté de nos actions, et qu’il dirige toujours tout à une bonne fin, sans ôter la contingence des événements ; quand, dis-je, nous expliquons la nature de notre liberté qui, n’étant pas coupable de cette absolue immutabilité de Dieu, admet la contingence où elle se doit admettre, ou trouve que ce que nous disons ne mérite pas qu’on s’y arrête ni qu’on l’examine.
Qu’on ne s’imagine pas, au reste, lorsque nous parlons ainsi, que nous soyons de ceux qui, bien qu’ils portent le nom de chrétiens, nient le dogme de la résurrection établi dans les Écritures ; car ces gens-là, se tenant à leurs principes, ne sauraient faire l’application de ce qui est dit de l’épi ou de l’arbre qui sort du grain de blé ou de quelque autre semence, par une espèce de résurrection. Mais pour nous, qui croyons que ce que l’on sème ne reprend point de vie s’il ne meurt auparavant, et qui savons que ce que l’on sème n’est pas le corps même qui doit renaître, puisque Dieu donne ce corps tel qu’il lui plaît, faisant que ce qui est mis en terre dans un état de corruption ressuscite incorruptible ; que ce qui y est mis dans un état d’ignominie ressuscite glorieux ; que ce qui y est mis dans un état d’infirmité ressuscite plein de vigueur ; que ce qui y est mis avec les qualités d’un corps animal ressuscite avec celles d’un corps spirituel (I Cor., XV, 30-38, 42-44) : nous qui croyons et qui savons tout cela, nous retenons la doctrine de l’Église de Jésus-Christ, nous conservons à la promesse de Dieu toute sa grandeur, et nous faisons voir, non par de simples paroles, mais par de solides raisons, la possibilité de la chose. Nous sommes persuadés que quand le ciel et la terre passeraient avec toutes les choses qui y sont les paroles du Verbe de Dieu, qui était au commencement avec Dieu, et qui est lui-même Dieu le Verbe (Jean, I, 1) ne passeront point ; les paroles qu’il a proférées sur des sujets particuliers étant à son égard comme les parties sont au tout ou les espèces au genre. Car il l’a dit, et nous ne voulons pas en douter : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point (Matth., XXIV, 35).
Nous ne disons donc pas que le corps s’étant corrompu reprenne sa première nature ; comme nous ne disons pas non plus que le grain de blé, s’étant corrompu, devienne encore grain de blé ; mais nous disons que, comme du grain de blé il sort un épi, il faut aussi que, dans le corps, il y ait un certain germe qui, ne se corrompant point, fasse que le corps ressuscite incorruptible. Ce sont les stoïciens qui, supposant que d’une révolution à l’autre les choses reviennent dans un état tout pareil, disent qu’un corps entièrement corrompu reprend sa première nature, et recouvre cette même disposition de parties qui a été détruite, et ils prétendent même le prouver par des démonstrations dialectiques. Il est faux encore que nous ayons recours à la plus absurde de toutes les évasions, en disant que tout est possible à Dieu : nous savons que ce tout ne comprend pas ce qui implique contradiction et qui est contre le bon sens ; et nous disons aussi que Dieu ne peut faire les choses déshonnêtes, autrement Dieu pourrait cesser d’être Dieu ; car si Dieu faisait quelque chose de déshonnête il ne serait pas Dieu. Quant à ce que Celse ajoute, que Dieu ne veut rien de contraire à la nature, nous estimons qu’il faut distinguer ; car si, par ce qui est contre la nature, on entend le vice, nous tombons d’accord avec lui qui ; Dieu ne veut rien de contraire à la nature, puisqu’il ne veut rien de vicieux ni de déraisonnable ; mais s’il faut nécessairement reconnaître que ce qui arrive conformément au conseil et à la volonté de Dieu n’est point contraire à la nature, il s’ensuit que tout ce que Dieu fait n’est point contraire à la nature, quelque incroyable qu’il soit ou qu’il paraisse à quelques-uns. Si l’on veut prendre les mots à la rigueur, nous dirons qu’à considérer la nature comme on la considère ordinairement, il y a certaines choses au-dessus de la nature que Dieu peut faire quelquefois, comme quand il élève l’homme au-dessus de la condition humaine pour le rendre participant d’une nature plus excellente et plus divine (II Pier., I, 4), dans la jouissance de laquelle il le conserve tant que l’homme témoigne par ses actions qu’il veut bien y être conservé.
Ayant une fois posé que Dieu ne veut rien qui lui soit mal convenable, ni d’où il suive qu’il ne serait plus Dieu, nous sommes prêts à avouer aussi que s’il y a quelqu’un à qui ses désirs déréglés aient mis dans l’esprit une chose digne d’horreur, ce n’est pas à dire que Dieu la puisse faire, car ce n’est point par un esprit de dispute, mais pour le seul intérêt de la vérité, que nous examinons l’écrit de Celse, et nous reconnaissons avec lui que Dieu, qui est le principe de tout bien, n’est point l’exécuteur de not fantaisies criminelles, ni l’auteur de l’impureté et du désordre, mais qu’il est le directeur de la nature où il n’y a rien que de droit et de juste. Nous confessons encore, comme l’on sait, que Dieu peut donner une vie immortelle à l’âme, et que non seulement il le peut, mais qu’il le fait même. Après ce que nous avons dit, il n’y a rien qui doive nous faire de la peine dans le mot d’Héraclite que Celse rapporte, qu’il faut faire moins d’état d’un corps mort que si c’était du fumier. Cependant on pourrait bien dire que le fumier n’est bon qu’à être jeté dehors, mais que, pour le corps mort d’un homme, on ne le doit pas traiter de même, à cause de l’âme qu’il a logée, principalement si elle a été vertueuse. Aussi les nations les mieux policées le font-elles ensevelir avec l’honneur qui est convenable en de telles occasions, de peur que, le jetant là comme les corps des bêtes, nous ne fassions, autant qu’il dépend de nous, injure à l’âme qui en est sortie. Qu’il soit donc contre toute raison d’immortaliser le grain de blé ou ce qui est mis en terre dans un état de corruption, nous y consentons volontiers ; mais nous disons que c’est, par manière de parler, l’épi qui doit sortir de ce grain, que c’est ce qui doit ressusciter incorruptible, que Dieu veut rendre immortel. Selon Celse, c’est Dieu lui-même qui est la souveraine raison de tous les êtres ; mais, selon nous, c’est son Fils de qui nos philosophes disent : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Ce qui dans le fond n’empêche pas que nous n’avouions avec Celse que Dieu ne saurait rien faire contre la raison qu’il ne le fît contre lui-même.
Voyons ce qu’il ajoute. Les Juifs, dit-il, ayant fait un corps particulier de nation et s’étant établi des lois conformes à leur génie, qu’ils retiennent et observent encore à présent avec une religion qui, quoi qu’il en soit, est la religion de leurs pères, ils ne font rien en cela que les autres hommes ne fassent ; car chacun veut suivre, à quelque prix que ce soit, les coutumes de son pays, Et il semble même que cela soit utile, non seulement parce que tes uns se sont fait des lois d’une façon, les autres d’une autre, comme il leur est venu dans l’esprit, et que l’on doit se tenir à ce qui a été une fois publiquement établi ; mais aussi parce que, selon l’apparence, les parties de la terre ayant, dès le commencement, été commises aux soins de diverses puissances et distribuées sous leur conduite en certains départements, elles doivent suivre la même disposition dans leur manière de se gouverner, et toutes choses vont bien, lorsqu’en chaque endroit on se gouverne comme il plaît à ces puissances. De sorte qu’il y aurait de l’impiété à enfreindre les lois qui ont d’abord été établies de lieu en lieu. Celse donne à entendre par là que les anciens Juifs, qui étaient Égyptiens d’origine, ayant dans la suite fait un corps particulier de nation et s’étant établi des lois, ils les retiennent et les observent encore. Et, pour ne pas répéter toutes ses paroles, il dit qu’il est utile aux Juifs de garder la religion de leurs pères, comme les autres peuples suivent les coutumes de leur pays. Il rend même une raison mystérieuse de ce qu’il est utile aux Juifs d’en user ainsi, nous insinuant que les puissances à qui il est échu d’avoir le soin des diverses parties de la terre ont elles-mêmes travaillé avec les législateurs à l’établissement des lois qui y sont reçues. Par où il semble poser que le pays et la nation des Juifs ont aussi été commis aux soins d’une ou de plusieurs puissances, sous la direction de qui Moïse a dressé des lois par lesquelles ce peuple se gouverne.
Il faut, dit-il, observer les lois, non seulement parce que, les uns s’en sont fait d’une façon, les autres d’une autre, comme il leur est venu dans l’esprit, et que l’on doit se tenir à ce qui a été une fois publiquement établi ; mais aussi parce que, selon l’apparence, les parties de la terre ayant dès le commencement été commises aux soins de diverses puissances, et distribuées sous leur conduite en certains départements, elles doivent suivre la même disposition dans leur manière de se gouverner. Ensuite, comme il avait oublié tout ce qu’il a dit contre les Juifs, il les comprend dans la louange générale qu’il donne ici à tous ceux qui gardent les coutumes de leur pays. Toutes choses vont bien, dit-il, lorsqu’en chaque endroit on se gouverne comme il plait à ces puissances. Et n’est-ce pas évidemment faire ce qu’il peut pour obliger les Juifs à demeurer fermes dans l’observation de leurs lois, de peur de pécher en les abandonnant, que de dire, comme il fait, qu’il y aurait de l’impiété à enfreindre les lois qui ont d’abord été établies de lieu en lieu ?
Je voudrais bien lui demander là-dessus, à lui ou à ceux qui sont dans la même pensée, qui est-ce qui dès le commencement a ainsi commis les parties de la terre aux soins de diverses puissances, qui est-ce en particulier qui a mis la Judée et les Juifs sous la conduite de celle ou de celles à qui ils sont échus. Est-ce Jupiter, comme on parle dans le langage de Celse, est-ce Jupiter qui a chargé soit une ou plusieurs de ces puissances du soin de ce pays et de ce peuple, et qui a voulu que celle à qui écherait celle partie de la terre y établit ces mêmes lois que les Juifs observent ; ou si elles y ont été établies sans l’ordre de Jupiter ?
Quelque parti qu’il prenne, vous voyez qu’il se jettera dans l’embarras, si cette distribution ne s’est pas faite sans l’autorité d’un seul, il faut qu’elle se soit faite par hasard et que chacun se soit saisi de l’endroit qui s’est le premier rencontré : ce qui est absurde au dernier point et directement contraire à la Providence d’un Dieu qui gouverne tout.
Comment au reste et en quels départements les diverses parties de la terre ont été distribuées sous la conduite des puissances qui en ont le soin, entreprenne qui voudra de l’expliquer et de nous montrer que toutes choses vont bien, lorsqu’on chaque endroit on se gouverne comme il plait à ces puissances. Qu’on nous dise, par exemple, si tout va bien parmi les Scythes dont les lois veulent que l’on fasse mourir son père ; et parmi les Perses, qui permettent à un homme d’épouser sa mère ou sa fille. Il n’est pas besoin que je copie les recueils qui ont été faits des lois de différentes nations, pour demander sur chacune de ces lois comment toutes choses vont bien lorsqu’on se gouverne en chaque endroit comme il plaît aux puissances qui y président. Que Celse nous fasse voir seulement qu’il y ait de l’impiété en ceux qui ne se conforment pas aux lois de leur pays, lorsqu’elles consentent qu’on épouse sa mère ou sa fille ; qu’elles déclarent ceux-là bienheureux qui finissent volontairement leur vie par la corde, et qu’elles assurent que ceux qui se jettent dans le feu et qui s’y laissent consumer sont parfaitement purifiés ; qu’il y ait de l’impiété à enfreindre des lois telles que celles des habitants de la Chersonèse Taurique, qui sacrifiaient les étrangers à Diane ; ou de quelques peuples de Libye, qui sacrifiaient leurs enfants à Saturne. Il suit, au reste, de la maxime de Celse, que les Juifs seraient aussi des impies d’enfreindre les lois de leur pays, qui leur défendent de servir religieusement d’autre Dieu que le Créateur de l’univers : et que la piété est une vertu divine, non de sa nature, mais par le simple consentement et la simple opinion des hommes. Car les uns croient faire un acte de piété de servir religieusement un crocodile, pendant qu’ils mangent ce que les autres adorent ; ceux-ci de rendre leur culte à un veau ; et ceux-là, de prendre un bouc pour dieu. De sorte qu’une même personne fera des actes de piété, selon certaines lois, et d’impiété, selon d’autres, ce qui est la chose du monde la plus absurde.
L’on dira peut-être que la piété consiste à garder chacun les lois de son pays, sans qu’on doive passer pour impie, quand on n’observe pas des lois étrangères : et qu’un homme que certains autres jugent impie, ne l’est pourtant point lorsque, vivant selon les coutumes et la religion de son pays, il détruit et mange ce qui est en vénération parmi ceux qui ont des lois contraires. Mais voyez si ce n’est pas là confondre toutes les idées que les hommes ont de la justice de la sainteté et de la piété. En effet, si la piété, la sainteté et la justice sont de cet ordre de choses, qui ne sont ce qu’on les dit être que par rapport à d’autres, et qu’une même action puisse être juste ou injuste, selon qu’on la compare à diverses lois ou à diverses coutumes, ne s’ensuit-il pas qu’il en faudra dire autant de la tempérance ou de la vaillance, de la générosité, de la prudence, de la science et de toutes les autres vertus ? Ce qui serait une absurdité qui n’aurait point sa pareille. Cette réponse à l’objection de Celse pourrait suffire pour les personnes qui se contentent de ce qu’il y a de plus commun et de plus simple ; mais comme il se peut faire que cet écrit tombe entre les mains de gens plus exacts et plus curieux, hasardons-nous d’approfondir un peu la matière, et de dire quelque chose sur un sujet aussi mystérieux et aussi obscur qu’est la distribution par laquelle les diverses parties de la terre ont été commises, dès le commencement, aux soins et à la conduite de diverses puissances. Faisons voir surtout, autant que nous en serons capables, que notre doctrine est exempte des absurdités que Celse a ramassées.
Il semble qu’il ait entendu parler confusément de cette division de la terre, qui est un mystère peu connu, bien que les Grecs ne l’aient pas entièrement ignoré, puisque leur histoire nous représente quelques-uns de leurs dieux qui disputant pour la possession de l’Attique ; et que dans leurs poètes, il y a de ces fausses divinités qui témoignent une affection particulière pour certains lieux. L’histoire barbare même, et entre autres celle d’Égypte, marque quelque chose de pareil sur la distribution des provinces de ce pays-là, disant que la province de Saïs est échue à Minerve aussi bien que le pays d’Attique. Les savants d’entre les Égyptiens disent une infinité de choses semblables touchant celle division ; et je ne sais s’ils n’y comprennent pas même les Juifs et leur pays. Mais pour cette heure, c’est assez parlé de ce qui n’est pas fondé sur la révélation divine. Voyons ce que Moïse, qui a été, selon nous, un prophète de Dieu et un de ses vrais serviteurs, dit là-dessus dans le cantique du Deutéronome ; car nous croyons que c’est du partage de la terre qu’il faut entendre ces paroles : Quand le Dieu Très-Haut partagea les nations et qu’il sépara les enfants d’Adam les uns d’avec les autres, il établit les bornes des peuples selon le nombre des anges de Dieu ; mais la portion du Seigneur, ce fut Jacob, son peuple, et le lot de son partage, ce fut Israël (Deutér., XXXII, 8, 9). Le même Moïse nous représente sous le voile d’une narration historique, dans son livre appelé la Genèse, de quelle manière les peuples furent divisés. Alors, dit-il, toute la terre avait une même langue et les hommes s’entendaient tous ; mais quand ils partirent d’Orient ils trouvèrent une campagne au pays de Sennaar où ils s’arrêtèrent (Gen., II, 1, 2). Et un peu après : Le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les enfants des hommes : et le Seigneur dit : Ce n’est ici qu’un même peuple, ils parlent tous une même langue ; voici le commencement de leurs entreprises, et désormais tout ce qu’ils entreprendront ils en viendront à bout. Venez, descendons et confondons ici leur langue, afin qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. Ainsi le Seigneur les dispersa de là sur toute la terre ; et ils commencèrent à bâtir la ville et la tour. C’est pourquoi elle fut nommée Confusion ; parce que le Seigneur confondit là la langue de tous les hommes et qu’il les dispersa de là sur toute la terre (Ibid. 5 etc.). Et dans le livre appelé la Sagesse de Salomon, voici comment il parle de la sagesse et de cette confusion des langues, qui fut suivie du partage de la terre : Quand les nations furent confuses dans leur méchante conspiration, la sagesse connut le juste, elle le consacra irrépréhensible devant Dieu, et l’aimant tendrement comme son fils, elle fit qu’il demeura plein de force (Sag., X, 5). Il y aurait ici à faire beaucoup de considérations très profondes ; maison y peut appliquer ce mot : Qu’il est bon de cacher le secret du roi ; de peur que, versant dans les oreilles profanes la doctrine qui nous enseigne de quelle manière différente de la transmigration les âmes viennent animer les corps, l’on ne donne les choses saintes aux chiens, et l’on ne jette les perles devant les pourceaux (Tob., XII, 7 ; Matth., VII, 6). Car ce serait être impie que de trahir ainsi les secrets de la sagesse de Dieu, et d’en divulguer mal à propos les mystères, puisqu’il a été fort bien dit que la sagesse n’entre point dans une âme maligne, et qu’elle n’habite point dans un corps assujetti au péché (Sag., I, 4). Il suffit de proposer, en forme d’histoire, ce qui a été caché sous le voile des expressions historiques : les personnes intelligentes sauront bien pénétrer plus avant.
Représentez-vous donc que tous les hommes de la terre se servent d’une même langue divine, et que l’usage leur en est laissé tant qu’ils demeurent bien unis ensemble : qu’ils se tiennent du côté de l’Orient sans en partir, tant qu’ils aiment la lumière éternelle et sa splendeur : qu’après cela quittant l’Orient et ayant de l’amour pour d’autres choses, ils trouvent une campagne au pays de Sennaar (qui signifie brisement de dents, pour marquer qu’ils avaient perdu ce qui les devait nourrir) ; et qu’ils s’arrêtent en ce lieu-là : qu’ensuite voulant faire un amas de choses matérielles et porter jusque dans le ciel ce qui lui est le plus opposé, afin d’entreprendre par le moyen de cos choses matérielles, sur celles qui ne le sont pas, ils disent : Venez, faisions des briques et mettons-les cuire au feu (Gen., XI, 3) ; que croyant de la sorte rendre leurs matières de boue fermes et solides, et prétendant changer les briques en pierres et la boue en bitume, pour en bâtir une ville avec une tour qui s’élève jusqu’au ciel, ils sont punis de leur audace à proportion de ce que chacun a mérité, en s’éloignant plus ou moins de l’Orient, en travaillant à changer les briques en pierres, et la boue en bitume, et en bâtissant avec de telles matières ; que, jusqu’à ce qu’ils en aient porté la peine, ils sont livrés à divers anges qui les traitent plus ou moins rudement et qui, leur apprenant chacun sa langue, les conduisent en diverses parties de la terre, selon qu’ils en sont dignes, les uns par exemple, dans un endroit que le soleil brûle, les autres dans un climat où l’on est tourmenté par le froid ; ceux-ci dans un pays difficile à cultiver ou rempli de bêtes féroces, et ceux-là sous un ciel plus bénin.
Que les personnes éclairées conçoivent encore sous l’emblème d’une histoire, qui a quelque chose de véritable à la lettre, mais qui renferme aussi d’autres sens cachés, que ceux qui ne changèrent point de pays et qui gardèrent leur première langue, demeurèrent en Orient et retinrent la langue orientale ; qu’eux seuls furent la portion du Seigneur, qui les nomme Jacob, son peuple ; qu’Israël seul fut le lot de son partage (Deut., XXXII, 9), et qu’eux seuls tombèrent sous la conduite d’une puissance qui ne les prit point pour les punir, comme les autres puissances prirent les autres peuples. Qu’on remarque de plus autant que des hommes le peuvent faire, que dans celle société affectée au Seigneur, comme la meilleure portion, il se commet des péchés, d’abord des péchés tolérables et qui ne méritent pas que Dieu abandonne entièrement ceux qui les commettent ; puis de plus grands, mais qui se peuvent encore tolérer : que cela arrive par plusieurs fois et que Dieu y apportant toujours du remède, ces pécheurs se convertissent de temps en temps : qu’à proportion de leur péchés, Dieu les abandonne aux puissances à qui les autres nations sont échues : qu’au commencement leur peine est modérée ; qu’en ayant profité et ayant comme expié leur crime en la subissant, ils retournent en leur pays ; qu’ensuite ils sont livrés à des puissances dont la domination est plus rude, savoir, aux Assyriens et puis aux Babyloniens, comme l’Écriture les appelle ; qu’enfin péchant de plus en plus malgré les remèdes, ils sont à cause de cela dispersés et chassés de toutes parts par les puissances qui président sur les autres nations : que la puissance de qui ils dépendent, les laisse à dessein disperser par ces autres, afin qu’à son tour et comme pour se venger sans rien faire en cela contre la raison, elle retire ceux des autres peuples qu’elle pourra, selon le pouvoir qu’elle en aura reçu, elle leur donne des lois, et leur montre de quelle manière il faut vivre ; qu’ainsi elle les conduise à la même béatitude où elle a conduit ceux de la première nation qui n’ont pas péché.
Les personnes qui sont capables de ces connaissances doivent aussi apprendre de là que la puissance qui a eu sous sa conduite ces premiers qui n’ont pas péché, est incomparablement la plus forte, puisqu’elle a pu choisir partout ceux qu’il lui a plu, et les ravir aux autres puissances qui les avaient pris pour les punir ; qu’elle a pu leur donner de nouvelles lois et leur enseigner à vivre d’une manière qui servit à faire oublier leurs péchés précédents. Mais comme nous en avons de là averti, nous ne parlons pas ouvertement de ces choses ; et notre dessein n’est que de faire voir où les auteurs que Celse copie ont confusément appris que les parties de la terre ayant dès le commencement été commises aux soins de diverses puissances et distribuées sous leur conduite en de certains départements elles doivent suive la même disposition dans leur manière de se gouverner. Au reste comme ceux qui quittèrent l’Orient furent, à cause de leurs péchés, livrés à un esprit réprouvé, à des passions honteuses et aux désirs impurs de leur cœur (Rom., I, 28, 26, 24) afin qu’à force de se remplir du péché, ils s’en dégoûtassent et le haïssent, nous ne saurions être du sentiment de Celse, qui dit que toutes choses vont bien, lorsqu’en chaque endroit, on se laisse conduire aux puissances qui y président. Pour nous, ce n’est pas ce qu’il leur plaît, que nous voulons faire. Nous voyons qu’il y a de la piété à enfreindre les lois qui ont d’abord été établies de lieu en lieu : à les enfreindre, dis-je, pour d’autres lois plus excellentes et plus divines, pour les lois que Jésus, comme plus puissant, a établies au lieu des premières ; nous retirant du présent tiède qui est corrompu, et nous délivrant des princes de ce monde qui se détruisent (Gal., I, 4). Nous voyons au contraire qu’il y a de l’impiété à ne pas se soumettre et à ne pas s’abandonner à celui qui a, si manifestement paru plus fort que tous ces prince « (I Cor., II, 6) et que toutes ces puissances ; à celui à qui Dieu avait dit par ses prophètes tant de siècles auparavant : Demande-moi, et je te donnerai les nations pour ton héritage, et toute l’étendue de la terre pour ta possession. (Ps. II, 8). En effet, il est devenu notre attente (Gen., IV, 9, 10), de nous Gentils qui d’entre les nations, avons cru en lui et au grand Dieu, son Père.
Par les choses que nous venons de dire, nous avons seulement répondu à ce que Celse pose touchant les puissances qui président sur les peuples ; mais aussi nous avons en quelque sorte réfuté par avance ce qu’il dit plus bas en ces termes : Que la seconde troupe se présente maintenant, je leur demanderai d’où ils viennent, qui ils suivent et sur quelle loi ils se fondent, qu’ils puissent m’alléguer comme la loi de leur pays. Ils n’en ont aucune à me produire ; car ceux-ci tirent leur origine des premiers, et c’est de là qu’ils ont pris celui qu’ils reconnaissent pour leur maître et pour leur chef ; cependant ils se sont séparés des Juifs pour faire bande à part. Nous venons dans ces derniers temps auxquels notre Jésus a paru, nous venons chacun de nous à la sainte et glorieuse montagne du Seigneur, qui est sa parole, que nulle autre parole ne peut égaler ; à la maison de Dieu, qui est l’église du Dieu vivant, la colonne et la base de la vérité (I Tim., III, 15). Nous voyons cette maison bâtie sur le sommet des montagnes (Is., II, 2) ; c’est-à-dire sur toutes les anciennes prophéties qui en sont le fondement (Ephés., II, 20). Nous la voyons qui s’élève par-dessus toutes les collines, c’est-à-dire par-dessus tout ce qu’il y a de plus apparent entre les hommes pour l’étude de la sagesse et pour la connaissance de la vérité. Et nous y entrons, nous Gentils, nous y accourons en foule du milieu de plusieurs nations, nous disant les uns aux autres pour nous exhorter à embrasser la religion que Jésus-Christ dans ces derniers temps a établie avec tant d’éclat : Venez, et montons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob : il nous enseignera ses voies et nous y marcherons (Is., II, 3 et 4). Car la loi est sortie d’entre les habitants de Sion, et elle est venue s’établir parmi nous toute spirituelle : la parole du Seigneur est sortie de celle Jérusalem pour se répandre de toutes parts, et pour juger chacun entre les nations, arrêtant son choix sur ceux qui lui témoignent une prompte obéissance, et reprenant sévèrement les rebelles qui sont un grand peuple. Nous disons à ceux qui nom demandent d’où nous venons et qui nous suivons, que nous venons sous les ordres de Jésus, briser les épées de nos guerres spirituelles et de nos animosités pour en faire des charrues, que nous venons changer en faucilles les lances dont nous nous servions autrefois dans nos emportements. Car nous ne prenons plus l’épée contre aucun peuple, et nous ne nous exerçons plus pour la guerre, étant devenus les enfants de la paix (Luc, X, 6) par Jésus-Christ. C’est lui que nous suivons comme notre chef, au lieu de ceux que nos pères ont suivis sous qui nous étions étrangers à l’égard des alliances divines (Ephés., II, 12) : et c’est lui qui nous a donné une loi, au sujet de laquelle nous disons dans nos actions de grâces à celui qui nous a tirés de l’erreur : Certainement nos pères en possédant leurs idoles, n’ont possédé qu’une chose vaine et trompeuse : car il n’y a aucune d’elles qui fasse pleuvoir (Jér., XVI, 19 et XIV, 22). Notre chef donc et notre maître, étant sorti du milieu des Juifs, a répandu par toute la terre les enseignements de sa doctrine. Et voilà ce que nous avons cru devoir dire dès à présent pour renverser de toutes nos forces ce que Celse nous objectera ci-dessous, après beaucoup d’autres choses : car il nous a semblé que celle matière était liée avec celle que nous traitions ici.
Mais pour ne pas laisser sans réponse ce qu’il dit entre deux, nous allons aussi le rapporter. On peut, dit-il, confirmer cela par le témoignage d’Hérodote qui parle en ces termes (Livr. II) : Les habitants de la ville de Marée et de celle d’Apis, situées aux extrémités de l’Égypte sur les frontières de la Libye, prétendant être Libyens et ne pouvant s’accommoder d’une religion qui leur défendait la chair de vache, ils envoyèrent à l’oracle de Jupiter Ammon déclarer qu’ils n’avaient rien de commun avec les Égyptiens ; qu’ils demeuraient hors du Delta, et qu’étant d’un sentiment contraire au leur, ils voulaient avoir la liberté de manger de tout. Mais le dieu ne leur permit pas d’en user ainsi, assurant que tout ce que le Nil arrose dans son déborde ment était de l’Égypte, et que tous ceux-là étaient Égyptiens qui buvaient des eaux de ce fleuve au-dessous de la ville d’Éléphantine, C’est ce que raconte Hérodote, et Ammon ne mérite pas moins qu’on lui défère sur le sujet des choses divines que les anges des Juifs ; de sorte qu’il n’y a point d’injustice, que chacun observe ses propres cérémonies. On en trouve de lieu en lieu un nombre infini de différentes, cependant il n’y a aucun qui ne croie que les siennes sont les plus saintes et les plus légitimes. Les Éthiopiens de Méroé n’adorent que Jupiter et Bacchus ; les Arabes, que Bacchus et Uranie : tous les Égyptiens en général servent Osiris et Isis ; les Saïtes en particulier, Minerve ; les Naucratites, depuis quelque temps, reconnaissent Sérapis pour leur Dieu et dans chacune des autres provinces on se sert d’autres. Les uns ne mangent point de brebis, leur rendant un culte religieux ; les autres, de chèvres ; ceux-ci, de crocodiles et ceux-là, de vaches : mais tous s’abstiennent de chair de pourceau comme d’une chose abominable. Les Scythes croient qu’il n’y a rien moins que du mal à manger des hommes : et parmi les Indiens, il y en a même qui se font un devoir de piété de manger leurs pères (Livr. III). C’est le même Hérodote qui nous l’apprend : et pour en faire foi, je rapporterai encore ses propres paroles : les voici : Si l’on donnait le choix aux hommes, leur ordonnant de prendre de toutes les lois celles qu’ils jugeraient les meilleures, chacun, après avoir bien choisi, se tiendrait à celles de son pays : car nous croyons tous que nos coutumes valent incomparablement mieux que celles des autres. Il faut donc être fou pour se moquer de ce qui se pratique ailleurs. Il serait aisé de faire voir que tous les hommes ont cette pensée de leurs lois et de leurs coutumes ; mais je n’en veux pas d’autre preuve que celle-ci. Darius étant roi des Perses, fit venir devant lui quelques Grecs qui se trouvèrent à ta cour, et leur demanda pour combien ils voudraient manger leurs pères, les voyant morts. Ils répondirent qu’ils ne le feraient pour rien au monde. Il fit ensuite venir certains Indiens, nommés Callaties, qui mangent leurs pères ; et il leur demanda devant les Grecs, à qui un trucheman expliquait ce qui se disait, pour combien ils voudraient brûler les corps de leurs pères ; sur quoi ils se récrièrent, le priant de ne leur point faire une telle proposition. Voilà comme chacun est disposé à cet égard : et je trouve que Pindare a eu raison de représenter la loi comme une reine dont l’empire s’étend partout.
Il semble que Celse, dans ces paroles, ait dessein de prouver que tous les hommes doivent vivre selon les coutumes de leur pays, sans qu’on puisse les en blâmer ; mais que les chrétiens qui ne font point, comme les Juifs, un corps de nation, ont eu tort d’abandonner les leurs, pour suivre la doctrine de Jésus. Je voudrais donc lui demander si les philosophes, qui ont appris à se défaire des scrupules de la superstition, font bien ou mal de s’éloigner des coutumes de leur pays, et de manger des choses qu’elles défendent. Si la philosophie, par les préceptes qu’elle leur donne contre la superstition, les met en droit de manger de tout, sans s’arrêter à l’usage qui les défend, pourquoi les chrétiens dont les lois veulent qu’au lieu de s’attacher aux simulacres et aux statues ou même aux ouvrages de Dieu, ils élèvent leur âme jusqu’au Créateur, ne le feront-ils pas, sans être plus criminels que les philosophes, dans une cause à peu près pareille ? Mais si Celse ou ceux qui sont de son sentiment nous disent. pour ne pas renoncer à leurs principes, qu’il faut qu’un philosophe se tienne aux coutumes de son pays, il se trouvera des philosophes qui, vivant, par exemple, en Égypte, seront obligés de s’abstenir puérilement de manger des ognons ou de certaines parties du corps des bêtes, comme de la tête ou de l’épaule, de peur de violer la tradition de leurs pères. Je ne parle point de ceux des Égyptiens qui ont de la vénération pour ces bruits déshonnêtes qui sortent du corps, de sorte que s’il y avait parmi eux quelque philosophe, et qu’il voulût garder les coutumes de son pays, ce serait un philosophe ridicule, qui ferait des choses indignes de sa profession. Je dis donc que celui qui étant instruit par la doctrine chrétienne à servir religieusement le grand Dieu, s’abaisse et s’arrête à cause des coutumes de son pays, aux simulacres et aux statues faites par les hommes, sans vouloir élever son esprit jusqu’au Créateur, est à peu près semblable à ceux qui ont étudié la philosophie, mais qui craignent cependant ce qui n’est point à craindre, et croiraient faire une impiété s’ils mangeaient certaines choses.
C’est où nous conduit ce Jupiter Ammon dont parle Hérodote, dans les paroles que Celse a citées, comme pour prouver démonstrativement que chacun doit suivre les coutumes de son pays ; car leur Ammon ne souffre pas que les habitants de la ville de Marée, et de celle d’Apis, situées sur les frontières de la Libye, tiennent l’usage de la chair de vache pour une chose indifférente, ce qui néanmoins est si indifférent de soi-même, qu’il n’empêche point qu’un homme ne soit vertueux. Encore si Ammon avait défendu de manger de ces animaux parce qu’ils sont utiles pour l’agriculture, et que d’ailleurs, ce sont les femelles qui contribuent le plus à la multiplication de l’espèce, cela aurait peut-être quelque couleur : mais il veut uniquement qu’à cause que les habitants de ces villes boivent des eaux du Nil, ils soient obligés d’observer les coutumes des Égyptiens touchant les vaches. Celse prend même de là occasion d’insulter aux anges des Juifs, aux ministres de Dieu, en disant qu’Ammon ne mérite pas moins qu’on lui défère sur le sujet des choses divines que ces anges (I Cor., IX, 9). Mais s’il avait bien examiné le but de leurs apparitions, et le sens de leurs discours, il aurait compris que Dieu se met peu en peine de ce qui regarde les bœufs, lors même qu’il semble faire des lois pour eux ou pour les autres animaux sans raison ; et il aurait vu que cela est écrit pour les hommes, à qui des certaines vérités naturelles sont représentées sous l’image de ces animaux. Il prétend qu’il n’y ait point d’injustice que chacun observe ses propres cérémonies. D’où il suit que, selon lui, les Scythes ne font rien d’injuste, lorsqu’ils mangent des hommes, suivant la coutume de leur pays ; et que ces peuples des Indes, qui se font un devoir de piété de manger leurs pères, sont bien fondés aussi, ou que du moins ils ne font point d’injustice. En effet, il rapporte un passage d’Hérodote pour faire voir que chacun fait bien de suivre les lois de son pays, et il donne lieu de croire qu’il approuve le sentiment de ces Indiens Callaties qui mangent leurs pères, et qui, lorsque Darius leur demanda pour combien ils voudraient renoncer à cette coutume, se récrièrent, le priant de ne leur point faire une telle proposition.
Au reste, comme à parler en général, il y a deux lois, la loi de la nature, dont Dieu est l’auteur, et la loi écrite, par laquelle les sociétés politiques se gouvernent, il est juste que, tant que la loi écrite n’est point contraire à la loi de Dieu, elle soit observée par ceux qui composent la société, et qu’ils ne s’en éloignent pas, sous prétexte de quelques lois étrangères. Mais lorsque la loi de la nature, c’est-à-dire la loi de Dieu, ordonne des choses contraires à la loi écrite, voyez si la raison ne veut pas que l’on méprise les lois écrites et leurs auteurs, pour ne reconnaître de législateur que Dieu, et pour vivre conformément à sa volonté, quelques peines, quelques dangers, quelques opprobres et quelques morts qu’il y ait à craindre. Car les ordres de Dieu étant différents de quelques-unes des lois de la société, et n’y ayant pas moyen de plaire en même temps à Dieu et à ceux qui veulent qu’on observe ces lois, il serait absurde de négliger des actions par lesquelles on peut plaire au Créateur de l’univers, et d’en faire qui déplairaient à Dieu, en plaisant aux protecteurs de ces lois impies. Or s’il est raisonnable de préférer, sur les autres points, la loi de la nature, qui a Dieu pour auteur, à la loi écrite, que des hommes ont établie directement contraire à la loi de Dieu, ne le sera-t-il pas, sans comparaison davantage, sur le sujet de Dieu même ? Nous ne ferons donc point comme les Éthiopiens d’autour de Méroé, à qui il a plu de n’adorer que Jupiter et Bacchus, et nous n’imiterons aucun des autres Éthiopiens dans le culte de leurs dieux. Nous n’aurons point, comme les Arabes, pour nos seules divinités, Bacchus et Uranie ; nous rejetterons même tous ces dieux en qui l’on prétend qu’il y ait différence de sexe : car les Arabes veulent que leur Uranie soit d’un sexe et leur Bacchus de l’autre. Nous n’imiterons point non plus tous les Égyptiens dans le culte d’Osiris et d’Isis ; et nous n’y joindrons point Minerve comme font les Saïtes. Si les anciens Naucratiles avaient aussi leurs dieux, et que les modernes en adorent un autre, depuis trois jours, savoir, Sérapis, qui n’avait jamais été dieu, cela ne nous obligera point à reconnaître une nouvelle divinité qui n’était point auparavant et qui jusque-là avait clé inconnue aux hommes. Car bien que le Fils de Dieu, le premier-né de toutes les créatures (Col., I, 15) semble ne s’être fait homme que depuis peu, il n’est pas nouveau pour cela : les saintes Écritures nous le représentent comme plus ancien que tous les ouvrages de Dieu, puisque ce fut à lui que Dieu dit, au sujet de la création de l’homme : faisons l’homme selon notre image et selon notre ressemblance (Gen., I, 26).
Mais je veux faire voir le peu de raison qu’a Celse de dire qu’il faut que chacun suive, dans son culte, les lois et les coutumes de son pays. Il dit que les Éthiopiens de Méroé ne reconnaissent et n’adorent d’autres dieux que Jupiter et Bacchus, et que les Arabes n’en reconnaissent et n’en adorent aussi que deux ; Bacchus, qui leur est commun avec les Éthiopiens, et Uranie qui leur est particulière. Selon lui, les Éthiopiens n’adorent point Uranie, ni les Arabes Jupiter. S’il arrive donc qu’un Éthiopien, conduit par quelque accident parmi les Arabes, y soit accusé d’impiété, et prêt d’être condamné à la mort, parce qu’il n’adore pas Uranie, faudra-t-il qu’il se laisse mener au supplice ou qu’il adore Uranie, en violant les coutumes de son pays ? S’il viole ces coutumes, il sera un impie, selon les principes de Celse ; et s’use laisse mener au supplice, qu’on nous montre quelle raison l’y doit obliger : car je ne sais si les Éthiopiens ont une philosophie qui leur enseigne l’immortalité de l’âme et qui promette des récompenses à la piété de ceux qui servent les dieux de leur pays selon les lois qui y sont reçues. On en peut dire autant des Arabes qui se trouveraient par hasard parmi les Éthiopiens de Méroé. Car étant instruits à n’adorer que Bacchus et Uranie, ils n’adoreraient pas Jupiter avec les Éthiopiens. Que Celse nous dise donc ce que la raison voudrait qu’ils fissent, si là-dessus on les traînait au supplice comme des impies. Il n’est ni nécessaire, ni à propos de nous arrêter aux fables d’Osiris et d’Isis. Je dirai seulement que quand on leur donnerait un sens allégorique, elles nous porteraient à adorer l’eau, qui est un sujet inanimé, et la terre, que les hommes et les autres animaux foulent aux pieds. Car c’est ce qu’on prétend, si je ne me trompe, de nous donner Osiris pour l’eau, et Isis pour la terre. A l’égard de Sérapis, de qui on nous dit tant de choses si peu conformes les unes aux autres, il n’a paru que depuis trois jours, et par l’adresse de Ptolomée, qui voulut en faire comme un dieu visible aux habitants d’Alexandrie : et nous lisons dans les écrits du pythagoricien Numénius, qui nous en fait la description, qu’il participait à l’essence de tout ce que la nature produit, tant à celle des animaux, qu’à celle des plantes ; les magiciens, ceux qui usent de sortilèges, et ceux qui évoquent les démons, contribuant avec les sculpteurs à le faire passer pour dieu par leurs cérémonies abominables et par leurs prestiges.
Il faut donc examiner de quelles choses il est à propos que l’homme, qui est une créature raisonnable (Gr., un animal), qui se gouverne par des lois et qui n’agit qu’avec connaissance, s’abstienne ou ne s’abstienne pas dans son manger ; et non se laisse aller, comme si c’était par un effet du sort, à regarder avec un respect religieux, des brebis, des chèvres, ou des vaches. Encore n’y aurait-il rien de mauvais à s’abstenir de ces animaux, de qui il revient beaucoup d’utilité aux hommes. Mais d’épargner les crocodiles et de les estimer consacrés à je ne sais quel dieu fabuleux, n’est-ce pas la dernière folie ? Car quelle extravagance d’épargner ce qui ne nous épargne point, et de respecter des animaux qui mangent les hommes.
Pour ce qui est de Celse, il approuve la pratique de ceux qui ont du respect et de la vénération pour les crocodiles, selon l’usage de leur pays ; et il n’écrit point contre eux : mais il blâme la conduite des chrétiens qui enseignent à fuir et à abhorrer le vice, avec toutes les actions vicieuses ; et à faire de la vertu l’objet de notre vénération et de notre amour, puisqu’elle est engendrée de Dieu, comme étant son fils. Car sous prétexte que le nom de la sagesse et de la justice est féminin, il ne faut pas croire que ce soit pour en marquer le sexe. Selon nous, ces noms conviennent au Fils de Dieu qui, comme nous l’apprenons de son vrai disciple, a été fait de Dieu pour nous, sagesse, justice, sanctification, et rédemption (I Cor., I, 30). Si nous le nommons Un second Dieu, qu’on sache que, par ce second Dieu, nous n’entendons autre chose que la vertu qui comprend et qui renferme toutes les vertus ; la raison qui comprend et qui renferme tout ce qu’il y a de raison dans les choses conformes à la nature, et faites avec prévoyance pour le bien de l’univers. C’est elle que nous disons qui a été particulièrement jointe et unie avec l’âme de Jésus, à l’exclusion de toute autre âme ; n’y ayant que lui qui pût être parfaitement capable de cette étroite union avec la raison même, la sagesse même et la justice même.
Ce que Celse ajoute, après tout ce qu’il a dit de la diversité des lois : Qu’il trouve que Pindare a eu raison de représenter la loi comme une reine, dont l’empire s’étend partout, nous oblige à dire encore un mot là-dessus, et à lui demander quelle est cette loi dont il nous parle comme d’une reine dont l’empire s’étend partout. S’il entend les lois par lesquelles les sociétés civiles se gouvernent, cela se trouvera faux ; car ces sociétés ne sont pas toutes régies par la même loi, et il aurait du moins fallu dire que les lois sont des reines, chaque nation ayant la sienne particulière, dont elle reconnaît l’empire. Mais s’il entend la loi proprement ainsi nommée, c’est cette loi qui est une reine, dont l’empire s’étend naturellement partout, bien que, comme il y a des voleurs qui méprisent les lois civiles, il se trouve aussi des gens qui se rebellent contre celle-ci, menant une vie aussi pleine d’injustice que celle des voleurs. Nous donc, qui sommes chrétiens, et qui savons que celle loi, dont l’empire s’étend naturellement partout, est la même que la loi de Dieu, nous tâchons d’y conformer notre vie, renonçant pour jamais à toutes ces autres lois impies.
Voyons ce qu’il dit ensuite, quoique cela regarde principalement les Juifs et qu’il n’y ait que fort peu de chose touchant les chrétiens. Si dans ses vues, dit-il, les Juifs veulent demeurer attachés à leurs lois, on ne saurait les en blâmer : il faut plutôt blâmer ceux qui abandonnent leurs propres coutumes pour prendre celles des Juifs. Mais s’ils font les vains, prétendant être bien plus éclairés que les autres, et s’ils réfutent d’avoir commerce avec le reste des hommes comme avec des personnes moins pures, nous leur avons déjà fait voir que leur opinion touchant le ciel, pour ne parler que de celle-là, ne leur est pas particulière, et que les Perses l’ont eue, il y a longtemps, selon le témoignage d’Hérodote (Liv. I) ; car il nous assure qu’ils ont accoutumé d’aller offrir leurs sacrifices à Jupiter sur les plus hautes montagnes, donnant le nom de Jupiter à toute cette étendue du ciel qui nous environne. Je crois donc qu’il est fort indifférent, pour désigner Jupiter, de le nommer ou le Très-Haut, ou Zen, ou Adonée, ou Sabaoth, ou Ammon, comme font les Égyptiens, ou Papée, comme font les Scythes. Ils ne doivent pas non plus » s’imaginer être plus saints que les autres, sous prétexte qu’ils se font circoncire, car les Égyptiens et les habitants de la Colchide le font avant eux ; ou parce qu’ils s’abstiennent de chair de pourceau, car les Égyptiens s’en abstiennent également, et ils s’abstiennent de plus de celle de chèvre et de brebis, et de vache et de poisson. Pythagore aussi et ses disciples ne mangent ni fèves ni rien qui ait été animé. Enfin il ne faut pas croire qu’ils soient plus agréables ni plus chers à Dieu que le reste des hommes, ou qu’il n’envoie ses anges et ses messagers qu’à eux seuls, comme s’ils habitaient. quelque région fortunée : car nous voyons bien quels privilèges ont été accordés à eux et à leur pays. Donnons donc congé à cette troupe, et laissons-lui porter la peine de sa vanité. Ils ne connaissent point le grand Dieu : mais s’étant laissé prendre et tromper aux illusions de Moïse, ils se sont faits ses disciples pour leur malheur.
Il est clair que Celse veut là reprocher aux Juifs qu’ils s’attribuent faussement d’être la portion que le grand Dieu s’est choisie, au préjudice de tous les autres peuples, et qu’il les accuse de vanité, comme des gens qui se glorifient d’être au grand Dieu, et qui cependant ne le connaissent point, mais qui s’étant laissé prendre et tromper aux illusions de Moïse, se sont faits ses disciples pour leur malheur. Nous avons déjà ci-dessus dit quelque chose de la manière excellente et admirable dont les Juifs se gouvernaient quand la ville et le temple de Dieu, avec toutes les cérémonies sacrées qui se faisaient dans ce temple et sur l’autel, subsistaient au milieu d’eux comme autant de symboles divins. Et si quelqu’un voulait s’attacher à pénétrer l’intention du législateur, et que se formant là-dessus l’idée de la république judaïque, il la comparât avec toutes celles d’aujourd’hui, il n’y en a point parmi les hommes qui lui parût plus digne d’admiration. En effet, c’était un peuple qui avait banni de chez soi tout ce qui est inutile à la vie humaine, et qui n’y avait reçu que ce dont elle peut tirer de l’utilité. Il n’avait ni jeux publics, ni spectacles, ni courses de chevaux. Il ne souffrait point de ces femmes qui vendent leur beauté au premier venu, à des gens qui ne cherchent qu’un vain plaisir, sans respect de l’ordre que la nature a établi pour la conservation du genre humain. Et quel avantage n’était-ce point pour les Juifs d’être instruits dès leur plus tendre enfance à s’élever au-dessus de toutes les choses sensibles, et à ne pas croire que Dieu fût renfermé dans aucune d’elles, mais à le chercher en haut, au-delà des êtres corporels ? Quel avantage encore pour eux de sucer avec le lait, pour ainsi dire, et d’apprendre, en apprenant à parler, la doctrine de l’immortalité de l’âme, des supplices souterrains et des récompenses destinées aux personnes vertueuses ? Il est vrai que ces dogmes n’étaient proposés aux enfants et aux esprits de même trempe que sous des images proportionnées à leur portée : mais pour les personnes qui cherchaient la raison en elle-même et qui désiraient s’y avancer, ce qui jusque-là n’avait été que des fables, s’il m’est permis de parler ainsi, était transformé à leur égard dans les vérités mêmes que ces fables renfermaient. Je crois au reste qu’afin de se rendre dignes du nom qu’ils portaient de portion et de partage de Dieu (Deut., XXXII, 9), ils regardaient avec mépris tout l’art des devins comme une chose qui flatte vainement les hommes et qui doit être attribuée aux mauvais démons plutôt qu’à quelque sainte et bienheureuse intelligence, ne cherchant pour eux la connaissance de l’avenir que dans ces âmes qui, à cause de leur exquise pureté, recevaient l’esprit du grand Dieu.
Que dirons-nous aussi de cet ordre, si sagement et si équitablement établi, tant pour les maîtres que pour les esclaves, qui ne permettait pas qu’un homme de religion judaïque servît plus de six ans ? Ce n’est donc pas dans les mêmes vues que les autres nations, que les Juifs doivent demeurer attachés à leurs lois (Exode, XXI, 2). Ils seraient très blâmables, et l’on ne pourrait excuser leur insensibilité pour l’excellence de ces lois, s’ils pensaient qu’elles eussent été écrites de la même manière que celles des autres peuples. Ainsi, quelque chose que Celse en puisse dire, les Juifs sont plus éclairés non seulement que le commun, mais même que ceux qui passent pour philosophes. Car ces philosophes, après toutes leurs belles spéculations philosophiques, se laissent aller au culte des idoles et des démons ; au lieu que le moindre d’entre les Juifs s’attache uniquement au grand Dieu. A cet égard ils ont raison de faire les vains, et de refuser d’avoir commerce avec le reste des hommes comme avec des profanes et des impies (Matth., XXIII, 37 ; Jean, V, 16). Et plût à Dieu qu’ils n’eussent point violé leur loi par leurs péchés, en conspirant premièrement contre la vie de leurs prophètes et enfin contre celle de Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de cette république céleste dont Platon a bien tâché de donner l’idée, mais dans la description de laquelle je ne sais s’il a rien fait d’égal à ce que Moïse et ceux qui sont venus après lui, ont exécuté, ayant imbu d’une doctrine exemple de toute superstition une race d’hommes choisis et une nation sainte vouée et consacrée à Dieu (Exode, XIX, 6).
Mais puisque Celse prétend que ce que les Juifs ont de plus auguste dans leurs lois, leur est commun avec d’autres peuples, voyons un peu ce qu’il en dit. Il s’imagine que croire qu’il faut servir le ciel et croire qu’il faut servir Dieu, n’est qu’un même dogme ; et il veut que les Perses, qui vont offrir leurs sacrifices à Jupiter sur les plus hautes montagnes (Is., LVI, 7), fassent en cela la même chose que les Juifs. Ce qu’il ne dirait pas, s’il prenait garde que comme les Juifs ne reconnaissent qu’un seul Dieu, ils ne reconnaissent non plus qu’un seul endroit qui soit la sainte maison de prière, qu’un seul autel des holocaustes, qu’un seul autel des parfums et qu’un seul pontife de Dieu. Les Juifs donc n’ont rien de commun avec les Perses qui montent sur les plus hautes montagnes qu’ils trouvent en plusieurs lieux différents, et qui offrent des sacrifices où il n’y a rien de semblable à ceux que la loi de Moïse prescrit. Selon cette loi, les sacrificateurs juifs rendaient à Dieu un culte qui consistait dans les figures et dans l’ombre des choses célestes (Hébr., VIII, 5) : mais ils expliquaient en secret quel était le but et le dessein de la loi dans l’oblation de ces sacrifices, et ce qu’ils représentaient. Toute cette étendue du ciel qui nous environne, peut être nommée Jupiter par les Perses. Pour nous, nous ne donnons au ciel ni le nom de Jupiter, ni celui de Dieu ; sachant que des êtres inférieurs à Dieu sont élevés au-dessus des deux et de toutes les créatures sensibles, et c’est ainsi que nous entendons ce qui est dit : Cieux des cieux, louez Dieu ; et que les eaux qui sont au-dessus des cieux louent le nom du Seigneur (Ps. CXLVIII, 4).
Voyons encore en peu de mots, quel sujet Celse a de croire qu’il soit indifférent, pour désigner Jupiter, de le nommer ou le Très-haut, ou Zen, ou Adonée, ou Subaoth, ou Ammon, comme font les Égyptiens, ou Papée, comme font les Scythes. Le lecteur se souviendra de ce que nous avons déjà dit sur cette question, lorsque Celse nous a obligés à lui démontrer le ridicule de cette prétention. Nous dirons seulement ici que la nature des noms ne dépend pas, comme Aristote l’a cru, de l’institution de quelqu’un qui les ait imposés selon son plaisir. Car les diverses langues qui sont en usage dans le monde ne doivent pas leur origine à des hommes, comme on le reconnaîtra aisément, si l’on peut comprendre la nature des conjurations qui sont appropriées aux auteurs de chaque langue selon la différence de la prononciation et des dialectes. Nous en avons touché quelque chose ci-dessus, quand nous avons dit que des conjurations qui ont de la vertu dans une certaine langue, n’en ont plus, dès qu’on les change en une autre, et cessent de produire les effets qu’elles produisaient, étant exprimées dans leurs termes naturels. C’est ce qui se remarque, même à l’égard des hommes.
Car si un homme a dès sa naissance un nom tiré de la langue grecque, et que vous lui en imposiez un autre de même signification, pris de la langue égyptienne, ou de la romaine, ou de quelque autre, vous n’agirez plus sur lui de la même manière que vous auriez fait en retenant son premier nom. Et il en faut dire autant d’un homme dont on changerait le nom romain en un grec. La conjuration ne produirait plus l’effet qu’elle eût dû produire. Mais si cela est vrai à l’égard des noms des hommes, que devons-nous penser des noms qui, de quelque cause que cela vienne, sont attribués à la Divinité ? Car les noms d’Abraham, par exemple, et d’Isaac et de Jacob, signifient quelque chose qu’on peut exprimer en langue grecque : et si invoquant Dieu, ou jurant par lui, on le nomme, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’ Isaac et le Dieu de Jacob, on fera certaines choses par ces noms ; dont soit la nature, soit la vertu, sont telles que les démons mêmes cèdent et se soumettent aux personnes qui les prononcent. Mais si on le nomme, le Dieu du Père élu de la mer bruyante, le Dieu du ris et le Dieu du supplantateur, ces noms ne feront pas plus d’effet que ceux qui n’ont aucune vertu. Si l’on traduit pareillement le nom d’Israël, en grec ou en quelque autre langue, l’on ne pourra rien opérer : mais si on le retient, le joignant aux autres mots, auxquels ceux qui entendent cet art, ont accoutumé de le joindre, la conjuration réussira par ce moyen. Je dis encore la même chose du nom de Sabaoth, qui est fort commun dans les conjurations. Si on le change et que l’on dise : Le Seigneur des vertus, ou le Seigneur des armées, ou le Tout-Puissant, (car les interprètes l’expliquent en diverses manières), cela demeurera sans effet ; mais en retenant ce nom tel qu’il se prononce dans sa langue, on en verra l’opération, comme l’assurent ceux qui sont experts là-dedans, et ainsi du nom d’Adonaï. Si donc les noms de Sabaoth et d’Adonaï n’ont plus de force quand on les change en d’autres termes qui semblent équivalents dans la langue grecque ; combien moins auront-ils de vertu et d’efficacité par rapport à ceux qui croient qu’il est indifférent pour désigner Jupiter de le nommer ou le Très-Haut, ou Zen, ou Adonée, ou Sabaoth (Exod. XXIII, 13) ?
C’est pour ces raisons et pour d’autres raisons mystérieuses comme celles-là que Moïse et les prophètes ne veulent pas que les noms des dieux étrangers soient prononcés par une bouche qui fait profession de n’adresser des prières qu’au grand Dieu, ni que la mémoire en demeure dans un cœur instruit à se conserver pur de toute pensée et de toute parole vaine (Ps. XVI, 4). C’est aussi ce qui fait que nous aimons mieux souffrir toutes sortes de mauvais traitements que de confesser que Jupiter soit Dieu ; car nous sommes bien éloignés de penser que Jupiter soit le même que Sabaoth. Nous ne croyons pas même qu’il y ait rien de divin en Jupiter : nous croyons que celui qui prend plaisir à se faire ainsi nommer est un démon, ennemi des hommes et du vrai Dieu. Quand les Égyptiens donc nous proposeraient leur Ammon d’un côté, et la mort de l’autre, nous choisirions plutôt la mort que de reconnaître Ammon pour Dieu, lui qui n’est sans doute qu’un démon que les Égyptiens invoquent sous ce nom-là dans quelques-unes de leurs cérémonies magiques. Que les Scythes disent aussi, tant qu’il leur plaira, que leur Papée est le grand Dieu, nous ne le leur accorderons point, nous qui reconnaissons bien un grand Dieu, mais qui ne voulons pas que Papée soit son nom propre ; nom qu’affecté en cette qualité la puissance à laquelle il est échu de présider sur la nation des Scythes, sur leur langue et sur leurs déserts. Car pour ce qui est du nom appellatif, qui répond à celui de dieu, dans la langue des Scythes ; dans celle des Égyptiens et dans toutes les autres, que chacun apprend en son pays, il n’y a point de péché à donner ce nom-là au grand Dieu.
A l’égard de la circoncision, les Juifs ne la pratiquent pas pour la même cause que les Égyptiens et les habitants de la Colchide, de sorte que leur circoncision ne doit pas passer pour la même. En effet, comme tous ceux qui sacrifient ne sacrifient pas à la même divinité, quoiqu’ils semblent sacrifier de même manière, et que tous ceux qui prient, n’adressent pas leurs prières au même objet, quoiqu’ils demandent les mêmes choses, ainsi, de ce qu’un homme se fait circoncire, on ne doit pas conclure que sa circoncision ne soit en rien différente de celle d’un autre ; car la différence du dessein et de la loi, et celle du but de celui qui circoncit, en mettent aussi dans la chose. Mais pour mieux éclaircir encore tout ce sujet, je dis que le nom de la justice est le même parmi tous les Grecs. Cependant on sait que la justice est autre, selon Épicure, autre, selon les stoïciens, qui nient que l’âme ait trois parties, et autre, selon les platoniciens, qui veulent que la justice consiste eu ce que chaque partie de l’âme fasse son devoir. Le courage tout de même est autre, selon Épicure, qui ne se résout à quelques peines que pour en éviter de plus grandes ; autre, selon les stoïciens, qui veulent que toutes les vertus soient dignes de notre amour par elles-mêmes ; et autre, selon les disciples de Platon, qui disent que le courage est une vertu de la partie irascible de l’âme, et qui le placent autour du cœur. Ainsi donc la circoncision sera différente selon les différents sentiments de ceux qui la pratiquent. Mais il n’est pas nécessaire que nous en parlions davantage dans un écrit tel que celui-ci. Ceux qui voudront savoir plus au long notre pensée sur celle matière, peuvent consulter nos Commentaires sur l’Épître de saint Paul aux Romains.
Après cela, quand les Juifs se glorifieraient de leur circoncision, ils pourraient fort bien montrer qu’elle diffère non seulement de celle des habitants de la Colchide et des Égyptiens, mais même de celle des Arabes ismaélites (Gen., XVII, 26) ; quoiqu’Ismaël soit fils de leur patriarche Abraham, et qu’il ait été circoncis avec lui. Les Juifs disent que la circoncision qui se fait le huitième jour, est la vraie et légitime circoncision ; et qu’il n’y en a d’autre que par accident. Peut-être que celle dernière se pratiquait parmi eux au défaut de l’autre, à cause de quelqu’ange ennemi de leur nation, et qui pouvait leur faire du mal lorsqu’ils n’étaient pas circoncis ; mais qui n’avait plus aucun pouvoir dès qu’ils l’étaient. Pour preuve de cela, quelqu’un pourrait alléguer ce qui est écrit dans l’Exode, où il paraît que Moïse fut exposé à la poursuite de l’ange, avant la circoncision d’Eliazar, mais qu’après il ne le fut plus (Exode. IV, 24, 25). Séphora, qui le savait, prit une pierre aiguë et en circoncit son fils, disant, selon les exemplaires communs : Le sang de la circoncision de mon fils est arrêté ; mais, selon le texte Hébreu, Tu es pour moi un époux de sang. Car elle était instruite touchant cet ange, qui avait du pouvoir jusqu’à l’effusion de de sang ; mais qui ne pouvait plus rien aussitôt qu’on l’avait répandu par la circoncision. C’est ce qui lui fit dire à Moïse : Tu es pour moi un époux de sang.
Mais il suffit de ce que nous nous sommes hasardés de dire sur une question qui semble n’être que curieuse et qui est au-dessus de la portée du commun. J’y ajouterai seulement une chose comme chrétien ; après quoi je passerai au reste. C’est qu’à mon avis, le pouvoir de cet ange s’étendait sur les incirconcis, soit d’entre le peuple juif, soit en général, d’entre tous ceux qui n’adoraient que le Créateur de l’univers ; qu’il s’étendait, dis-je, sur eux pendant que Jésus-Christ n’avait pas encore pris notre chair ; mais que depuis qu’il l’a prise et qu’il a été circoncis, ceux qui embrassent le culte du même Dieu n’ont plus à craindre ce pouvoir, bien qu’ils ne se lassent point circoncire, Jésus l’ayant détruit par son ineffable divinité. C’est pourquoi l’usage de la circoncision est défendu à ses disciples ; et ils sont avertis que s’ils se font circoncire, Jésus-Christ ne leur servira de rien (Gal., V, 2).
Les Juifs ne se glorifient point non plus de ce qu’ils ne mangent pas de pourceau, comme si c’était quelque chose de fort considérable ; mais ils se glorifiant de ce qu’ils connaissent la nature des animaux purs et des impurs, et de ce qu’ils savent la cause de cette différence, par où ils ont appris que le pourceau est du nombre des derniers. Au reste, cette distinction a servi à représenter quelque autre chose, jusqu’à la venue de Jésus ; mais depuis, comme son disciple n’en comprenait pas encore le mystère, et qu’il disait : Je n’ai jamais rien mange d’impur ou de souillé (Act., X, 14, 15) il lui fut ainsi répondu : N’appelle pas impur ce que Dieu a purifié. Ni les Juifs, ni nous, n’avons donc nul intérêt à la pratique des prêtres égyptiens qui s’abstiennent, non seulement de chair de pourceau, mais, de plus de celle de chèvre, et de brebis, et de vache, et de poisson. Comme ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme qui le rend impur (Matth., XV, 11), et que les viandes ne nous rendront pas agréables à Dieu (I Cor. VIII, 8), nous ne faisons pas vanité de ne point manger, et quand nous mangeons, ce n’est pas par gourmandise. Ainsi, il ne tiendra pas a nous qu’on ne renvoie bien loin les disciples de Pythagore, qui ne mangent de rien qui ait été animé. Vous voyez assez la différence qu’il y a entre la raison qui oblige les pythagoriciens à cette abstinence, et celle qui y oblige ceux qu’on nomme ascètes parmi nous. Ceux-là s’abstiennent de manger de rien qui ait été animé, à cause de la fausse opinion où ils sont touchant la transmigration de l’âme d’un corps dans un autre.
Malheureux ! c’est ton fils que tu mets sur l’autel :
C’est lui qui de ta main reçoit le coup mortel.
Mais nous, si nous faisons quelque chose de semblable, c’est pour dompter notre corps et pour le réduire en servitude (I Cor., IX, 27), c’est pour faire mourir les membres de l’homme terrestre qui est en nous, la fornication, l’impureté, l’impudicité, les abominations, les mauvais désirs (Col., III, 5), c’est enfin pour ne rien négliger de ce qui peut mortifier les actes du corps (Rom., VIII, 13).
Voici ce que Celse ajoute encore, parlant toujours des Juifs : Il ne faut pas croire qu’ils soient plus agréables ni plus chers à Dieu que le reste des hommes, ou qu’il n’envoie ses anges et ses messagers qu’à eux seuls, comme s’ils habitaient quelque région fortunée ; car nous voyons bien quels privilèges ont été accordés et à eux et à leur pays. C’est ce que nous pouvons convaincre de fausseté, en faisant voir que ce peuple a été agréable à Dieu d’une façon particulière, comme il paraît de ce que ceux mêmes qui ne sont pas de notre créance appellent le grand Dieu le Dieu des Hébreux. Et ce qui montre encore combien ils étaient agréables à Dieu, c’est que leur nation ayant été réduite à un petit nombre, les restes ont vécu en sûreté sous la protection divine, de sorte même qu’Alexandre de Macédoine ne les maltraita point, bien qu’à cause de certaines alliances, qu’ils avaient jurées, ils refusassent de prendre les armes contre Darius. L’on dit qu’alors le grand sacrificateur des Juifs, revêtu de ses habits pontificaux fut adoré par Alexandre (Josèphe, Hist. des Juifs. liv. XI. ch. 8), qui assura qu’un homme vêtu de même manière lui était apparu en songe, et lui avait promis la conquête de toute l’Asie. Nous donc qui sommes chrétiens, disons qu’il est constant que les Juifs ont été plus agréables et plus chers à Dieu que le resta des hommes, mais que sa protection et sa faveur ont passé d’eux à nous Jésus ayant transporté sur ses fidèles d’entre les Gentils cette vertu dont les Juifs sentaient auparavant les effets. Aussi, quelques voies que les Romains aient tentées pour détruire le christianisme, ils n’en ont pu venir à bout ; car Dieu faisait sentir aux chrétiens le secours de sa main, voulant que d’un coin de la Judée sa parole se répandit par toute la terre.
Mais puisque nous avons répondu, selon notre pouvoir, à ce que Celse avait avancé contre les Juifs et contre leurs dogmes, faisons voir maintenant, par l’examen de ce qui suit, que l’on ne doit point nous accuser de vanité, si nous nous attribuons la connaissance du grand Dieu, et que nous ne nous sommes point laissés prendre, comme Celse se le persuade, aux Illusions, soit de Moïse, soit de notre propre Sauveur Jésus, mais que pour notre bonheur que nous écoutons le Dieu qui parle par Moïse, et que, sur le témoignage de ce Dieu même, nous recevons Jésus comme Dieu, le Fils de Dieu, avec espérance qu’il nous accordera les plus grands biens, si nous vivons comme il nous l’ordonne. Je passe à dessein par-dessus ce qu’il nous demande ici : D’où nous venons, quel est le chef que nous suivons, et quelle loi il nous a donnée ? à quoi j’ai satisfait ailleurs par avance. Si Celse prétend que nous ne différions pas des Égyptiens qui adorent un bouc, un bélier, un crocodile, un bœuf, un hippopotame ou cynocéphale, ou un chat, c’est à lui et à ceux qui suivent en cela son sentiment, à voir sur quoi ils se fondent. Pour nous, nous avons amplement justifié ci-dessus, autant que nous en avons été capables, l’honneur que nous rendons à notre Jésus, et nous avons fait voir que le parti que nous avons pris est le meilleur qui se pouvait prendre ; qu’au reste, quand nous nous vantons d’être les seuls qui ayons la pure vérité, sans aucun mélange d’erreur, dans la doctrine de Jésus-Christ, et n’est pas pour notre gloire que nous parlons, mais pour celle de notre maître, d’un maître autorisé hautement par le témoignage du grand Dieu, par les oracles des Juifs et par l’évidence des choses mêmes. Car il est aisé de prouver qu’il n’a pu faire tant de merveilles, sans que la Divinité y ait eu part.
Les paroles de Celse, que nous avons à présent à examiner, sont celles-ci : Nous ne nous arrêterons point, dit-il, à tout ce dont on les peut convaincre sur le sujet de leur maître. A lu bonne heure, qu’on le prenne pour un vrai ange. Mais est-il le premier et le seul qui soit venu ? ou s’il en était venu d’autres avant lui ? S’ils disent qu’il soit le seul, ils tomberont dans une contradiction manifeste ; car ils disent d’ailleurs qu’il en est souvent venu d’autres, jusqu’à soixante ou soixante-dix à la fois, qui se sont pervertis et qui, pour punition de leur crime, sont enchaînés sous terre : d’où vient que de leurs larmes se forment les fontaines chaudes. Ils nous content qu’au tombeau même de celui-ci, il en vint, les uns disent un, les autres disent deux, qui apprirent aux femmes qu’il était ressuscité. Car il faut croire que le Fils de Dieu n’eut pas la force d’ouvrir son tombeau, et qu’il eut besoin que quelqu’un vint ôter la pierre qui le fermait. Il vint encore un ange vers le charpentier, au sujet de la grossesse de Marie. Il en vint un autre leur donner ordre de s’enfuir avec l’enfant. Et qu’est-il besoin de faire une recherche et une énumération exacte de tous ceux que l’on dit avoir été envoyés à Moïse et à d’autres ? Si d’autres que lui ont été envoyés, il s’ensuit qu’il a aussi été envoyé par le même Dieu. Et l’on peut dire qu’il l’a été pour quelque sujet plus important, comme a cause des péchés des Juifs ou des fausses gloses par lesquelles ils corrompaient la religion, ou de la dépravation de leurs mœurs, car c’est ce qui est insinué.
Nous pourrions donc nous contenter, pour réponse, de renvoyer Celse à ce que nous avons dit ci-devant, lorsque nous avons examiné ce qui regarde, en particulier Jésus-Christ, notre Sauveur. Mais de peur qu’on ne s’imagine que nous soyons bien-aise de ne pas toucher à quelque endroit de son écrit, comme si nous n’y pouvions répondre, usons de redites, puisque Celse nous y oblige, et abrégeons pourtant le plus qu’il sera possible. Peut-être qu’en repassant les mêmes sujets, il nous viendra dans l’esprit quelque chose de plus évident ou de plus nouveau.
Il dit des chrétiens : Qu’il ne s’arrête point à tout ce dont on les peut convaincre sur le sujet de leur maître : quoiqu’il n’ait rien omis de tout ce qu’il pouvait dire, comme cela paraît assez par les choses qui ont précédé. Mais c’est une figure de rhétorique. Quoi qu’il en soit et de quelques accusations qu’on nous charge, on a beau se flatter, on ne nous saurait convaincre de rien sur le sujet d’un tel Sauveur, comme le reconnaîtront aisément ceux qui voudront examiner avec soin et de bonne foi tout ce que les oracles des prophètes en avaient prédit.
Il prétend ensuite parler par concession, lorsqu’il dit de notre Sauveur : A la bonne heure, qu’on le prenne pour un vrai ange. Mais nous ne recevons pas cela comme une concession de Celse. La chose même nous fait comprendre que Jésus s’étant présenté à tous les hommes par sa parole et sa doctrine, selon que chacun de ceux qui le recevaient en était capable, ce ne peut être là que l’ œuvre d’un ange, non d’un simple ange, mais comme la prophétie le nomme, de l’Ange du grand conseil (Is., IX, 5 ou 6) ; car il a déclaré aux hommes le grand conseil du Dieu et du Père de toutes choses, touchant eux, savoir : que ceux qui se laisseraient persuader de vivre dans l’exercice d’une piété pure et sincère, s’élèveraient à Dieu par la grandeur de leurs actions ; mais que ceux qui refuseraient de se rendre, s’éloigneraient de Dieu et courraient à leur perdition, par leur incrédulité. Il dit après cela : Posé que Jésus soit un ange venu vers les hommes, est-il le premier et le seul qui soit venu, ou s’il en était venu d’autres avant lui ? Et il croit avoir prouvé par plusieurs raisons qu’il y a de l’absurdité dans l’un et dans l’autre. Mais aucun vrai chrétien n’a jamais dit qu’il n’y ait que Jésus-Christ seul qui soit venu vers les hommes ; car, comme Celse le remarque, contre ceux qui voudraient dire que Jésus soit le seul, il y en a beaucoup d’autres qui se sont fait voir.
Il ajoute, supposant pour avouer tout ce qu’il lui plaît : Que d’autres que lui soient venus vers les hommes, c’est une chose tellement reçue parmi eux, que ceux mêmes qui, sous prétexte du nom et de la doctrine de Jésus, ont abandonné le Créateur comme plus faible, et ont pris le parti du Père de ce nouvel envoyé, comme celui d’un dieu plus puissant, disent qu’avant cela, le Créateur en avait envoyé d’autres aux hommes. Comme nous agissons de bonne foi dans cette dispute, nous dirons qu’Apelle, disciple de Marcion, s’étant fait auteur d’une certaine hérésie, et prenant pour des fables les livres des Juifs, soutient qu’il n’y a que Jésus qui soit venu de la part de Dieu vers les hommes. Lors donc qu’il le pose ainsi, ce serait mal à propos que Celse, pour lui prouver le contraire, ni alléguerait les histoires anciennes à lui qui, comme nous l’avons dit, rejette le témoignage des Écritures judaïques sur ces événements miraculeux. Il admettrait beaucoup moins encore ce que Celse, sur un rapport peu exact, semble produire du livre d’Énoch. De sorte qu’il n’y a rien-là qui nous puisse convaincre de mensonge et de contradiction, comme si nous disions que notre Sauveur est le seul qui soit venu, et que néanmoins il en est souvent venu d’autres en grand nombre. C’est au reste d’une manière fort embrouillée, que sur le sujet de ces anges envoyés aux hommes, Celse allègue ce qu’on lit dans le livre d’Énoch, et dont il n’a ouï parler que confusément. Il fait bien voir qu’il n’a jamais lu ce livre et qu’il ignore que nos églises ne le tiennent pas pour divin. Car c’est apparemment de là qu’est pris ce qu’il avance au hasard : Qu’il en est descendu jusqu’à soixante ou soixante-dix à la fois qui se sont pervertis.
Mais bien loin de le traiter à la rigueur, fournissons-lui ce qu’il n’a pas vu dans le livre de la Genèse : Que les enfants de Dieu, voyant que les filles des hommes étaient belles, en prirent pour leurs femmes qu’ils avaient choisies entre toutes (Gen., VI, 2). Avec tout cela nous ferons avouer à ceux qui voudront entrer dans le sens du prophète, que, selon la pensée que quelqu’un a eue (Philon) avant nous sur ce passage, on le peut entendre des âmes qui se laissent emporter à l’amour de la vie corporelle et animale, désignée figurément par les filles des hommes. Quoi qu’il en soit, au fond, des enfants de Dieu qui aimèrent les filles des hommes, Celse n’en saurait rien inférer pour montrer que Jésus ne soit pas le seul qui ait été envoyé aux hommes avec une commission expresse et avec une pleine évidence, pour être le sauveur et le bienfaiteur de tous ceux qui voudraient sortir de l’abîme des vices. Mêlant ensuite et confondant les diverses choses qu’il peut avoir entendu dire, sans se soucier d’où elles viennent, ni que les livres d’où elles sont prises soient ou ne soient pas d’une autorité divine parmi les chrétiens, il nous dit que ces anges qui sont descendus jusqu’à soixante ou soixante-dix à la fois, sont enchaînés sous terre pour punition de leur crime. A quoi il ajoute, comme sur le témoignage d’Énoch, qu’il ne nomme pourtant pas : D’où vient que de leurs larmes se forment les fontaines chaudes : ce qui est une chose qui n’a jamais été dite, et dont on n’a jamais entendu parler dans les églises de Dieu ; car il n’y a point d’homme assez insensé pour s’imaginer que des anges descendus du ciel versent des larmes corporelles telles qu’en versent les hommes. Et, s’il est permis de répondre par une raillerie à ce que Celse nous objecte sérieusement, on peut dire qu’il n’y a pas d’apparence que les fontaines chaudes, qui sont douces pour la plupart, soient des larmes de ces anges, les larmes étant salées de leur nature, si ce n’est que les larmes des anges dont parle Celse, soient des larmes douces.
Il continue encore à mêler et à confondre ensemble des choses toutes différentes et toutes opposées ; et, après avoir parlé de ces anges qui, selon lui, sont descendus jusqu’à soixante ou soixante-dix à la fois, et dont les larmes forment les fontaines chaudes, il ajoute qu’on raconte qu’au tombeau même de Jésus il en vint, les uns disent deux, les autres un. C’est qu’il a remarqué sans doute que Saint Matthieu et Saint Marc ne parlent que d’un ange (Matth., XXVIII, 2 ; Marc. XVI, 5), au lieu que Saint Luc et Saint Jean parlent de deux (Luc. XXIV, 4 ; Jean, XX, 12). Mais cela n’est nullement contraire ; car ceux qui ne parlent que d’un, parlent de celui qui renversa la pierre dont l’entrée du sépulcre était fermée ; et les autres qui parlent de deux, parlent de ceux qui se présentèrent aux femmes, proche du sépulcre, avec des robes brillantes, ou de ceux qui se firent voir assis dans le sépulcre, et vêtus de blanc. Du montrer sur chacune de ces choses en particulier, et qu’elle est possible, et qu’elle est effectivement arrivée, et qu’elle renferme des enseignements allégoriques pour ceux qui se mettent en devoir de méditer les merveilles dont la résurrection du Verbe fut accompagnée, cela n’est pas du dessein que nous nous sommes proposé. Ce serait plutôt fait d’un commentaire sur l’Évangile.
Au reste, les Grecs mêmes nous rapportent qu’il arrive quelquefois aux hommes d’avoir des visions fort surprenantes. Je ne dis pas ceux d’entre les Grecs dont les écrits sont soupçonnés d’être fabuleux ; mais ceux mêmes qui ont fait une particulière profession du parler en vrais philosophes, et de raconter fidèlement ce dont ils avaient connaissance. On en peut voir des exemples, et dans Chrysippe Solien, et dans Pythagore. On peut en voir aussi dans quelques auteurs modernes qui n’ont écrit que depuis trois jours ; comme dans Plutarque de Chéronée, au traité de l’Âme et dans le pythagoricien Numénius, au second livre de l’Immortalité de l’âme. Est-ce que quand les Grecs, surtout ceux qui portent le nom de philosophes, nous font de pareils récits, on n’y trouve rien qui soit digne de mépris ou de risée, rien qui doive passer pour suspect ou pour fabuleux ? mais lorsque ceux qui sont consacrés au grand Dieu, jusqu’à s’exposer à toutes sortes du mauvais traitements et à la mort même, plutôt que de laisser sortir de leur bouche une parole fausse en parlant de lui, racontent comme témoins oculaires que des anges leur sont apparus, on ne juge pas qu’ils méritent aucune créance, ni que leurs discours puissent être tenus pour véritables ? Ce serait juger bien peu raisonnablement de ceux qui disent la vérité ou qui la déguisent ; car les personnes qui se veulent donner de garde d’être séduites, ne se hâtent pas de prononcer sur les auteurs qui racontent quelques événements extraordinaires, ceux-ci disent vrai, et ceux-là mentent. Pour le pouvoir faire sûrement, ils examinent chaque chose avec une longue et sérieuse attention, tons ces auteurs ne portant pas des caractères de leur bonne foi, ou des marques visibles du dessein qu’ils ont de débiter des fables aux hommes Sur le sujet de la résurrection de Jésus, il faut dire encore qu’il n’y a pas lieu de s’étonner qu’un ange ou deux se soient fait voir pour en porter la nouvelle, et qu’ils aient ainsi pris soin de ceux oui, pour leur propre avantage, ajoutaient foi à ce grand miracle. Il est même fort vraisemblable, à mon avis, que ceux qui croient que Jésus est ressuscité, et qui donnent des preuves sincères de leur foi par l’intégrité de leur vie et par leur dégagement des vices qui règnent au monde, ne sont jamais sans quelques anges qui se tiennent autour d’eux et qui les assistent dans leur conversion à Dieu.
Celse attaque aussi ce qui est dit, que l’ange roula la pierre de devant le sépulcre où était le corps de Jésus ; et, comme un écolier à qui on aurait donné à faire une déclamation oratoire contre quelqu’un, il s’imagine faire merveille avec cette pensée : Car il faut croire que le Fils de Dieu n’eut pas la force d’ouvrir son tombeau, et qu’il eut besoin que quelqu’un vint ôter la pierre qui le fermait. Je ne m’arrêterai point ici à faire des spéculations curieuses ni à chercher des allégories, de peur qu’il ne semble que je veuille subtiliser hors de saison, et je m’attacherai au sens historique. On voit assez qu’Il était de la dignité de celui qui ressuscitait pour le bien des hommes, que ce ne fût pas lui-même qui renversât la pierre, mais que ce fût quelque ministre inférieur qui lui rendit ce service. Pour ne point dire que ceux qui par leurs mauvaises pratiques avaient este à la vin du Verbe, ayant dessein que l’est le monde le regardât comme mort et réduit à rien, ils ne voulaient pas que son tombeau fût ouvert, de peur qu’après leurs embûches on ne le vit encore vivant : mais bien que lui comme l’Ange de Dieu (Matth., XXVII, 64) qui était venu au monde pour le salut des hommes, fut plus fort que ses ennemis, et aida à l’autre ange à renverser cette grosse pierre afin que ceux qui croyaient que le Verbe fût mort cessassent de le chercher parmi les morts (Luc, XXIV, 5), et qu’ils fussent persuadés qu’étant plein de vie, il allait devant eux en un lieu où il enseignerait à ceux qui l’y voudraient suivre le reste des choses qu’il leur avait enseignées au commencement (Marc, XVI, 7), que ne faisant que d’entrer dans son école, ils n’étaient pas encore capables de rien de plus élevé.
Je ne sais quel avantage Celse espère tirer pour son dessein, de ce qu’il ajoute sans autre réflexion, qu’il vint un ange vers Joseph, au sujet de la grossesse de Marie : et encore, qu’après la naissance de l’enfant, il vint un autre ange leur donner ordre de s’enfuir avec lui en Égypte, pour le sauver des embûches qu’on lui dressait. Il avait déjà allégué la même chose, et nous en avons aussi parlé ci-dessus. Mais que veut-il dire ensuite, que les Écritures racontent qu’il a été envoyé des anges et à Moïse, et à d’autres ? Car je ne vois pas que cela fasse rien pour lui, surtout aucun de ces anges ne s’étant proposé de faire tous ses efforts pour retirer les hommes de leur péchés. Que Dieu donc en ait envoyé d’autres, nous le voulons bien : mais que celui-ci ait été envoyé pour nous déclarer des choses plus importantes et que voyant les Juifs abandonnés au péché, corrompus dans la religion et dépravés dans leurs mœurs il leur ait ôté le royaume de Dieu (Matth., XXI, 41, 43), pour mettre en cette vigne mystique d’autres vignerons, ceux qui dans toutes les églises travaillent à leur propre salut, et qui ne négligent rien pour amener à la connaissance du grand Dieu, par l’exemple d’une bonne vie et par des discours qui y répondent, les personnes éloignées de la doctrine de Jésus.
Celse dit après cela : Les Juifs et eux (savoir les chrétiens) ont donc le même Dieu. Et, comme s’il voulait appuyer un point qui ne fût pas avoué, Au moins, ajoute-t-il, c’est une chose manifestement reconnue par ceux de la grande Église, qui reçoivent pour véritable ce que les Juifs disent des six jours dans lesquels fut créé le monde, et du septième auquel Dieu se reposa. Car c’est ainsi que Celse, qui n’entend pas le texte sacré, en rapporte les paroles en les altérant ; au lieu de dire que Dieu cessa de travailler à ses œuvres (Gen., II, 3), pour rentrer en la contemplation de lui-même. Au reste, cette matière de la création du monde et du repos qui est réservé ensuite pour le peuple de Dieu, est une matière fort vaste et fort difficile, toute remplie de profonds mystères (Hébr., IV, 9).
Je crois qu’il un se propose que de grossir son livre, et de le faire valoir par-là, lorsqu’il ajoute encore des choses si inutiles, comme : que nous comptons pour le premier homme le même que les Juifs, et que nous faisons la généalogie de ses descendants de la même manière qu’eux. (Gen., IV, 8). Pour ce qui est des embûches mutuelles que des frères se sont dressées, nous ne savons ce que c’est. Caïn en dressa bien à Abel, et Ésaü à Jacob ; mais Abel n’en dressa point à Caïn, ni Jacob à Ésaü (Gen., XXVII, 41) ; ce qu’il faudrait qu’ils eussent fait pour donner lieu à Celse de dire, que nous parlons comme les Juifs des embûches mutuelles que des frères se sont dressées. Je veux que nous racontions comme eux aussi l’entrée des Israélites en Égypte, et leur sortie hors de ce pays, laquelle Celse nomme mal à propos une fuite : quel sujet d’accusation en peut-il tirer, soit contre nous, soit contre les Juifs ? Lors donc qu’il croit que l’occasion de nous railler se présente, il parle de la sortie des Hébreux comme d’une fuite : mais quand il serait question d’examiner ce qui nous est dit des plaies dont Dieu frappa l’Égypte, il prend le parti d’un silence affecté (Exode, VII, 20, etc.).
Après tout, s’il faut répondre précisément à Celse, qui croit que nous sommes dans les mêmes sentiments que les Juifs sur ces articles, nous dirons que nous confessons également, les uns et les autres, que les livres qu’on nomme sacrés sont l’ouvrage de l’Esprit de Dieu ; mais que nous différons avec eux dans l’explication que nous donnons à ces livres. En effet, nous ne vivons pas même comme les Juifs, ne croyant pas que l’intention du législateur soit renfermée dans le sens littéral de la loi. Et nous disons que, lorsqu’on leur lit Moïse, ils ont un voile sur le cœur, parce que le sens de la loi de Moïse est caché pour ceux qui refusent de suivre la voie marquée par Jésus-Christ. Mais quand quelqu’un se convertit au Seigneur qui est l’Esprit, nous savons qu’alors le voile qu’il avait sur le cœur en étant ôté, il contemple à découvert la gloire du Seigneur dans ces sens cachés de l’Écriture ; et devenant lui-même comme un miroir qui la reçoit, il participe, pour sa propre gloire, à cette gloire divine. De sorte qu’il n’y a rien de plus lumineux que son visage, c’est-à-dire son entendement, pour parler nûment et sans figure. Car le visage de l’homme intérieur, c’est l’entendement qui, par la connaissance du véritable sens de la loi, est rempli de lumière et de gloire.
Qu’on ne pense pas, dit-il ensuite, que j’ignore qu’il y en a entre eux qui avoueront que leur Dieu est le même que celui des Juifs ; mais que d’autres le nieront, voulant que le Dieu qui a envoyé son fils soit un Dieu opposé au premier. S’il croit qu’il faille condamner le christianisme sur ce qu’il y a diverses hérésies parmi les chrétiens, pourquoi ne condamnera-t-on pas la philosophie par la même raison, puisque les différentes sectes philosophes s’accordent si peu, je ne dis pas sur des bagatelles et sur des choses non nécessaires, mais sur ce qu’il y a de plus important et de plus essentiel ? Les sectes qui partagent la médecine la devront tout de même faire condamner.
Je veux donc qu’il y en ait parmi nous qui nient que notre Dieu soit le même que celui des Juifs, cela ne doit point faire que le Dieu des Juifs et le Dieu des Gentils est le même Dieu. Voyez si saint Paul, qui de juif s’était fait chrétien, pouvait parler plus clairement que de de dire : Je rends grâces à mon Dieu que je sers avec une pure conscience, comme mes ancêtres l’ont servi (II Tim., I, 3).
Je veux qu’il y ait des gens d’un troisième ordre qui nomment les uns charnels, et les autres spirituels, si je ne me trompe, les disciples de Valentin qu’il entend par là : qu’en peut-il conclure contre nous, qui nous tenant au sentiment de l’Église, condamnons ceux qui soutiennent que les uns sont sauvés, les autres damnés par la nécessite naturelle de leur constitution ?
Je veux encore qu’il y en ait qui, par une haute opinion de leur savoir, s’attribuent le nom de gnostiques, à peu près comme les épicuriens prennent celui de philosophes : il ne se peut, ni que ceux qui nient la Providence soient de vrais philosophes, ni que ceux qui inventent des fables absurdes, désavouées par les disciples de Jésus, soient de vrais chrétiens. Je veux qu’il y en ait d’autres qui, parce qu’ils reçoivent Jésus-Christ, se vantent d’être chrétiens, mais qui cependant veulent encore observer la loi de Moïse comme le commun des Juifs : tels que sont les ébionites ; tant ceux qui confessent avec nous que Jésus est né d’une Vierge, que ceux qui nient qu’il est autrement que les autres hommes : que fait cela contre ceux qui composent l’Église, lesquels Celse appelle la multitude ? Il dit qu’il y en a aussi de certains nommés sibyllites ; fondé peut-être sur ce qu’il s’est rencontré avec quelqu’un qui, n’approuvant pas le sentiment de ceux qui tiennent que la sibylle a été une prophétesse, les désignait par ce nom.
Il ramasse ensuite une foule d’autres noms comme pour nous en accabler, et il parle d’abord des simoniens, nommés aussi héléniens parce qu’ils révèrent une Héléné ou un Hélénus qu’ils reconnaissent pour maître. Mais Celse ne sait pas que parmi les simoniens, on ne donne pas la qualité de fils de Dieu Jésus et qu’ils nomment Simon la vertu de Dieu. On nous conte divers prodiges de ce Simon, qui s’imaginait qu’en se servant d’illusions, comme il croyait qu’avait fait Jésus, il acquerrait parmi les hommes le même crédit que Jésus y avait acquis. Mais il a été impossible, et à Celse, et à Simon, de comprendre comment Jésus, chargé de cultiver le champ du Seigneur, a pu si heureusement semer la parole de Dieu par toute la terre, que presque tout ce qui est habité, soit par les Grecs, soit par les Barbares, ait été rempli d’une doctrine qui guérit l’âme de tous ses vices, et qui la conduit au Créateur de l’univers. Après ceux-là. Celse nous parle des marcellianites qui doivent leur nom à Marcelline ; et des harpocratiens, dont les uns tirent leur origine de Salomé, les autres de Mariane, et les autres de Marthe. Mais ce sont des sectes dont nous n’avons nulle connaissance, quoique le désir d’apprendre nous ait porté, non seulement à étudier avec soin la doctrine chrétienne et les différence opinions de ceux qui la suivent, mais à examiner, même sérieusement et de bonne foi, les sentiments des philosophes. Il nomme ensuite les marcionites dont Marcion a été le chef, et pour faire croire qu’il en connaît bien davantage, il ajoute, selon sa coutume : Il y en a encore d’autres qui, se forgeant malheureusement pour maître quelqu’autre démon, se plongent dans d’épaisses ténèbres où Ils commettent plus d’excès et d’abominations que ne font, en Égypte les dévots d’Antinoüs. Je trouve qu’il y a quelque chose de véritable, dans ce qui touche là, lorsqu’il dit qu’Il y en a d’autres qui se forgent malheureusement pour maître quelqu’autre démon, et qui, par ce moyen, se plongent dans les épaisses ténèbres de l’ignorance. Quant à la comparaison qu’il fait d’Antinoüs avec Jésus-Christ Notre-Seigneur, nous ne répéterons point ce que nous en avons dit ci-dessus. Voyons ce qui suit : Ils se disent mutuellement les injures les plus indignes et les plus atroces et ils seraient bien fâchés de céder la moindre chose pour le bien de la paix, ayant les uns pour les autres une haine mortelle. Nous avons encore répondu à cela, quand nous avons dit que, dans la philosophie et dans la médecine, il y a des sectes qui se font une guerre mutuelle. Mais, au reste, nous qui suivons la doctrine de Jésus et qui tâchons de faire que nos pensées, nos paroles et nos actions soient conformes à ses préceptes, quand on nous maudit, nous bénissons quand on nous persécute nous le souffrons, quand on nous dit des injures, nous répondons par des prières (I Cor., IV, 12). Et bien loin de traiter indignement ceux qui ont des sentiments contraires aux nôtres, il n’y a rien que nous ne fissions pour les ramener à leur devoir, s’il était possible : c’est-à-dire pour les obliger à s’attacher uniquement au Créateur et à vivre toujours comme devant être un jour jugés. S’ils s’obstinent dans leur erreur, nous observons l’ordre qui nous a été donné à leur égard : Rejetez celui qui est hérétique, après l’avoir averti une et deux fois ; sachant que quiconque est en cet état, est perverti et pèche, étant condamné par son propre jugement (Tit., III, 10). Ceux qui ont compris que bienheureux sont les pacifiques, et bienheureux ceux qui sont doux (Matth., V, 9, 5), n’ont garde de donner des marques de haine à ceux qui corrompent et qui falsifient la doctrine chrétienne, ni de les comparer à cette Circé qui empoisonnait les hommes par de doux breuvages.
Il semble, à mon avis, qu’il ait quelque idée de ces paroles de l’Apôtre : Dans les derniers temps quelques-uns abandonneront la foi s’arrêtant à des esprits d’erreur et à des doctrines de démons enseigné es par des imposteurs pleins d’hypocrisie et cautérisés en leur propre conscience, qui interdiront le mariage et l’usage des viandes que Dieu a crées pour être reçues avec actions de grâces par les fidèles (I Tim., IV, 1). Il semble aussi qu’il ait ouï dire qu’on se sert de ce passage contre les corrupteurs du christianisme ; et que ce soit ce qu’il a en vue quand il dit qu’il y en a parmi les chrétiens qu’on nomme les cautères des oreilles. Il ajoute qu’il y en a d’autres qu’on nomme énigmes (Matth., XVIII, 6, etc.) : mais je ne sais pas où il l’a pris. A l’égard du mot scandale il est certain qu’il se trouve fréquemment dans nos Écritures, et nous avons coutume de l’appliquer à l’action de cela qui détournent de la saine doctrine les personnes simples et faciles à séduire. Mais pour ces trompeuses sirènes avec leurs danses et avec la cire qu’elles mettent dans les oreilles, changeant en pourceaux ceux qu’elles peuvent attirer, nous ne savons ce que c’est, et nous se connaissons point de gens à qui l’on donne ce nom. Je ne pense pas que parmi les vrais chrétiens ni parmi les hérétiques il y ait personne qui en connaisse non plus.
Celse qui se vante de savoir tout, ajoute encore : Quoiqu’ils aient de telles disputes entr’eux, et qu’ils se déchirent les uns les autres par de si sanglants outrages, vous les entendrez dire tous : Le monde est crucifié pour moi, et je le suis pour le monde (Gal., VI, 14). C’est là sans doute tout ce qu’il a retenu des écrits de saint Paul ; car pourquoi ne disons que cela, y ayant une infinité d’autres passages pareils, comme par exemple : Encore que nous vivions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair ; car les armes de notre milice ne sont point charnelles, mais puissantes en Dieu pour renverser les remparts qu’on leur oppose ; et c’est par ces armes que nous détruisons les raisonnements humains et toutes les hauteurs qui s’élèvent contre la connaissance de Dieu (II Cor., X, 3) ?
Mais puisqu’il dit des chrétiens en général, que quoiqu’ils aient de telles disputes entr’eux, on les entend dire tous : Le monde est crucifié pour moi, et je le suis pour le monde ; il faut lui montrer que cela même est faux. En effet, il y a des hérétiques qui ne reçoivent pas les Épîtres de saint Paul, tels que sont les ébionites tant de l’une que de l’autre espèce, et ceux qu’on appelle encratites. Des personnes qui ne reconnaissent pas l’Apôtre pour un homme saint et bienheureux n’ont gardé de dire avec lui : Le monde est crucifié pour moi, et je le suis pour le monde. Celse se trompe donc en cela ; il insiste fort longtemps sur l’accusation qu’il tire de cette diversité de sectes, mais il me paraît peu exact à débrouiller et à éclaircir les choses. Il n’a pas assez soigneusement considéré, ni assez nettement compris comment les chrétiens avancés en connaissance se vantent d’en savoir plus que les Juifs ; si c’est en recevant les mêmes livres que les Juifs reçoivent, mais en leur donnant un autre sens, ou si c’est en rejetant ces livres ; car de ces deux partis, il y a des sectes qui prennent l’un, et d’autres qui prennent l’autre. Il dit ensuite : Voyons donc et quoique leurs dogmes n’aient rien dans leur origine qui puisse les autoriser,. examinons la doctrine en elle-même. Il faut premièrement faire voir combien ils prennent mal les choses, gâtant par leur ignorance tout ce qui leur passe par les mains, et parlant avec une fierté mal fondée de ce dont ils ne savent pas même les premiers principes. Voici que c’est. Après quoi, il oppose a quelques maximes que les chrétiens ont continuellement à la bouche, d’autres maximes des philosophes, voulant que ce qu’il y a de plus beau dans ce qu’il attribue aux chrétiens, soit dit par les philosophes avec plus de force et de clarté, et tâchant ainsi d’entraîner vers la philosophie ceux qui s’étaient rendus aux beautés du christianisme, où la piété paraît dès le premier abord dans tout son éclat ; mais finissons ce cinquième livre, et passons au sixième.