1. Considérations générales sur le Rationalisme et le Supranaturalisme — 2. Nécessité d’une révélation — A. Preuve historique : Insuffisance de la philosophie. — B. Preuve rationnelle
Nous trouvons chez presque tous les anciens peuples la conviction que leurs croyances et leurs pratiques religieuses leur venaient de quelque communication céleste, en d’autres termes, la foi à une révélation. Nous entendons souvent dans le monde païen les hommes les plus distingués sous le rapport moral exprimer le vœu ou même l’espoir d’être enseignés de Dieu. Une opinion si constante et si générale semble devoir reposer sur quelques faits réels ; elle nous donne la pensée intuitive de l’humanité sur la possibilité d’une intervention divine pour l’instruction et la régénération du monde ; elle fonde la légitimité et en quoique sorte l’obligation de recherches sérieuses à cet égard.
La seule révélation qui soit aujourd’hui en cause est la révélation mosaïque et chrétienne, ou la révélation biblique, parce que c’est la seule qui présente de véritables titres de crédibilité.
Jusqu’à ces derniers temps, la controverse n’avait existé qu’avec les déistes qui nient toute révélation comme fausse ou inutile ou impossible (le mot révélation étant pris des deux parts dans son acception ecclésiastique), mais depuis quelques années ce mot a été employé dans des sens très divers. Il en est un surtout qui a reçu une grande importance théologique et sur lequel il est nécessaire de nous arrêter.
Distinguant la Révélation en surnaturelle ou immédiate et en naturelle ou médiate, on a entendu par la première une intervention directe et extraordinaire de la Divinité ou une doctrine religieuse résultat de cette intervention — par la seconde, une doctrine religieuse obtenue au moyen des lumières et des formes rationnelles, mais sous la direction de la Providence ; en sorte qu’on peut la dire donnée de Dieu à l’homme par le seul intermédiaire de la raison.
On divise encore la révélation naturelle ou médiate, en générale et en spéciale. On appelle générale, celle que chacun reçoit ou peut recevoir en faisant usage de ses facultés et des secours extérieurs qui lui sont fournis, et spéciale, celle à laquelle certains hommes sont arrivés par un légitime emploi de leurs dons intellectuels et moraux et sous l’influence de causes et de circonstances favorables.
Dans ce système, on s’attribue le droit de juger en elle-même toute doctrine qui se donne pour une révélation, quels que soient ses titres extérieurs de crédibilité, et de n’en admettre que ce que la raison humaine peut démontrer ou légitimer par ses propres principes. Tout y étant, en effet, produit de la raison, œuvre de l’homme, tout y reste soumis au jugement de la raison humaine ; tout vient d’elle, tout doit être sans cesse épuré et développé par elle, à mesure que ses lumières et ses forces s’accroissent. De là le Supranaturalisme et le Rationalisme. Le premier soutenant la possibilité, la nécessité, la réalité d’une révélation immédiate et demandant qu’une fois cette révélation reconnue l’homme s’y soumette avec une humble et entière docilité. Le second n’admettant qu’une révélation médiate et s’en constituant le juge au moins autant que le disciple. L’un pose pour principe fondamental la Révélation, en employant la raison comme moyen de constater l’origine et de recueillir les enseignements de ce message céleste ; l’autre pose pour principe fondamental la raison dont il fait la source première et la norme suprême de la vérité religieuse. Il considère la Révélation comme un document précieux où le divin, c’est-à-dire à son sens le vrai, le bon, l’éternel, se trouve contenu, mais mêlé plus ou moins, par une sorte de nécessité humaine, à des opinions fausses, impures, transitoires dont il faut le dégager peu à peu, et c’est là le travail de la raison. C’est à la fois son droit et son devoir.
Ces deux systèmes, partant de principes si différents, doivent nécessairement arriver à des conséquences très différentes ; quelle que soit l’analogie des formules théologiques, la foi n’y saurait être la même, ni quant à sa nature ni quant à son étendue. Quant à sa nature, car elle n’a pas la même origine et la même base ; quant à son étendue, car d’un côté on ne reconnaît au fond comme croyable et obligatoire que ce qui sort de l’esprit de l’homme, tandis que de l’autre on se soumet à tout ce qui est enseigné et commandé comme venant de l’Esprit de Dieu.
Le rationaliste est logiquement et par cela même forcément conduit à n’admettre que les doctrines qui peuvent se découvrir et se démontrer par les seules données naturelles et à rejeter toutes celles qui n’ont d’autre appui que la lumière ou l’autorité de la Révélationd…
d – Nous ne pouvons donner comme introduction au grand sujet de la Révélation que ce court fragment tiré des « Notes » de M. le pasteur Cadier. Le manuscrit n’a pas été retrouvé (Edit.).
La nécessité d’une révélation se déduit de cette double proposition : 1° Toute religion qui ne nous donne pas une connaissance suffisante de notre nature, de notre état moral et de notre sort à venir, de Dieu, de ses volontés envers nous et des moyens de nous concilier sa bienveillance ou sa miséricorde, n’est pas celle qu’il faut à l’homme.
2° L’homme abandonné à ses seules lumières et à ses propres forces est incapable d’acquérir cette connaissance au degré nécessaire. Il est donc hors d’état de se former par lui-même la religion dont il a besoin.
La première partie (majeure) de cette proposition est incontestable. La deuxième partie peut se prouver historiquement et rationnellement.
A.) Preuve historique. Insuffisance de la philosophie. — L’histoire nous montre la terre couverte des ténèbres de l’erreur et de la superstition. Les contrées mêmes où fleurissent les arts et les sciences ne se distinguent en rien des autres par leurs notions et leurs pratiques religieuses et ce triste état, bien loin de s’améliorer, semble aller en empirant de siècle en siècle.
Dans un intervalle de 4 000 ans pas un peuple ne s’élève de lui-même du polythéisme à la connaissance et au culte du seul vrai Dieu. Si cette connaissance et ce culte existent dans les anciens temps chez une des nations les moins avancées sous tous les autres rapports, c’est qu’elle possède une révélation. Si nous voyons aujourd’hui la vérité religieuse en tant de lieux qui en étaient autrefois privés, c’est qu’ils l’ont reçue du Christianisme.
Un fait si constant et si universel est à lui seul la démonstration de notre thèse. S’il nous semble aujourd’hui si facile d’échapper aux erreurs et aux superstitions du polythéisme c’est un effet des lumières que le Christianisme a versées sur le monde.
On a souvent affirmé qu’il appartient à la philosophie de résoudre les diverses questions religieuses et de donner à l’homme une doctrine pure, certaine, complète qui réponde à ses besoins intellectuels et moraux. Sur cette prétention, interrogeons encore les faits.
La philosophie ancienne est loin de la légitimer. La plupart des écoles qu’elle enfanta tombèrent dans les erreurs les plus graves… Là même où l’on s’éleva aux notions les plus exactes et les plus hautes, ces notions furent toujours partielles, incertaines, mêlées à des croyances superstitieuses ou fausses, et l’on doute encore si la philosophie les trouva ou si elle les reçut.
De plus, elle les exposa sous une forme qui ne permettait pas qu’elles devinssent jamais populaires, et elle essaya à peine de les propager hors de ses écoles.
Le sentiment religieux, joint à de vieilles croyances qui surnageaient partout au sein du polythéisme, lui donnaient l’idée d’un Dieu suprême, celles de la Providence et d’une existence future ; elle ne sut pas épurer ces grandes idées, les compléter, les appuyer de preuves satisfaisantes et leur donner force et action dans le monde. Elle touche à peine à la doctrine que la conscience de l’humanité place peut-être en première ligne, celle du pardon et du secours divin.
En somme, les fondateurs des philosophiez anciennes plus élevées n’enseignèrent qu’une religion incomplète et défectueuse à bien des égards ; ils ne purent environner la portion de vérité qu’ils possédèrent du degré d’évidence et de certitude indispensable pour la faire admettre et la rendre efficace ; ils ne tentèrent pas de la répandre au sein des peuples ; enfin, ils ignorèrent le moyen de remédier à l’état moral où le péché place l’homme et à l’avenir redoutable qu’il lui prépare. A peine ont-ils touché à cette question des questions, tant leur métaphysique répondit peu aux premiers besoins de la conscience, aux premiers postulats de la religion. La philosophie ancienne s’est montrée incapable de produire un système religieux qui satisfît la raison, la conscience, le cœur et se légitimât à l’intelligence et à la foi de l’humanité ; elle échoua dans cette haute mission qu’on attribue à la science. Elle fut pourtant en possession de toutes les ressources et des forces intellectuelles dont l’homme peut disposer, et elle les dirigea avec une infatigable persévérance, et durant plusieurs siècles, vers la solution de ce grand problème. Elle n’a pu restituer à la Terre, ni rendre même à un seul peuple, la vérité sainte que le Monde avait reçue dès le principe et que la raison avait laissé perdre : elle ne l’a fait ni à Rome ni en Grèce, où elle brilla d’un éclat si vif et si long-, ni dans l’Inde et la Chine, où elle a commencé son œuvre depuis des milliers d’années. Elle n’est parvenue nulle part à donner une doctrine satisfaisante et certaine ; elle n’a réussi qu’à enfanter des systèmes innombrables qui se sont détruits les uns les autres.
La philosophie moderne n’a eu une marche plus sûre, n’a pénétré plus avant et plus haut qu’autant qu’elle a suivi, de près ou de loin, les lumières et les directions de la foi. Quand elle s’est séparée de la Révélation, sans rejeter cependant les bases fournies par les doctrines générales du Christianisme, elle a pu construire encore un système religieux fort supérieur à tous ceux de l’antiquité. Quand elle a complètement rompu avec la foi, et qu’elle n’a voulu connaître que par elle-même le mystère des choses, elle a avancé en tâtonnant comme la philosophie ancienne ; elle s’est aussi égarée dans ses spéculations et a fini également par aller se perdre dans le panthéisme. La philosophie française du xviiie siècle aboutit à un matérialisme athée, à un panthéisme physique ; elle ne put faire sortir le monde spirituel de la sensation où elle avait placé la source première de la connaissance ; elle ne put tirer l’esprit de la matière, elle le nia. La philosophie allemande, suivant une direction et un principe opposés, s’est perdue dans l’idéalisme et dans le panthéisme métaphysique ; elle se débat dans des abîmes sans fond où tout s’engloutit avec elle.
Ce cycle que la philosophie parcourut en Europe, elle l’a souvent parcouru ailleurs. Des théories panthéistiques marquent le terme de son mouvement en Egypte, dans l’Inde, etc. ; elles marquèrent sa première et sa dernière évolution en Grèce (Ionie, Elée, néoplatonisme) ; l’Europe finit comme la Grèce avait commencé, car l’Ecole française et l’Ecole allemande correspondent à celles d’Ionie et d’Elée.
La tendance spéculative, en développant ses dernières conséquences, s’est jugée par ses résultats et nous touchons à cette autre phase où vient l’idéalisme mystique avec ses illuminations et ses superstitions. Lorsque d’audacieuses théories ont tout ébranlé, que le raisonnement, a tout réduit en poudre, à force de vouloir tout analyser et tout sonder, qu’un scepticisme universel naît de l’opposition toujours plus prononcée entre les données de la science et celles du sens commun, gardien des vérités premières et impérissables, alors il sort des profondeurs de l’âme des mouvements qu’on peut appeler de mille noms, mais qui ravivent les croyances éteintes en les exagérant ; et dans sa réaction sans règles comme sans limites, le monde passe de l’incrédulité à la crédulité — fait digne d’une sérieuse attention, surtout à notre époque, et que nous avons eu l’occasion de signaler.
La philosophie moderne, dans son double mouvement qu’on peut rattacher d’une part à Descartes et de l’autre à Bacon, a donc abouti au panthéisme matériel et spirituel, détruisant ainsi la religion dans ses bases, bien loin de la rétablir dans sa pleine et certaine pureté, comme elle s’en attribue le droit et le pouvoir. Elle n’a pas mieux réussi que la philosophie ancienne. Son dernier mot n’est, sous d’autres formes, que la reproduction d’une doctrine qui caractérise les premiers essais de la pensée et qui est mille fois revenue et mille fois retombée dans le cours des âges, aussi souvent renversée par la conscience religieuse qu’élevée par la raison spéculative.
Des esprits distingués, étrangers aux aberrations du panthéisme (Benjamin Constant, Tholuck), affirment qu’il est le terme final de la spéculation scientifique… Si cette opinion était réellement fondée, (1) il en sortirait la démonstration évidente que la philosophie est incapable de remplir la mission qu’elle se donne, puisque sa conclusion définitive serait une doctrine désolante, aride, creuse, en opposition avec toutes ces données fondamentales de notre conscience et de notre nature, qui ne peuvent qu’être vraies et que nous ne pouvons que tenir pour vraies.
Ce serait un démenti à tous les sentiments et à tous les principes constitutifs de notre être ; ce serait l’anéantissement de Dieu, du monde et du moi, celui de la religion et de la science elle-même, car toutes les réalités disparaîtraient en se fondant dans un absolu idéal ; il ne resterait que des ombres d’êtres, un monde fantastique, des illusions et des apparences ; la veille comme le sommeil, le bien comme le mal, ne seraient qu’un rêve, ainsi que le déclare naïvement le panthéisme indien qui n’a pas été arrêté par des obstacles ou des scrupules venus du dehors, dans l’expression de ses conséquences logiques, et l’on se tâterait en vain au milieu de ces spéculations transcendantales pour savoir si l’on existe. Evidemment cette doctrine, malgré tout l’appareil dialectique et scientifique dont elle s’entoure, n’est qu’un déplorable égarement. Cent fois repoussée et cent fois reproduite, elle ira toujours échouer contre ces premiers principes qu’elle attaque, et auxquels l’homme ne peut pas ne pas croire parce qu’ils le font ce qu’il est. (Que sont des spéculations dites rationnelles quand elles s’élèvent contre les faits de conscience et d’observation ? Que valent, des raisonnements sans prémisses certaines, des théories ontologiques sans autre fondement que de pures idées ?)
Mais si ces doctrines panthéistiques étaient, comme on l’affirme, le résultat logique et, pour ainsi dire, fatal de la philosophie, ce serait là, répétons-le ; la preuve formelle de l’impuissance de la raison à donner le système religieux que réclame la foi. On lui demandait une religion, son dernier mot est qu’il n’y en a pas. Est-ce la réponse qu’on attendait de la philosophie et qu’elle avait promise ? Elle avait annoncé la lumière, et voici les ténèbres ; la vérité et la vie, et voici la négation et le néant.
L’histoire de la philosophie moderne nous mène donc à la même conclusion que celle de la philosophie ancienne… Non, « le monde n’a point connu Dieu par la sagesse ».
Cependant, nous ne pensons pas que la philosophie soit éternellement condamnée à se jeter, au bout de chacune de ses évolutions, dans le panthéisme matérialiste ou idéaliste et, de là, dans le scepticisme. Nous croyons plutôt qu’elle peut éviter l’erreur de droite et celle de gauche, en adoptant une méthode qui tienne également compte des diverses sources de la connaissance, qui conserve la corrélation des données a priori et des données a posteriori, qui les éclaire, les vivifie, les contrôle les unes par les autres ; nous croyons qu’elle arrivera par cette voie, lentement mais sûrement, à faire des conquêtes réelles dans le champ de la vérité religieuse. Mais alors même, elle ne réalisera jamais ce qu’elle s’est promis (et qu’on attend d’elle) ; jamais elle n’en viendra à rendre une révélation inutile. Cela ressort de la nature des choses, et la preuve rationnelle s’unit ici à la preuve historique.
B.) Preuve rationnelle. — (Ceci touche a la question des bornes de l’esprit humain ; question ardue s’il en fui jamais et qui ne peut guère être résolue absolument et a priori ; elle ne peut l’être que partiellement et plus encore par l’expérience que par la réflexion logique ; de sorte que la preuve rationnelle s’appuie sur la preuve historique tout en s’en distinguant). — Nous nous bornerons à quelques courtes remarques : 1° Même sur la religion naturelle, la philosophie ne fournit point cette plénitude de lumière que la foi réclame pour la paix du cœur et la direction de la vie. La raison ne nous éclaire que très imparfaitement sur les attributs de Dieu, surtout ses attributs moraux, ceux qu’il nous importe le plus de connaître — sur le culte qui lui est dû, etc. — Cette assertion n’a pas besoin de preuves pour quiconque a tant soit peu réfléchi à ce que l’intelligence humaine, dans son état actuel ; possède de réellement certain à tous ces égards (c’est, à vrai dire, de la croyance plutôt que de la science) ; il semble que dans ce domaine, l’office principal de la science soit de déterminer ce que la croyance donne formellement. Quand elle veut creuser par delà, le terrain lui manque et il s’ouvre des abîmes ; et quand, sur les fondements fournis par la foi, elle essaie d’élever un édifice où la raison se repose, elle n’aboutit guère qu’à des constructions idéales et hypothétiques.
Prenons, par exemple, le culte et la morale, doux des points où la philosophie religieuse peut, semble-t-il, nous donner les instructions les plus positives. Devons-nous à Dieu un culte extérieur, ou se contente-t-il du culte intérieur et spirituel ? Si le culte extérieur est obligatoire, que doit-il être ? Quelle est la valeur de la prière ? Sur tout cela, les déistes ont été généralement négligents et incertains. « Je ne prie point », dit J.-J. Rousseau, dans le Vicaire Savoyard. Et celle confession du philosophe de Genève, serait celle de la plupart des autres. Les tendances panthéistes ne sont pas plus favorables à la vraie prière, malgré l’espèce d’adoration contemplative qu’elles inspirent… Sous tous ces rapports, et sous bien d’autres, qui n’apprécierait l’avantage d’avoir des informations venues de Dieu, lorsque la raison ne fournit que des lumières si incomplètes et si incertaines ?
L’importance de posséder une morale révélée, ne saurait non plus être contestée. La morale révélée, décide là où la morale philosophique hésite et doute ; or, la portée d’une erreur morale est incalculable pour un être immortel, dont l’avenir dépend de ce qu’il sera devenu ici-bas. Nous avons besoin qu’une main divine imprime sur nos principes de conduite le cachet du ciel et de l’éternité. Les préceptes moraux, quand ils viennent directement de Dieu, inspirent’plus de respect, de crainte, de confiance, de soumission. Quoique la morale philosophique remonte aussi à Dieu, elle ne peut présenter ses prescriptions comme l’expression positive de sa volonté ; celui à qui elle s’adresse peut toujours répondre par le mot de Rousseau :« Que d’intermédiaires entre Dieu et moi ! »
De plus, le besoin de perfection absolue que font naître la voix de la conscience et l’étude de la loi, nous tourmentera aussi longtemps que nous ne pourrons nous reposer dans les voies miséricordieuses de Dieu à notre égard, et ces voies ne peuvent nous être pleinement et positivement connues que par une révélation. Quant à la puissance respective des deux morales, toutes les doctrines de la religion naturelle sur lesquelles s’appuie la morale philosophique (perfection de Dieu, Providence, immortalité, etc.), existent dans la morale révélée et y sont même à un plus haut degré d’évidence et de certitude. La Révélation a, de plus, dans ses doctrines particulières, une source de motifs et, par conséquent, de forces, qui manquent au déisme.
La morale révélée est aussi infiniment plus populaire. Présentée dans une série d’applications et de sentences, qui n’ont pas besoin d’être discutées et prouvées parce qu’elles ont pour garant là parole et l’autorité divines, elle se trouve en rapport avec tous les degrés de culture intellectuelle. Mêlée aux vérités de la foi et aux faits de l’histoire, mise en action dans la vie de Jésus-Christ, en qui elle se personnifie, pour ainsi parler, elle a quelque chose d’infiniment plus impressif. C’est de ces divers caractères que l’Evangile tire sa popularité et sa puissance sanctifiante, c’est ce qui le met à la portée de la masse du genre humain et lui donne tant de prise sur les esprits et sur les cœurs. La morale révélée a une triple base ; elle s’appuie sur la conscience et sur la raison, comme la morale philosophique, et elle y joint un fondement d’un ordre supérieur qui affermit les deux autres. Enfin, la morale révélée (ou chrétienne) a à ses côtés la doctrine du pardon et du secours divin, doctrine qui donne confiance à l’homme, le soutient dans sa faiblesse l’encourage dans son repentir et dans ses efforts, et lui permet seule de tendre vers la perfection à travers ses chutes continuelles.
Ainsi, les lumières de la raison laissent beaucoup à désirer, même dans la classe de doctrines qui constituent la religion naturelle et dont la philosophie fait son domaine spécial ; on y sent de mille manières le prix infini d’une révélation.
2° Sur l’origine du mal, sur son empire au-dedans de l’homme, sur les moyens de pourvoir au besoin de pardon et dt ? régénération qu’éprouve si vivement la conscience dès qu’elle se réveille, sur ces faits, comme sur toutes les questions qui en dépendent et qui sont des plus graves dans notre état de péché, la philosophie n’enseigne et ne peut enseigner rien de satisfaisant pour l’âme, placée en face de la loi morale et des rétributions éternelles. Elle ne fait que poser les prémisses du Christianisme ; les problèmes qu’elle rencontre ne trouvent leur solution que dans l’Evangile. Le théisme remplit sous ce rapport la même fonction que le mosaïsme ; il est aussi un pédagogue qui conduit à Christ (Galates 3.24). C’est là ce que devrait faire toute vraie philosophie. En constatant ce que donne la raison théorique et pratique sur les choses de Dieu et du ciel, elle constate aussi les lacunes, les incertitudes de son enseignement et, par conséquent, le besoin d’une révélation.
En dernier résultat, nous trouvons donc que ce qu’on dit de l’inutilité de la Révélation dans le but d’en établir l’improbabilité et de prouver que nous ne saurions l’attendre de Dieu, est sans fondement réel. L’étude attentive des faits démontre, au contraire, qu’elle est d’une valeur incalculable pour l’homme et l’un des dons les plus précieux qu’il pût recevoir du Ciel.
Joignons à cela la tendance de l’humanité vers une religion positive, c’est-à-dire, appuyée sur une autre base que la raison individuelle ; tendance qui peut se constater par des considérations historiques, puisque des religions de ce genre existent dans tous les pays et dans tous les temps, et par des considérations psychologiques tirées soit de l’inefficacité reconnue des idées religieuses abstraites, soit de l’existence de penchants terrestres à côté du sentiment religieux et des dispositions qui nous portent vers le monde invisible. Il ne peut se faire, remarquons-le (pour nous arrêter un instant à cette dernière considération), que l’opposition de ces deux directions intérieures ne jette souvent dans l’âme une sorte d’incertitude et d’anxiété. Et quand le doute la traverse et la saisit, qu’est-ce qui la soutiendra si elle n’a pas pour s’appuyer d’autre autorité que la sienne ? Qui décidera entre ces deux directions contraires que nous trouvons en nous ? Si l’on consulte les philosophes, combien n’en trouvera-t-on pas qui se prononcent pour la loi du bonheur et y soumettent la loi du devoir ? L’épicurisme a toujours compté plus de disciples que le stoïcisme et le platonisme. L’homme qui a pris pour règle la voix de la conscience ne sera-t-il jamais tenté par l’opinion, par l’entraînement de l’exemple ou des sens, à révoquer en doute l’autocratie de ce moniteur intérieur, si rien, hors de lui et au-dessus de lui, ne vient lui dire que cette voix intérieure qui réclame contre ses penchants est la voix de Dieu ?
Et cette incertitude peut s’étendre à tout. Il y a tant, de mystères, tant de contrastes dans l’homme et dans la nature, que lorsqu’on cherche à s’en rendre compte, on ne sait souvent plus à quoi s’arrêter. Quelle est la fin dernière de la création ? Que sont l’animal et la plante ? Que signifie cette succession d’êtres et d’événements ? Si l’homme doit revivre, comme le sens intime lui en donne le désir et l’espoir impérissable, ce qui l’entouré revivra-t-il aussi ? Le temps n’est-il qu’un fleuve qui entraîne dans l’éternité tout ce qui passe ? La conscience me révèle le Dieu saint, le cœur m’annonce le Dieu bon, la raison me force à revêtir de ces deux attributs l’Etre des êtres ; pourtant l’observation me montre dans le monde le mal physique et le mal moral. Ma foi résistera-t-elle toujours à cette terrible donnée de l’expérience ? si elle n’est ébranlée en aucune occasion sur ces deux attributs divins par la présence du mal, je suis pécheur, qu’ai-je à redouter du Dieu saint, qu’ai-je à attendre du Dieu bon ? que deviendra sa justice s’il pardonne, que deviendra sa clémence s’il punit ? l’exercice simultané de l’une et de l’autre, n’est-il pas irréconciliable et contradictoire pour l’esprit humain ?
Oh ! qu’une parole venue de Dieu est précieuse et, dans une foule de cas nécessaire ! Nous le sentirons d’autant plus que nous sonderons davantage nos besoins religieux et moraux. Nous le sentirons aussi vivement en face de l’histoire de la philosophie que partout ailleurs. Cette série de systèmes opposés qui se croisent, se heurtent, se renversent, qui tour à tour règnent et captivent les intelligences, qui semblent ne périr que pour renaître sous d’autres formes et pour passer encore, finit par étonner et ébranler la raison ; et, quoi qu’on en dise, la Révélation est aussi utile au savant qu’à l’homme sans culture. Avant les Pascal, les Newton, les Leibnitz, qui l’ont reconnu dans les temps modernes, les esprits les plus élevés et les plus purs des temps anciens avaient soupiré après quelque enseignement du Ciel.